La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment au Professeur Abenhaïm.

Mme la Présidente.- Si vous en êtes d’accord, je vous donne très volontiers la parole pour une présentation générale qui pourrait durer une dizaine de minutes, pour permettre ensuite au rapporteur et aux membres sénateurs de cette commission de vous poser un certain nombre de questions et de poursuivre un débat riche et vivant.

M. ABENHAIM.- Merci Madame la Présidente. Mesdames Messieurs, je suis très heureux d’être ici, devant vous, pour vous présenter très rapidement le champ d’intervention de la Direction générale de la santé dans le domaine des drogues illicites.

Comme vous le savez, cette politique s’effectue dans le champ général coordonné par la MILDT pour le plan gouvernemental.

Nous avons vécu dans le cadre d’un plan triennal 1999-2001 jusqu’à il y a peu. Un nouveau plan est en discussion actuellement.

Le plan triennal, qui vous a sans doute déjà été présenté, mettait l’accent sur une nécessité de prendre en compte de façon simultanée l’ensemble des substances psychoactives, c’était l’objectif, et de mettre en cohérence les politiques à la fois pour les drogues illicites, le tabac et l’alcool en termes de prévention et en particulier auprès des jeunes et surtout, je crois que cela n’a pas été suffisamment rappelé, d’asseoir les interventions et les communications sur une évaluation scientifique plutôt que simplement sur une approche générale du problème.

L’évaluation de ce plan malheureusement n’est pas encore disponible. Nous l’avons commandée, mise en marche avec plusieurs intervenants. Elle sera disponible dans les prochaines semaines. Si votre commission est intéressée, nous pourrons vous transmettre cette évaluation d’ici là.

Mme la Présidente.- Merci.

M. ABENHAIM.- Je vais néanmoins vous donner quelques éléments non pas de cette évaluation mais de ce qu’il en est de la vision que nous avons du problème des drogues illicites aujourd’hui.

Vous savez qu’en ce moment, à 18 ans 56 % des garçons et 45 % des filles ont déjà expérimenté une fois une drogue illicite. L’âge d’initiation est entre 15 et 16 ans. 20 % des garçons et 7 % des filles en consomment plus de 10 fois par mois. 5 % des garçons et 2,7 % des filles ont déjà expérimenté de l’ecstasy. Les chiffres que je vous ai donnés précédemment concernaient particulièrement le cannabis, bien sûr.

Ceci indique l’importance du problème des drogues illicites en termes de santé publique, puisque nous avons une très forte proportion de la population exposée à des produits dont nous savons qu’ils ont un effet sur la santé, un effet biologique bien entendu, mais éventuellement également des effets sur les comportements et possiblement d’autres types d’effets.

Nous avons beaucoup travaillé. Nous avions demandé à l’INSERM d’effectuer une expertise collective, dont les résultats ont été rendus disponibles l’an dernier sur justement les différentes conséquences de la consommation de cannabis en particulier, mais également sur les différents types de drogue. Nous travaillons avec différents groupes.

Il est très clair que nous ne pouvons pas considérer ces produits comme des produits bénins, en particulier pour le cannabis, souvent présenté comme un produit sans danger. Du point de vue de la Direction générale de la santé, il est très clair que nous avons affaire à un problème qui doit être pris en compte y compris en termes de santé publique. Il ne s’agit pas simplement d’une consommation sans problème.

En général d’ailleurs, l’ensemble des drogues illicites pour nous je crois est aujourd’hui devenu un peu une évidence, mais il faut rappeler que pendant très longtemps cette question a été traitée essentiellement d’un point de vue judiciaire, éventuellement du point de vue de la police ou du contrôle. Cela fait seulement quelques années que l’on a en général considéré qu’il fallait appliquer à ces produits une approche de santé publique.

Appliquer une approche de santé publique signifie par exemple que dans le cadre d’un certain nombre de drogues psychoactives, comme les drogues injectables, il fallait développer des programmes d’échange de seringues, de substitution, éventuellement de réduction des risques, plutôt que simplement des approches de contrôle sur l’utilisation. Nous croyons que cela a eu aussi des effets positifs en termes de santé publique, que nous pouvons mesurer. C’est forcément l’approche que je vais vous développer ici, le fait que ces questions doivent être abordées sous cet angle.

Si nous abordons la population des toxicomanes dépendants, vous savez qu’elle est évaluée à près de 140 000 personnes aujourd’hui, qu’elle est exposée à des risques graves d’infection, VIH, VHC bien entendu, mais aussi à une forte surmortalité liée à l’overdose, au suicide, aux accidents et maladies infectieuses et également à une co-morbidité psychiatrique importante.

Ici aussi nous voyons que pour ces drogues, c’est d’un point de vue de santé publique que nous devons essayer de les aborder.

Comment le faisons-nous ? La prévention des infections graves, VIH et VHC, comme vous le savez s’effectue dans le cadre de ce que l’on appelle la stratégie de réduction des risques. Nous pouvons dire que cette stratégie a été mise en place pour la première fois, en France en 1987, avec le décret Barzach, qui avait permis la vente des seringues en pharmacie sans prescription. C’est la première action de réduction des risques réelle dans notre pays, qui maintenant s’effectue via les programmes d’échange de kits, les kits STERIBOX, d’échange de seringues par les boutiques.

Nous avons plus de 142 boutiques d’échange de seringues dans le pays. Il s’agit de boutiques parfois fixes, de bus, éventuellement dans des structures hospitalières, des structures de soins.

Ces activités, à notre avis, se sont traduites par des résultats en termes de santé publique très positifs, puisque d’abord nous avons eu une baisse considérable de la prévalence de l’infection par le VIH qui, même si elle reste élevée, a quand même baissé de façon importante. En tout cas, sa diffusion a été très fortement ralentie.

Par contre pour le VHC, pour l’hépatite C, nous avons des résultats plus mitigés, puisque nous avons aujourd’hui unecontamination de près de 70 % des toxicomanes. Il nous faut prendre en compte ce problème.

Le deuxième axe de l’action de santé publique est la prise en charge, à côté de la réduction des risques. De ce point de vue, je pourrais prendre l’exemple du subutex et de la méthadone. Là aussi c’est une approche différente de celle qui avait pu prévaloir jusque dans les années 1970 et le début des années 1980. Notre pays se caractérise par une très grande accessibilité au subutex, en particulier à la buprénorphine, une accessibilité moindre à la méthadone par rapport aux autres pays.

Nous avons un système basé sur une absence de déclaration et sur le rôle des médecins de ville, ce qui est je crois tout à fait nouveau.

De ce point de vue, nous avons près de 202 centres de soins ambulatoires spécialisés en toxicomanie, dont la plus grande partie utilisent également ces produits.

Le bilan de notre point de vue et en termes de santé publique est positif, puisque fin 2002 nous avions 95 700 personnes en traitement de substitution, ce qui nous semble quand même assez important, dont 80 000 par le subutex et 15 700 par la méthadone. Ceux qui utilisent ces produits en font une évaluation en général positive.

Surtout la rétention est assez importante, puisque 56 % des patients restent avec le même praticien à deux ans. Vous savez que c’est beaucoup plus que finalement ce que nous avons en médecine en général.

L’injection a fortement régressé grâce à ces programmes. Le nombre de seringues vendues a beaucoup baissé. Nous le savons. Plusieurs enquêtes nous montrent que le nombre d’injections, toutes drogues confondues, a baissé.

La situation des personnes prises en charge s’améliore dans le domaine du logement, puisque nous n’en avons plus que 4 % sans logement.

En prison également il y a des améliorations, bien qu’il y ait des interruptions de traitements. En 1999, 19 % des traitements étaient interrompus, maintenant plus que 5 %.

Nous pouvons donc dire qu’il y a des résultats quand même assez positifs de ce point de vue de notre politique.

Les aspects négatifs sont pour nous la faible accessibilité de la méthadone et la surprévalence du subutex. Très clairement, nous pensons que la méthadone devrait se développer beaucoup plus. Le nombre de centres qui l’offrent n’est pas suffisant. Le personnel n’est pas toujours aussi compétent et surtout aussi nombreux que nous le voudrions.

Nous avons des problèmes bien entendu liés d’une part au détournement du subutex. Il existe clairement un marché du subutex hors officines. Ce phénomène est difficile à quantifier. Nous pensons qu’il est de l’ordre de 7 %, d’après l’étude OPPIDUM. Il semble que ce chiffre soit tout à fait stabilisé.

Nous essayons de trouver des moyens. J’ai rencontré encore très récemment le Président de l’Ordre des pharmaciens et nous travaillons avec l’AFSSAPS pour mieux contrôler la dispensation de ces produits. Il faut trouver y compris des modifications au niveau réglementaire.

Nous avons des problèmes d’association avec les benzodiazépines et surtout le problème du maintien de la pratique d’injection du subutex liée en partie à sa force galénique. Cette injection peut entraîner des complications en local sévères et compromet donc l’objectif de réduction des infections que nous cherchons à atteindre.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, je rappelle qu’il y a eu une importante diminution des injections en général. Nous pensons qu’il faut continuer ces programmes, qu’ils ne sont pas à remettre en cause, mais très certainement lutter de façon extrêmement précise contre leurs effets délétères.

Troisième effet délétère, d’une autre nature, il semble qu’il y ait une diffusion de la cocaïne aussi bien dans notre pays que dans les autres dans les études qui ont pu être réalisées. Si nous prenons le nombre d’interpellations par la police, il a augmenté entre 1995 et 1999 pour l’utilisation de la cocaïne en parallèle avec la diffusion des traitements de substitution. Nous devons donc nous en préoccuper.

A la Direction générale de la santé, les programmes de lutte contre les drogues illicites font partie de nos priorités. La MILDT est très clairement le chef de file, avec qui nous travaillons. Elle a des moyens que nous n’avons pas. Nous travaillons beaucoup avec l’Institut national de prévention.

Notre pays se caractérise en termes d’interventions, comme je viens de le dire, par un nombre de structures sans doute suffisant, parfois même sinon trop dispersées. En tout cas, le nombre d’intervenants dans chaque structure, la masse critique n’est pas toujours atteinte et nous nous posons la question de savoir si nous ne devrions pas recentrer et reconcentrer les structures.

Nous avons un nombre de campagnes nationales pas négligeable.

Par contre, nous avons une assez faible présence sur le terrain en termes de prévention en particulier auprès des jeunes. C’est une question que nous abordons dans le cadre de la loi de santé publique.

Mme la Présidente.- Monsieur le Professeur, merci infiniment. C’était fort intéressant. Vous avez bien cerné les problèmes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur.- Professeur, vous avez expliqué qu’il y avait des aspects positifs de la politique qui avait été menée, des résultats satisfaisants.

J’ai quand même fondamentalement une question. Comment expliquer l’explosion de la consommation de cannabis en France ? Comment se fait-il que nous soyons de ce point de vue leaders en Europe, malgré une politique existant depuis 1970 et qui a été infléchie, donc adaptée à plusieurs reprises, notamment à partir de la circulaire Barzach, qui a initié la politique de réduction des risques ?

M. ABENHAIM.- Tout à fait. Le cannabis n’a pas fait l’objet d’une politique spécifique de réduction des risques de la même manière que celle que nous avons utilisée dans le domaine des drogues injectables, pour la bonne et simple raison que dans le cadre de la politique que nous avons pour les drogues injectables, la réduction des risques part de l’idée que la diminution de la consommation n’est pas l’objectif principal, ce n’en est qu’un secondaire. L’objectif des politiques de réduction des risques dans le cadre des drogues injectables consiste à dire qu’à partir du moment où les gens vont utiliser des drogues, comment fait-on pour que cette utilisation soit la moins délétère, la moins toxique possible, donc baisser le risque de VIH, de VHC.

Contrairement à une idée couramment répandue, la substitution par le subutex ou la méthadone n’a pas toujours comme objectif principal le sevrage. C’est un des objectifs, mais ce n’est pas toujours chez chacun des patients l’objectif principal. L’idée est souvent une substitution, ce qui a d’ailleurs été très difficile à accepter pour beaucoup, de dire : « Vous transformez des drogués. Vous déplacez l’addiction ». D’une certaine façon c’est vrai, mais nous déplaçons vers une addiction beaucoup moins délétère et comme nous pouvons le voir, ceci s’est traduit par une baisse considérable de la mortalité et des infections. C’est l’objectif des politiques de réduction des risques, n’agissant pas sur la prévention primaire, donc de la consommation, de l’exposition, mais sur la prévention secondaire -si nous pouvons dire-, de la survenue de complications associées à l’utilisation.

En termes de prévention primaire nous ne sommes, comme vous le dites parfaitement, je pense pas très bien placés à la fois en Europe et dans le monde, parce que nous continuons à avoir une consommation qui a augmenté pour le cannabis de façon très claire. Je crois que la consommation pour les autres drogues a diminué. Le nombre d’injections a aussi diminué, nous avons eu un effet en prévention primaire sur l’injection pour les toxicomanes, mais pas sur le cannabis. C’est un problème probablement lié à la faible prise de conscience des effets délétères du cannabis, qui, je le rappelle, à consommation égale cumulerait les risques à la fois du tabagisme et de l’excès d’alcool. Effectivement, la plupart des consommateurs de cannabis n’ont pas une consommation de cannabis suffisamment importante pour avoir les risques du tabac ou de l’alcool. Néanmoins, il y a eu l’idée fortement répandue de l’absence de risques.

Une des grandes faiblesses de notre système est que nous disposons de relativement peu de connaissances. Surtout, nous n’avons pas beaucoup d’actions de prévention sur le terrain et je crois que c’est la très grande faiblesse de notre système aujourd’hui.

M. PLASAIT.- J’insiste sur cet aspect des choses parce qu’à côté des aspects positifs incontestables, nous avons sans doute en effet évité bien des morts, vous dénoncez bien cet effet pervers de la politique de réduction des risques, qui a consisté finalement à ne pas traiter suffisamment, ou même à ignorer, la nécessité de la prévention primaire et nous pourrions dire d’une certaine manière de ne pas mener la guerre contre le développement de la drogue et de la toxicomanie.

M. ABENHAIM.- Je ne l’aurais pas tout à fait formulé dans ce sens, si vous me le permettez. Du point de vue de la Direction générale de la santé, je ne crois pas que le fait de mener une politique de réduction des risques ait eu comme corollaire de diminuer la prévention primaire. J’en ai pour preuve les autres problèmes de prévention. Notre pays, comme vous le savez, a la plus mauvaise mortalité prématurée par cancer et même la plus mauvaise d’Europe, avec le Portugal, donc la mortalité avant 65 ans et ce pour tous les facteurs de risques.

Dans le domaine du cannabis comme dans celui des autres toxicomanies et des autres facteurs de risques, nous sommes particulièrement mauvais en prévention et quel que soit le problème (santé, consommation de tabac, d’alcool). Je crois que cela relève de la même logique, liée au fait que notre pays a mis beaucoup l’accent, et c’est peut-être un peu le lien avec ce que vous disiez, en générale sur la médecine, c’est-à-dire tout ce qui relève un peu des actions médicales individuelles où nous pouvons dire que les soins toxicomanes, d’une certaine façon la réduction des risques n’est pas de la médecine, mais c’est quand même une action individuelle.

Nous avons un savoir-faire, mais nous en avons un très faible dans le domaine des actions collectives de prévention. Je crois que cela est lié à une très grande faiblesse de la culture de santé publique dans notre pays.

M. PLASAIT.- Existe-t-il une étude épidémiologique sur le nombre de nouveaux toxidépendants qu’il y a chaque année ?

M. ABENHAIM.- Nous avons effectivement un certain nombre d’enquêtes disponibles. Je crois que dans le domaine des drogues ce sont les enquêtes OPPIDUM, si je ne me trompe pas. Nous avons un certain nombre d’enquêtes de l’Office français des drogues et des toxicomanies en particulier.

Nous pouvons dire de ce point de vue que même si les chiffres ne sont pas forcément extrêmement stabilisés, nous avons quand même une assez bonne idée de ce qui peut se passer par rapport à d’autres domaines.

Je ne dirai pas que nous avons une épidémiologie parfaite. Nous avons un certain nombre d’études de surveillance. Nous avons quand même des indicateurs comme l’utilisation des seringues, la vente des produits par exemple, du subutex, des STERIBOX etc., qui fait qu’à partir de ces différents indicateurs plus de ceux des enquêtes de consommation, nous avons une idée assez précise de ce qui se passe.

Nous sommes très faibles, dans l’épidémiologie dans les études plus approfondies sur les facteurs poussant les uns et les autres à consommer. Sur cet aspect et en particulier sur ceux des sciences sociales, d’épidémiologie sociale, je pense que nous ne sommes pas assez renseignés.

Mme la Présidente.- Merci.

M. PLASAIT.- Dans la continuation de cette idée d’évaluation des politiques menées, il est clair que la politique qui découlait naturellement de la loi de 1970 a été un peu vidée de sa substance par celle de réduction des risques.

Quel jugement portez-vous sur la philosophie de la loi de 1970, sur l’application qui en a été faite ou non et donc singulièrement sur l’idée et l’application de l’injonction thérapeutique ? Tout cela bien entendu, vous le comprenez bien, est pour vous demander votre avis sur la nécessité de maintenir, d’abroger ou de modifier éventuellement cette loi.

M. ABENHAIM.- Je n’ai peut-être pas une connaissance assez précise de ce domaine, en tout cas juridique, mais à mon avis la philosophie de la loi de 1970 portait surtout sur la prise en charge psychosociale et éducative. Ce qui a découlé de la loi de 1970, la façon dont elle a été interprétée en tout cas à l’époque était assez différente de celle qui a été ensuite mise en place avec la politique de réduction des risques et de substitution.

Or, je pense que la France a connu un très grand retard pendant un certain temps, du fait même qu’elle a refusé les politiques de substitution, comme la substitution par la méthadone. Nous avons été parmi les derniers en termes de diffusion. Pendant très longtemps, l’idée que l’on avait substitué une toxicomanie par une autre pouvait être un problème.

En tant que Directeur général de la santé et mon expérience aussi de professionnel de santé publique, je crois que ce serait une erreur sérieuse de remettre en cause cette politique de réduction des risques, parce que nous lui devons des gains considérables en termes de santé publique, de mortalité, d’infections, de contrôle, mais également en termes -je sors un peu de mon domaine- d’actions criminelles par exemple associées à la toxicomanie. De ce point de vue, je crois qu’il est très important de maintenir cette politique.

M. PLASAIT.- En recevant cette information sur les nouveaux usages des drogues, notamment la polytoxicomanie, sur l’arrivée de nouvelles drogues de synthèse et sur les nouveaux comportements vis-à-vis de ces drogues, M. Jayle nous disait précédemment que les drogues de synthèse sont peut-être le fléau de demain, y a-t-il selon vous une adaptation nécessaire de la politique de prévention et de santé publique ?

M. ABENHAIM.- Je suis arrivé à la Direction générale de la santé en 1999, au moment où se lançait le programme triennal. Le programme triennal partait du principe qu’il fallait traiter, comme je le disais en introduction, d’une façon simultanée l’ensemble des substances psychoactives.

De ce point de vue, le programme a popularisé une idée aujourd’hui partagée par tout le monde et finalement victime un peu de son succès, selon laquelle toute consommation excessive de substances addictives doit être considérée selon les mêmes principes.

Cette approche a peut-être été un peu trop poussée dans sa logique. On a pensé que du coup il fallait toujours aborder ces trois problèmes exactement de la même façon.

Nous avons appris grâce à l’expérience ces dernières années, grâce au fait que maintenant tout le monde considère effectivement que toutes les addictions sont à prendre en compte d’une façon ou d’une autre. Nous sommes peut-être un peu plus à l’aise pour pouvoir les aborder chacune dans leur spécificité.

Parmi ces spécificités, il y a le fait que nous avons de nouvelles substances qui surviennent, de synthèse, qui ont la particularité d’être utilisées de façon assez différente, en particulier dans les lieux festifs, (les rave, les concerts de rock etc.) qui demandent des interventions de terrain.

De ce point de vue nous pensons qu’il faut d’abord multiplier l’information sur ces substances, parce que pour la plupart elles sont beaucoup moins bien connues et souvent considérées, vraiment à tort, comme moins dangereuses que certaines substances injectables, alors que parfois elles le sont au moins autant.

Par ailleurs, il faut être je crois beaucoup plus présent sur le terrain que nous ne le sommes actuellement et en particulier dans ces lieux festifs de consommation.

La consommation de ces substances se fait aussi de façon assez différente. Les utilisateurs de substances psychoactives ne sont pas tous du même type. De la même façon que pour l’alcool, il y a des consommateurs quotidiens et certains qui vont consommer la même quantité ou plus importante surtout le week-end. Les risques associés à chacun de ces types de consommation sont différents.

Pour les autres types de substances addictives et en particulier pour les drogues illicites, il y a aussi des consommations tout à fait différentes. Nous ne pouvons pas traiter de la même façon un consommateur quotidien d’une drogue injectable et un jeune qui va consommer une substance de synthèse dans une rave en grande quantité et ensuite se tuer sur la route en sortant de la boîte de nuit.

Nous avons affaire à des problèmes suffisamment différents pour qu’ils soient abordés avec des politiques différentes.

M. PLASAIT.- Je vous parlais tout à l’heure de la loi de 1970 et de l’injonction thérapeutique. Il nous a été dit que l’une des raisons pour lesquelles l’injonction thérapeutique n’avait pas été beaucoup prononcée par le juge venait du fait que le juge s’était rapidement aperçu que prononcer une injonction ne servait à rien quand il n’y avait pas de places d’accueil.

Quelle évaluation pouvez-vous faire de la capacité à recevoir des consommateurs de drogues envoyés par le juge ?

Au-delà pouvez-vous nous faire une présentation des différentes structures gérées par vos services, leur nombre, leur financement et nous dire quel est le nombre de toxicomanes soignés et accueillis actuellement ?

M. ABENHAIM.- Tout à fait. Comme je vous le disais tout à l’heure à la suite de votre question, je n’ai peut-être pas été assez clair, mais je pense que l’une des raisons de l’échec de l’injonction thérapeutique était le fait que nous avions recours dans les années 1970 à des thérapies inefficaces, qui étaient surtout des approches psychosociales,psychoéducatives. Il y a donc eu un découragement assez rapide par rapport à l’utilisation de cette injonction, puisqu’en fait les techniques n’étaient pas très efficaces.

M. PLASAIT.- Là, vous me dites donc que c’est un problème de qualité des soins et non pas de quantité de places.

M. ABENHAIM.- C’est le premier point. Je crois que c’était probablement le plus décourageant, le fait que nous ayons très souvent une approche psychanalytique.

L’objectif qu’il faut garder est bien entendu le sevrage chez chaque patient, mais en dehors de la réussite du sevrage, l’injonction thérapeutique dans l’objectif du sevrage ne peut pas constamment être efficace, parce que pour un certain nombre de personnes la toxicomanie est une maladie chronique. Dans ce cas-là, la seule thérapie que nous puissions offrir, qui soit adaptée, est non pas forcément dans l’objectif du sevrage, nous y arrivons dans 15-20 % des cas, mais surtout dans l’objectif de réduction des risques infectieux, de la mortalité et donc de prévention secondaire. C’est ce que je voulais redire. Il me semble important de le comprendre.

Maintenant en termes de places, nous avons aujourd’hui 202 centres ambulatoires de soins spécialisés en toxicomanie. Evidemment, tous ces centres ne sont pas tous adaptés à l’injonction thérapeutique. Parmi ceux-là, nous avons 16 centres en milieu pénitentiaire par exemple, parce que c’est un problème qui se pose, 3 centres thérapeutiques communautaires, 42 centres post-cures.

Vous vouliez aussi savoir combien de personnes sont actuellement dans les centres en injonction thérapeutique. Je n’ai pas le chiffre exact ici. Je vous le ferai parvenir.

Nous pensons que le personnel médical infirmier actuellement nécessaire pour le suivi manque à la fois en termes quantitatifs et qualitatifs. Il reste insuffisant. En moyenne, un centre dispose de 0,6 équivalent temps plein médical (c’est pratiquement toujours un psychiatre) et simplement 1,1 équivalent temps plein infirmier, pour un total d’équivalents temps plein de 7. Les autres sont donc des personnels ni médecins ni infirmiers. Nous voyons que dans la problématique que nous avons ici, c’est probablement le problème principal.

Souvent, ces centres sont débordés par des questions d’ordre social ou psychologique. A chaque fois que j’ai discuté avec des personnes dans ce domaine, elles m’ont fait la remarque que les psychiatres aujourd’hui, je vous prie d’excuser l’expression, se débarrassent de leurs patients qui ont des problèmes psychiatriques et qui sont toxicomanes vers les centres de traitement de toxicomanes sous l’angle simplement du traitement de la toxicomanie, alors que parfois la toxicomanie n’est que l’effet secondaire d’un problème psychiatrique.

Nous avons un problème à la fois de structures d’accueil, de compétence de celles-ci et de l’ensemble du système de santé à prendre en charge les toxicomanes en dehors de l’injonction thérapeutique.

Aujourd’hui dès qu’une personne a un problème d’addiction, il est repoussé, alors que souvent le problème est ailleurs. Il y a un mélange ici des genres et des approches.

Mme la Présidente.- Merci Monsieur le Professeur. Monsieur le rapporteur, avez-vous d’autres questions ?

M. PLASAIT.- Oui. Avez-vous globalement une politique d’évaluation des politiques menées ?

M. ABENHAIM.- A la Direction générale de la santé ou simplement dans ce domaine ?

M. PLASAIT.- Non, d’une manière générale dans le cadre de votre mission.

M. ABENHAIM.- J’ai bien entendu une politique d’évaluation. D’ailleurs en arrivant à la Direction générale de la santé, j’ai créé un bureau de l’évaluation. En quatre ans, ce bureau n’a pas réussi à trouver ses dimensions, puisqu’il n’y a que quatre à cinq personnes dans ce bureau. Nous avons donc très clairement un manque d’évaluation très important dans notre pays.

M. PLASAIT.- Pouvez-vous en même temps nous donner le budget par exemple affecté à la prévention ?

M. ABENHAIM.- Dans l’ensemble du pays ?

M. PLASAIT.- Oui.

M. ABENHAIM.- Très bien. Je vais vous donner quelques chiffres.

Il se trouve que pour ce qui est des politiques de communication, nous avons une politique systématique d’évaluation par exemple des campagnes. Toutes les campagnes lancées par l’Institut national de prévention, auparavant le CFES, font l’objet d’une évaluation sur leur degré d’impact et sur leur taux de rétention, sur leur compréhension. Cette politique est appliquée régulièrement.

Dans la politique de réduction des risques, il se trouve que si je suis en mesure de vous donner le nombre de personnes aujourd’hui sous seringue, c’est bien parce que nous avons une politique d’évaluation dans ce domaine assez précise.

Néanmoins, notre pays souffre très clairement d’un manque de moyens important dans le domaine de l’évaluation, en particulier parce que nous n’avons pas de formation dans ce domaine. Il existe une seule école de santé publique de haut niveau, celle de l’université de Bordeaux, mais qui est de toute petite taille. Nous avons par ailleurs très peu de formations en master et en doctorat dans ce domaine, parce que nous n’avons pas les grandes écoles de santé publique que possèdent les pays anglo-saxons.

Très souvent même quand nous voulons lancer des programmes d’évaluation, nous nous retrouvons dans l’obligation de faire appel à des structures privées, ce qui est très bien, mais pratiquement toujours les mêmes. Elles sont souvent débordées.

Nous avons donc aujourd’hui un besoin de structures d’évaluation de la performance de notre système de santé et aussi de la performance de notre système de santé publique en général, qui doit être pris en compte. M. Mattei, notre ministre, a retenu et d’ailleurs annoncé son intention de proposer au Parlement, dans la loi de santé publique, des évolutions importantes dans ce domaine. C’est un vrai besoin.

Le coût de la prévention est une question plus générale et un peu plus difficile. Dans la prévention, il y a deux axes. Il y a d’abord la prévention primaire ou secondaire. S’adresse-t-on avant la survenue des maladies ou à leur dépistage ? Ce sont deux types de prévention. Ensuite, il y a les actions de nature collective et celles de nature individuelle. Il existe des mesures de prévention primaire individuelles et primaire collectives etc. La vaccination est une mesure de prévention primaire individuelle, pendant que les grandes campagnes de publicité ou de lutte contre le tabac sont des actions de prévention primaire collectives.

Cet exposé un peu théorique et rapide est pour vous dire que nous sommes capables de bien calculer, combien nous dépensons dans la prévention primaire collective, c’est-à-dire essentiellement les grandes campagnes. Dans ce domaine, par exemple pour le tabac, l’alcool et en général les addictions, nous dépensons environ 20 millions d’euros chaque année, avec différents types d’action. Quand je dis nous, cela inclut une partie du budget de l’INPES. Une partie est abondée par l’assurance maladie, à partir d’un fonds prélevé sur l’assurance maladie. De ce point de vue, les actions sur le terrain sont très faibles, quelques millions d’euros chaque année, pour l’ensemble du pays.

Vous savez, quand nous traitons une hypertension, nous faisons de la prévention primaire des maladies cardiaques. L’hypertension n’est pas une maladie ; on est malade parce que l’on fait un infarctus ou un accident vasculaire cérébral. Si nous tenons compte dans la prévention de l’ensemble des actions que font les médecins tous les jours, et c’est une très grande force de notre système, nous avons un excellent système de médecine libérale, très largement diffusé dans le pays, nous sommes les seuls au monde avec une accessibilité très grande, à ce moment-là les dépenses de prévention sont beaucoup plus grandes.

Très clairement, notre pays souffre d’un manque de moyens de prévention de santé publique au niveau local. Comme vous le savez, j’ai eu l’honneur de présider la commission d’orientation sur le cancer. Pour le cancer, le problème principal est le tabac, l’alcool. Nous avons pu voir que les moyens consacrés sur le terrain étaient extrêmement faibles.

M. CHABROUX.- Monsieur le Professeur, l’Observatoire français des drogues et des toxicologies a rendu publics les résultats d’une grande enquête la semaine dernière, en fin de semaine. La presse en a largement rendu compte.

Il apparaît que les Français portent un jugement très sévère sur les drogues licites (le tabac, l’alcool) et jugent moins sévèrement les drogues illicites (le cannabis).

Il y a des chiffres sur lesquels j’aimerais connaître vos commentaires. Je crois que 22 % des Français considèrent que le cannabis pourrait être mis en vente libre, alors que 77 % disent qu’il faut interdire la vente de tabac aux jeunes de moins de 16 ans. Nous avons ces chiffres, cette enquête. Je crois que cela mérite réflexion et sans doute que nous nous y arrêtions.

Que vous inspirent ces chiffres par rapport à la politique qui a été menée, au problème de prévention dont vous avez parlé, des moyens ? Nous savons par exemple que pour le tabac, la France est vraiment en dernière position de l’Europe pour ces actions de prévention. C’est véritablement indigent.

Que vous inspirent aussi ces chiffres par rapport à la politique qu’il faudrait mener ? Comment voyez-vous cela ?

M. ABENHAIM.- Effectivement, la plupart des Français sont pour l’interdiction de la vente du tabac aux mineurs, de la même façon d’ailleurs que l’alcool. La même mesure est demandée. Je crois que c’est un peu par analogie que les Français considèrent qu’il devrait être appliqué au tabac la même chose qu’à l’alcool.

Je ne doute pas du fait que si la question était posée de savoir si le cannabis devait être dépénalisé etc. devrait-il être vendu aux moins de 16 ans, ils diraient non aussi. Je ne crois pas que, même parmi les plus actifs ou militants de la libéralisation de la vente du cannabis, beaucoup de gens soient en faveur de la liberté d’utilisation avant 16 ans.

Cela dit, sur le tabac j’ai entendu beaucoup de spécialistes être contre cette mesure également et très souvent des personnes bien intentionnées avaient des arguments qui n’étaient pas forcément inutiles à entendre.

Je pense que beaucoup de gens s’entendent pour dire que l’on interdit en général l’utilisation des substances psychoactives aux moins de 16 ans, comme l’alcool, celles qui peuvent se traduire par des comportements dangereux en particulier aussi. Il n’y a très certainement pas un consensus, mais une tendance dans cette direction.

Le problème derrière votre question, si je la comprends bien, est pensons-nous qu’aujourd’hui les Français ont tendance à sous-estimer les risques des consommations de substances psychoactives illicites et à surestimer celles des substances psychoactives licites. De ce point de vue, je crois que les Français ne font pas forcément preuve de contradiction.

Nous avons beaucoup plus de morts aujourd’hui de facto associés à la consommation d’alcool ou de tabac qu’associés à celle de cannabis ou même d’héroïne injectable. C’est lié simplement à un facteur, qui revient je crois à votre question, à savoir que l’utilisation est beaucoup plus grande. Toute la question est de savoir s’il y avait un accès plus large à certaines substances aujourd’hui indisponibles, si nous n’aurions pas une utilisation aussi grande que le tabac et l’alcool et à ce moment-là la même mortalité. Je crois qu’à ce point il n’existe pas de science au sens propre pour nous y répondre.

Certains pays qui ont des cultures assez différentes des nôtres ont expérimenté des libéralisations plus ou moins importantes. Nous pouvons regarder leurs résultats.

Mme la Présidente.- Merci beaucoup Monsieur le Professeur. Mes chers collègues, avez-vous une autre question à poser ? Monsieur le rapporteur.

M. PLASAIT.- Il m’en reste une à poser. Je voudrais, Monsieur le Professeur, vous demander ce que vous savez du marché noir du subutex.

M. ABENHAIM.- Peu de choses, comme tout le monde. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons une enquête, l’enquête OPPIDUM, dans laquelle il est indiqué que 7 % des individus déclarent se procurer de la buprénorphine en dehors des officines. Cette enquête vaut ce qu’elle vaut.

Ces 7 % peuvent représenter en nombre absolu des chiffres assez importants, puisqu’en fait nous avons près de 80 000 utilisateurs de subutex aujourd’hui. Par exemple, le subutex est le deuxième médicament en consommation en Île-de-France, toutes choses confondues, chez les hommes de moins de 35 ans. Il y a donc forcément des consommations importantes.

C’est un problème, que j’ai signalé au début en disant que nous travaillons avec l’AFSSAPS. J’ai rencontré le Président de l’Ordre des médecins pas plus tard qu’avant-hier pour en parler, pour trouver des mesures en particulier pour faire des liens entre le prescripteur et le dispensateur. Nous étudions les moyens juridiques pour faire avec le subutex ce que nous faisons déjà avec la méthadone, pour trouver des politiques.

Je ne pense pas que l’utilisation du subutex soit trop importante aujourd’hui, au contraire. Mon point de vue est quand même celui de la réduction de la mortalité et des infections VIH, VHC. De ce point de vue, je pense que l’utilisation correspond à un certain nombre d’objectifs, mais il y a un dépassement qu’il faut absolument contrôler. 7 % est déjà beaucoup. C’est peut-être plus que 7 %, parce que ce sont des chiffres déclarés. Il est possible que la réalité soit plus pessimiste. Nous essayons de trouver des moyens de régler ce problème. Je crois qu’il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain, comme on dit.

M. PLASAIT.- Nous pourrions peut-être remettre en question cette politique, mais ce n’est pas du tout pour cette raison que j’évoque le problème, mais parce que j’ai cru comprendre, à travers différents témoignages, que le phénomène a une ampleur tout à fait inacceptable.

Vous me dites 7 % de 80 000, cela signifie à peu près 5 000 personnes. 5 000 personnes se procureraient donc du subutex en dehors des circuits légaux.

M. ABENHAIM.- Si ce chiffre est vrai, ce serait 5 000 à 10 000.

M. PLASAIT.- C’est quand même très important.

Sur quelle quantité de produits cela porte-t-il ?

M. ABENHAIM.- Cela est beaucoup plus difficile à dire, parce que nous savons quelles sont les ventes totales de buprénorphine par définition, puisque nous les obtenons de la firme et par les différents mécanismes de distribution. Nous savons que ces 7 % portent sur des consommateurs pas forcément continuels. Pour ce chiffre, c’est très difficile. Par définition c’est une activité illégale et donc pour laquelle il est difficile d’obtenir des données de façon légale.

Mme la Présidente.- J’ai une question à vous poser. Il m’a semblé entendre, mais peut-être ai-je mal compris, qu’en fait les centres qui dispensaient la méthadone étaient peu nombreux aujourd’hui. Ne pensez-vous pas que nous aurions intérêt à développer ces centres ?

Profane comme je le suis, il semble que l’accès au subutex soit beaucoup plus facile et celui à la méthadone beaucoup plus difficile. Il me paraît, mais peut-être que je me trompe et vous allez me le dire, que c’est parce que cet accès est plus compliqué que moins de personnes font appel à cela. D’un autre côté, j’ai l’impression aussi que s’il y avait un accès plus facile beaucoup de gens iraient, mais cela ne pourrait pas donner lieu à un trafic similaire.

Par ailleurs, en raison de l’utilisation que font certains aujourd’hui avec le cachet que l’on casse et que l’on s’injecte avec de l’eau stérilisée. N’avons-nous pas intérêt à développer les centres de soins par la méthadone pour commencer à rééquilibrer les choses et éviter ce trafic et ce danger par injection ?

M. ABENHAIM.- C’est tout à fait exact. Sur 202 centres de soins pour toxicomanes, 48 ne prescrivent pas du tout de méthadone, ce qui est tout à fait anormal. On devrait pouvoir l’offrir dans tous les centres.

Par ailleurs, l’utilisation de la méthadone n’est pas toujours aussi facilitée que celle du subutex. La grande facilité du subutex a été bien entendu dans un premier temps sa disponibilité en ville de façon très large et elle a été facilementacceptée. C’était beaucoup plus compliquée pour l’utilisation de la méthadone.

Pour lutter contre l’utilisation détournée du subutex, le trafic d’une part et l’utilisation par les injections individuelles d’autre part, nous travaillons sur la disponibilité et la multiplication de l’utilisation de la méthadone, qui ne présenterait pas les mêmes difficultés et qui par ailleurs peut présenter des avantages que le subutex n’a pas.

La diffusion du subutex et la faible diffusion de la méthadone en particulier ont été liées au fait que, pendant plusieurs années, comme je le disais tout à l’heure, notre pays a fait l’objet d’une idéologie anti-utilisation de la substitution. Nous avons donc pris plusieurs années de retard. Il faut bien voir que ces politiques dont nous parlons aujourd’hui sont très récentes. Nous parlons de 1993, 1996, nous avons donc au mieux 10 ans de suivi et 7, 8 ans la plupart du temps, ce qui est quand même très peu pour des problèmes aussi compliqués et aussi importants.

Cette politique était très en retard par rapport à celle d’autres pays, qui l’utilisaient depuis plusieurs années. La méthadone a donc joui d’une mauvaise image, entretenue par des gens qui étaient contre la politique de substitution en général.

Ensuite, d’abord le moscontin, puis le subutex ont pu bénéficier d’un préjugé favorable.

Il est tout à fait exact que l’une des façons de lutter contre ce problème est d’essayer de renforcer et de redévelopper l’image de la méthadone et son utilisation.

Mme la Présidente.- Merci beaucoup Monsieur le Professeur.

M. ABENHAIM.- Je peux vous donner le nombre de comprimés équivalents, que l’on vient de me fournir. Au cours d’une année, c’est 234 millions de comprimés de 8 mg. C’est l’équivalent d’une dose quotidienne. Quand nous disons 7 %, cela peut faire beaucoup de comprimés.

M. PLASAIT.- C’est impressionnant.

Mme la Présidente.- Monsieur le Professeur, nous vous remercions infiniment.


Source : Sénat français