La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à Mmed’Welles.

Mme Nelly OLIN, Présidente - Je vais vous donner très volontiers la parole pour que vous puissiez faire votre exposé. Pensez-vous pouvoir le faire dans un délai de dix à douze minutes ?

Mme Marie-Christine D’WELLES - Je pense que ce sera un peu plus long. Je vais essayer de le faire le plus clairement et le plus brièvement possible. J’ai l’habitude de parler aux enfants et aux adolescents et je vais procéder un peu de la même façon, car je pense que vous n’êtes pas tout à fait des spécialistes du sujet, bien que vous ayez entendu beaucoup de choses.

Mme la Présidente - Vous avez la parole.

Mme Marie-Christine D’WELLES - Je vous remercie de m’accueillir. Je suis venue pour défendre les enfants puisque j’ai eu en conférence un peu plus de 200 000 enfants en trois ans. C’est un véritable apostolat. Je rentre de Pornichet et de La Baule, où, hier et avant-hier, j’ai donné cinq conférences.

Comment suis-je arrivée à ce travail ? Je suis écrivain. Un jour, j’ai demandé à mon plus jeune fils, qui avait alors 17 ans et qui était scolarisé à Paris, s’il prenait du cannabis et il m’a répondu que, dans sa classe, tout le monde en prenait. Je lui ai dit : "Mais enfin, Mathieu, c’est de la drogue" et il m’a répondu : "Mais non, maman", en riant et très sincèrement. Ce garçon va bien, il est sincère et il me dit : "Maman, tout le monde en prend et ce n’est rien. Ta cigarette est beaucoup plus dangereuse. Ta cigarette est une drogue". Je lui ai dit : "Penses-tu que ta maman est toxicomane ?" "Oui", m’a-t-il répondu, "je l’ai appris dans Le Monde et le rapport Roques, que tu as lu avec moi".

Je lui ai dit alors : "Nous avons lu des âneries. Je ne suis pas toxicomane et ton cannabis est dangereux".

A partir de là, j’ai arrêté de fumer moi-même, car il faut d’abord donner l’exemple. Alors que j’avais 35 ans de cigarette, j’ai pris mon paquet, je l’ai jeté à la poubelle et il m’a dit : "Maman, on ne n’arrête pas de fumer comme ça". Je lui ai alors dit : "Tu as 17 ans et tu n’y connais rien !"

C’est alors que j’ai appelé mon éditeur pour lui demander de travailler sur la drogue et en ajoutant que les enfants en prennent tous. Il m’a dit : "Le mien, c’est la même chose, je te tonne mon feu vert".

J’ai donc fait un tour de France sur ce sujet et j’ai écrit ce petit livre qui s’appelle : "Et si on parlait du hachisch", qui est sorti en 1999. J’ai simplement demandé aux enfants ce qui se passait autour d’eux. Les réponses sont dans ce livre et rien n’a changé pour l’instant : il est toujours d’actualité.

Ensuite, pour apprendre ce qu’est la drogue, j’ai rencontré le Dr Fontaine, toxicologue à la médecine du travail de Lille, qui m’a conseillé d’aller voir le Dr Hovnanian. J’ai donc été formé par cet homme exceptionnel qui, bien qu’âgé, connaît très bien la drogue, ainsi que par le Dr Mura et le Dr Pépin. Voilà les personnes qui m’ont appris ce qu’était la drogue.

J’ai été aussi formée par les responsables de la brigade des stupéfiants, qui connaissent beaucoup de choses sur le trafic et qui vont dans les écoles. J’ai rencontré également le chef de la police à Boulogne.

Armée de tout cet apprentissage qui était très important, j’ai écrit ce second livre qui s’appelle : "Alors, c’est quoi la drogue ?" et qui est en fait une réponse à mon fils. Je lui ai alors demandé de cesser toute consommation et c’est ce qu’il a fait. Il a quand même passé son baccalauréat.

Puisque j’avais réussi avec le mien, je me suis dit : "Au travail pour les autres !" C’est ainsi que je suis rentrée dans les écoles, que l’on a commencé à m’appeler et qu’on m’appelle de plus en plus. Je ne vous dis pas qu’il n’y a pas beaucoup d’attaques, de même qu’à l’encontre du Dr Hovnanian ou des Frères de Saint-Jean, qui s’occupent aussi d’abstinence. Dans notre pays, si vous essayez d’amener les enfants à arrêter, je vous assure que vous ne riez plus du tout, que vous perdez la joie de vivre. Le problème, c’est qu’il est très compliqué de me la retirer, parce que la seule chose valable pour moi, dans la vie, c’est d’avoir des enfants en bonne santé. Nous en avons qui vont très bien à la maison et cela me donne des ailes.

Ensuite, j’ai formé l’association "L’action des mères pour une enfance sans drogue" et je travaille avec des mamans qui ont elles-mêmes des enfants qui vont bien, puisque nous estimons que, pour aller parler de ce problème, il faut déjà l’avoir résolu chez-soi ou bien avoir des enfants très jeunes. La présidente a des enfants dont l’aîné a 6 ans. Donc tout va bien.

Quelles sont les drogues consommées par les jeunes ? Je vous ai donné un petit tableau que vous avez devant vous. La première des drogues, c’est le cannabis. La drogue est partout, dans les collèges et les lycées, et les enfants en sont envahis ! Il suffit de tendre la main pour s’en procurer, et je vais vous le prouver.

Le cannabis a deux pratiques dans tous les collèges et lycées de France :

 le joint, avec ou sans tabac (ils préfèrent sans tabac puisqu’on leur a dit que le tabac était extrêmement dangereux et cancérigène ; il est très facile de mettre de l’herbe dans un joint sans tabac et ils savent tous le faire, surtout les collégiens, puisqu’ils ont peur de la cigarette) .

 le bangh.

Qu’est-ce que le bangh ? Il n’y a pas un collégien ni un lycéen qui l’ignore. Je l’ai prouvé avant-hier dans l’établissement où j’étais. J’ai fait expliquer aux élèves de 5e devant le directeur de l’établissement et les professeurs, qui étaient effarés. Ils ont indiqué que c’est une technique de refroidissement de la fumée en la faisant passer par un récipient d’eau, ce qui permet d’aspirer une plus grande quantité de produit. Cette pratique dangereuseest fréquemment utilisée par les adolescents qui recherchent la "défonce".

Un enfant de 5e a expliqué la chose à une soeur dans un établissement privé de Marseille (je voulais en effet qu’il explique comment il faisait) en disant : "Ma soeur, le pétard, c’est pour la semaine, et le bangh, c’est pour le week-end". J’ai expliqué cela hier devant les lycéens qui ont tous ri puisque c’est exactement ce qu’ils font eux-mêmes.

Les variétés de cannabis sont nombreuses et ont un taux de THC élevé et variable : ganja, skunk, pollen, aya, nederweit, double-zéro... Je demande aux enfants ce qu’ils prennent et je sais ce qu’ils vont prendre ou ce qu’ils sont en train de prendre.

Dans une école de Grenoble, un garçon m’a dit : "je ne vais pas bien, madame, je suis dans la merde !", et quand je lui ai demandé ce qu’il prenait, il m’a répondu : "Cinq douilles de skunk par jour". Je lui ai demandé ensuite ce qu’il faisait le week-end et il m’a répondu : "On est plutôt au taz". Quand ils prennent du skunk, ils passent à l’ecstasy. Ce sont des pratiques très courantes.

Les variétés sont très nombreuses. Quand on parle d’un joint, c’est comme quand on parle d’alcool : quand on prend un verre de cidre ou un verre de cognac, ce n’est pas la même chose. Si vous tiriez sur un joint de lycéen, je sais que vous seriez par terre ! Vous ne pourriez pas tirer sur les joints des lycéens ! La dose de THC qu’ils ingurgitent est trop élevée, tout simplement à cause de l’accoutumance.

Ils prennent aussi de la MDMA, l’ecstasy, qu’ils appellent des "taz". Hier soir, à 16 h 30, j’étais avec une petite jeune fille qui tremblait. Je lui ai demandé ce qu’elle avait pris et elle m’a répondu : "un dernier ecstasy hier soir". Elle a 18 ans et elle est scolarisée dans le lycée où j’étais hier.

Ils prennent des champignons hallucinogènes qui sont gratuits et qu’ils ramassent dans les champs. Les directeurs d’établissement scolaire sont parfois obligés d’appeler la police pour vérifier ce qu’ils prennent, mais on ne peut rien faire contre des champignons qui poussent dans les bois. Tout cela vient après une consommation. A partir du moment où ils prennent du cannabis, ils vont rechercher la toxicité et les produits.

Ils prennent des solvants, le plus fréquent étant l’eau écarlate. Ils prennent aussi de l’air sec, un produit. terrifiant. Nous avons beaucoup d’enfants qui tuent ou qui sont morts (je vais vous le prouver avec Le Figaro) du fait de l’air sec. Il s’agit d’un produit vendu à Castorama ou à la FNAC !

Ils prennent des poppers, de la cocaïne, des anti-dépresseurs, de la benzodiazépine ou des amphétamines.

Ce sont les drogues que les jeunes consomment. C’est une véritable déferlante que seule la dépression ne peut pas endiguer. C’est à cause de notre laxisme. Il n’y a pas d’autre solution que d’éduquer nos enfants à refuser la drogue, toutes les drogues. Le commerce s’écroulera alors de lui-même.

Je vais vous montrer ce qu’est l’air sec. Quand j’en parle, les jeunes rient au cours de ma conférence (cela m’est arrivé encore hier), mais quand je leur explique ce que c’est, ils sont terrifiés. Les enfants ne sont pas éduqués sur les drogues. C’est pourquoi ils s’amusent à les utiliser. Une radio parle de l’air sec (Sky Rock, pour ne pas la nommer). On vous dit qu’il suffit de se mettre un peu d’air dans la bouche pour se changer la voix. Les enfants le font chez eux. Ils prennent à leurs parents la bombe à air qui permet de nettoyer les ordinateurs.

Dans ce livre, il y a quatre ans, il y avait déjà des enfants qui parlaient d’air sec, dont le fils d’une personne connue de ce quartier.

Dans cet article du Figaro, on explique que le 1er novembre 2002, "sous l’emprise du cannabis, un jeune homme tue son cousin. Placé en garde à vue, le meurtrier a expliqué qu’il avait été pris d’une soudaine crise de folie". En fait, ce garçon n’est pas fou ; il est marqué dans Le Figaro que c’est une personne fragile. Vous devriez apprendre ce que sont les drogues, monsieur Jayle ! Ce garçon n’est pas fragile. Il a simplement fait "une douille" et il s’est mis de l’air sec dans la bouche. Dans mon quartier, certains en sont morts. Il faut le demander à la police : elle le sait.

Je vais vous dire pourquoi ils meurent. Les enfants ne sont pas fragiles. Nos enfants vont bien, ils sont formidables : en une seule conférence, ils décident d’arrêter la drogue !

On vous ment. L’air sec est soi-disant un dépoussiérant alors que c’est du tétrafluoroéthane. Je ne suis pas médecin, mais en tant qu’écrivain, j’ai tout compris et j’ai appelé le fabricant, qui m’a expliqué que c’était un gaz lourd neutre sous forme liquide et sous pression qui crée une anoxie par remplacement de l’oxygène, ce qui entraîne des troubles neurologiques et hallucinatoire. Ce n’est pas fait du tout pour mettre dans la bouche !

Je lui ai alors demandé pourquoi les enfants ont la voix qui change et il m’a répondu : "C’est simple, madame : cela crée immédiatement des gelures des cordes vocales et des poumons. Ils mettent leurs cordes vocales et leurs poumons sous forme de glaçons". Quand je lui ai demandé pourquoi, dans mon quartier, un enfant de 17 ans était mort, il m’a répondu : ""Par éclatement des cellules, madame, avec le réchauffement".

Ils se font éclater les poumons et on appelle cela des enfants fragiles ! On ment à nos enfants ! Quand je leur dis cela dans les lycées, ils sont affolés. Hier, j’ai cru que l’un deux allait se trouver mal ! Au début, quand je dis que l’air sec change la voix, ils rigolent, ils se poussent, ils s’amusent entre eux en se disant : "On le fait" et les professeurs l’ont vu, mais quand j’explique ce que c’est, ils n’ont plus du tout envie de rire. Ils se disent : "Que font nos parents ?" Voilà ce que font les enfants !

Mme la Présidente - Je vais être obligée de vous demander de parler un peu plus doucement et de manière un peu plus concise pour l’enregistrement, faute de quoi nous risquons d’avoir quelques soucis.

Mme Marie-Christine D’WELLES - Très bien. Pendant les vacances de février, une maman a appelé l’association Enfance sans drogue et a demandé que je rencontre son fils. Ce garçon, d’après sa maman, prenait beaucoup de cannabis, allait très mal et avait disparu deux jours dans Paris. Je précise qu’il est scolarisé dans un établissement scolaire prestigieux des Alpes, du moins prestigieux par l’argent qu’on y met, je suppose.

J’ai donc appelé ce garçon en lui demandant si c’était sa maman qui avait exigé que je le rencontre ou si c’était lui-même qui souhaitait le faire. Il m’a répondu : "Madame, il faut que je vous parle". Je lui ai donné rendez-vous devant un métro et nous sommes allés dans un café. Il était 9 h 30 quand nous nous sommes rencontrés et je l’ai laissé à 14 h 00. Au bout d’environ trois quart d’heure, il a commencé à trembler des deux mains. Je lui ai dit alors : "Maintenant, je veux savoir exactement ce que tu fais. Si tu me mens une seule fois, je rentre chez moi, je n’en ai rien à faire". Il m’a répondu qu’il prenait de la cocaïne. Je lui ai dit : "Tu en as pris quand tu as disparu deux jours ?" Il m’a répondu : "After coke".

Les afters sont les soirées dans Paris au cours desquelles on n’arrête pas pendant 48 heures. Il m’a dit alors combien coûtaient les after coke : 3 000 F par soir et il a ajouté : "Dans les boîtes, à Paris, il y en a partout ! Les tables sont blanches et il y a des journalistes qui passent et qui sniffent". Il m’a aussi donné le nom de plusieurs enfants dont vous connaissez les noms des parents. Ce sont ses amis, la haute bourgeoisie française.

Ce garçon avait disparu pour faire des afters et il m’a dit qu’il avait dépensé 80 000 F depuis le début de l’année. Quand je lui ai demandé comment il avait payé cela, il m’a répondu : "J’avais un livret et comme les copains sont punis, qu’ils sont envoyés en pension par leurs parents et qu’ils n’ont pas d’argent, j’ai prêté mon argent. Vous connaissez le système de la Bourse, madame ?" Je lui ai dit : "Oui, merci, j’ai compris. Vous êtes nombreux ?" "Les deux tiers de la classe", m’a-t-il répondu. "Pourquoi voulais-tu me voir ?", lui ai-je demandé. "Parce que j’ai peur", a-t-il dit. Je lui ai alors demandé qui il fréquentait et il m’a répondu qu’il ne pouvait pas me le dire.

Il m’a dit : "Est-ce que je peux vous embrasser, madame ?" et je lui ai répondu : "Tu as mon numéro. Veux-tu arrêter ?" "Je ne sais pas, je ne crois pas, m’a-t-il dit, on est foutu. Peut-être".

Quand je suis en face de cela, que puis-je en faire ? Il est parti et la maman m’a rappelée en disant : "Madame, mon fils prend-il vraiment tous les jours du cannabis ?" Je lui ai dit : "Oui, madame, votre fils prend tous les jours du cannabis".

Vous avez devant vous un document qui vous donne les caractéristiques des drogues psychotropes. Vous voyez que ce sont des poissons biochimiques qui perturbent l’équilibre du corps et aussi que ce sont des poisons de l’esprit qui, en provoquant ou aggravant des perturbations mentales, entravent la survie de l’individu, de sa famille et de la société dans laquelle il vit. Ces produits finiront par dégrader la personnalité, détruire ses aptitudes et réduire à néant sa conscience du bien et du mal. Une forte dose de n’importe quel de ces produits peut tuer.

Vous voyez aussi qu’aucune action ciblée des drogues psychotropes n’existe vraiment et que les effets excitants, sédatifs et hallucinogènes des produits s’entremêlent selon l’importance de la dose et la sensibilité de chacun. Ils ont tous de multiples effets physiques et mentaux imprévisibles et dangereux appelés "effets secondaires" par les fabricants. C’est pourquoi les anesthésistes ont des formations spéciales : une drogue n’est pas un médicament comme les autres.

Vous avez aussi devant vous la classification des drogues psychotropes. Pour parler aux enfants, j’ai été obligée de faire extrêmement simple. Je donne des conférences dans toute la France à des enfants de la 6e à la terminale et j’ai suivi la classification entre excitants, sédatifs et hallucinogènes. Vous constaterez que toutes les drogues sont indiquées et que vous pouvez passer d’un anti-dépresseur aux amphétamines, de la cocaïne aux tranquillisants, des anesthésiques aux neuroleptiques et à l’alcool, du LSD aux solvants, aux champignons et au cannabis.

Le fait qu’une drogue sollicite ou non ne la rend pas moins dangereuse pour la santé physique et mentale du consommateur. Les puissants vaso-dilatateurs, illicites en tant que poppers et licites sous le nom de Trinitrine, seraient-ils plus ou moins dangereux du fait de leur nom ? Je vois énormément de jeunes qui prennent des poppers dans les établissements scolaires. A Bordeaux, un garçon de terminale m’a expliqué qu’il avait l’impression que son cerveau allait lui sortir du crâne. Je lui ai expliqué que les nitrites en question dilataient son coeur, son foie, ses reins et son cerveau.

Quand je dis que c’est courant, je vous promets que c’est vrai. Dans l’établissement Saint-Louis de Gonzague, les élèves de 4e, à la fin de la conférence, m’ont dit que j’avais oublié de parler du Poppers. Ils ont des drogues partout autour d’eux et s’en servent, non pas parce qu’ils vont mal, comme on vous le dit, mais parce qu’il s’amusent.

J’ai donné une conférence à Meudon et le commissaire de police est monté sur une estrade pour parler de la consommation des drogues. Il estime à 70 % ceux qui touchent à la drogue dans les établissements scolaires. C’est à peu près ce que je vois partout.

J’étais dans une abbaye avec des enfants qui faisaient une retraite. Comme un garçon n’avait pas l’air d’aller bien, j’ai demandé à un prêtre si je pouvais aller lui parler (je fais aussi des conférences, l’été, dans ce genre d’endroit), ce qu’il a accepté. Je suis donc restée trois heures avec lui et voilà avec quoi je suis partie : un sac entier rempli de Zoloft et de Risperdal. Il prenait cela avec de l’alcool ! Il était allé en vacances avec ses copains et c’est ce qu’ils avaient pris, c’est-à-dire un excitant et deux sédatifs.

Mme la Présidente - Pardonnez-moi de vous interrompre, mais je vous demanderai d’avoir la gentillesse de ne plus évoquer la classification des drogues, puisque nous avons entendu tous les professeurs de médecine à ce sujet. Par ailleurs, j’aimerais que vous puissiez abréger votre exposé pour que nos collègues sénateurs ici présents, en particulier M. le Rapporteur, puissent procéder à une série de questions, sans quoi nous allons manquer de temps pour un véritable débat.

Mme Marie-Christine D’WELLES - Je vous précise donc que j’ai mis aussi à votre disposition le document n° 4, quiévoque la descente vers la dépression causée par toutes les drogues. Cela permet de comprendre comment la personne descend de plus en plus bas et remonte à chaque fois de moins en moins haut, pourquoi le jeune prend de plus en plus de drogue et se sent de moins en moins gai et de plus en plus mal physiquement.

Le document n° 5 vous indique le temps d’élimination d’une drogue. Comme d’autres personnes vous en ont certainement déjà parlé, vous savez déjà qu’il s’agit de quatre semaines pour le cannabis.

Vous avez aussi sous les yeux un document sur les effets secondaires (j’abrège pour vous permettre de me poser des questions), qui vont tous jusqu’à la dépression, ainsi que la liste des drogues que l’on donne soi-disant pour soigner nos enfants. Les enfants, en France, sont vraiment seuls par rapport à la drogue.

Enfin, je vais terminer mon exposé en vous montrant quelque chose. J’ai fait une conférence dans un collège lundi soir suite à laquelle le directeur m’a donné ce petit mot enfermé dans un petit sachet. Il m’a dit : "Madame, un élève que vous avez eu ce matin m’a donné cela pour vous". Je n’avais pas osé l’ouvrir parce que je craignais une mauvaise nouvelle. Comme j’avais tous les lycéens à voir, j’ai gardé cela pour le train. Voici ce qui était écrit par un élève de 4e appartenant à cette école, où beaucoup d’élèves prennent de la drogue :

"Madame, je vous remercie de tout mon coeur pour vous être déplacée. J’aurais pu vous écouter pendant des heures. Moi qui pensais essayer et qui en avais vraiment très envie, bizarrement, vous m’avez fait changer d’avis. Je fais partie de ces personnes qui adorent la vie et cette conférence m’a ouvert les yeux sur la drogue et les joints.

Je vous remercie de tout mon coeur de ce que vous m’avez apporté et vous souhaite bonne chance pour la suite. Je fais passer le message. Merci encore."

Il s’agit d’un élève de 4e d’un collège de Pornichet. Bonne chance pour le Sénat, Madame.

J’ai un autre message... Il s’agit d’un garçon de 18 ans...

Mme la Présidente - Excusez-moi, mais, M. le Rapporteur ne va pas avoir le temps nécessaire de vous poser les questions.

Mme Marie-Christine D’WELLES - Voici ce que m’a dit Ludwig, qui a 18 ans : "Il y a trop de choses à dire. Ce que vous pourrez leur dire, aux sénateurs, ce ne sera qu’une toute petite partie : « ça nous tue » Qu’est-ce qu’on peut dire de plus ? Il n’y a qu’à regarder autour de nous" !

Mme la Présidente - Merci. Je donne la parole à M. le Rapporteur.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur - Merci de vos propos, madame. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt vos deux livres. "C’est quoi la drogue ?" m’avait beaucoup intéressé, parce que le problème posé par la drogue, singulièrement le cannabis, à nos enfants est angoissant. Plus nous avançons dans notre enquête, plus nous avons le sentiment — je crois qu’il est assez largement partagé par cette commission — qu’il faut beaucoup d’inconscience ou d’égoïsme pour prôner la libéralisation des drogues et ajouter au tabac et à l’alcool ce qui serait un troisième fléau.

Mes questions tournent autour de l’information et de la prévention. Vous nous avez parlé des réactions des jeunes, mais j’aimerais, comme vous avez l’expérience de nombreuses conférences et que vous pouvez recueillir le sentiment de nos enfants, que vous nous disiez ce que vous pensez de la nécessité de parler de la dangerosité des drogues, notamment du cannabis, puisque certains nous disent qu’à trop parler de drogue, on donne des idées et que, finalement, on incite à la consommation. Pensez-vous que c’est une réflexion intéressante ou qu’on ne peut pas se passer de l’information sur le danger ?

Mme Marie-Christine D’WELLES - J’ai essayé de vous expliquer cela jusqu’à maintenant. Cet enfant a tué son cousin avec de l’air sec, il lui a donné des coups de poignard et il a blessé son meilleur ami. Il a pris de l’air sec, qui est un hallucinogène, plus du bangh. Si cet enfant avait su ce qui se passait, il en aurait été autrement. A chaque fois que je vais dans un lycée et que j’explique aux élèves ce que fait l’air sec avec le cannabis, qui est un hallucinogène qu’ils prennent bien entendu ensemble (vu le temps d’élimination du cannabis, ils ont encore du cannabis dans le corps), ils n’ont plus du tout envie de goûter à l’air sec.

Vous avez sans doute eu des enfants ou des petits-enfants, monsieur le Rapporteur. Imaginez que votre épouse laisse la bouteille d’eau de Javel par terre avec un enfant qui marche à quatre pattes ! Cette idée vous semblerait incroyable. C’est ce que nous sommes en train de faire à nos enfants. Ils ont de la drogue partout. Hier, les enfants m’ont dit que lorsqu’ils sortaient, ils ne pouvaient pas aller sur le boulevard de la plage sans être sollicités au moins trois fois pour prendre de la drogue. Quand ils traversent l’une des grandes places de Nantes, on met de l’ecstasy dans la main des enfants !

Il faut le demander aux policiers à qui des enfants viennent se plaindre. A Saint-Nazaire, une jeune fille de bonne famille m’a dit en pleurant : "madame, si cela avait été le jour où je me suis disputée avec mon père, je l’aurais pris". C’est une incitation à prendre de la drogue. Ils ont de la drogue partout. C’est très facile ! Si j’ai envie de drogue, je demande à mon voisin : "Tu n’as pas un bout" (cela s’appelle ainsi), si je veux de l’herbe : "Tu n’as pas de la beu ?" ou encore, si je veux un ecstasy : "Tu n’a pas un taz ?"

Etant donné qu’ils ont de la drogue partout, il faut absolument les informer, mais attention : le tabac n’est pas psychoactif et ce n’est pas une drogue comme les autres. D’ailleurs, M. Sarkozy ne le relève pas dans les accidents de voiture, le tabac n’est pas testé. J’ai moi-même fumé pendant 35 ans, je n’ai jamais tué personne et je n’aurais jamais eu d’accident de la route à cause du tabac. Mon grand-père qui dirigeait la SNCF n’aurait jamais fait dérailler deux trains alors qu’il a fumé toute sa vie.

Aujourd’hui, ils prennent des pétards entiers sans cigarette ! Les enfants me disent : "Mon père est toxicomane". Mon fils me l’a dit également ! C’est n’importe quoi ! Il faut leur expliquer ce que sont les drogues. Sur la drogue, vous avez entendu des personnes formidables ici, et je peux vous dire que, dans le monde entier, tous les toxicologues ont le même discours. Je n’ai jamais entendu un toxicologue dire l’inverse d’un autre ; ce sont les spécialistes des drogues. Ecoutons-les.

M. le Rapporteur - Il est important que vous nous disiez, parce que vous êtes en contact avec de nombreux enfants, quelle réaction vous avez pu constater, sur le terrain, de la part de ces enfants, aux messages d’information et de prévention.

J’insiste sur un point : il nous a été dit que le discours sur la dangerosité ne passait pas auprès des enfants notamment parce que — c’est sans doute une caractéristique de la jeunesse — ils se sentent invulnérables et quasi immortels. Pouvez-vous nous préciser si ce message a vraiment un impact positif ou si, au contraire, il leur passe au-dessus de la tête ?

Mme Marie-Christine D’WELLES - Je vous remercie de poser la question. Quand je vais dans un établissement scolaire, on met parfois 500 jeunes devant moi dans des salles de sport. Il n’y a pas un bruit ! Ils écoutent pendant deux heures et quart, assis par terre, dans des positions inconfortables et dans des endroits non chauffés. Comme par hasard, il n’y en a pas un, comme le disent les directeurs, "qui se lève pour aller pisser". Ils me disent : "Nous n’avons jamais vu cela, madame d’Welles. Pourtant, si vous saviez comme je suis avec la drogue, toute la drogue, y compris le cannabis ! Vous êtes la première personne qui nous dit la vérité sur la drogue. La télévision nous ment, les journalistes nous mentent, les hommes politiques ne s’occupent pas de nous" !

A la fin d’une conférence, à Bordeaux, une jeune fille de seconde est venue me voir (je le jure devant vous), accompagnée de trois de ses camarades à droite et de trois autres camarades à gauche. Elle a dit : "Madame, si vous avez dit que cet établissement était bien parce que nous prenons tous de la drogue, vous avez raison : nous prenons tous de la drogue ici ! Mais je vais vous dire une chose, madame, on est tous foutu ! Vous nous avez tous laissé tomber ! Je vous demande, madame, de dire aux personnes responsables que vous rencontrerez" (je le jure une nouvelle fois ; cette petite habite à côté du parc bordelais) "que nous n’en sortirons pas !"

Elle a alors dit à ses camarades : "Dites-lui que vous consommez ! Moi-même, je consomme. On est tous foutus ! Vous n’avez pas voulu vous occuper de nous !" Je vous jure que c’est ce que m’a dit cette petite. Ce sont des témoignages.

Je vous donnerai le nom du dernier établissement où je suis allée dans la région parisienne, la semaine dernière. Les professeurs m’ont dit : "Vous descendez dans la cage aux fauves". Alors que j’avais 300 jeunes devant moi, pas un seul n’a bougé. Vous auriez dû voir leur tête, car ils consomment. Ils m’ont accompagnée dans la rue (la psychologue du lycée n’avait jamais vu cela) et m’ont dit : "Au revoir, madame, bon week-end, merci pour tout". J’ai haut comme ça de remerciements de lycéens !

M. le Rapporteur - Une dernière question : quelle est votre avis sur la politique de prévention qui a été mise en oeuvre et qui existe toujours dans notre pays ?

Mme Marie-Christine D’WELLES - Avec le Dr Hovnanian, nous avons parlé de la politique de prévention "Savoir moins, risquer plus". Je dis que cette politique a installé la drogue partout, peut-être pour avoir des voix. Nos enfants vont bien. Il faut qu’on arrête de les droguer. Nos enfants, vos enfants, vos petits-enfants sont formidables ! Avec une conférence de deux heures et quart, ils changent d’avis et ils m’ovationnent !

A Saint-Louis de Gonzague, ils m’ont tellement applaudie qu’ils ont fait des bancs et ont tapé des pieds pour que je continue.

Ce garçon dont je vous ai lu le message tout à l’heure a dit : "Je vous aurais écouté des heures, madame !" Il apprenait enfin la vérité sur la drogue. Il a dit : "Nous mourrons de drogue". Regardez les suicides d’adolescents en France. Si vous en recherchez la cause, vous constaterez que ces jeunes meurent de non-assistance à enfant.

M. le Rapporteur - Je vous remercie. Madame la Présidente, je n’ai plus de questions.

Mme la Présidente - Merci, monsieur le rapporteur. Monsieur Chabroux, vous avez la parole.

M. Gilbert CHABROUX - Madame la Présidente, j’ai suivi avec attention votre exposé. Vous avez dressé un tableau très sombre de la situation de la jeunesse, en particulier dans les établissements scolaires. Vous avez cité les élèves qui disent : "Nous prenons tous de la drogue, nous sommes tous foutus, nous n’en sortirons pas !" et vous avez ajouté à la fin : "Nos enfants vont bien". Il y a donc une certaine forme de contradiction.

Vous rapportez un certain nombre de témoignages et vous faites part de ces rencontres avec les jeunes qui vous ovationnent. C’est intéressant, mais je voudrais quand même vous poser quelques questions.

Vous avez dit au début que les jeunes consomment du cannabis pour ne pas fumer du tabac parce qu’ils imaginent que le tabac est dangereux et que le cannabis ne l’est pas.

Mme Marie-Christine D’WELLES - On le leur a dit.

M. Gilbert CHABROUX - Vous dites donc qu’ils ne fument pas de tabac mais consomment du cannabis. Je ne pense pas que ce soit la situation que l’on constate : on fume tout de même beaucoup plus de tabac qu’on ne consomme de cannabis. Les chiffres qui nous ont été donnés et qui paraissent vérifiés indiquent que c’est le tabac qui est consommé le plus largement dans les établissements scolaires. Or vous le passez sous silence et vous dites que ce n’est pas dangereux, que cela n’a jamais fait dérailler un train, que vous avez conduit votre voiture pendant de très nombreuses années en fumant et que vous n’avez jamais provoqué d’accident.

C’est très bien, mais il y a quand même 60 000 morts causés par le tabac chaque année. C’est une estimation que l’on peut faire. Avez-vous une estimation du nombre de morts causées par le cannabis ?

Mme Marie-Christine D’WELLES - Il faut compter le nombre de suicides de jeunes en France.

M. Gilbert CHABROUX - J’aimerais que l’on corrige un peu le tableau que vous avez dressé, que l’on donne d’autres chiffres et que l’on fasse état des consommations réelles et de la morbidité ou de la mortalité en prenant en compte également le tabac. J’aimerais que l’on puisse faire état des véritables chiffres.

J’ai une autre question : alors que vous excluez le tabac, avez-vous exclu l’alcool ?

Mme Marie-Christine D’WELLES - Non, monsieur le Sénateur.

M. Gilbert CHABROUX - J’aimerais donc savoir si vous faites une place à l’alcool.

Enfin, puisque vous faites état de beaucoup de témoignages et de contacts avec les jeunes, pouvez-vous me dire quelles sont les raisons pour lesquelles les jeunes se droguent ? Pouvez-vous nous parler du problème des addictions d’une façon plus large ? Pourquoi ces produits à ce moment et d’autres à d’autres moments ? Pourquoi rencontre-t-on toujours le problème des addictions ? S’il y a des causes, quelles sont-elles et que peut-on faire pour lutter contre elles ?

Mme Marie-Christine D’WELLES - Je ne mets pas de côté le cancer du fumeur, bien entendu. C’est un cancer que je connais, puisque ma soeur est morte d’un tel cancer dû au tabac à 50 ans. En l’occurrence, je m’occupe de la drogue et je veux dire qu’un jeune qui prend son scooter n’est pas en danger s’il a fumé une cigarette. De même, si vous prenez un véhicule ou si un routier conduit son camion en fumant, il n’est pas en danger et la loi Sarkozy le lui permet. Pour tous les autres produits, il n’est pas permis de conduire.

C’est pourquoi je m’occupe plus des drogues, dont je suis venue parler ici, mais quand on mélange tabac et drogues et si un directeur d’établissement fume sa pipe, les élèves vont dire : "Notre directeur est un toxicomane comme nous". Ce n’est pas sérieux et c’est pour cela que je dis qu’il ne faut pas mélanger cela avec le tabac. Certes, il faut en faire la prévention, monsieur le Sénateur, mais pas du tout comme pour les autres drogues.

Quant à l’alcool, il figurait dans le tableau que je vous ai montré. Il est vrai que j’ai été très vite par rapport à tout ce que je voulais vous dire, mais l’alcool conduit à l’alcoolisme. Cela dit, j’ai pu remarquer dans les établissements scolaires qu’aucun élève n’ignorait les problèmes de l’alcool et donc que les parents savent leur en parler : j’ai été en Bretagne hier. Les problèmes d’alcoolisme, malheureusement, ont été toujours assez nombreux en France et nous savons donc en parler à nos enfants.

Le phénomène du cannabis est arrivé il y a environ cinq ans avec une très forte attaque. Je dis que nos enfants vont bien parce que, lorsqu’ils commencent à consommer cette drogue, ils vont bien. Vous avez d’ailleurs lu la lettre de ce petit garçon de 4e qui a dit : "Je voulais essayer, mais comme j’aime la vie, je n’essaierai pas". Il a compris, avec mes explications, ce qu’était le cannabis. Je lui ai fait un tableau et je lui ai montré les temps de vie.

Maintenant, si je dis que les enfants m’ovationnent, cela ne m’intéresse pas tellement. Je le dis parce qu’on m’a demandé quelles étaient les réactions des enfants.

Mme la Présidente - On va dire qu’ils applaudissent. Ce sera plus proportionnel à la réalité de la situation dramatique.

Mme Marie-Christine D’WELLES - Ils envoient des lettres qui sont touchantes. Quand je dis qu’ils meurent, monsieur le Sénateur, il suffit de regarder les chiffres. Nous allons les avoir. Le Dr Chamayou a fait une thèse qui prévoit que nous aurons prochainement beaucoup de cancers dus au cannabis.

Il faut surtout considérer le nombre d’enfants qui sont à l’hôpital psychiatrique à cause du cannabis.

Mme la Présidente - Nous sommes au courant, madame, parce que nous n’avons pas commencé les auditions aujourd’hui. Nous avons fait un certain nombre de visites sur place, dans les hôpitaux. Nous ne nous contentons pas de rester assis derrière un bureau pour faire des auditions ; nous nous rendons sur le terrain pour affronter la réalité et cela nous éclaire de façon très triste.

Mme Marie-Christine D’WELLES - Les enfants se plaignent beaucoup de ces drogues. La semaine dernière encore, un enfant est venu me voir le jour où je sui allée dans son établissement et m’a dit : "Madame, je viens d’enterrer mon meilleur ami. Il prenait du cannabis avec nous le week-end, il prenait des bangh, il est allé à l’hôpital psychiatrique pour un délire et il est ressorti". Ce garçon m’a dit alors : "Mon camarade n’a jamais parlé de suicide. Croyez-vous que ce qu’on lui a donné peut l’amener au suicide ?" Je lui ai répondu affirmativement et il m’a indiqué les noms des drogues que prenait son camarade. Ce sont des drogues légales. Il m’a demandé comment je le savais et je lui ai répondu que, dans le Vidal, il est écrit que l’on peut aller au suicide avec ces drogues.

Mme la Présidente - Je crois que ce sera la triste conclusion que vous pourrez nous faire sur la situation. Merci beaucoup, madame.


Source : Sénat français