M. Elaraby le Secrétaire général de la Ligue des États arabes et M. Juppé le Ministre des affaires étrangères de la France
UN Photo/Mark Garten
M. Bashar Jaafari, le Représentant permanent de la Syrie à l’ONU
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La séance est ouverte à 15 h 5.

Le Président (parle en anglais) : En vertu de l’article 37 du Règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite les représentants du Qatar et de la République arabe syrienne à participer à la présente séance.

Au nom du Conseil, je souhaite la bienvenue à S. E. le cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères de l’État du Qatar, Président de la session en cours du Conseil de la Ligue des États arabes au niveau ministériel, et prie le fonctionnaire du protocole de l’escorter à la table du Conseil.

Le cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères de l’État du Qatar, Président de la session en cours du Conseil de la Ligue des États arabes au niveau ministériel, est escorté à la table du Conseil.

Le Président (parle en anglais) : En vertu de l’article 39 du Règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite S. E. M. Nabil Elaraby, Secrétaire général de la Ligue des États arabes, à participer à la présente séance.

Je tiens à saluer la Vice-Secrétaire générale et les ministres présents à la séance d’aujourd’hui. Leur présence confirme l’importance de la question à l’examen.

Le Conseil de sécurité va maintenant aborder l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.

J’appelle l’attention des membres du Conseil sur le document S/2012/71, qui contient le texte d’une lettre datée du 24 janvier 2012, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général.

Je donne maintenant la parole à S. E. le cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères de l’État du Qatar, Président de la session en cours du Conseil ministériel de la Ligue des États arabes.

Le cheik Al-Thani (Qatar) (parle en arabe)  : Monsieur le Président, je tiens à vous féliciter de votre accession à la présidence du Conseil de sécurité. Je vous remercie, ainsi que les membres du Conseil, d’avoir organisé la présente séance pour nous permettre de rendre compte de la mission qui nous a été confiée.

Lors d’une réunion tenue le 22 janvier au Caire, le Conseil des ministres de la Ligue des États arabes a adopté une résolution demandant que moi, en ma qualité de Président du Comité ministériel de la Ligue des États arabes sur la question syrienne, et le Secrétaire général de la Ligue des États arabes informions le Conseil de sécurité du plan adopté au titre de cette résolution et que nous demandions au Conseil d’approuver ce plan.

Je tiens à souligner d’emblée que notre objectif premier et final est de servir les intérêts de la Syrie, et donc de protéger sa souveraineté, son indépendance politique et son intégrité territoriale et de garantir sa stabilité. J’insiste aussi sur la nécessité de préserver la solidarité et l’unité du peuple syrien et l’harmonie entre ses différentes composantes, et de protéger tous les groupes ethniques, religieux et sociaux du pays. La Syrie, par son tissu social singulier et son authenticité intellectuelle et culturelle, est chère à tous les Arabes. Je prends aujourd’hui la parole au Conseil de sécurité pour lui fournir des informations au sujet de la résolution qui a été adoptée par l’organisation qui représente tous les Arabes.

Nous nous réunissons aujourd’hui sous l’œil vigilant de mères qui ont perdu un enfant, d’orphelins, de veuves, de milliers de blessés, de détenus, de personnes déplacées, d’enfants, de jeunes, de personnes âgées et de femmes qui continuent d’espérer que le Conseil de sécurité viendra à leur secours pour qu’ils puissent vivre une vie libre et décente fondée sur le droit, la justice et la bonne gouvernance. C’est au Conseil de sécurité qu’il revient de concrétiser les espoirs du peuple syrien, et cette responsabilité lui a été confiée par la Charte des Nations Unies. De fait, cette responsabilité nous incombe à tous, en raison de notre responsabilité humanitaire.

À la Ligue des États arabes, nous nous sommes employés, avec patience, persévérance et de manière responsable, à trouver des solutions qui permettront de régler la crise syrienne par des moyens pacifiques. Le 27 août 2011, la Ligue des États arabes a adopté une initiative visant à mettre fin aux violences en Syrie, à lancer un dialogue national ouvert avec l’opposition pour prévenir une nouvelle détérioration de la situation et à engager des réformes dans un contexte sûr et maîtrisé. Les dispositions et mécanismes de mise en œuvre de cette initiative sont équilibrés, transparents et objectifs. C’est le seul moyen de parvenir à un règlement pacifique de la crise en vue d’atteindre les objectifs que je viens de mentionner.

Le 26 octobre 2011, à sa session extraordinaire au Caire, la Ligue des États arabes a réaffirmé la position arabe dans une résolution appelant à mettre immédiatement et totalement fin à la violence et aux meurtres, à mettre fin aux démonstrations armées, et à renoncer à recourir à des moyens sécuritaires afin d’éviter qu’il n’y ait davantage de victimes et que le conflit ne s’intensifie entre les différentes composantes de la société syrienne, de maintenir la paix civile, de protéger les civils, et de préserver l’unité du tissu social syrien.

Dans cette résolution, la Ligue des États arabes a demandé à son conseil des ministres de constituer, à cette session, un Comité ministériel arabe – que je préside et dont les membres sont les Ministres des affaires étrangères de l’Algérie, de l’Égypte, du Soudan, du Sultanat d’Oman et le Secrétaire général de la Ligue des États arabes – chargé de travailler en liaison avec l’équipe dirigeante syrienne en vue de faire cesser tous les actes de violence et d’empêcher qu’il y ait d’autres morts. Le Comité a demandé au Soudan et à l’Égypte de convaincre l’équipe dirigeante syrienne de retirer toute présence militaire et de nouer un dialogue entre le Gouvernement syrien et les membres de l’opposition afin de mettre en œuvre des réformes politiques permettant de répondre aux aspirations du peuple syrien. Dans cette résolution, la Ligue demande également que les contacts nécessaires soient établis entre le Gouvernement syrien et les membres de l’opposition en préparation à une conférence sur le dialogue national ouvert qui se tiendrait au siège de la Ligue des États arabes et sous ses auspices dans le but de répondre aux aspirations légitimes du peuple syrien.

Le 26 octobre 2011, le Comité ministériel s’est entretenu avec le Président Bashar Al-Assad à Damas. Lors d’une réunion tenue avec la partie syrienne à Doha le 30 octobre 2011, le Comité a convenu d’un plan d’action qui a été accueilli favorablement à la reprise de la session extraordinaire de la Ligue des États arabes, organisée au niveau ministériel le 2 novembre 2011 au siège de la Ligue. Cet accord a été annexé au plan. Le plan confirmait que les responsables syriens s’engageaient à prendre les mesures suivantes : premièrement, faire cesser tous les actes de violence, quels qu’en soient les auteurs, afin de protéger la vie des citoyens syriens ; deuxièmement, libérer les détenus incarcérés suite aux faits en cours ; troisièmement, retirer tous les éléments armés des villes et des quartiers résidentiels ; et, quatrièmement, garantir aux organismes compétents de la Ligue des États arabes et aux médias arabes et internationaux un libre accès sur tout le territoire syrien afin de rendre compte de la situation sur le terrain et de surveiller son évolution. Le plan demandait également au Comité ministériel, parallèlement à l’obtention de résultats concrets par le Gouvernement syrien en vue de tenir ses engagements, d’établir les contacts et de tenir les consultations nécessaires avec le Gouvernement et les différentes factions de l’opposition syrienne en vue de préparer une conférence sur le dialogue national dans un délai de deux semaines à compter de la date d’adoption de ce plan.

Hélas, le Gouvernement syrien n’a pas pleinement ni immédiatement tenu les engagements pris au titre de l’initiative de la Ligue adoptée le 2 novembre 2011. En conséquence, le Conseil ministériel de la Ligue des États arabes a décidé, le 12 novembre 2011, d’adopter une série de mesures, y compris l’imposition de sanctions économiques et politiques au Gouvernement syrien et d’inviter tous les groupes de l’opposition à se réunir au siège de la Ligue pendant trois jours afin de convenir d’une position commune concernant la future phase de transition en Syrie.

Lors de cette réunion et après que l’idée de dépêcher une mission d’observation arabe en Syrie a pris forme – non pas pour permettre à une des parties de gagner du temps mais pour mettre fin aux violences et au bain de sang – le Conseil des ministres a approuvé un projet de protocole sur le statut juridique de la mission, laquelle était chargée de vérifier la mise en œuvre du plan arabe afin de trouver une solution à la crise et de protéger les civils. Si la Syrie venait à refuser de signer le protocole, n’appliquait pas une de ses dispositions ou continuait de mener des opérations meurtrières et ne libérait pas les détenus, cette résolution prévoyait que le Conseil économique et social de la Ligue des États arabes se réunisse pour envisager des sanctions économiques contre la Syrie.

Cette résolution a été transmise au Secrétaire général de l’ONU, en lui demandant de prendre les mesures nécessaires, conformément à la Charte des Nations Unies, pour appuyer les efforts de la Ligue des États arabes. Le 27 novembre 2011, le Conseil ministériel a adopté un ensemble de sanctions, notamment l’arrêt de tous les vols à destination de la Syrie dont la suspension n’a pas de conséquences pour la population syrienne. Lors d’une réunion tenue le 3 décembre à Doha, le Comité ministériel a approuvé les détails relatifs à ces sanctions et les mesures nécessaires y afférentes. Il convient de signaler que le Comité ministériel arabe a continué de se réunir dans le but de suivre l’évolution de la situation en Syrie. Il s’est réuni à Doha le 17 décembre 2011 et au Caire le 8 janvier 2012.

Malgré tous ces efforts, y compris les contacts établis avec le Gouvernement syrien, la partie syrienne a, pendant plus d’un mois, présenté des amendements successifs au protocole, posant toutes sortes de questions, auxquelles la Ligue des États arabes a répondu et apporté des éclaircissements. Il était clair que l’intention de la Syrie était de tergiverser et de gagner du temps pour fuir ses responsabilités et éviter de se conformer à ses engagements, ce qui illustre le manque de volonté politique du Gouvernement syrien de signer le protocole et de s’engager à mettre en œuvre les dispositions du plan arabe.

Quand le mur de la peur est tombé et que le peuple a commencé à se défendre contre la répression militaire et sécuritaire, le Gouvernement syrien a, le 19 décembre 2011, signé le protocole. L’envoi de la mission d’observateurs arabes, la première de l’histoire de la Ligue des États arabes, a immédiatement suivi. Si le Gouvernement syrien a signé ce protocole, il n’est pas à exclure que son objectif était en fait de poursuivre jusqu’au bout la solution militaire sous couvert de se conformer au protocole. De fait, le Gouvernement syrien n’a pas appliqué les principales dispositions du protocole, particulièrement celles qui ont trait à la mise en œuvre rapide du plan arabe pourtant approuvé par lui.

C’est convaincu que le Conseil suit continuellement l’évolution de la crise en Syrie que j’ai tenu à lui présenter un exposé sur l’action menée par les pays arabes, afin qu’il comprenne les raisons qui ont poussé les États arabes à adopter la résolution que nous avons été chargés de lui transmettre.

Au cours de la dernière réunion du Comité ministériel arabe sur la Syrie et du Conseil de la Ligue au niveau ministériel, au Caire, le 22 janvier, les ministres ont procédé à un examen approfondi des tâches accomplies par la mission d’observation sur la base du rapport qu’elle a présenté. À l’issue de cette réunion, une résolution a été adoptée, comprenant une initiative approuvée par la grande majorité des États, sous la forme d’un plan détaillé de sortie de crise pacifique en Syrie susceptible d’être accepté et mis en œuvre par toutes les parties, moyennant la bonne foi de tous et en l’absence d’atermoiements, de délais ou de tergiversations. Un exemplaire du texte de la résolution a été distribué dans la salle.

Ce plan représente une feuille de route conforme aux principes énoncés dans la Charte des Nations Unies, aux fins d’un règlement politique, démocratique et rationnel de la crise, et d’une passation de pouvoir sans heurts. Il prévoit la formation d’ici deux mois d’un gouvernement d’union nationale présidé par une personnalité de consensus et comprenant des membres de l’opposition, dont la mission consisterait, entre autres, à préparer la tenue d’élections législatives et présidentielle pluralistes et libres, en vertu d’une loi les plaçant sous la supervision des États arabes et de la communauté internationale. La résolution prolonge même d’un mois le mandat de la mission des observateurs, nonobstant l’annonce, par le Secrétaire général de la Ligue, le 28 janvier, de la suspension des activités de la mission en attendant l’examen de la question par le Conseil des ministres de la Ligue, décidé en raison de la grave dégradation de la situation, due au choix de l’option sécuritaire.

La Ligue des États arabes n’a commencé ses discussions sur la crise en Syrie que six mois après son déclenchement. Nous avons consacré, avant de nous adresser au Conseil, cinq autres mois à essayer d’aider le Gouvernement syrien à régler le conflit qui l’oppose à son peuple sur la base des résolutions de la Ligue des États arabes. Nous n’avons eu de cesse de veiller, dans le cadre de notre action, au respect de l’unité et de la stabilité de ce membre important de la famille arabe qu’est la Syrie.

Mais nos initiatives et nos efforts ont été malheureusement vains, car le Gouvernement syrien n’a fait aucun effort sincère pour coopérer avec nous, optant pour la solution qui lui restait : celle, hélas, de la répression de son peuple. La réalité sur le terrain indique que le sang n’a pas cessé de couler, que la machine répressive est toujours en marche et que la violence s’est propagée à toutes les villes. Dans sa conférence de presse du 24 janvier, le Ministre syrien des affaires étrangères a clairement confirmé cette direction. Après avoir tourné en dérision la Ligue des États arabes, qu’il a accusée de tous les maux, et qualifié son plan d’invitation à l’internationalisation, il a réaffirmé que le Gouvernement syrien rejetait la solution arabe et déclaré que la solution sécuritaire était dictée par la situation sur le terrain.

Une question importante se pose : quelle solution s’offre à nous face à la violente répression d’un peuple ? Le Gouvernement syrien invoque l’existence d’une violence armée. Mais ne se pourrait-il pas qu’il s’agisse d’actes commis en légitime défense après des mois de répression, de détention et de torture ? Une autorité quelle qu’elle soit peut-elle se maintenir au pouvoir contre la volonté de son peuple désireux de réformes ? Nous ne devons pas oublier que la crise dont il est question a commencé par de simples marches absolument pacifiques organisées par des citoyens pour revendiquer des droits consacrés dans les traités internationaux. On a répondu à ces revendications par des tirs à balles réelles et des tirs d’artillerie, des incarcérations massives et des violations flagrantes des droits de l’homme.

Le régime syrien prétend qu’il existe un plan occulte mis au point par certains pays pour lui nuire. Ces déclarations ne résistent pas à l’analyse des événements en Syrie faite par la communauté internationale, en conséquence de la politique du Gouvernement. Le nombre des victimes et des détenus a dépassé plusieurs milliers. La machine répressive du Gouvernement continue de fonctionner à plein régime. Les cortèges funèbres même sont transformés en boucheries et les écoles pour enfants en garnisons. Même les lieux de culte n’ont pas été épargnés par les bombardements. La répression a atteint des niveaux inimaginables : ceux qui criaient des slogans hostiles au régime ont eu la gorge tranchée, comme c’est arrivé à Ibrahim Qaqoush aux mains de ses assassins à Hama, et des caricaturistes défendant les libertés ont eu les doigts écrasés, comme Ali Farzat par ses agresseurs, à Damas.

Comme les membres le savent, le Conseil des droits de l’homme a adopté trois résolutions à ses seizième, dix-septième et dix-huitième sessions, dans lesquelles il a vivement condamné la Syrie pour les violations flagrantes et systématiques commises par ses forces et qui pourraient constituer des crimes contre l’humanité.

Dans sa résolution 66/176 du 19 décembre 2011, l’Assemblée générale a également condamné à une écrasante majorité les autorités syriennes qui continuent de commettre des violations graves et systématiques des droits de l’homme. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a demandé au Conseil de sécurité d’assumer ses responsabilités et d’adopter une position unifiée face à cette crise. La répression en Syrie a atteint un niveau tel que l’Organisation des Nations Unies a déclaré n’être plus en mesure de compter les victimes, dont le nombre se chiffre en milliers, et devoir en cesser le décompte. L’UNICEF, de son côté, a affirmé il y a quelques jours que le nombre d’enfants tués en Syrie dépassait 384, chiffre absolument inadmissible, quand bien même il serait inscrit sous la rubrique des pertes collatérales. Je ne pense pas non plus que ces enfants soient membres de groupes terroristes.

Il n’échappera pas au Conseil que des organisations des droits de l’homme comme Amnesty international et Human Rights Watch ont condamné les actes de répression commis par le régime syrien contre les civils et demandé que le cas syrien soit déféré devant la Cour pénale internationale aux fins d’une enquête sur les crimes commis. De plus, dans son rapport publié à Genève le 28 novembre dernier, la Commission d’enquête internationale a fait état de crimes contre l’humanité perpétrés par les forces de sécurité syriennes, d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires, de disparitions forcées et d’actes de torture accompagnés parfois de violences sexuelles.

Le Conseil de sécurité s’est clairement prononcé par le passé en faveur d’un appui à notre action, que ce soit au plan national, dans le cadre de nos efforts de règlement des problèmes du Darfour, du Liban et du conflit entre l’Érythrée et Djibouti, ou au niveau de la Ligue des États arabes s’agissant de la guerre du Liban ou du conflit de Gaza. C’est dans le même esprit que nous attendons du Conseil qu’il adopte une position positive à l’appui de la position arabe face à la crise syrienne.

J’aimerais rappeler que je suis venu par le passé solliciter du Conseil son appui à un projet de règlement de la crise au Liban qui a permis de faire droit à ce dernier contre l’occupation de ses territoires, puis nous avons lancé à Doha le processus de réconciliation au Liban que tous ici connaissent bien. Nous sommes venus aujourd’hui demander au Conseil d’assumer ses responsabilités au titre de la Charte des Nations Unies face à la tragédie humaine en cours en Syrie, en adoptant une résolution claire appuyant la dernière initiative arabe approuvée dans le cadre de la résolution adoptée par le Conseil des ministres arabes de la Ligue au Caire le 22 janvier 2012, comme j’en ai fait état tout à l’heure. Nous demandons également au Conseil de sécurité de prendre toutes les mesures qui s’imposent sur la base des résolutions de la Ligue des États arabes, particulièrement les résolutions à caractère économique et celles qui portent sur l’interdiction de voyager vers la Syrie. Nous n’appelons pas à une intervention militaire, nous préconisons que des pressions économiques soient exercées pour amener le régime syrien à comprendre qu’il ne peut se dérober face aux revendications de son peuple. Nous ne cherchons pas un changement de régime, car nous pensons que c’est une décision qui appartient au peuple syrien.

Le maintien de la situation actuelle constitue une menace pour la région entière, qui peut être lourde de conséquences si nous n’y remédions pas de façon sérieuse et efficace. Nous avons, au sein de la Ligue des États arabes, déployé des efforts sincères pour trouver une solution à la crise et nous espérions que le régime syrien serait suffisamment avisé pour se rendre compte que sa conception de la gouvernance était désormais périmée.

En conséquence, et puisque le régime syrien s’en tient à cette voie, contraire à toute logique contemporaine et internationale, nous en sommes réduits à recourir à la solution rationnelle à la crise exposée dans le plan que nous avons présenté au Conseil de sécurité. Nous espérons que ce plan obtiendra l’appui du Conseil. C’est la seule façon dont nous pouvons espérer faire droit aux aspirations du peuple syrien à la liberté et à la mise en place d’une bonne gouvernance.

Nous appelons le Conseil à adopter le projet de résolution présenté à l’initiative du pays frère du Royaume du Maroc. Sans quoi, nous enverrions un message erroné au régime syrien, qui l’encouragerait à poursuivre l’oppression de son peuple, ce qui pourrait être lourd de conséquences pour la paix, la stabilité et la sécurité en Syrie et dans la région tout entière.

Le Président (parle en anglais) : Je remercie S. E. M. Al-Thani de son exposé.

Je donne maintenant la parole au Secrétaire général de la Ligue des États arabes, S. E. M. Nabil Elaraby.

M. Elaraby (parle en arabe)  : Permettez-moi de vous remercier, Monsieur le Président, ainsi que les membres du Conseil de sécurité, de m’avoir invité à participer à cette séance importante.

La convocation de la présente séance du Conseil de sécurité coïncide avec une dangereuse escalade des événements en Syrie. Face à cette situation, une concertation entre les efforts internationaux et les efforts arabes est nécessaire si l’on veut agir rapidement, efficacement et de façon décisive pour faire cesser, d’abord, la violence afin de protéger nos frères du peuple syrien, et commencer, ensuite, à appliquer dès que possible la feuille de route, solution politique pacifique qui permettra de sortir la Syrie de la crise qui la ronge et de satisfaire les aspirations de son peuple au changement et à la réforme dans un mouvement vers l’instauration de conditions démocratiques et pacifiques permettant à chacun, au sein du peuple syrien, de jouir de la dignité et de la liberté que demandent tous les pays arabes.

La situation en matière de sécurité revêt un caractère de plus en plus grave et urgent, face à l’escalade enregistrée en Syrie ces derniers jours – poursuite des violences, bombardements, tirs, bombardements et tirs de riposte qui ont fauché bien des civils innocents dans le cadre de l’escalade de ce qu’il est convenu d’appeler la solution sécuritaire, pour laquelle a clairement opté le Gouvernement syrien en totale contradiction avec les engagements qu’il avait pris au titre du plan d’action arabe et du protocole signé par la République arabe syrienne et la Ligue des États arabes le 19 décembre 2011, relativement au mandat de la mission d’observation de la Ligue en Syrie.

En conséquence, nous estimons que la première priorité, dorénavant, est d’adopter au Conseil de sécurité une résolution exigeant que toutes les parties – je dis bien, toutes les parties – cessent immédiatement les tirs, protègent les Syriens et appuient le plan d’action arabe proposant un règlement politique pacifique de la crise.

La séance d’aujourd’hui a été convoquée en application du paragraphe 3 de l’Article 52 de la Charte des Nations Unies :

(l’orateur poursuit en anglais)

« Le Conseil de sécurité encourage le développement du règlement pacifique des différends d’ordre local par le moyen de ces accords ou de ces organismes régionaux, soit sur l’initiative des États intéressés, soit sur renvoi du Conseil de sécurité. »

(l’orateur reprend en arabe)

C’est dans ce même contexte que la Ligue des États arabes est venue devant le Conseil de sécurité.

Je tiens à remercier le Conseil d’avoir répondu si rapidement à la requête que lui a présentée la Ligue des États arabes en vue de l’informer des grandes lignes de la démarche arabe. La question a été exposée en détail par S. E. le Premier Ministre du Qatar. Je reviens ici sur quelques-uns de ces points, mais j’essaierai d’être bref.

La dernière décision en date de la Ligue des États arabes a été prise le 22 janvier, sur une feuille de route prévoyant une solution pacifique à la crise syrienne. Avant d’aborder les détails de notre initiative, je voudrais souligner quelques-uns des principes fondamentaux de la démarche arabe.

Premièrement, l’objectif fondamental de notre initiative est la cessation immédiate de tous les actes de violence et de tous les meurtres de civils syriens ainsi que la réalisation des aspirations et des revendications du peuple syrien, qui appelle à un changement économique, social et politique, à la transition vers un système politique correct ancré dans une véritable démocratie, qui assure le respect de tous les droits fondamentaux et de l’état de droit, ainsi qu’à une passation pacifique du pouvoir.

Deuxièmement, les États arabes cherchent à aborder la crise syrienne dans un contexte arabe. Nous essayons d’éviter toute intervention étrangère, en particulier une intervention militaire. Troisièmement, la démarche arabe procède de la nécessité d’un règlement politique pacifique et, comme je l’ai déjà dit, d’un rejet de toute intervention militaire ou étrangère. Quatrièmement, toutes les résolutions de la Ligue des États arabes – je dis bien, toutes les résolutions de la Ligue – ont toujours insisté sur le plein respect de la sécurité, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’unité du peuple syrien.

C’est pourquoi notre objectif est que le Conseil de sécurité appuie notre initiative, et non pas qu’il s’y substitue. Le plan arabe est le mécanisme fondamental sur lequel repose un règlement pacifique de la crise syrienne, avec l’appui international et l’accord du Conseil de sécurité.

Dans notre démarche face à la crise syrienne, nous nous sommes donné deux axes fondamentaux.

Le premier est l’action immédiate, en vue de la cessation immédiate et complète de tous les actes de violence et de tous les meurtres commis contre le peuple syrien, en même temps que le respect du droit du peuple syrien de s’exprimer par des manifestations pacifiques, sans que les forces de sécurité syriennes ne s’opposent à ces manifestations.

Le deuxième est une feuille de route prévoyant un règlement politique pacifique de la crise par le biais d’un dialogue national auquel participent toutes les parties, toutes les confessions, tous les courants politiques et toutes les catégories de la société syrienne aux fins de la réalisation des aspirations du peuple syrien à une véritable vie démocratique.

À ces fins, la Ligue a pris depuis juillet 2011 plusieurs mesures et présenté un certain nombre d’initiatives aux dirigeants syriens. La plus importante d’entre elles date du 27 août. Sous mandat du Conseil de la Ligue, je l’ai personnellement transmise à la direction syrienne le 10 septembre dernier. Ensuite, un Comité ministériel arabe, sous mandat, encore une fois, du Conseil de la Ligue et sous la présidence du Premier Ministre du Qatar, s’est rendue à Damas et a rencontré les dirigeants syriens le 26 octobre.

C’est sur la base de cette initiative et de ces entretiens qu’a pris forme le plan d’action arabe. Le Gouvernement syrien a promis de le mettre en œuvre, après quoi il a été adopté par le Conseil de la Ligue des États arabes le 2 novembre. Ce plan prévoit ce qui suit :

« Premièrement, le Gouvernement syrien doit mettre fin à tout acte de violence, quelle qu’en soit l’origine, afin d’assurer la protection des citoyens syriens ; deuxièmement, il doit libérer les personnes incarcérées à l’occasion, et en raison, des événements actuels ; troisièmement, il doit procéder au retrait de tous les éléments armés de toutes les villes et tous les centres urbains ; et quatrièmement, il doit ouvrir ses portes à toutes les institutions de la Ligue ainsi qu’aux médias internationaux et arabes pour que ceux-ci puissent circuler librement en Syrie afin de vérifier les faits sur le terrain et d’assurer le suivi des événements qui s’y produisent.

Deuxièmement, si le Gouvernement syrien fait des progrès concrets dans la mise en œuvre de ses engagements, le Comité ministériel de la Ligue arabe établira les contacts nécessaires et mènera les consultations nécessaires avec le Gouvernement et tous les partis de l’opposition syrienne en vue de la tenue d’une conférence de dialogue national dans les deux semaines suivant cette date. »

Pour s’assurer du respect par le Gouvernement syrien de ses engagements au titre du plan d’action, la Ligue arabe a élaboré, le 19 décembre 2011, un protocole définissant le cadre juridique de la mission d’observation. Des observateurs en provenance de tous les pays arabes et des institutions compétentes ont été déployés à partir du 24 décembre 2011. La mission a poursuivi son déploiement dans toutes les zones où des manifestations avaient lieu, dans 15 villes syriennes. »

Le chef de la mission a présenté son premier rapport technique portant sur la période allant du 24 décembre 2011, date à laquelle l’équipe est arrivée à Damas, au 18 janvier 2012. C’est ce même rapport qui a été transmis au Secrétaire général le 22 janvier afin de l’informer de la situation sur le terrain, ainsi que de la coopération et des consultations entre nos deux organisations.

À la lumière des conclusions du rapport, le Conseil de la Ligue des États arabes a estimé que des progrès partiels avaient été effectivement réalisés dans la mise en œuvre de certains engagements pris par le Gouvernement syrien. Cependant, il s’agit de progrès partiels et donc insuffisants. Ce n’est pas ce qui avait été demandé, ni ce qui avait été souhaité.

Les résolutions de la Ligue et le protocole lui-même appellent à l’arrêt immédiat et total des actes de violence, à la libération de tous les prisonniers, au retrait de tous les éléments armés des villes et à la garantie d’un accès sans entrave aux médias arabes et internationaux. À cet égard, je voudrais rappeler certains points principaux du rapport afin de le placer dans son contexte politique et temporel.

Premièrement, le Gouvernement syrien aurait dû honorer tous ses engagements avant l’arrivée des observateurs, et la mission aurait tout simplement vérifié leur mise en œuvre. Toutefois, puisque le Gouvernement syrien ne s’est pas acquitté de tous ses engagements, l’équipe a dû modifier sa mission sur le terrain. L’équipe s’est employée à exiger du Gouvernement syrien qu’il honore immédiatement et intégralement ses engagements. Elle a également dû se saisir de certaines situations humanitaires douloureuses sur lesquelles il était impossible de fermer les yeux, même si elles ne relevaient pas de son mandat. Par exemple, l’équipe a assuré la livraison de l’aide alimentaire dans certaines zones, recueilli des témoignages sur les violations des droits de l’homme commises à l’encontre des citoyens syriens et concouru à l’échange des dépouilles des victimes.

Deuxièmement, le rapport porte sur une période limitée. Il ne porte pas sur les événements qui se sont produits dans les neuf mois qui ont précédé l’arrivée de l’équipe en Syrie, entre le 15 mars et le 24 décembre 2011. Au cours de cette période, de nombreux événements se sont produits et de nombreuses violations ont été commises, mais l’équipe ne les a pas abordés, car ils ne relèvent pas de son mandat. Cela ne faisait pas partie de ce qui était attendu de la mission. Il faut donc tenir compte de cet aspect dans l’évaluation de l’action et des conclusions de l’équipe.

Troisièmement, la mission était chargée d’une tâche très spécifique et même très compliquée. Comme l’a indiqué le Premier Ministre du Qatar, on n’avait jamais déployé une équipe d’observateurs civils dans un État confronté à des manifestations de plus en plus violentes de civils réclamant un changement de régime. La mission a été déployée pour s’assurer que le Gouvernement syrien respectait ses engagements de mettre fin à la violence et aux massacres et de retirer les éléments armés des villes et des centres urbains, au moment où les forces politiques, militaires et de sécurité du pays contrôlaient la situation.

Il convient de préciser que la mission avait pour mandat de s’assurer que le Gouvernement respectait ses engagements et non de – je le répète – d’amener les parties belligérantes à signer un cessez-le feu ou une trêve, comme c’est habituellement le cas lorsque des observateurs ou des missions sont déployés par les Nations Unies dans une zone de conflit dans le monde.

Quatrièmement, l’élément le plus important du rapport de la mission concerne le recours excessif à la force par les forces de sécurité syriennes depuis mars dernier, qui a provoqué une réaction de la part des manifestants et des éléments de l’opposition. Les paragraphes 71 et 74 du rapport font état d’une situation de graves tensions, d’injustice et d’oppression à laquelle sont soumis les citoyens syriens. L’opposition a dû prendre les armes suite à l’emploi excessif de la force par les forces gouvernementales depuis mars dernier. Cela est tiré directement du rapport.

Cinquièmement, même si la présence d’observateurs sur le terrain n’a pas conduit le Gouvernement syrien à honorer immédiatement et intégralement ses promesses, elle a quand même eu des effets positifs. Par exemple, le peuple syrien a pu exprimer ses revendications plus librement, comme en témoigne l’augmentation du nombre de manifestants dans beaucoup de villes après l’arrivée de la mission. De nombreux Syriens ont pu ainsi disposer d’un mécanisme leur permettant de dire ce qu’ils ont eux-mêmes vécu et d’exprimer leurs points de vue, au moyen des témoignages faits directement aux membres de la mission. La mission a pu vérifier et recueillir de nombreuses informations sur la situation des droits de l’homme en Syrie. La mission a pu se procurer de longues listes de détenus et de personnes portées disparues, grâce à ses nombreux contacts avec des personnes qu’elle a rencontrées personnellement ou à travers les sites Web créés par la Ligue des États arabes à cette fin.

À la lumière des conclusions du rapport, après avoir examiné l’évolution de la situation sur le terrain depuis que la Ligue s’est saisie de cette crise et dans le prolongement des efforts déployés pour régler la crise syrienne – sans intervention étrangère, en évitant une guerre civile et en respectant l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie –, le Conseil de la Ligue, réuni le 22 janvier au niveau des ministres, a adopté une résolution dans laquelle il a mis en exergue plusieurs points.

Le Conseil ministériel a souligné la nécessité pour toutes les parties de mettre fin à tous les actes de violence et aux tueries afin de protéger les citoyens syriens. Il a également demandé au Gouvernement syrien de libérer tous les détenus, de retirer tous les éléments armés des villes et des zones résidentielles et de garantir l’accès aux organismes compétents de la Ligue et aux médias arabes et internationaux. Il a souligné la nécessité de ramener l’Armée syrienne et toutes les forces armées appartenant à divers mouvements dans leurs casernes et à leurs positions initiales, de garantir le droit à des manifestations pacifiques et de ne pas réprimer les manifestants ; de faciliter le travail de la mission et l’entrée de son matériel, en particulier le matériel de communication. La mission a appelé le Gouvernement syrien et tous les partis de l’opposition syrienne à entamer un dialogue politique sincère sous l’égide de la Ligue des États arabes, dans un délai de deux semaines après l’adoption de ladite résolution, en vue de mettre en œuvre toute une série d’initiatives.

La première initiative concerne la formation, dans les deux mois suivant l’ouverture du dialogue, d’un gouvernement d’unité nationale auquel participeraient le Gouvernement actuel et l’opposition sous la direction d’une personne choisie d’un commun accord. Ce gouvernement aurait pour tâche d’appliquer les dispositions du plan d’action de la Ligue arabe et d’organiser des élections parlementaires et présidentielle libres et pluralistes, conformément à une loi régissant leur déroulement sous supervision arabe et internationale et autorisant le Vice-Président à négocier et coopérer avec le Gouvernement d’unité nationale pour faciliter la réussite de la période de transition. Je tiens à préciser que la feuille de route adoptée le 22 janvier ne saurait être interprétée comme invitant le Président syrien à renoncer au pouvoir.

Il existe un précédent à cet égard. Le 13 juillet dernier, je me suis rendu à Damas où je me suis entretenu avec le Président de la République sur la nécessité d’un véritable dialogue politique. Le Président a déclaré qu’il allait en confier la charge à M. Farouk Al-Chara, son premier Vice-Président, qui est chargé de mettre en œuvre les réformes fondamentales nécessaires et qu’il me tiendrait informé de ces réformes politiques. Ceci ressemble fort à l’appel lancé par la Ligue des États arabes.

Une fois constitué, le Gouvernement d’unité nationale annoncerait que son objectif est de mettre en place un système politique démocratique et pluripartite assurant l’égalité de tous les citoyens indépendamment de leurs affiliations ou de leur identité confessionnelle ou religieuse, ainsi que l’alternance du pouvoir. Le Gouvernement national rétablirait la sécurité et la stabilité dans le pays et procéderait à une réforme de la police afin qu’elle assure des fonctions civiles de sécurité grâce au financement assuré par les États arabes en coopération avec la Ligue des États arabes.

Une commission indépendante doit être mise en place, qui sera chargée d’enquêter sur les violations commises contre les citoyens. Trois mois après sa formation, le Gouvernement d’unité nationale tiendrait des élections libres et régulières sous contrôle arabe et international en vue de créer une assemblée constituante.

En signalant au Conseil de sécurité toute cette série d’événements, je voudrais également déclarer que, juste avant de venir à New York, j’ai dû prendre une mesure urgente. J’ai dû suspendre les activités des observateurs arabes en Syrie en raison de la sérieuse détérioration de la situation dans le pays après que le Gouvernement syrien a ouvertement déclaré qu’il adoptait l’option sécurité, ce qui a entraîné le retrait de certains observateurs en attendant que je saisisse le Conseil de la Ligue des États arabes dans quelques jours.

Comme l’indique le bref rapport sur la crise syrienne, la Ligue a toujours cherché à trouver un règlement politique pacifique à la crise syrienne qui épargne la vie des Syriens et réponde à leurs exigences et à leurs aspirations. De plus, la Ligue sait bien que l’aide de la communauté internationale et son appui au plan arabe, seul mécanisme à même de régler la crise syrienne, sont indispensables à son succès et à la réalisation de ses objectifs.

Qu’il me soit donc permis de réitérer que la Ligue des États arabes est impatiente d’appuyer une résolution du Conseil de sécurité qui enjoint à toutes les parties à cesser immédiatement tout acte de violence afin de protéger le peuple syrien et à s’engager dans un véritable dialogue national sous l’égide de la Ligue des États arabes. Cette résolution adopterait l’initiative arabe pour régler cette crise et appuierait la mission de la Ligue lorsque cette dernière déciderait de la reprendre.

Il est également de mon devoir, en tant que Secrétaire général de la Ligue des États arabes, de souligner qu’il importe d’établir au plus vite une coopération de l’ONU et des institutions internationales compétentes avec la Ligue des États arabes afin d’atténuer la détérioration des conditions humanitaires dans lesquelles se trouve le peuple syrien.

Enfin, je voudrais encore une fois remercier le Conseil de sécurité d’avoir répondu si rapidement à notre demande et d’avoir appuyé les efforts de la Ligue des États arabes. J’ai bon espoir que cet appui favorisera les efforts déployés par la Ligue et sera un modèle d’interaction positive entre l’ONU et les organisations régionales.

J’exhorte le Conseil à ne pas abandonner le peuple syrien à son sort. La violence et les massacres doivent cesser. Nous avons besoin d’une résolution claire qui appuie les efforts de la Ligue des États arabes. Je demande au Conseil d’appuyer le projet de résolution présenté par le Royaume du Maroc.

Le Président (parle en anglais) : Je remercie M. Elaraby pour son exposé.

Je donne maintenant la parole au représentant de la République arabe syrienne.

M. Ja’afari (République arabe syrienne) (parle en arabe)  : Je vais, moi aussi, parler en arabe, ce qui est un honneur pour moi.

Je rappelle que le poète arabe syrien Nizar Qabbani, que tous les Arabes connaissent et lisent, avait imaginé, sinon prédit, un tel scénario et une telle réunion des années avant sa mort dans un poème très célèbre qui commence ainsi : « Damas, trésor de mes rêves, te reprocherai-je ton arabité ou mes compatriotes arabes ? »

Ma génération se souvient bien qu’à la fin des années 50 et au début des années 60, à l’école secondaire, nous chantions le matin l’hymne national de la révolution algérienne au lieu de chanter l’hymne national syrien. Nous avions également pour habitude de donner – ou de « faire don », comme on dit dans le dialecte syrien – notre argent de poche aux mouvements de libération arabes du Golfe qui luttaient contre le colonialisme britannique. Enfants, nous étions heureux de faire don de notre argent de poche pour aider à libérer nos frères du Golfe du joug colonial. C’était bien avant le boom pétrolier. À cette époque, l’arabité était différente de la façon dont c’est perçu aujourd’hui.

Je voudrais d’abord remercier l’Afrique du Sud et vous personnellement, Monsieur le Président, de la sagesse avec laquelle vous dirigez les travaux du Conseil de sécurité ce mois-ci. Nous saisissons la présente occasion pour rappeler encore une fois la fierté que nous procure la victoire de votre peuple et des peuples de l’Afrique contre la politique discriminatoire de l’apartheid et leur remise en cause des positions de certains États qui ne respectent qu’en paroles la démocratie et les droits de l’homme. Nous leur demandons qui ils ont appuyé pendant la lutte menée par l’Afrique du Sud, lutte qui a été couronnée de succès.

La Syrie est confrontée à des défis majeurs et historiques. Nous souhaitons, pendant cette période, pouvoir répondre aux aspirations légitimes du peuple syrien en réponse à sa volonté propre et non pas à la volonté de qui que ce soit d’autre. Bien que ces événements aient brisé le cœur de tous les Syriens, ils obligent les Syriens de tous horizons à suivre la voie de la sagesse et leurs forts sentiments patriotiques afin que la patrie tout entière, et non pas une partie seulement, soit victorieuse.

Le peuple syrien, qui a donné au monde son premier alphabet, connaît mieux le parfum du jasmin que l’odeur du sang à Damas. Au cours des âges, le peuple syrien a toujours pu régler seul les crises et les problèmes internes. Il n’a jamais accepté aucune forme d’intervention étrangère dans les affaires intérieures de sa patrie, la Syrie. Il a résisté avec fierté, refusant d’hypothéquer son patrimoine culturel et national.

Le peuple syrien le fera à nouveau, avec la participation de tous les Syriens, pour sortir de la crise et contribuer à la marche vers la reconstruction nationale, l’objectif suprême étant de défendre les intérêts supérieurs de la patrie et rien d’autre, le tout dans une atmosphère de réconciliation générale. La patrie est la propriété de tous.

En Syrie, il n’y a pas de majorité ni de minorité. Il n’y a que des Syriens. J’affirme que la patrie appartient à tous et qu’elle est la propriété de tous. Il s’agit d’une responsabilité commune, même si certains s’égarent et oublient ce qui est juste. Le patriotisme syrien rejette l’intervention étrangère et insiste sur le fait que la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de la Syrie constituent la ligne rouge à ne pas dépasser. Le patriotisme syrien souligne que les Syriens ne feront qu’un face aux dissensions et au désordre, qu’ils rejetteront la violence et les appels aux armes tout en appelant à la réforme. Les patries sont l’œuvre de tous les individus qui les constituent.

Nous, Syriens, avons l’occasion d’entamer un dialogue national sincère et d’accélérer le rythme de la réforme afin de créer un véritable partenariat national garant de la sécurité de la patrie et de celle des citoyens. C’est le seul moyen de nous extraire de la crise – une solution qui permet de répondre aux aspirations et aux exigences légitimes du peuple syrien sans mettre la patrie en danger. Les générations futures demanderont des comptes à tous ceux qui laisseront passer cette occasion.

Le peuple arabe espérait sincèrement que le Secrétaire général de la Ligue des États arabes et le Président en exercice de son Conseil des ministres se présentent au Conseil de sécurité pour lui demander de prendre ses responsabilités et de mettre fin à l’occupation par Israël des territoires arabes ainsi qu’à l’escalade des activités de colonisation et aux tueries. Quelle impression étrange pour nous de voir que certains membres de la Ligue des États arabes en arrivent à demander au Conseil de sécurité de faire front contre la Syrie – pays qui n’a jamais hésité une seule seconde à consentir le sacrifice ultime pour défendre les causes arabes.

Ceux qui ont toujours défendu les justes causes arabes au Conseil ou dans d’autres enceintes ; qui se montrent enthousiastes à l’égard de la Ligue des États arabes par respect pour ses décisions ; et qui croient que les États auxquels je fais référence se tiennent à nos côtés se bercent d’illusions. Le fait est que cet enthousiasme est né dans un contexte diamétralement opposé aux intérêts légitimes des causes arabes. Le Conseil de sécurité a opposé plus de 60 vetos pour empêcher l’adoption de projets de résolution visant à régler le conflit israélo-arabe conformément aux résolutions qu’il a lui-même déjà adoptées.

Le fait nouveau est qu’aujourd’hui, la Ligue arabe a décidé de porter devant le Conseil de sécurité les décisions qu’elle a prises à l’encontre de la Syrie, décisions qui ont été adoptées en l’absence de la Syrie et sans avoir consulté ses dirigeants, en violation de la Charte de la Ligue des États arabes, et qui favorisent la poursuite du scénario d’ingérence directe agressive dans les affaires intérieures syriennes.

Ces plans viennent compléter et encourager les visées et les stratagèmes d’États non arabes qui entendent détruire et déstabiliser la Syrie. La seule explication à cet état de fait est le refus de la Syrie de dépendre de quiconque et de permettre que sa souveraineté soit compromise, de même que son insistance à prendre ses décisions en toute indépendance et à préserver sa souveraineté ainsi que les intérêts et la sécurité de son peuple.

Après que certains cercles puissants ont imposé à cette organisation internationale une politique du deux poids, deux mesures, qui, bien que de manière tacite et non écrite, imprègne désormais tous les aspects de ses travaux, nous assistons aujourd’hui au lancement d’une nouvelle phase reposant sur la création d’un mandat illusoire et sur une politique de la déformation des faits et du mensonge. Certains cherchent à convaincre l’opinion publique mondiale que ceux qui tentent de défendre l’indépendance de leur pays – en suivant l’exemple de dirigeants aussi illustres que Simón Bolivar, Gandhi, Dmitry Donskov, Mandela, George Washington, Mossadegh, de Gaulle, Nasser, l’Émir Abd el-Kader al-Jazairi, Sultan Pacha Al-Atrach, Hô Chi Minh et Sun Yat-sen – sont des terroristes et des parias opérant en marge de la légitimité internationale.

Ceux qui tentent de préserver leur pays et de lui épargner le chaos absolu et la terreur sont aujourd’hui accusés de violer les droits de l’homme et d’assassiner leur propre peuple. Ceux qui ont recueilli l’appui de la majorité de leur peuple auraient perdu toute légitimité et devraient se retirer. Il est vraiment paradoxal ces jours-ci de constater que certains États oligarchiques qui appuient des projets de résolution prônant l’alternance du pouvoir, la liberté de manifester, la démocratie ainsi que la protection et la promotion des droits de l’homme n’ont même pas de constitution, sans parler d’un véritable système électoral, et n’exercent la démocratie que par le biais de stations satellites et depuis de luxueuses salles de conférence.

Ce sont malheureusement ces mêmes pays qui font appel au Conseil de sécurité pour exiger réforme et démocratie en Syrie. La Syrie s’est dotée d’un gouvernement parlementaire en 1919, un an après la chute de l’Empire ottoman, alors que Lawrence d’Arabie mettait à sac le destin et les ressources de notre région, tentant de la ramener à l’obscurantisme.

La Syrie a signé le protocole sur le déploiement des observateurs arabes parce qu’elle tenait à ce que la question reste sous gestion arabe. La Syrie a prouvé son attachement indéfectible au plan d’action arabe et au protocole signé par elle-même et le Secrétariat de la Ligue des États arabes. Le rapport de la mission d’observation (S/2012/71, pièce jointe no 4) confirme ce fait dans ses paragraphes 37, 38, 39 et 73. Il confirme sans ambiguïté ce que nous avons toujours affirmé. Il confirme qu’une campagne médiatique trompeuse, délibérée, systématique et politiquement biaisée de déformation et de fabrication des faits est en marche. Je fais en particulier référence aux paragraphes 29, 68 et 69 du rapport. Le rapport note par ailleurs dans ses paragraphes 26, 27, 71 et 75 la présence de groupes terroristes qui se servent des demandes légitimes de réforme exprimées par le peuple syrien pour déstabiliser la Syrie, compromettre sa sécurité et lancer des attaques terroristes contre les institutions nationales, les civils et les militaires.

D’autre part, le paragraphe 44 du rapport indique clairement que le journaliste français Gilles Jacquier a été tué par des tirs de mortier lancés par l’opposition. La Syrie s’étonne que cet événement tragique n’ait pas indigné la diplomatie française, en particulier compte tenu du fait que la Syrie a mis sur pied une commission d’enquête pour faire la lumière sur cet incident, commission présidée par un juge et à laquelle participe un représentant de la chaîne de télévision française pour laquelle travaillait ce journaliste.

Le Secrétaire général de la Ligue des États arabes nous a donné lecture de certains paragraphes dans sa déclaration. Je regrette qu’il ait choisi de ne lire que certaines parties du rapport (voir S/2012/71, annexe, pièce jointe 4), et en ait omis bien d’autres. Je voudrais citer le paragraphe 26, qui dit que :

« Dans certaines situations, les forces gouvernementales ont recours à la violence comme réaction aux attaques perpétrées contre ses membres. Les observateurs de la mission ont noté que les groupes armés ont recours aux bombes thermiques et aux missiles anti-blindage. »

Le Secrétaire général de la Ligue des États arabes, un cher collègue, s’est opposé aux demandes de membres du Conseil d’inviter le général Al-Dabi à participer à la présente séance. Le rapport des observateurs arabes n’a pas été envoyé au Conseil avec la série de documents expédiés depuis le siège de la Ligue des États arabes.

La décision de la Ligue des États arabes de venir au Conseil n’est qu’une tentative d’escamoter le succès de la mission des observateurs arabes et de ne pas donner suite à son rapport. Ce rapport contredit malheureusement les plans de certaines parties arabes et non arabes ayant faussement déclaré leur attachement au rôle arabe dans le règlement de la crise syrienne tout en s’efforçant simultanément, par divers moyens, d’interrompre la mission d’observation en menant une guerre médiatique et politique féroce contre elle.

Certains responsables arabes et quelques Européens ont mis en doute l’utilité de la mission, y compris le Premier Ministre du Qatar, qui s’est rendu à New York, à Washington et dans d’autres capitales deux semaines seulement après le début des travaux de la mission, déclarant que la poursuite de la mission d’observation était inutile et demandant à ce que le dossier syrien soit transféré au Conseil de sécurité. Cela a eu lieu alors même que la Syrie respectait pleinement les dispositions du protocole, bien que le nombre de morts au sein des forces gouvernementales ait doublé et celui d’agressions contre des biens publics et privés ait triplé. Tout cela est le résultat d’instructions données de l’étranger aux groupes armés leur demandant de profiter de la présence de la mission pour intensifier la violence.

La Syrie rejette toute décision prise en dehors du plan d’action arabe dont il a été convenu et du protocole signé avec la Ligue des États arabes. Elle considère la résolution adoptée par le Conseil de la Ligue des États arabes comme une violation de sa souveraineté nationale, une ingérence flagrante dans ses affaires intérieures, et une transgression patente des fins auxquelles la Ligue des États arabes a été créée. Il s’agit en outre d’une violation de l’article 8 de la Charte de la Ligue des États arabes. Curieusement, la Ligue des États arabes a demandé au Gouvernement syrien d’accepter que la mission d’observation soit prolongée d’un mois supplémentaire. Damas a immédiatement accepté. Toutefois, la Ligue des États arabes s’est bien vite contredite, en passant outre aux conclusions du rapport de la mission, en essayant de renvoyer au Conseil de sécurité une crise d’un pays arabe, et en empêchant la poursuite des travaux de la mission d’observation.

La tendance effrénée de certains États occidentaux à s’ingérer dans nos affaires intérieures et extérieures par des moyens divers n’est ni soudaine ni nouvelle. Cela s’est déjà souvent et systématiquement produit depuis les Accords Sykes-Picot de 1916 et la Déclaration Balfour de 1917, sans parler du soutien sans réserve apporté aux politiques agressives et hostiles d’Israël et à son occupation des territoires arabes.

Nous savons tous que le cadre juridique international sur la base des paramètres duquel les États fonctionnent se fonde sur le respect de la souveraineté nationale et la non-ingérence dans les affaires intérieures. Ces deux principes sont consacrés à l’Article 2 de la Charte des Nations Unies, et non pas l’Article 52 mentionné par M. Elaraby, ainsi qu’à l’article 8 de la Charte de la Ligue des États arabes. À cet égard, nous insistons sur la responsabilité exclusive du Gouvernement syrien à préserver la paix et la sécurité civiles, et à protéger ses citoyens contre les actes de destruction et de sabotage commis par les groupes armés, et non pas par des manifestants pacifiques, en conformité avec la législation syrienne et les accords internationaux auxquels la Syrie est partie, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Malheureusement, au lieu de respecter ces principes établis du droit international, et dans le cadre de tentatives fébriles des coauteurs de la résolution française contre la Syrie de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Syrie, certains responsables sont soudainement tombés amoureux des Syriens, après des siècles d’hibernation émotionnelle envers eux. Ces personnes rêvent naïvement du retour à leur colonialisme et à leur hégémonie au moyen de ces résolutions. Elles inventent aussi de nouveaux termes qui leur sont propres pour justifier l’ingérence dans les affaires intérieures de la Syrie en trompant l’opinion publique mondiale. Elles font exactement la même chose que lorsqu’elles trompaient le monde pendant que 130 000 civils libyens se faisaient tuer, et quand 1 million d’Iraquiens étaient tués sous le prétexte de chercher des armes de destruction massive qui n’ont jamais existé, ou bien sous le prétexte de promouvoir la démocratie. C’est ce qu’elles ont fait s’agissant de la destruction de l’Afghanistan, sous le prétexte de combattre le terrorisme, ou quand ils ont créé des prisons clandestines et des centres de détention à Guantanamo et à Abu Ghraib, sous le prétexte de promouvoir la liberté.

Nous soulignons que la Syrie tire sa force de celle de son peuple, et qu’elle est fermement disposée à affronter les ennemis de son peuple. Nous appelons tous les Arabes et les non-Arabes qui fomentent la crise et qui sont déterminés à l’exacerber, à reconsidérer ces politiques et à arrêter de massacrer les civils syriens. On ne peut pas être à la fois pyromane et pompier. Nous les appelons à appuyer le dialogue national et le processus de réforme politique syrien, mis en œuvre par le Gouvernement syrien pour répondre aux demandes légitimes du peuple.

À titre d’exemple, nous organiserons en février un référendum sur une nouvelle Constitution, dont la rédaction est terminée, qui garantira le pluralisme politique et des partis dans le pays, ainsi que l’alternance du pouvoir. Les élections parlementaires auront également lieu pendant la première moitié de l’année, laissant les urnes avoir le dernier mot.

Pour finir, nous nous attendons à ce que le Conseil de sécurité soit une plate-forme destinée à encourager le dialogue comme moyen de règlement des crises. Nous ne nous attendons pas à ce qu’il suscite ou aggrave les crises. Nous croyons qu’une aggravation de la crise minera la paix et la sécurité internationales, au lieu de les préserver. À cet égard, nous saluons l’initiative récente de la Fédération de Russie de parrainer un dialogue entre Syriens à Moscou en vue de trouver une solution à la crise.

Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole aux membres du Conseil de sécurité.

Mme Rodham Clinton (États-Unis d’Amérique) (parle en anglais) : Je voudrais tout d’abord remercier le Premier Ministre Hamad bin Jassim et le Secrétaire général Elaraby de leurs exposés détaillés.

La Ligue des États arabes a fait preuve d’un très grand leadership dans cette crise. Depuis de nombreux mois, la population de la région et le monde assistent avec effroi à la campagne de violence menée par le régime du Président Al-Assad contre ses propres citoyens. Les civils sont exécutés dans la rue, les femmes et les enfants torturés et tués – nul n’est à l’abri, pas même le personnel du Croissant-Rouge arabe syrien. D’après les chiffres fournis par l’ONU, plus de 5 400 civils sont déjà morts et le bilan s’alourdit rapidement. Le régime continue également de détenir de manière arbitraire des citoyens syriens, notamment les militants Yahia al-Shorbaji et Anas al-Shogre, simplement parce qu’ils revendiquent le droit à la dignité et des droits universels.

À ce jour, il existe des preuves flagrantes que les forces du Président Al-Assad sont à l’origine de la quasi-totalité des attaques tuant des civils. Or, comme de plus en plus de citoyens prennent les armes pour résister à la brutalité du régime, les risques d’assister à une escalade incontrôlable de la violence se multiplient. Les défis qui se dressent devant les Syriens sont déjà redoutables : une économie qui s’écroule, la montée des tensions sectaires, et un foyer d’instabilité au cœur du Moyen-Orient.

Les craintes que suscite l’après-Al-Assad, en particulier au sein des communautés minoritaires en Syrie, sont compréhensibles. De fait, il semble que M. Al-Assad et ses acolytes s’acharnent à monter les groupes ethniques et religieux syriens les uns contre les autres, au risque de plus grandes violences sectaires et de précipiter le pays dans une guerre civile.

Face à la répression violente opposée aux contestations et aux manifestations pacifiques, la Ligue des États arabes a lancé une action diplomatique sans précédent, envoyant des observateurs dans les villes assiégées de Syrie et donnant au Président Al-Assad de nombreuses occasions de changer de cap. Ces observateurs ont été accueillis par des milliers de manifestants désireux de faire part de leurs aspirations à l’exercice de leurs droits universels et de raconter ce qui leur était arrivé, à eux et à leur famille. Mais comme il est clairement indiqué dans le rapport de la Ligue des États arabes – à condition de lire ce document dans son intégralité –, le régime n’a pas tenu ses engagements ni tenu compte de la présence des observateurs et a au contraire répondu par une violence excessive et croissante.

Ces derniers jours, les forces de sécurité du régime ont intensifié leurs attaques, pilonnant des zones civiles et des habitations dans de nouvelles villes. Ce week-end, la Ligue des États arabes a suspendu sa mission d’observation, en raison de l’intransigeance du régime et du nombre de plus en plus élevé de victimes civiles.

Pourquoi la Ligue des États arabes s’adresse-t-elle aujourd’hui au Conseil de sécurité ? Parce qu’elle attend l’appui de la communauté internationale à une solution négociée, pacifique et politique à cette crise et à une transition démocratique en Syrie. Nous avons tous un choix à faire. Nous pouvons soutenir la population syrienne et la région ou devenir des complices des violences qui continuent d’être perpétrées dans ce pays.

Les États-Unis exhortent le Conseil de sécurité à approuver la demande de la Ligue des États arabes que le Gouvernement syrien cesse immédiatement toutes les attaques contre les civils et garantisse le droit de manifester librement et de manière pacifique. En application du plan de la Ligue des États arabes, la Syrie doit également libérer toutes les personnes détenues de manière arbitraire, faire rentrer les soldats et les forces de sécurité dans leurs casernes, et garantir un accès total et sans entrave aux observateurs, aux travailleurs humanitaires et aux journalistes. Nous exhortons le Conseil de sécurité à appuyer l’appel de la Ligue des États arabes à un processus politique sans exclusive conduit par les Syriens pour répondre véritablement aux aspirations et aux préoccupations légitimes du peuple syrien, dans un climat exempt de violence, de peur, d’intimidation et d’extrémisme.

Je sais que certains membres ici présents craignent que le Conseil de sécurité ne se dirige ainsi vers une situation semblable à celle de la Libye. Cette analogie est fausse. La situation de la Syrie est particulière et appelle une approche spécifique à ce pays, adaptée à la situation sur place. C’est exactement ce que propose la Ligue des États arabes : un moyen de parvenir à une transition politique qui préserve l’unité et les institutions syriennes. Ce n’est peut-être pas exactement le plan que nous aurions nous-mêmes conçu. Je sais que ce sentiment est partagé par de nombreux pays. Mais ce plan représente la meilleure solution qu’ont pu imaginer les pays voisins de la Syrie pour trouver une issue, et il faut lui donner une chance.

Je pense que ce serait une erreur de minimiser ou de sous-estimer l’ampleur des défis qui attendent les Syriens pour instaurer l’état de droit et bâtir une société civile sur les ruines d’une dictature violente et discréditée. Cela sera difficile. Les résultats sont loin d’être garantis. Le succès est loin d’être garanti. Mais l’autre solution – le maintien du régime violent du Président Al-Assad – n’en est pas une.

Nous savons tous que les choses vont changer en Syrie. Malgré ses tactiques impitoyables, le règne de la terreur du régime du Président Al-Assad prendra fin et les Syriens pourront décider eux-mêmes de leur sort. La question que nous devons nous poser est la suivante : combien de civils innocents devront encore mourir avant que le pays puisse se diriger vers l’avenir qu’il mérite ?

Malheureusement, il semble que plus cela durera, plus la reconstruction sera difficile une fois que le Président Al-Assad et son régime se seront retirés et qu’un système nouveau et meilleur aura pris leur place. Des Syriens, dans le pays et à l’étranger, ont commencé à planifier la transition démocratique, qu’il s’agisse du Conseil national syrien ou des courageux conseils populaires locaux constitués dans tout le pays et qui s’organisent dans un contexte extrêmement dangereux et difficile. Cependant, chaque jour qui passe rend leur tâche plus difficile.

L’avenir de la Syrie en tant que pays fort et uni dépend de la capacité de contrecarrer une stratégie cynique fondée sur le principe « diviser pour mieux régner ». Il faudra que tous les Syriens œuvrent de concert – les alaouites et les chrétiens main dans la main avec les sunnites et les druzes, côte à côte avec les Arabes et les Kurdes – pour s’assurer que la nouvelle Syrie sera gouvernée par l’état de droit, qu’elle respectera et protégera les droits universels de chaque citoyen, quelle que soit son appartenance ethnique ou religieuse, et s’attaquera au problème de la corruption généralisée qui caractérise le régime du Président Al-Assad. Pour que cela fonctionne, les minorités syriennes devront contribuer à forger l’avenir de la Syrie, et leurs droits et leurs voix devront être pris en compte, protégés et respectés.

Aujourd’hui, je tiens à m’adresser à elles directement pour leur dire : « Nous comprenons vos craintes et nous respectons vos aspirations. Ne laissez pas le régime actuel vous utiliser pour faire durer cette crise ». Les chefs d’entreprise syriens, les hauts gradés et les responsables d’autres institutions devront prendre conscience que leur avenir dépend de l’État et non du régime. La Syrie appartient à ses 23 millions de citoyens, et non à un seul homme ou à une seule famille. Il est encore possible d’apporter des changements sans démanteler l’État ou faire naître une nouvelle tyrannie. Il est temps que la communauté internationale mette de côté ses divergences et envoie un message de soutien clair au peuple syrien.

L’autre solution – ne pas accéder à la demande de la Ligue des États arabes, abandonner le peuple syrien et encourager le dictateur – aggraverait cette situation tragique, marquerait notre incapacité d’assumer notre responsabilité commune et ébranlerait la crédibilité du Conseil de sécurité.

Les États-Unis sont prêts à travailler avec chaque membre présent dans cette salle en vue d’adopter une résolution appuyant les efforts de la Ligue des États arabes, car ces efforts sont bien pensés et visent à mettre fin à cette crise, à garantir le respect des droits des Syriens et à rétablir la paix en Syrie. Tel est l’objectif de la Ligue arabe, tel doit être l’objectif du Conseil de sécurité – aider le peuple syrien à matérialiser l’avenir auquel il aspire.

M. Juppé (France) : Nous sommes réunis aujourd’hui pour que le Conseil de sécurité prenne ses responsabilités face à un peuple qui souffre, dans une région où la paix est menacée par la dérive sanglante d’un régime à bout de souffle. Le silence du Conseil de sécurité depuis des mois n’est plus acceptable. C’est l’honneur de la Ligue arabe de venir l’adjurer aujourd’hui de se reprendre. La France appelle donc solennellement le Conseil à être à la hauteur de la mission que lui confie la Charte des Nations Unies, en se portant au secours d’un peuple et d’une région qui ne veulent que la paix et le respect de leur dignité.

La Ligue arabe a agi, elle est allée au bout de ce qu’elle peut faire pour répondre aux exigences de la situation : suspension de la Syrie de la Ligue, envoi d’une mission d’observateurs, définition d’un plan de transition politique. Je veux saluer l’engagement courageux de la Ligue dans le conflit syrien. Je veux saluer la présence parmi nous de son secrétaire général, Nabil Elaraby, et du Premier Ministre du Qatar, Hamad bin Jassim, et les remercier pour la présentation qu’ils viennent de nous faire. Je veux saluer aussi la décision du Royaume du Maroc de porter devant nous le projet de résolution que la France soutient pleinement. Je veux enfin saluer l’effort collectif de tous les États de la Ligue arabe. J’ai bien conscience que les décisions sur la situation en Syrie sont particulièrement difficiles à prendre et à mettre en œuvre pour certains d’entre eux, ne serait-ce que du fait de leur proximité géographique avec Damas.

Aujourd’hui, je le répète, nous nous réunissons pour que cesse le silence, que j’ai qualifié de scandaleux, du Conseil. Et je dis bien scandaleux. Je veux essayer d’expliquer l’usage de cet adjectif.

Quelle est la situation aujourd’hui en Syrie ? Un peuple s’est levé pour défendre sa liberté. Les mots ne suffisent plus pour décrire l’horreur d’une répression sauvage. Dire qu’elle se dégrade, qu’elle est dramatique ne permet pas d’approcher la réalité : 5 400 morts selon l’ONU, 384 enfants assassinés selon l’UNICEF, 15 000 prisonniers, 15 000 réfugiés, la torture au quotidien.

J’ai depuis longtemps qualifié certaines actions du régime de crimes contre l’humanité. La Commission d’enquête internationale du Conseil des droits de l’homme est venue confirmer cette qualification. Au-delà de ces chiffres, ce sont des visages d’enfants torturés, des corps de femmes violentées, des milliers d’êtres humains victimes de la répression qui doivent guider notre action. La situation humanitaire se dégrade chaque jour un peu plus. Jusqu’à quel degré d’horreur faudra-t-il arriver pour que le Conseil exige une cessation des violations des droits de l’homme et le libre accès de l’assistance humanitaire ?

Chaque État a la responsabilité de protéger sa population civile. Non content de ne pas protéger sa population, le régime syrien la massacre sans retenue, de manière honteuse. Ce comportement a des conséquences directes sur la paix et la sécurité internationales : des milliers de réfugiés fuient les combats, violations de la souveraineté des États voisins, tensions communautaires accrues, autant de répercussions directes sur la stabilité d’une région qui est déjà fragile. Sans même évoquer la responsabilité de protéger, ces conséquences régionales suffisent à établir la responsabilité du Conseil.

Comment celle-ci pourrait-elle prêter à discussion ? La France n’a eu de cesse d’appeler à des décisions du Conseil, d’y travailler, de les soumettre au vote. Sans succès, si l’on met de côté la déclaration présidentielle S/PRST/2011/16 du 3 août. Est-ce acceptable ? Je ne le pense pas. Est-ce scandaleux ? J’en suis convaincu.

Bien entendu, nous avons poursuivi notre action en dépit de ce silence. Par 11 fois, l’Union européenne a alourdi les sanctions qui pèsent sur le régime et sur ses protagonistes. La France y a beaucoup œuvré. Nous avons établi des liens avec l’opposition pacifique. J’ai rencontré, à plusieurs reprises, les dirigeants du Conseil national syrien qui est pour nous un interlocuteur légitime et dont je salue les efforts d’unification de l’opposition.

Mais notre action, quelque déterminée qu’elle soit, celle de l’Union européenne, celle de la Ligue arabe, ne peuvent pas remplacer celle du Conseil. Par la légitimité que lui donne la Charte des Nations Unies, c’est lui qui peut exprimer avec autorité la volonté de la communauté internationale. Le Conseil de sécurité est la clef de voûte de la paix et de la sécurité internationales. Pour le rester, il est de son devoir de se prononcer sur des cas aussi graves que la Syrie.

Comment ? En adoptant rapidement et avec un large soutien le projet de résolution présenté par le Maroc. Ce texte apporte le soutien du Conseil à la Ligue arabe qui, forte de l’implication cruciale des acteurs régionaux, est aujourd’hui la seule à offrir une perspective réaliste de sortie politique.

Deux éléments sont pour moi essentiels dans ce texte. D’abord, il condamne sans équivoque la répression à laquelle se livre le régime, sans tomber dans le piège d’un pseudo-parallélisme entre celle-ci et les actions des opposants sur le terrain. Car si une minorité a recours à l’action violente, c’est à mains nues face à la violence aveugle du régime que l’écrasante majorité des Syriens descend chaque jour courageusement dans la rue. C’est avec beaucoup de respect que nous devons nous incliner devant ces femmes et ces hommes, devant ces Syriens qui chaque jour marchent pour leur liberté en sachant qu’une balle de la répression peut les tuer à tout moment.

De la même façon, je voudrais, puisque ceci a été évoqué, m’incliner à la mémoire de Gilles Jaquier, le journaliste français mort dans l’exercice de ses fonctions. Je ne permettrai pas qu’on instrumentalise ce décès. Il revenait aux autorités syriennes de lui accorder toute la protection nécessaire. Je comprends que cela n’a pas été le cas. Quant au rapport de la mission d’observation (S/2012/71, pièce jointe no 4) dont nous disposons, qui nous a été distribué, il ne tranche pas véritablement sur l’origine des échanges de tirs qui ont causé la mort de mon compatriote. Certes, la mission indique que le journaliste a été tué par des tirs de mortier de l’opposition mais cette thèse n’est pas endossée par la Ligue arabe et nous attendons toujours que les autorités syriennes fassent toute la lumière sur cet épisode.

Le deuxième élément essentiel du projet de la Ligue arabe, c’est qu’il apporte le soutien du Conseil à l’initiative de la Ligue dans ses trois volets principaux : l’exigence d’un arrêt de la violence ; la demande du libre accès des observateurs ; et, surtout, pour la première fois, la définition d’un processus politique crédible de transition. Il appartiendra à la Ligue arabe de la mettre en œuvre. Notre responsabilité est de l’y aider, en adressant au régime syrien le message clair que la communauté internationale est unie derrière les efforts arabes.

Certes, nous aurions voulu pour notre part que le Conseil aille plus loin. Mais nous avons besoin d’une réponse rapide qui ouvre enfin une perspective de sortie de cette crise épouvantable. Nous sommes donc prêts à voter dès maintenant le texte proposé par le Maroc.

Certains évoquent parfois la comparaison avec le conflit en Libye. C’est un pur prétexte. Il y aurait à les en croire un plan visant à aboutir à une intervention militaire en Syrie. C’est une chimère. Rien, absolument rien, dans le projet de résolution diffusé aux membres du Conseil par le Représentant permanent du Maroc, ne peut être interprété comme une autorisation de recours à la force. Ce projet n’est pas placé sous le Chapitre VII. Nous ne préparons pas d’opération militaire.

La tragédie que vit le peuple syrien suffit amplement à expliquer notre action. Notre objectif est simple : trouver une sortie de crise pacifique qui permette à ce peuple d’exprimer librement ses aspirations. Au peuple syrien, à ces différentes composantes, et à personne d’autre, nous n’avons nulle intention d’imposer de l’extérieur un quelconque régime politique. C’est aux Syriens qu’il appartiendra de le faire librement. La Ligue arabe offre la seule perspective viable pour parvenir à cet objectif. Saisissons-là. Dépassons nos différends, soutenons le plan qui nous est aujourd’hui présenté. Soyons à la hauteur de nos responsabilités, du devoir politique et moral que nous impose le soulèvement pacifique du peuple syrien inspiré par l’élan des printemps arabes.

Il n’y a plus de temps à perdre. En moins d’un an, la répression a fait plus de 5 000 morts. Chaque semaine perdue se traduit par des centaines de morts supplémentaires ; chaque jour perdu se traduit par des dizaines de nouveaux morts. À la mémoire de toutes les victimes, j’exhorte les membres du Conseil à voter sans attendre ce texte pour que s’enclenche un processus politique qui permette de mettre un terme au cauchemar syrien.

M. Hague (Royaume-Uni) (parle en anglais) : Je remercie moi aussi le Premier Ministre du Qatar et le Secrétaire général de la Ligue des États arabes de leurs rapports et de leurs paroles fortes, et nous vous savons tous gré, Monsieur le Président, de présider le présent débat.

Notre tâche au Conseil est claire : nous devons réagir face à la violence effroyable dans laquelle a sombré la Syrie ces 10 derniers mois, une tragédie absolue pour la population de ce pays et une menace réelle à la paix et à la sécurité internationales. En outre, nous devons le faire d’une manière qui multiplie le plus possible les chances d’une solution pacifique et durable. La Ligue des États arabes a proposé un moyen d’y arriver et elle mérite à cet égard notre appui et nos félicitations. Son plan est au cœur du projet de résolution présenté par le Royaume du Maroc, avec l’appui du Royaume-Uni et, si je ne me trompe, de la majorité des membres du Conseil de sécurité.

Pleinement mis en œuvre, le plan de la Ligue arabe permettrait de mettre fin à tous les actes de violence commis à l’encontre des civils syriens et à toutes les attaques menées contres les institutions de l’État. Ce plan lèverait les principaux obstacles à la réforme et redonnerait confiance au peuple syrien. Il lancerait un processus politique sans exclusive mené par les Syriens, qui permettrait au peuple syrien de décider pacifiquement de son avenir et ouvrirait la voie à la formation d’un gouvernement d’unité nationale et à la tenue d’élections.

La Syrie a besoin de trouver une voie lui permettant de mettre fin au conflit et à ses souffrances. Avec ce plan, la Ligue arabe lui offre une issue crédible et viable. Cette proposition, la Ligue l’a faite après trois mois de contacts avec toutes les parties syriennes, comme l’a détaillé le Secrétaire général de la Ligue ; après de multiples visites effectuées par des délégations ministérielles de pays arabes à Damas ; sur la base des travaux de plus de 150 observateurs de la Ligue arabe dépêchés en Syrie ; et à la lumière de sa profonde compréhension des réalités de sa région.

Le monde arabe demande maintenant au Conseil de sécurité d’appuyer ce plan de tout son poids et de toute son autorité. L’Ouest n’est pas en train de dicter à la Syrie sa conduite. Les membres permanents du Conseil de sécurité ne sont pas en train d’essayer d’imposer leur point de vue. Ce sont les pays arabes qui demandent au Conseil de sécurité de les aider à régler la crise syrienne et à faire face à la menace qu’elle représente pour la stabilité de leur région. Le Secrétaire général de la Ligue arabe est venu ici personnellement nous demander de ne pas abandonner le peuple syrien à sa détresse.

Les membres du Conseil ont souvent réclamé un leadership arabe, et ce leadership aujourd’hui doit être respecté par tous les pays du monde. Y a-t-il un membre du Conseil qui puisse prétendre aujourd’hui être mieux placé que les pays arabes eux-mêmes pour savoir comment encourager la paix et la stabilité en Syrie ?

Le projet de résolution ne propose pas d’imposer de l’extérieur le changement en Syrie ; il demande que le peuple syrien soit autorisé à faire ses propres choix. Il n’appelle pas à une action militaire et ne pourra être utilisé pour autoriser une telle action. De fait, le Secrétaire général a clairement indiqué que le plan de la Ligue arabe ne prévoit aucune intervention extérieure. Il ne contient pas de mesures de coercition. Il ne s’agit pas d’un projet de résolution relevant du Chapitre VII. Cependant, nous estimons qu’il doit faire comprendre aux autorités syriennes que le Conseil envisagera de prendre les mesures qui s’imposent s’il n’est pas mis immédiatement fin à la violence et si le plan de la Ligue arabe continue d’être passé outre. Cette mise en garde est importante. Voilà trop longtemps que le Gouvernement syrien promet des réformes tout en poursuivant les violences.

À tout moment, au cours des 10 derniers mois, le Gouvernement syrien aurait pu mettre fin aux massacres ; il aurait pu prendre l’initiative ; il aurait pu proposer des réformes audacieuses et durables répondant aux aspirations du peuple syrien à une plus grande liberté politique.

Mais les faits de ces derniers mois parlent d’eux-mêmes. Lorsque le Conseil a adopté une déclaration présidentielle sur la Syrie (S/PRST/2011/16) en août dernier, environ 1 000 personnes avaient été tuées. Lorsqu’un projet de résolution du Conseil de sécurité a été présenté et sanctionné par un veto en octobre (voir S/PV.6627), le bilan était déjà de 3 000 morts.

Aujourd’hui, nous estimons que près de 6 000 Syriens sont ainsi morts dans des circonstances horribles, dont 384 enfants, comme nous l’avons entendu. Chaque jour, entre 30 et 100 personnes meurent en Syrie suite aux violences. À l’heure même où nous parlons, des gens sont en train de mourir. Des milliers d’autres sont torturés, emprisonnés ou victimes de violences sexuelles, même des enfants sont violés.

Le représentant de la République arabe syrienne a évoqué l’idéalisme des enfants dans son pays dans les années 50 et 60, sans signaler que, ironie du sort, les descendants de ces enfants, les enfants de 2012, sont maintenant torturés et tués au nom de leur propre gouvernement. Il n’est pas acceptable de rejeter la faute de ce qui arrive en Syrie sur tout le monde, de l’ingérence étrangère aux États du Golfe, en passant par les diplomates français et Lawrence d’Arabie. Cela n’excuse pas une telle répression ni une telle violence, qui sont une honte pour n’importe quel pays.

Nous sommes au courant de ces crimes parce que leur existence a été établie par des instances impartiales des Nations Unies. Pendant combien de temps les familles syriennes devront-elles vivre dans la peur que leurs enfants soient torturés ou tués avant que le Conseil de sécurité n’adopte une résolution digne de ce nom ? Combien de personnes devront mourir avant que les consciences de toutes les capitales du monde ne soient touchées par cette situation ?

Le peuple syrien ne peut pas se permettre le luxe d’attendre alors que les fausses promesses et les mesures timides de son gouvernement s’accompagnent de la violence dans la rue. Il n’y aura pas de réforme ni de progrès politique en Syrie tant que cette violence se poursuivra. Il ne fait aucun doute que les violences s’intensifient ; que le risque d’une guerre civile s’accroît ; et que la menace à la stabilité de la région devient de plus en plus grave.

Plus le temps passe, plus il sera difficile de faire marche arrière pour ne pas tomber dans le gouffre, et des vies innocentes seront inutilement et injustement sacrifiées – des morts que le Conseil pourrait permettre d’éviter s’il était uni dans l’action.

Je crois comprendre qu’aujourd’hui, nous tous autour de cette table convenons que le Conseil de sécurité a un rôle à jouer. Nous voulons tous une solution politique pacifique garantissant la stabilité, la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie. Nous convenons tous que ce processus doit être dirigé par le peuple syrien lui-même, avec l’appui de la région et de la communauté internationale. Nous convenons tous que les droits des minorités en Syrie doivent être protégés et respectés. Nous convenons tous qu’une action militaire ne serait pas la bonne réponse à apporter à la situation complexe qui règne en Syrie ; d’ailleurs, le projet de résolution est tout à fait clair à ce sujet. Et nous saluons tous le travail réalisé par la Ligue arabe. Par conséquent, puisque nous sommes d’accord sur tous ces points, nous devons maintenant avoir la volonté de sceller ce consensus par un accord sur un projet de résolution.

Tandis que nous sommes réunis, des crimes extrêmement graves sont en train d’être commis en Syrie. Dans une très large mesure, les autorités syriennes sont responsables de ces crimes. Mais si le Conseil ne parvient pas à se mettre d’accord sur l’adoption d’une résolution condamnant la violence, soutenant la Ligue arabe et ouvrant la voie à un règlement pacifique, le Conseil devra répondre de cet échec devant le peuple syrien et les peuples de la région.

Nous devons nous rallier au plan de la Ligue arabe, et j’exhorte les membres du Conseil à le faire cette semaine. Nous devons rester saisis de la situation en Syrie et examiner de nouveau cette question si les violences se poursuivent. Ne pas le faire reviendrait à compromettre la crédibilité de cette institution, à trahir le peuple syrien, à mépriser la Ligue arabe et à manquer aux responsabilités qui sont celles du Conseil.

M. Caballeros (Guatemala) (parle en espagnol) : Je voudrais commencer mon intervention sur une note personnelle. Je représente le Gouvernement du Président Otto Pérez Molina, qui a pris ses fonctions il y a à peine deux semaines. Ma présence aujourd’hui reflète notre attachement à l’Organisation des Nations Unies et notre volonté de nous acquitter de façon responsable de nos fonctions en tant que nouveau membre élu du Conseil. Nous sommes animés par la volonté sincère de rechercher le consensus dans l’intérêt du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Nous nous félicitons de la convocation de cette réunion importante en réponse à la demande faite par la Ligue des États arabes dans sa lettre du 22 janvier adressée au Secrétaire général Ban Ki-moon (S/2012/71).

Nous nous félicitons particulièrement de la présence de M. Nabil Elaraby, Secrétaire général de la Ligue des États arabes, et de S. E. le cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, Président de la session en cours du Conseil de la Ligue arabe au niveau ministériel. Nous les remercions des informations qu’ils nous ont fournies. Nous avons également suivi avec beaucoup d’attention la déclaration faite par l’Ambassadeur Bashar Ja’afari de la République arabe syrienne.

Outre les informations livrées aujourd’hui, nous avons également pris connaissance des décisions adoptées par le Conseil des ministres de la Ligue arabe au cours des dernières semaines, du protocole signé par la Ligue des États arabes et le Gouvernement syrien le 19 décembre 2011 et du texte du rapport préparé par le chef de la mission d’observation, le général Mustafa Al-Dabi. Tout ceci nous a permis de mieux apprécier la situation sur le terrain et a également contribué à accroître notre préoccupation face à une situation qui, manifestement, se détériore. Les événements survenus ces derniers jours et la décision de la Ligue des États arabes de suspendre sa mission ne laissent pas de nous inquiéter davantage.

Encore une fois, le Conseil se prépare éventuellement à gérer, au nom de la communauté des nations, les changements surprenants qui se produisent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Comme tout changement, surtout lorsqu’il émane des bases de la société, son issue n’est guère prévisible. On a coutume de dire que ces changements incombent uniquement et exclusivement aux citoyens de chaque pays, mais il est indéniable, et les faits le prouvent, que cette vague de changements ne connaît pas de frontières, et que ce qui se produit dans un pays donné a des répercussions sur les autres. C’est ce qui explique la présence de la Ligue des États arabes dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui, à savoir la situation en Syrie.

Nous avons écouté avec attention les différents narratifs relatifs à cette question qui prétendent notamment assigner divers degrés de responsabilité à différents acteurs internes et externes. Alors qu’il est difficile de savoir ce qui est véritablement en train de se passer en raison du manque d’accès aux moyens de communication sociale et en dépit de la présence, il y a quelques jours encore, de la mission d’observateurs, deux réalités émergent : premièrement, le nombre croissant de morts et, en règle générale, les souffrances de la population ; et deuxièmement, l’escalade de la violence qui fait pointer la possibilité bien réelle d’une guerre civile en Syrie. Il importe donc de mettre immédiatement fin à la violence et d’inverser la tendance vers une aggravation de la situation.

Il faut féliciter la Ligue des États arabes d’être en première ligne des efforts qui visent ces deux objectifs. Nous appuyons également l’initiative prise par cette organisation de chercher ce qu’elle-même qualifie de « solution arabe » à la crise. Notre délégation est prête à aider la Ligue des États arabes à réaliser cette solution dont les premiers objectifs sont de nature humanitaire mais s’inscrivent également dans une initiative plus large axée sur la recherche d’une solution politique définitive. D’aucuns se demandent si cette initiative est bien réaliste alors que le Gouvernement de la République arabe syrienne l’a immédiatement rejetée. Quant à nous, nous sommes disposés à donner à la Ligue des États arabes la possibilité de poursuivre son initiative pendant un temps donné.

Si cette initiative ne donne pas de résultat, nous croyons – que cela nous plaise ou non – que nous manquerions à nos obligations si nous laissons une situation aussi grave se détériorer encore davantage, avec les répercussions internes et internationales prévisibles sur la paix et la sécurité. Nous sommes bien conscients des graves dilemmes que cela pose. La non-intervention dans les affaires internes d’autres pays et le respect de leur intégrité territoriale sont des principes cardinaux de notre politique extérieure, mais nous reconnaissons également que tous les États se doivent d’observer certaines normes de conduite face à leurs populations respectives.

Nous comprenons que l’on ne saurait comparer les demandes pacifiques des populations à un gouvernement qui recourt à la force face à ces mêmes demandes. C’est pourquoi, alors que le principe de la responsabilité de protéger est remis en cause, nous n’avons pas honte d’affirmer qu’en dépit de certaines réserves que nous avons pu formuler, nous appuyons ce principe. Nous sommes loin de préconiser une intervention. Ce que nous exigeons, c’est le respect rigoureux des normes de conduite que j’ai mentionnées. Au contraire, le gouvernement qui viole ces normes de manière flagrante s’expose bien évidemment à des conséquences, des conséquences dont la teneur et la portée ouvrent la porte à de nombreuses options.

Bref, nous appelons toutes les parties à faire un dernier effort pour trouver une issue à la crise syrienne. L’initiative de la Ligue des États arabes, ou ses variantes, offre cette possibilité. Si l’escalade de la violence, qui a pris une ampleur dramatique ces derniers jours, se poursuit, le Conseil n’aura guère d’autre choix que d’exercer sa propre responsabilité, conformément à la Charte.

M. Portas (Portugal) (parle en anglais) : Je vous remercie, Monsieur le Président, d’avoir organisé cette importante séance. Je souhaite la bienvenue au Conseil à S. E. le cheik Hamad Al-Thani, Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères du Qatar, et à M. Nabil Elaraby, Secrétaire général de la Ligue des États arabes. Je les remercie également pour leurs exposés complets et très utiles, et salue les efforts inlassables qu’ils déploient pour régler la crise syrienne.

J’ai décidé de participer à cette séance du Conseil de sécurité pour la simple raison que ce qui se passe en Syrie est si grave, que l’inaction de la communauté internationale est si choquante, qu’une solution arabe est si urgente et qu’une décision de l’ONU est si cruciale que je me suis senti obligé de participer à ce débat et de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour transformer cette impasse en solution, cette hésitation en détermination.

La situation en Syrie est tout à la fois inacceptable et intenable. Depuis 10 mois, nous assistons à une répression plus brutale contre les civils et à des violations flagrantes et systématiques de leurs droits fondamentaux. La brutalité des autorités syriennes a fait des milliers de morts et des milliers de personnes sont blessées, emprisonnées et torturées. Les autorités syriennes ont manifesté leur mépris des droits fondamentaux de l’homme et leur réticence à protéger leur population. Selon l’UNICEF, près de 400 enfants ont perdu la vie en Syrie, ce qui illustre clairement le niveau des atrocités commises.

Le peuple syrien, inspiré par ses frères dans d’autres pays arabes, aspire simplement à faire entendre sa voix et à préparer la voie à une société démocratique. Il le fait d’une manière pacifique et sans armes et on lui répond par des tirs, des passages à tabac et des arrestations. Ces victimes et leur famille méritent notre solidarité tout entière. Tant que cette violence meurtrière se poursuit, la situation en Syrie continuera sa spirale dangereuse vers une guerre civile, ce qui compromettrait gravement la paix et la sécurité dans la région.

Et pourtant, le Conseil de sécurité n’a pas été en mesure de s’acquitter pleinement de ses responsabilités vis-à-vis de la Syrie et du peuple syrien, ni d’assumer son rôle d’organe principal chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Je voudrais être clair. Ce qu’on répète depuis 10 mois – à savoir que le choix en Syrie était entre l’inaction et la guerre civile – ne tient pas compte de ce que nous voyons, entendons et lisons tous les jours. Le pays sombre dans la guerre civile. La véritable option qui existe aujourd’hui, c’est entre une escalade du conflit ou une solution politique contrôlée et négociée.

Le Portugal appuie sans réserve les efforts déployés par la Ligue des États arabes pour trouver une solution pacifique à la crise syrienne qui mette fin à la violence et favorise la mise en œuvre d’un véritable processus politique qui instaurera une Syrie libre et démocratique. Nous nous sommes félicités du déploiement de la mission d’observateurs arabes et de la décision de proroger son mandat. Malgré le déploiement de cette mission, le régime continue d’opprimer violemment les voix pacifiques des dissidents et de violer les droits de l’homme de manière systématique et flagrante, comme le signale la commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme.

Les récits de la Commission sont horrifiants, et tous les responsables de ces violations et sévices brutaux devront répondre de leurs actes. Mon pays est atterré par l’assassinat la semaine dernière d’un représentant du Croissant-Rouge arabe syrien. Nous réitérons fermement que cibler délibérément des travailleurs humanitaires est tout simplement une forme de barbarie.

En s’obstinant à ne faire aucun cas des nombreux appels leur enjoignant de mettre fin à cette répression sanglante, les autorités syriennes ont alimenté l’escalade de la situation et la violence. Pourtant, nous sommes certains que, malgré la répression dont il est victime, le mouvement d’opposition syrien préservera la nature pacifique de ses objectifs légitimes.

Je ne saurais trop insister sur la nécessité de mettre fin immédiatement à toute violence. Il est également urgent de lancer un processus politique sérieux qui mènera à la mise en place d’un système politique démocratique et pluraliste au sein duquel tous les citoyens, indépendamment de leurs opinions, de leur ethnie ou de leurs croyances, seront traités sur un pied d’égalité et pourront concrétiser leurs aspirations légitimes.

Il y a quelques mois, le Président Al-Assad a annoncé des réformes. Mais il n’a tenu aucune de ces promesses et n’a pas non plus respecté les engagements qu’il avait pris auprès de la Ligue des États arabes. Dans de telles situations, le principe ancien qui consiste à se satisfaire de menus changements afin que tout reste en place n’est pas applicable. Au contraire, l’enseignement retenu de l’histoire est le suivant : l’absence de réforme suscitera la révolution.

Le Portugal demeure attaché à la souveraineté, à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de la Syrie. Plus la crise durera, plus les cicatrices qu’elle laissera dans la société syrienne seront profondes.

Mon pays attache une grande valeur au rôle des organisations régionales et aux contributions qu’elles apportent à la paix et à la sécurité. Nous estimons que la Ligue des États arabes est la mieux placée pour prendre la tête des efforts visant à régler une crise qui comporte des menaces et des risques directs pour nombre de ses États membres.

Comme je l’ai affirmé, nous appuyons pleinement les efforts de la Ligue des États arabes. Nous avons appuyé sans hésiter sa demande tendant à la convocation de la présente séance. Nous appuyons résolument la décision prise par la Ligue le 22 janvier et la feuille de route qu’elle contient, qui offre la seule option viable en vue d’établir un dialogue politique crédible entre tous les Syriens et de favoriser une transition politique pacifique.

Nous demandons instamment à toutes les parties, toutes les factions et tous les acteurs syriens de répondre favorablement à cette proposition. Le Portugal souscrit pleinement à la nécessité de former un gouvernement d’unité nationale et prie instamment le Président Al-Assad de déléguer toute son autorité à son second afin de procéder à une transition politique pacifique conforme aux objectifs dont le Premier Ministre du Qatar a souligné l’importance.

En bref, le Portugal appelle tous les membres du Conseil à ne pas tourner vers la Syrie un regard voilé par le passé et les divisions anciennes. Ce qui est en jeu en Syrie est une initiative arabe visant à régler un problème qui est avant tout arabe. C’est une crise que le monde et l’ONU ne sauraient négliger. Tous les membres du Conseil doivent apprécier l’initiative de la Ligue des États arabes car aucun membre du Conseil n’apprécie les massacres quotidiens perpétrés en Syrie.

L’inaction est non seulement inacceptable, mais également irresponsable. Il est plus que temps d’assumer nos responsabilités et de répondre aux revendications légitimes du peuple syrien ainsi qu’aux attentes des pays de la région. Nous devons nous unir pour délivrer un message ferme et clair aux autorités syriennes. Il y va également de la crédibilité du Conseil de sécurité. Nous devons signifier très clairement aux autorités syriennes que les tueries doivent cesser et qu’une solution politique doit être recherchée, sur la base des propositions de la Ligue des États arabes.

C’est pour ces raisons que le Portugal félicite le Maroc de présenter un projet de résolution axé sur la réalisation de ces objectifs. Nous continuerons de collaborer de bonne foi avec tous les membres du Conseil en vue d’adopter rapidement ce projet de résolution. La situation en Syrie a déjà causé des troubles importants à ses voisins. Je tiens, à cet égard, à exprimer la vive reconnaissance de mon pays aux pays de la région – en particulier la Turquie – qui fournissent une assistance à ceux qui fuient la violence, la persécution et la répression.

Néanmoins, soyons clairs. Si nous n’agissons pas, non seulement nous condamnons le peuple syrien à continuer de subir la violence et la répression, mais nous aggravons également les menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité de la région tout entière. Il n’y a plus de temps à perdre.

Il y a un an, le peuple tunisien a lancé une vague qui a rapidement changé la face du monde arabe. Après des décennies de silence et de crainte, des citoyens ordinaires ont brisé les chaînes de la peur. Ils ont retrouvé leur voix, sont bravement descendus dans la rue et se sont fait entendre. Ils se sont battus pour la liberté et l’égalité et pour faire valoir leur droit de bâtir un État démocratique et leur droit à une nationalité. Ils ont refusé de se soumettre. Ce sont également les aspirations du peuple syrien, qui refuse lui aussi de se soumettre à une force brutale et disproportionnée.

Le Président Roosevelt a cité parmi ses quatre fameuses libertés la liberté de vivre à l’abri de la peur. Nous avons le devoir d’aider le peuple syrien à se libérer de la peur dans laquelle il vit quotidiennement. Pour mettre un terme aux tueries et favoriser un règlement pacifique de la situation, nous devons agir, et agir maintenant. Comme l’a dit Dostoïevski, « vivre sans espoir revient à cesser de vivre ». Il nous incombe de donner espoir au peuple syrien et de le protéger.

M. Amrani (Maroc) (parle en arabe)  : Monsieur le Président, je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir convoqué cette importante séance du Conseil de sécurité. Je remercie également les autres membres du Conseil d’avoir donné au cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, Chef du Comité ministériel arabe sur la Syrie, et à S. E. M. , Secrétaire général de la Ligue des États arabes, l’occasion d’informer le Conseil sur la situation tragique en Syrie et sur les efforts déterminés que déploie la Ligue pour régler cette crise.

Ma délégation a écouté avec attention les deux exposés sur la crise dans le pays frère de la Syrie et sur les conséquences d’un affrontement qui fait des victimes innocentes, cause de graves souffrances à la population civile et force des familles à se déplacer au sein de la Syrie ou vers les pays voisins.

Nous avons notamment noté que ces deux représentants arabes ont souligné l’importance, l’utilité et la viabilité de l’initiative arabe en vue de régler la situation en Syrie et de jeter les bases d’une solution fondée sur le dialogue, la réconciliation et la concorde nationales. Nous avons également noté qu’ils appellent les membres du Conseil à approuver le plan arabe et à l’appuyer afin qu’il soit mis en œuvre au plus vite pour remédier à la situation de plus en plus douloureuse en Syrie. Le Conseil est resté trop longtemps silencieux. Il doit s’acquitter de ses responsabilités. Nous nourrissons l’espoir sincère que le Conseil de sécurité appuiera le plan de la Ligue des États arabes, et permettra ainsi à la Syrie de retrouver l’harmonie nationale, la tranquillité et la stabilité.

Le phénomène désormais bien connu sous le nom de Printemps arabe a mis en lumière les aspirations des peuples arabes à la consolidation de la démocratie et au respect des droits de l’homme ainsi qu’à une vie dans la dignité et la justice sociale. Face à ces exigences légitimes, les pays arabes ont réagi en fonction de leurs spécificités, de leurs capacités et de leur expérience respectives. En s’appuyant sur leur solidarité active avec ces aspirations, les pays arabes, par l’intermédiaire de la Ligue des États arabes ou de groupements sous-régionaux, ont contribué, lorsque cela s’avérait nécessaire, au règlement de crises inextricables, ce qui ne saurait être assimilé à de l’ingérence dans les affaires internes des pays concernés. Ces interventions ont été décidées en conformité avec les dispositions de la Charte des Nations Unies, laquelle appelle les organisations régionales à s’efforcer d’éviter qu’un conflit n’éclate ou ne s’envenime et à chercher à les régler par les moyens pacifiques disponibles, sans préjudice de la responsabilité qui incombe au premier chef au Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Au regard de l’escalade de la situation en Syrie et des milliers de victimes qu’elle a faites, de la multiplication des affrontements et de l’absence de dialogue entre les parties, la Ligue des États arabes a en conséquence pris l’initiative d’arrêter l’effusion de sang en envoyant une équipe d’observateurs chargée de surveiller la mise en œuvre par le Gouvernement syrien de ses engagements, et de protéger les civils syriens désarmés.

Le Maroc est au nombre des premiers pays qui ont contribué à la mission d’observation de la Ligue des États arabes, laquelle a eu accès à des zones où s’étaient produits des affrontements. Le Maroc a maintenu ses observateurs sur le terrain jusqu’à la fin de la semaine dernière, malgré les difficultés et les obstacles auxquels ils se sont heurtés dans l’exécution de leur mission humanitaire.

À cet égard, si nous applaudissons aux efforts consentis par les membres de cette mission, qui ont travaillé sans relâche dans des conditions très difficiles et dangereuses, nous comprenons pleinement les motivations et les raisons qui ont poussé les États du Conseil de coopération du Golfe à retirer leurs propres observateurs de la mission. Nous considérons également que la décision prise par la Ligue des États arabes de suspendre la mission était pleinement justifiée. Elle se fondait sur l’escalade dangereuse de la situation et sur le pari sécuritaire de la Syrie, qui est à l’origine d’un nombre croissant de victimes.

Nous estimons que la mission était une bonne occasion de mettre en place les conditions propices à l’apaisement nécessaire pour tourner la page et inaugurer une nouvelle ère exempte de violence. Cela étant, le Conseil de la Ligue des États arabes, lors de sa réunion ministérielle du 22 janvier, est arrivé, dans son analyse, à la conclusion que la mise en œuvre de certains engagements pris par la Syrie était insuffisante.

La présentation du rapport de la mission d’observation (S/2012/71, pièce jointe no 4) coïncide avec une grave escalade de la violence et une augmentation sans précédent du nombre de victimes, y compris des enfants, et parfois, des familles entières. Cela a conduit la Ligue des États arabes à réévaluer la situation et à lancer une initiative arabe portant sur tous les aspects de la crise. Il s’agit d’une démarche politique axée sur le non-recours à la force, sur le dialogue, sur la formation d’un gouvernement d’unité nationale et sur la préparation d’élections démocratiques.

Il est bon de rappeler que, à toutes les étapes des efforts menés par la Ligue des États arabes, les pays arabes ont systématiquement insisté sur les principes cardinaux suivants. Le premier est l’arrêt immédiat et complet de tous les actes de violence et du recours à la force, ainsi que la promotion du dialogue politique. Le deuxième principe vise à permettre au peuple syrien de réaliser ses aspirations légitimes grâce à la création d’institutions nationales. Le troisième est de préserver la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie, ainsi que la cohésion de sa société pluraliste. Enfin, le quatrième principe consiste à exclure toute intervention militaire étrangère.

Conformément au paragraphe 7 de la dernière décision en date du Conseil de la Ligue des États arabes, prise lors de sa réunion ministérielle du 22 janvier, et en sa qualité de membre arabe du Conseil de sécurité, le Maroc a présenté un projet de résolution qui bénéficie de l’appui des États Membres tant au sein du Conseil qu’à l’extérieur.

L’objectif de ce projet est en particulier d’obtenir l’aval du Conseil de sécurité à la feuille de route adoptée par la Ligue des États arabes afin de permettre un règlement politique de la crise en Syrie. Il est également d’obtenir l’appui du Conseil aux décisions de la Ligue qui visent à mettre un terme à tous les actes de violence et à l’effusion de sang en Syrie.

Nous espérons sincèrement que les négociations autour du projet généreront au sein du Conseil de sécurité un consensus pouvant servir de tremplin à un processus politique associant le Gouvernement syrien et l’opposition dans un dialogue sérieux et responsable, qui donne naissance à une ère nouvelle de la noble histoire du peuple fraternel syrien.

M. Link (Allemagne) (parle en anglais) : Je voudrais tout d’abord remercier S. E. le cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, ainsi que S. E. M. Nabil Elaraby, de leurs exposés. Je salue les efforts déployés par la Ligue des États arabes en vue du règlement de la crise en Syrie. Il était important que le Conseil les entende aujourd’hui.

Le Printemps arabe a montré que les peuples de la région veulent décider de leur avenir dans la paix, par la négociation et la discussion, et non sous la menace des armes ni dans une atmosphère de peur et de violence.

Plus de 10 mois se sont écoulés depuis que les événements de Dera’a et de Damas ont déclenché des manifestations pacifiques en Syrie contre le régime d’Al-Assad. Ce dernier a réagi par une répression violente de son propre peuple qui a fait des milliers de morts et qui se poursuit à ce jour. Cette violence doit cesser immédiatement. Le peuple syrien demande à jouir de la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, et à choisir librement ses dirigeants. Le Président Al-Assad a répondu en envoyant ses chars.

La Ligue des États arabes a entendu les appels des peuples de la région. Il y a trois mois, elle a élaboré, afin de régler cette crise, un programme de travail que le Gouvernement syrien s’est engagé à mettre en œuvre. Néanmoins, le régime Al-Assad ne s’est pas réellement conformé à cet accord : la violence n’a pas cessé, ceux qui ont été arrêtés n’ont pas tous été libérés, et l’armée ne s’est pas retirée des villes ou zones résidentielles. Au contraire, les violences commises par le régime se sont sensiblement accrues ces derniers jours. Cela a obligé la mission d’observation à suspendre ses activités. Le pays se trouve au bord de la guerre civile, ce qui risque d’être lourd de conséquences pour la paix et la stabilité dans la région.

Nous ne devons pas oublier que la majorité des manifestations en Syrie ont été presque exclusivement pacifiques, alors que la réaction des autorités a été excessive. Ces faits ont été consignés par la commission d’enquête internationale créée par le Conseil des droits de l’homme. C’est pourquoi nous préconisons également la création d’une commission d’enquête par le Conseil de sécurité.

Comme le conclut le rapport de la commission d’enquête (A/HRC/S-17/2/Add.1), les violations systématiques des droits de l’homme commises par le régime syrien résultent d’une politique délibérée de l’État. Des membres de l’armée et des forces de sécurité syriennes auraient commis des crimes contre l’humanité.

Le 22 janvier, la Ligue des États arabes a défini un cadre politique sur la marche à suivre qui prévoit la formation d’un gouvernement de transition. La Ligue des États arabes s’est adressée au Conseil pour demander de l’aide. Nous faisons donc écho à ses demandes, et appuyons pleinement son plan et tous les efforts qu’elle a déjà déployés. Nous devons saisir cette occasion. Il est temps maintenant que le Conseil de sécurité agisse. Le projet de résolution qui répond aux demandes formulées par la Ligue des États arabes est sur la table. Le texte est le produit d’une coopération fructueuse entre les membres du Conseil et les pays arabes, et a été présenté au Conseil par le Maroc. Il bénéficie de l’appui total de l’Allemagne.

Nous devons œuvrer en faveur d’une solution politique, avec une appropriation régionale. Nous ne devons pas fermer les yeux sur la répression actuelle : nous le devons au peuple syrien. Il y va de notre responsabilité en tant que membres du Conseil de sécurité. Les pays du monde entier, en particulier ceux de la région, ont exprimé leur appui. Agissons. Et surtout, agissons sans tarder.

M. Haroon (Pakistan) (parle en anglais) : Je voudrais d’emblée souhaiter une très chaleureuse bienvenue à S. E. le cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, Premier Ministre du Qatar, et à S. E. M. Nabil Elaraby, Secrétaire général de la Ligue des États arabes, et les remercier d’avoir pris de leur temps précieux pour faire des exposés au Conseil.

Le Pakistan entretient de longue date d’étroites relations fraternelles avec tous les membres de la Ligue des États arabes. Cette relation est sous-tendue par un héritage commun et des valeurs partagées. Nous apprécions grandement le rôle joué par des organisations régionales comme la Ligue des États arabes pour promouvoir la cause de la paix et du développement. Nous soutenons également les processus régionaux aboutissant au règlement pacifique des différends. C’est un bon exemple pour l’ONU. Nous apprécions donc sincèrement les efforts déployés par le Premier Ministre du Qatar et par le Secrétaire général de la Ligue des États arabes.

En profitant du moment pour déployer la mission d’observation, la Ligue des États arabes a, en effet, prouvé que de grands progrès pouvaient être accomplis dans le règlement des questions régionales par le biais des mécanismes régionaux. Nous espérons que les efforts de la Ligue porteront leurs fruits par le rétablissement de la paix et le retour à la normale en Syrie à travers un processus de dialogue et de négociation, et sans aucun recours à la force ou à la coercition.

La situation au plan de la sécurité en Syrie demeure toujours une source de grave préoccupation pour nous tous. Les informations faisant état de la poursuite de la violence et de l’effusion de sang ne peuvent pas, et ne doivent pas, être prises à la légère. Nous condamnons fermement le recours à la force contre des manifestants pacifiques. Il faut arrêter de tuer et de blesser des personnes innocentes. Nous appelons les deux parties à s’abstenir de recourir à la violence, à poursuivre sur la voie du dialogue et de la réconciliation, et à s’engager dans un processus politique ouvert et axé sur les résultats, conduisant au règlement pacifique du problème.

Nous devons être conscients que tout ce que nous déciderons dans cette salle dans les prochains jours aura des répercussions à long terme non seulement en Syrie, mais aussi dans l’ensemble du Moyen-Orient. Cette région ne saurait se permettre davantage d’instabilité. La situation exige donc une analyse collective pour parvenir à une solution.

Nous tenons également à souligner que puisque nous, membres du Conseil de sécurité, sommes et devons rester les garants des principes consacrés par la Charte des Nations Unies, le débat doit prendre pleinement en compte et respecter l’indépendance, l’unité, la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie. Il doit en outre se circonscrire dans le cadre du Chapitre VI et des principes du règlement pacifique des différends.

Nous appuyons les efforts réalisés par la Ligue arabe, y compris le déploiement d’observateurs. Nous saluons et appuyons également les services rendus par les membres de la mission d’observation, qui s’acquittent de leurs tâches au mieux de leurs capacités, et ce malgré un travail mené dans des circonstances difficiles et parfois dangereuses.

Les paroles prononcées par le Premier Ministre du Qatar en sa qualité de Président du Comité ministériel de la Ligue des États arabes sur la Syrie suscitent un espoir de paix, lorsqu’il dit que nous ne réclamons pas une intervention militaire et que nous ne sommes pas non plus favorables à un changement de régime, car c’est là une question sur laquelle il revient au peuple syrien de décider. Tout cela, en réaffirmation de la souveraineté et de l’intégrité de la Syrie, a également été exprimé par le Secrétaire général Elaraby, et réitéré par les représentants de la France et du Royaume-Uni. J’espère que cela sera explicitement et convenablement reflété dans le projet de résolution dont sera saisi le Conseil. Nous espérons que d’autres membres du Conseil se joindront à nous pour féliciter la Ligue des États arabes. Nous espérons également que la mission poursuivra ses travaux.

Je tiens à être parfaitement clair. Tout le chagrin exprimé au Conseil ne débouchera sur quelque chose de positif que si nous nous débarrassons rapidement, avec cohésion et considération, de la pure rhétorique. C’est pourquoi je voudrais terminer en disant que, s’agissant de l’action du Conseil, nous devons nous efforcer de dégager un consensus, car un message unanime sera toujours mieux et indispensable afin de promouvoir nos objectifs et la paix en Syrie.

M. Churkin (Fédération de Russie) (parle en russe) : Nous saluons l’initiative de la Ligue des États arabes en faveur de la tenue de la présente séance, à laquelle participent le Premier Ministre du Qatar et le Secrétaire général de la Ligue des États arabes.

Aujourd’hui, nous nous réunissons à un moment crucial, et c’est sans doute la dernière occasion que nous avons de stopper la spirale de la violence dans laquelle sont plongés la Syrie et son peuple. Si la crise s’aggrave et plonge dans le chaos d’un conflit à grande échelle, cela constituerait non seulement une tragédie pour le peuple syrien, mais déstabiliserait aussi inévitablement les pays voisins, et troublerait encore davantage la région stratégiquement sensible du Moyen-Orient.

Quelle est la solution ? Que peut faire la communauté internationale pour empêcher une tournure fatale des événements ? La réponse est à la fois simple et complexe. Les membres du Conseil de sécurité ont essentiellement trouvé la solution au début de la crise, en adoptant une déclaration présidentielle le 3 août 2011 (S/PRST/2011/16). Celle-ci contient deux dispositions fondamentales : toutes les parties doivent mettre fin à la violence, et la seule solution pour sortir de la crise consiste pour la Syrie à mener un processus politique sans exclusive. Si tous les acteurs principaux de la communauté internationale concentraient leurs efforts sur la mise en œuvre de ces dispositions, alors, nous en sommes convaincus, la crise ferait rapidement partie de l’histoire. Hélas, ce n’est pas le cas.

La Russie, qui entretient depuis des années des relations étroites et amicales de partenariat avec les Syriens et le monde arabe, s’évertue depuis le départ à faire en sorte que le peuple syrien soit en mesure de déterminer, sans bain de sang et sans violence, sa propre voie et son propre modèle pour faire les transformations sociales, économiques et politiques nécessaires. Nous sommes convaincus qu’à une période de crise politique interne très grave, le rôle de la communauté internationale ne doit pas être d’aggraver le conflit ou de s’ingérer dans les affaires d’un pays au moyen de sanctions économiques ou de la force militaire. Elle doit au contraire encourager le dialogue pour trouver le meilleur moyen de régler le conflit de manière efficace et sans heurts.

Afin de mettre fin à la violence et de mener un processus politique sans exclusive conduit par les Syriens, la Russie a intensifié ses efforts diplomatiques auprès de Damas, de l’opposition syrienne et de la Ligue des États arabes. Nous considérons que la Ligue a un rôle important à jouer, aux côtés de la communauté internationale, pour trouver une sortie de crise en Syrie. La Russie a beaucoup œuvré pour faire en sorte que la Ligue et Damas se mettent d’accord sur le déploiement de la mission d’observation de la Ligue en Syrie.

Dans sa première phase d’activité, la mission jouait déjà un rôle utile pour ce qui est d’une modération relative de la violence afin – et ce point est essentiel – d’obtenir des informations plus objectives sur la nature des faits qui se déroulent en Syrie, en dépit des pressions exercées sur la mission. Dans le rapport de la mission sur les résultats des activités menées entre le 24 décembre 2011 et le 18 janvier 2012 (S/2012/71, annexe, pièce jointe 4), il est clairement confirmé que dans un certain nombre de quartiers syriens, des éléments armés attaquent les forces de sécurité syriennes et des civils pacifiques. Cela nous amène à la conclusion que toutes les parties en Syrie, et pas seulement le Gouvernement, doivent s’engager à mettre fin à toutes les formes de violence.

Nous savons de différentes sources ce qui se passe en Syrie. Par exemple, après que des combattants ont pris le contrôle de Zabadani, meurtres, pillages et passages à tabac ont commencé dans cette ville. La résidence de l’Ambassadeur russe dans le pays a été pillée. Près d’un millier de résidents pacifiques ont fui la ville.

Il convient de noter que dans la dernière section du rapport de la mission, une des conclusions tirées est qu’il faut lancer un dialogue entre les différentes parties syriennes en parallèle avec le travail de la mission, et qu’un processus politique doit également être mené.

Les relations fraternelles que nous entretenons avec la Ligue des États arabes nous permettent non seulement de soutenir nos amis arabes mais également, le cas échéant, de faire ressortir leurs incohérences. Nous n’avons pas dissimulé notre conviction que la décision de la Ligue des États arabes de suspendre le droit de Damas de siéger à la Ligue et d’imposer des sanctions à la Syrie est contre-productive. La position de la Ligue concernant la mission d’observation aurait pu être plus ferme. D’un côté, la Ligue décide de poursuivre sa mission ; de l’autre, certains pays ont commencé à rappeler leurs observateurs.

Nous sommes préoccupés par la décision récente de suspendre les travaux de la mission. Nous croyons comprendre que, d’après les responsables de la mission, cette décision a été prise suite à une récente flambée de violence et à une fatwa, diffusée sur une chaîne de télévision saoudienne et lancée par un prédicateur salafiste d’origine syrienne, rendant licite le fait de faire couler le sang des observateurs. Nous pensons que, dans un avenir proche, la mission doit poursuivre sa tâche et être soutenue comme il se doit par toutes les parties.

Dans le cadre des efforts visant à sortir de cette crise, l’initiative prise le 22 janvier 2012 par la Ligue d’inviter le Gouvernement syrien et tous les groupes d’opposition syriens à prendre part à un dialogue sous les auspices de la Ligue revêt une importance particulière. Établir des contacts aves ses opposants ne doit pas être un devoir incombant uniquement aux diplomates. Les politiciens doivent également s’y employer, en particulier lorsque l’avenir d’un pays est en jeu.

La Russie continue d’être à l’unisson avec la Ligue. Nous appelons les autorités syriennes et tous les groupes d’opposition à envoyer des représentants à Moscou à une date arrêtée d’un commun accord pour des échanges informels, sans conditions préalables. Cela permettrait aux parties syriennes de débattre de nombreuses questions nationales sans aucune restriction, et notamment de préparer un dialogue intersyrien sous l’égide de la Ligue des États arabes.

Il n’a jamais été aussi important d’engager un dialogue conduisant à un accord nécessaire sur l’avenir politique du pays. Le Conseil de sécurité peut-il jouer un rôle constructif à cet égard ? Nous croyons que cela est possible. C’est pourquoi le 15 décembre 2011, la délégation russe a présenté au Conseil un projet de résolution, s’inspirant de l’élan politique de la déclaration présidentielle du 3 août (S/PRST/2011/16). Ce projet de résolution a bénéficié d’un certain appui du Conseil. Nous en avons distribué hier une version actualisée à nos collègues.

Nous proposons qu’en prenant sa décision, le Conseil garde à l’esprit le principe consistant à ne causer aucun tort. Nous sommes opposés à toute sanction, à toute tentative d’utilisation des instruments dont dispose le Conseil pour alimenter un conflit ou justifier toute possibilité d’intervention militaire étrangère. Mais ce n’est pas l’unique problème. Le Conseil ne peut imposer des paramètres d’un règlement politique interne. La Charte ne lui confère pas de tels pouvoirs. Il faut encourager les parties à dialoguer plutôt que de les intimider pour qu’elles le fassent.

Nous avons donc pris en considération le projet de résolution présenté récemment par la délégation marocaine. Nous y retrouvons certains éléments du texte de notre projet de résolution. Cela est encourageant. Une position sur la situation en Syrie recueillant le consensus des membres du Conseil est non seulement possible mais nécessaire.

M. Li Baodong (Chine) (parle en chinois) : Je souhaite la bienvenue au Conseil à S. E. le cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères du Qatar, au Secrétaire général de la Ligue des États arabes et à l’Ambassadeur de Syrie. Je les remercie de leurs exposés au Conseil.

La Syrie est un pays important au Moyen-Orient. Sa stabilité a une incidence sur la sécurité et la stabilité de toute la région du Moyen-Orient. Comme d’autres membres du Conseil de sécurité, la Chine suit de près l’évolution de la situation en Syrie.

La Chine est d’avis qu’il faut respecter la demande du peuple syrien visant à engager des réformes et à préserver ses intérêts. Il est impératif de mettre fin immédiatement à toutes les violences en Syrie et d’arrêter de faire couler le sang de civils innocents. Dans le même temps, un processus politique sans exclusive garantissant une large participation de toutes les parties syriennes doit être lancé sans plus tarder, afin d’accélérer la réforme et de surmonter les divergences et régler les différends de manière pacifique, par le dialogue et la concertation, afin de rétablir la stabilité en Syrie et de lui permettre de s’engager sur la voie d’un développement global.

Nous pensons que la Syrie et son peuple ont les capacités et les ressources nécessaires pour régler leurs problèmes, trouver un système politique et parvenir à un niveau de croissance économique adaptés au contexte national de la Syrie. La communauté internationale peut jouer un rôle positif et constructif à cet égard et concourir au règlement politique pacifique de la question syrienne par le dialogue.

La Syrie fait partie du monde arabe. La Chine espère qu’un règlement adéquat sera trouvé pour sortir la Syrie de cette crise dans le cadre de la Ligue des États arabes. Nous appuyons les efforts de la Ligue visant à trouver une solution politique à la question syrienne et à maintenir la stabilité dans la région. Nous espérons que ces efforts de médiation aboutiront.

La mission d’observation de la Ligue des États arabes joue un rôle important pour contribuer à informer la communauté internationale de la véritable situation en Syrie. Nous attachons de l’importance au rapport soumis par la mission d’observation (S/2012/71, annexe, pièce jointe 4). Nous espérons que la mission continuera de s’acquitter de son mandat et mènera des enquêtes objectives et impartiales. Nous appelons le Gouvernement syrien et les autres parties concernées à coopérer pleinement avec la mission à cet égard.

La Chine a souligné à maintes reprises que les actions du Conseil de sécurité s’agissant de la crise syrienne devaient être conformes aux buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies, et aider à désamorcer les tensions en Syrie, à promouvoir le dialogue politique, à aplanir les différends et à préserver la paix et la stabilité dans la région du Moyen-Orient.

Parallèlement, la Chine a depuis le tout début adopté une position prudente s’agissant de l’imposition de sanctions. Les sanctions, plutôt que d’aider à régler un problème, ne font souvent que compliquer la situation. Nous sommes fermement opposés au recours à la force pour régler la crise syrienne ainsi qu’aux pratiques consistant à imposer de force un changement de régime, en violation des buts et principes consacrés par la Charte des Nations Unies et des normes fondamentales qui régissent les relations internationales.

La Chine appuie le projet de résolution sur la crise syrienne proposé par la Russie. Nous prenons note du nouveau texte distribué au Conseil de sécurité par le Maroc. La Chine est prête à agir conformément à la position de principe susmentionnée, à s’engager activement et de façon constructive dans des consultations et à travailler avec toutes les parties concernées pour promouvoir un règlement approprié de la crise en Syrie par la voie du dialogue pacifique.

M. Musayev (Azerbaïdjan) (parle en anglais) : Je tiens tout d’abord à vous remercier, Monsieur le Président, d’avoir convoqué la présente séance. Nous remercions le Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères de l’État du Qatar, S. E. le cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, le Secrétaire général de la Ligue des États arabes, S. E. M. Nabil Elaraby, et le Représentant permanent de la Syrie, S. E. M. Bashar Ja’afari, de leurs exposés.

L’Azerbaïdjan est vivement préoccupé par la poursuite de la déstabilisation et des violences généralisées en Syrie, qui ont fait de nombreuses victimes. Le 3 août 2011, le Conseil de sécurité a adopté une déclaration présidentielle (S/PRST/2011/16) condamnant les violations généralisées des droits de l’homme et l’emploi de la force contre des civils par les autorités syriennes. Le Conseil, entre autres, a demandé qu’il soit mis fin immédiatement à toutes les violences et a engagé instamment toutes les parties à faire montre de la plus grande retenue et à s’abstenir d’exercer des représailles, notamment de s’en prendre aux institutions de l’État. L’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme ont eux aussi adopté des résolutions sur cette question.

Malgré toutes ces mesures, et malgré les appels répétés de la communauté internationale, la situation en Syrie a continué de se dégrader, faisant des milliers de morts et de blessés. Les attentats-suicides qui ont eu lieu à Damas, le 23 décembre 2011 et le 6 janvier 2012, et que le Conseil de sécurité a condamnés dans les termes les plus énergiques, illustrent de façon frappante la dangereuse escalade qui est en train de se produire et dont les conséquences sont imprévisibles.

Dès la première heure, l’Azerbaïdjan a appuyé les efforts de la Ligue des États arabes. Nous espérons sincèrement qu’ils vont se poursuivre en vue de mettre fin à la violence, de surmonter la crise et de parvenir à la stabilisation par des moyens pacifiques et par la voie du dialogue. Nous rendons hommage à la mission d’observation de la Ligue des États arabes déployée en Syrie et à tous ses membres qui ont rempli leurs tâches malgré des défis complexes. Il convient de noter que la présence de la mission en Syrie a eu quelques effets positifs et a contribué à traiter un certain nombre de questions. Nous constatons avec regret que les conditions qui règnent dans le pays ont amené la Ligue arabe à suspendre sa mission et nous espérons que cette dernière pourra reprendre son travail rapidement.

Comme le Conseil de sécurité l’a souligné dans sa déclaration présidentielle du 3 août 2011, la seule solution pour sortir de la crise actuelle consiste pour la Syrie à mener un processus politique sans exclusive qui réponde véritablement aux aspirations et aux préoccupations légitimes de la population. Ce processus devrait comprendre des élections démocratiques et libres, auxquelles toutes les forces politiques devraient être autorisées à participer.

Il est incontestable que l’unité et des efforts coordonnés au sein du Conseil de sécurité sont indispensables pour qu’il puisse s’acquitter de sa responsabilité principale, qui est le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Partant, l’Azerbaïdjan continue d’être favorable et ouvert à des consultations dans les meilleurs délais entre tous les membres du Conseil de sécurité au sujet des initiatives relatives à la situation en Syrie. Nous attendons avec intérêt un dialogue et des discussions constructifs sur les différents projets de texte préparés sur ce point, ainsi que sur le rapport de la mission d’observation de la Ligue des États arabes. Nous sommes convaincus qu’un consensus se dégagera et qu’il contribuera aux efforts en cours pour surmonter la crise en Syrie et mettre fin à la tragédie humaine qui s’y déroule.

Il est clair que la communauté internationale doit exiger du Gouvernement syrien qu’il prenne certaines mesures, mais également s’employer à convaincre l’opposition de faire de même. Les seules mesures pouvant être envisagées sont celles qui sont adaptées à la situation, conformes au Chapitre VI de la Charte des Nations Unies et qui tiennent dûment compte du rôle de la Ligue des États arabes.

Quelles que soient les divergences, il est essentiel d’honorer l’obligation de respecter la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de la Syrie et de tous les autres États de la région. Nous prenons acte de la position sans ambiguïté exprimée à cet égard par le Conseil de sécurité et par l’Assemblée générale, ainsi que par la Ligue des États arabes qui, dans la résolution sur la Syrie adoptée par son conseil le 22 janvier 2012, a appuyé l’action menée pour mettre fin à la crise en Syrie sans intervention étrangère.

M. Menan (Togo) : Je voudrais remercier le Président du Comité ministériel sur la Syrie, S. E. le Premier Ministre de l’État du Qatar, et le Secrétaire général de la Ligue des États arabes pour les exposés qu’ils viennent de faire au Conseil ainsi que pour les efforts remarquables qu’ils continuent de déployer pour ramener la paix en Syrie.

Depuis la mi-mars de l’année dernière, la Syrie vit une grave crise qui a des conséquences néfastes sur les pays voisins qui accueillent des milliers de réfugiés. La mission de la Ligue des États arabes en Syrie, déployée le 26 décembre de l’année dernière, avait pour but de faire cesser la répression des manifestants et toutes violences d’où qu’elles viennent. Il est regrettable de constater que les violences, loin de s’estomper, se poursuivent. Hier, on parlait de manifestants aux mains nues, aujourd’hui, on fait état d’une rébellion puisque, depuis, les populations ont commencé à prendre les armes.

Face à cette situation, il n’est pas étonnant que la mission de la Ligue des États arabes n’ait pas atteint les résultats escomptés et qu’elle soit obligée d’annoncer sa suspension. Mon pays déplore que les membres de la mission n’aient pas eu la possibilité de travailler librement et sans entraves. Pire encore, les violences se sont poursuivies alors même que la mission était encore sur le terrain.

Le Togo condamne les violences, les assassinats, les enlèvements et les exécutions extrajudiciaires ainsi que les viols et les violations des droits de l’homme qui ont été perpétrés dans le pays. Il appelle les autorités syriennes à faire cesser les violences, à arrêter le siège de certains quartiers ou villes et à faire rentrer les militaires dans leurs casernes avec leurs chars.

La Ligue arabe a proposé une feuille de route qui comprend la formation d’un gouvernement d’union nationale qui aura pour mission essentielle de préparer et d’organiser des élections générales et présidentielle dans le pays dans le court terme. Le Président Bashar Al-Assad transférerait ses pouvoirs au Vice-Président, qui travaillerait avec un premier ministre de consensus qui dirigerait le Gouvernement de transition.

La mise en œuvre de cette feuille de route suppose l’arrêt des violences et l’instauration d’un dialogue franc, ouvert et inclusif. Mais tout cela dépend de la bonne volonté avec laquelle les autorités syriennes appliquent cette feuille de route. Or, nous notons que le Gouvernement actuel n’est pas disposé à mettre fin à ses fonctions, encore moins à s’inscrire dans le droit fil du processus de transition, tel que le recommande la feuille de route. C’est ce qui inquiète le Togo quant aux chances d’application de la feuille de route ambitieuse de la Ligue arabe, qui a agi dans le cadre du Chapitre VI de la Charte.

Le Conseil de sécurité devrait-il continuer à rester immobile vis-à-vis de cette démarche, qui émane d’une organisation régionale habilitée à proposer des voies de sortie de crise, sans risquer d’être accusé de cautionner la violence ? D’un autre côté, dans le contexte actuel, le Conseil pourrait-il appeler le Président syrien à quitter ses fonctions sans être accusé de soutenir l’une des parties à la crise ? Cet organe, qui a la responsabilité première du maintien de la paix et de la sécurité internationales, doit pouvoir engager des discussions franches et sincères pour trouver la meilleure voie à suivre afin d’aider la Syrie à sortir de la situation difficile dans laquelle vit sa population et qui, de l’avis de la délégation togolaise, a trop duré.

Mais d’ici là, il importe absolument que les violences cessent. Le Conseil doit pouvoir parler d’une seule voix, au-delà des luttes d’intérêt, en lançant un appel pressant aux autorités syriennes pour faire cesser le cycle de la violence. Il est maintenant manifestement clair, de l’avis du Togo, que l’on ne saurait et que l’on ne devrait pas mettre sur une même balance les violences perpétrées par le pouvoir et celles commises par les manifestants. Toutefois, il conviendrait que, pour donner toute chance de succès à la paix et au dialogue inclusif que nous appelons de tous nos vœux, l’opposition syrienne maintienne sa position initiale de parvenir à la démocratie sans la violence.

Le Togo pense qu’il faut soutenir la Ligue des États arabes dans ses efforts et l’encourager à travailler davantage pour rapprocher le régime syrien et l’opposition en vue de négociations directes, sous son égide et avec l’appui des Nations Unies, pour un règlement durable de la crise, qui permette d’éviter la guerre civile, qui, à notre avis, se profile à l’horizon.

M. Hardeep Singh Puri (Inde) (parle en anglais) : Je voudrais tout d’abord vous remercier, Monsieur le Président, d’avoir organisé la présente séance à la demande de la Ligue des États arabes. Je saisis également cette occasion pour souhaiter la bienvenue parmi nous au Président du Comité ministériel de la Ligue, le Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères du Qatar, S. E. le cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, et au Secrétaire général de la Ligue des États arabes, M. Nabil Elaraby. Je les remercie de leurs exposés détaillés sur les efforts déployés par la Ligue en vue du règlement de la crise syrienne. Je remercie également le Représentant permanent de la Syrie de sa déclaration.

La participation aux délibérations du Conseil, cet après-midi, de la Secrétaire d’État des États-Unis d’Amérique, du Ministre des affaires étrangères et européennes de la République française, du Ministre des affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni, du Ministre des affaires étrangères du Guatemala, du Ministre d’État, Ministre des affaires étrangères de la République portugaise, du Ministre des affaires étrangères du Maroc et du Ministre d’État au Ministère fédéral des affaires étrangères de l’Allemagne témoigne de l’importance de ce débat et mérite d’être saluée.

Le Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies prévoit la coopération du Conseil avec les organisations régionales aux fins du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Nous nous réjouissons, dans ce cadre, de la séance d’aujourd’hui dont nous estimons qu’elle nous offre une bonne occasion de comprendre le rôle joué par la Ligue des États arabes dans le règlement du problème syrien.

La République arabe syrienne a joué un rôle important dans l’histoire du Moyen-Orient en vertu de son emplacement géographique stratégique, de sa diversité et du génie de son peuple. La tournure des événements en Syrie a donc des incidences sur la paix et la stabilité de l’ensemble de la région. C’est pourquoi nous avons appelé, dès le début des manifestations, en mars 2011, à un processus politique pacifique et sans exclusive permettant de répondre aux doléances de l’ensemble des secteurs de la société syrienne. Le problème syrien n’est pas un simple problème de sécurité ; c’est un problème avant tout politique et économique qui découle du souhait du peuple syrien de jouer un rôle plus important dans la définition de son destin. La résolution de ce problème ne peut résider dans la violence ou la lutte armée ni dans leur répression violente. On ne peut pas davantage parvenir à une solution en suivant des injonctions venant de l’extérieur. Le peuple syrien exige et mérite qu’on lui donne les moyens de trouver une solution politique dont il soit l’instigateur et le moteur, dans un climat exempt de violence et d’effusions de sang.

Malheureusement, nous avons assisté au cours des 10 derniers mois à une intensification de la violence dont le bilan, en termes de victimes civiles, ou parmi les forces de sécurité, ainsi que sur le plan des destructions d’infrastructures civiles, est particulièrement lourd. Nous condamnons énergiquement et sans équivoque tous les actes de violence, quels qu’en soient les auteurs et les motifs invoqués. Nous condamnons également toutes les violations des droits de l’homme et de la liberté d’expression et de réunion pacifique. Pour l’Inde, ces droits sont des valeurs fondamentales qui doivent être respectées en même temps que l’on assure la stabilité et la sécurité de la société. L’Inde, aux côtés de ses partenaires de l’IBAS (Inde, Brésil et Afrique du Sud), s’est fait clairement l’écho de ce message aux autorités syriennes lorsqu’une délégation de l’IBAS s’est rendue à Damas en août 2011. Ce message figure également dans la déclaration présidentielle publiée par le Conseil de sécurité en août 2011 (S/PRST/2011/16) sous la présidence indienne.

Nous envisageons les efforts déployés par la Ligue des États arabes en Syrie à la lumière de l’appui que nous apportons à un règlement politique de la crise. Nous avons noté que le déploiement de la mission d’observation de la Ligue dans plusieurs régions du pays avait eu un effet d’apaisement et nous sommes déçus que la mission ait été suspendue le 28 janvier en raison de la dégradation des conditions de sécurité et de la poursuite des violences. Le rapport de la mission (voir S/2012/71, pièce jointe no 4) que la Ligue a mis à la disposition du Conseil de sécurité indique clairement qu’il existe des éléments armés au sein de l’opposition, qui sont également responsables d’un certain nombre d’actes de violence. Le maintien de la présence et du déploiement des observateurs aurait pu permettre de réduire la violence et de dresser un bilan plus précis de la situation, d’autant que les observateurs avaient également confirmé que beaucoup d’informations diffusées par les médias étaient exagérées et trompeuses. Par ailleurs, le rapport contient un point important, que nous appuyons fermement : la mission doit s’accompagner d’un processus politique permettant d’apporter une réponse aux doléances du peuple syrien.

Nous estimons profondément que toutes les parties se doivent de coopérer avec la Ligue des États arabes. Un processus politique doit démarrer sans plus tarder. Ce processus doit être mené par les Syriens et respecter la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie. La Ligue des États arabes, qui est une organisation régionale importante, doit jouer dûment son rôle historique dans la promotion d’un dialogue politique entre les parties syriennes. Ce dialogue peut faire fond sur l’ensemble des réformes politiques déjà annoncées par les autorités syriennes et apporter également les modifications nécessaires à ces réformes, pour qu’elles puissent être acceptées par tous les secteurs de la société syrienne. On ne saurait anticiper le résultat de ce dialogue, mais c’est un résultat qui devrait également être acceptable pour la majorité de la société syrienne afin de lui permettre de régler durablement la crise actuelle.

La communauté internationale, et le Conseil de sécurité notamment, doit jouer un rôle constructif dans le processus de dialogue politique entre les Syriens. Dans ce contexte, nous accueillons avec satisfaction la présentation au Conseil de sécurité d’un projet de résolution. Nous œuvrerons de concert avec les autres membres du Conseil afin que cet organe puisse parler d’une seule voix en appui à l’initiative lancée par la Ligue des États arabes pour régler au plus vite la crise syrienne.

M. Osorio (Colombie) (parle en espagnol) : Je voudrais tout d’abord souhaiter la bienvenue à S. E. le Premier Ministre du Qatar et au Secrétaire général de la Ligue des États arabes, venus participer à la présente séance du Conseil pour apporter leur contribution à l’examen de la situation en Syrie. L’appel qu’ils ont lancé au Conseil pour qu’il assume ses responsabilités mérite tout notre respect. Je considère également très significative la présence des Ministres des affaires étrangères des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni, du Guatemala, du Portugal, du Maroc et de l’Allemagne.

La Colombie accorde une grande importance à cette séance du Conseil de sécurité car nous croyons qu’ensemble, nous pouvons contribuer à créer les conditions propices à une solution politique à la crise que traverse la Syrie et tenter de mettre fin à la répression démesurée et aux actes de violence qui, depuis plus de 10 mois, affligent le pays.

Le respect des libertés individuelles et la protection des droits fondamentaux de toute la population sont les responsabilités inhérentes des gouvernements. Les autorités syriennes doivent honorer les responsabilités que leur impose le droit international et veiller à la protection et au respect des droits de l’homme de la population dans le cadre du rétablissement de l’ordre et de la stabilité sociale. La Colombie condamne la répression violente opposée aux manifestations de la population civile qui exerce son droit à la liberté d’association, d’expression et de réunion pacifique. C’est pourquoi nous jugeons alarmantes la détérioration continue de la situation en Syrie, la violence aveugle et la quantité de vies – plus de 5 000 – perdues durant cette longue crise.

Nous privilégions les initiatives régionales qui contribuent à la recherche d’une solution pacifique à des situations qui risquent de compromettre le maintien de la paix et de la sécurité. C’est pourquoi nous accordons une grande importance aux efforts déployés par la Ligue des États arabes pour proposer une solution politique à la situation en Syrie. Comme nous l’avons déjà dit, une solution à long terme exige un processus dirigé par les Syriens, qui tienne compte des aspirations légitimes du peuple et des divers acteurs politiques et respecte la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’unité de la Syrie. Nous déplorons que, comme le signale la mission d’observateurs de la Ligue des États arabes dans son rapport (S/2012/71, annexe, pièce jointe 4), les actions du Gouvernement n’aient pas suffi à concrétiser les engagements conclus entre le Gouvernement syrien et la Ligue. Il est également regrettable que face à la recrudescence de la violence et à l’absence de garanties pour sa sécurité, la mission ait dû suspendre ses activités.

S’agissant du projet de résolution présenté par le Maroc le vendredi 27 janvier, ma délégation estime que ce texte constitue une réponse idoine à la demande faite par la Ligue des États arabes au Conseil pour qu’il adopte les éléments du Plan d’action arabe, et nous l’appuyons sans réserve. La gravité de la situation exige du Conseil une déclaration qui contribue à la création des bases et des conditions propices au rétablissement de l’ordre et à l’élaboration des réformes institutionnelles nécessaires pour mettre fin à la violence et parvenir à un accord qui ramène la paix dans le pays.

Ma délégation est d’avis que le plan arabe contient les éléments d’un accord auxquels souscrivent tous les membres du Conseil, comme par exemple l’appel lancé au Gouvernement syrien et à tous les partis d’opposition pour qu’ils entament un véritable dialogue politique ; la cessation de tous les actes de violence, quelles qu’en soient les sources, afin de protéger la population civile en Syrie ; la libération des détenus incarcérés à la suite des événements actuels ; et l’accès des organismes compétents de la Ligue et des médias arabes et internationaux pour établir les faits.

La Colombie espère qu’il sera possible de parvenir à un consensus sur ces nobles propositions et que le Conseil adoptera une décision conforme à l’objectif principal de l’Organisation, à savoir le maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Le Président (parle en anglais) : Je vais maintenant faire une déclaration en ma qualité de représentant de l’Afrique du Sud.

L’Afrique du Sud remercie S. E. le cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères du Qatar, et S. E. M. Nabil Elaraby, Secrétaire général de la Ligue des États arabes, pour les exposés qu’ils ont présentés au Conseil aujourd’hui.

L’Afrique du Sud est extrêmement préoccupée par la détérioration de la situation politique, sécuritaire et humanitaire en Syrie. Nous condamnons les pertes continues et violentes en vies humaines et appelons toutes les parties au conflit à faire preuve d’un maximum de retenue. Nous insistons sur la nécessité urgente de mettre immédiatement fin à la violence. Nous formons l’espoir que cette situation sera réglée par la voie pacifique conformément à la volonté du peuple syrien. Nous réaffirmons que toute solution à la crise syrienne doit venir de la Syrie, reposer sur un véritable dialogue national, et n’être soumise à aucune forme d’intimidation ou d’ingérence extérieure.

Nous engageons instamment les autorités syriennes à entamer un processus politique ouvert, transparent et participatif avec la population pour répondre à ses demandes légitimes et garantir ainsi ses libertés et droits politiques fondamentaux, dont ses droits à la liberté de réunion et d’expression. Nous encourageons également l’opposition à participer à ce processus politique afin d’assurer une paix durable en Syrie.

Il faut trouver une solution politique globale qui mènera à une réforme politique fondée sur le respect des principes démocratiques, de l’état de droit, de la justice et des droits de l’homme, et qui répondra également aux besoins de développement socioéconomiques de la population syrienne, afin de garantir une paix et une stabilité de longue durée.

Nous apprécions les efforts consentis par la Ligue des États arabes pour parvenir à un règlement pacifique de la crise en Syrie. Le 12 janvier de cette année, le Conseil a adopté à l’unanimité la résolution 2033 (2012), qui portait l’attention sur le renforcement de la coopération entre l’ONU et les organisations régionales dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales. C’est pourquoi l’Afrique du Sud se félicite de l’engagement du Conseil auprès de la Ligue des États arabes qui, du fait de sa proximité et de sa connaissance de la région, est à même de jouer un rôle significatif pour aider le peuple syrien à surmonter cette période difficile. Nous espérons que cet engagement aboutira à une solution politique pacifique du conflit en Syrie. Nous sommes convaincus que toute solution doit respecter la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie et, en même temps, défendre les buts et principes inscrits dans la Charte des Nations Unies.

Nous remercions le Secrétaire général de la Ligue des États arabes de nous avoir transmis le rapport (S/2012/71, annexe, pièce jointe 4) du chef de la mission d’observateurs de la Ligue des États arabes en Syrie, le général Al-Dabi. Ce rapport, qui est une description directe de la situation sur le terrain, nous fournit une évaluation sans précédent de la situation. Comme l’indique le rapport, les citoyens syriens pensent également que la crise doit être réglée de manière pacifique grâce à la seule intervention du monde arabe et sans une intervention internationale, ce qui leur permettrait de vivre en paix, de compléter le processus de réforme et de mettre en place les changements souhaités. Il est impératif que la violence cesse de la part de toutes les parties car, comme l’indique clairement le rapport de la mission d’observateurs, l’opposition est également armée. Il en résulte que ce sont les civils qui sont les principales victimes du conflit qui oppose le Gouvernement aux groupes armés de l’opposition.

La question critique qui se pose à ce stade est de savoir quelle contribution positive la communauté internationale, et le Conseil de sécurité en particulier, peut apporter pour aider les parties syriennes à régler leur conflit. Il faut amener les parties à rechercher une solution pacifique au lieu d’élargir le fossé qui les sépare. C’est pourquoi nous nous félicitons de tous les efforts diplomatiques déployés par la Ligue des États arabes pour régler la crise et nous encourageons les parties syriennes à explorer toutes les possibilités de parvenir à une solution politique. Nous devons éviter toute action susceptible de polariser plus encore les parties et de provoquer une escalade de la violence.

Une intervention militaire pour régler des conflits politiques, comme nous l’avons vu dans d’autres parties du monde – et tout récemment en Libye –, a des conséquences imprévues non seulement pour le pays en question, mais pour l’ensemble de la région. C’est une chose que le Moyen-Orient ne peut se permettre.

Nous nous félicitons que les projets de résolution qui ont été préparés donnent au Conseil l’occasion d’examiner la situation en Syrie. Nous souhaitons que tous les engagements et les principes exprimés aujourd’hui par les représentants de la Ligue des États arabes et d’autres délégations soient mieux formulés et exposés plus pleinement dans les prochaines versions. L’Afrique du Sud participera de manière constructive aux négociations sur ces textes.

Je reprends à présent mes fonctions de président du Conseil.

Je donne maintenant la parole à S. E. le cheik Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani, qui va faire une nouvelle déclaration.

Le cheik Al-Thani (Qatar) (parle en arabe)  : Je prie les membres de m’excuser de demander à nouveau la parole. Je tiens à souligner que notre mission ici n’est pas de demander au Conseil de sécurité d’intervenir militairement ni de se prononcer en faveur d’une intervention militaire. Par ailleurs, nous ne nous ingérons pas dans les affaires intérieures de la Syrie. Il revient au peuple syrien de décider qui va le gouverner.

J’ai cependant une remarque à faire concernant la déclaration faite par le représentant de la Syrie. Il a fait référence à un poème du regretté Nizar Kabbani. Nous savons tous que Nizar Kabbani était un chantre de la liberté, mais nous ne savons pas ce qu’il aurait dit de la situation présente s’il était toujours en vie. Le représentant de la Syrie a parlé du colonialisme sous lequel les pays du Golfe, en particulier le Qatar, auraient beaucoup souffert. Le Qatar n’a en vérité jamais été colonisé, mais il a signé avec le Royaume-Uni un traité qui a expiré au début des années 70, et il n’a jamais dû résister au colonialisme parce que lui-même et les autres États du Golfe ont vécu dans une pauvreté extrême jusqu’à ce qu’on découvre que Dieu leur avait donné du pétrole. Aujourd’hui, nous sommes fiers de nous tenir aux côtés de nos frères arabes qui ont besoin de notre aide, et nous les aiderons sans leur rappeler notre générosité.

Je tiens également à soulever la question de la démocratie. Nous ne souhaitons en aucun cas nous ingérer ; nous voulons collaborer avec le peuple syrien pour mettre en œuvre les réformes nécessaires et relancer la démocratie. La démocratie en Syrie est née en 1919, et nous espérons très sincèrement qu’elle prévaudra de nouveau et fera profiter l’ensemble du peuple syrien de ses bienfaits.

S’agissant d’Israël, nous ne sommes pas en conflit ouvert avec ce pays. Toutefois, nous avons pris une position parfaitement claire qui est de soutenir nos frères palestiniens, qu’ils se trouvent à Gaza ou ailleurs. L’histoire sera notre juge.

Pour ce qui est de l’Iraq et du million de personnes qui y a trouvé la mort, je rappelle que nous avons tous, y compris la Syrie que nous remercions, contribué à libérer le Koweït de l’occupation iraquienne et participé à toutes les décisions prises par la Ligue des États arabes et le Conseil de sécurité.

Quant à la Libye, il y a eu près de 50 000 victimes, et si Kadhafi était resté au pouvoir, ce nombre serait infiniment plus élevé. La Ligue des États arabes a adopté une résolution sur la question, résolution que la Syrie a là aussi approuvée.

Pour ce qui est des propos tenus par le représentant de la Fédération de Russie concernant l’Arabie saoudite, je tiens à souligner que le Roi de ce pays est un vrai Arabe qui s’est toujours préoccupé du sort des autres Arabes en faisant passer leurs intérêts au-dessus des siens. C’est sa sincérité qui l’a poussé à retirer ses observateurs de Syrie, parce qu’il ne voulait pas devenir un faux témoin des événements qui s’y déroulaient.

Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole au représentant de la République arabe syrienne, qui va faire une nouvelle déclaration.

M. Ja’afari (République arabe syrienne) (parle en arabe)  : Il est vrai que la Syrie a participé à la libération du Koweït car l’ancien régime iraquien avait pris de mauvaises décisions. Nous n’avons cependant jamais participé à l’invasion de l’Iraq ni à l’invasion de la Libye. Nous n’avons jamais été impliqués dans une conspiration contre un autre pays arabe.

Je me félicite de la déclaration du Premier Ministre qatarien et des éclaircissements qu’il a apportés. Certaines de ses remarques sont exactes, mais d’autres ne le sont pas. Je lui demande, en présence des membres du Conseil, si son pays est membre de l’OTAN ou de la Ligue des États arabes ? Comment se fait-il que le Qatar ait aidé l’OTAN à détruire la Libye ?

Certains orateurs ont déclaré qu’ils ne s’orienteraient pas vers une intervention militaire en Syrie et qu’une décision du Conseil ne déboucherait pas nécessairement sur une intervention militaire en Syrie. Tout cela est très bien, mais quelqu’un peut-il nous assurer que ce qui s’est passé en Libye, en Somalie, en Iraq, en ex-Yougoslavie et au Kosovo ne se reproduira pas en Syrie ?

Quoi qu’il en soit, nous déplorons très sincèrement toutes les victimes innocentes, qui étaient des fils et des filles de notre patrie. Je suis un ambassadeur du Président syrien, et je suis fier d’être ici en cette qualité. Je suis aussi l’ambassadeur de mon peuple, ce dont je suis également fier. Je ne pourrai jamais m’exprimer ici d’une manière qui porterait atteinte à mon peuple. Le chagrin des autres pays, qui pleurent les victimes innocentes, ne pourra jamais égaler celui que nous ressentons en Syrie. Ces victimes sont toutes innocentes. Nous savons que le sang qui a coulé est perdu à jamais. Nous savons que la tristesse des familles des victimes ne pourra jamais être apaisée.

Ceux que je représente et moi-même avons le devoir de mettre fin à la violence, de protéger la Syrie dans l’intérêt de tous ses habitants, de mettre fin au bain de sang provoqué par l’incitation médiatique, de stopper les armes introduites clandestinement à l’intérieur de nos frontières et d’empêcher l’opposition armée d’organiser des conférences dans les pays voisins ou les pays plus éloignés. Nous avons beaucoup d’informations sur la contrebande d’armes, mais le moment est mal choisi pour en parler. Mon pays a envoyé une dizaine de lettres contenant de nombreuses informations importantes sur la question.

Il y a à peine deux jours, le correspondant en Syrie d’un journal britannique que je ne citerai pas a publié un article dans lequel il affirme que le Qatar et l’Arabie saoudite ont financé des envois d’armes en Syrie. Tous les membres du Conseil savent bien que, malheureusement, d’autres pays avec lesquels nous avions noué des liens étroits avant la crise hébergent maintenant des groupes d’opposition armés sur leurs territoires. L’opposition mène des manœuvres militaires le long de nos frontières, bombardant nos raffineries pétrolières, nos oléoducs et nos gazoducs. Des trains transportant du mazout ont été bombardés alors que nous traversons un hiver très rigoureux. Ce n’est que lorsqu’ils cesseront de jeter de l’huile sur le feu que les réseaux Al-Jazeera et Al-Arabiya aideront réellement à mettre un terme aux effusions de sang.

Dans son exposé, le Premier Ministre du Qatar a indiqué qu’il annoncerait les décisions prises par l’organisation qui représente tous les peuples arabes. Toutefois, cette organisation ne s’exprime pas en ce moment au nom de tous les Arabes. Sans la Syrie, il n’y a pas de Ligue des États arabes. Nous ne permettrons jamais à quiconque d’adopter en notre nom ou sans notre participation une décision qui nuirait à notre sort et saperait notre avenir.

Cibler les travailleurs humanitaires est sans conteste un acte criminel, comme l’a mentionné le représentant du Portugal, mais peut-être pourrait-il nous expliquer par quelles voies il est arrivé à la conclusion que les autorités gouvernementales avaient tué le médecin qui travaillait pour la Croix-Rouge.

Il y a à Damas un quartier surnommé Al-Hariqa, ce qui signifie « le feu ». Les membres du Conseil savent-ils pourquoi il est ainsi appelé ? Probablement pas. Il a été baptisé ainsi parce que dans les années 40, les forces françaises en ont fait la cible de bombardements aériens et de tirs d’artillerie, tuant des milliers de civils innocents qui y habitaient. Voilà pourquoi le quartier est maintenant appelé Al-Hariqa, le feu.

L’immeuble qui abrite le Parlement syrien a lui aussi été bombardé ; tous ceux qui étaient à l’intérieur ont péri, hormis une personne, que les Syriens appellent maintenant « al-shahid al-hai », ce qui signifie « le martyr vivant ». À tout cela, il faut également ajouter les 45 000 Algériens qui, en 1945, ont été tués en une heure à peine dans la capitale, Alger, parce qu’ils pensaient malheureusement que la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la défaite du nazisme et du fascisme et la victoire des valeurs associées à la liberté pourraient mener les Algériens à l’indépendance.

Un sage a dit un jour à son fils : « Lorsque tu connaîtras l’origine, tu connaîtras la destination. » Comme le dit le proverbe, on peut connaître un livre en ne sachant que son titre. C’est la position choisie par la Ligue des États arabes qui, intentionnellement ou non, risque de nuire à la Syrie et à toute la nation arabe.

Un jour, à la fin du XIXe siècle, le grand écrivain français, Émile Zola, dont j’aime beaucoup l’œuvre, a défendu le cas d’un officier de l’armée française victime d’une injustice. Il écrivit en français – langue que je connais mais que je n’ai pas parlée depuis quelque temps – une lettre dont le titre est « J’accuse ». Aujourd’hui, devant le Conseil, je citerai Émile Zola en disant, comme lui : « J’accuse ». J’accuse plusieurs personnes, que je ne nommerai pas pour ne pas les embarrasser. Je les accuse de s’employer à saper la stabilité et la souveraineté de la Syrie, ainsi que l’unité du peuple syrien, en recourant à l’incitation et en versant de l’huile sur le feu.

En 2003, nous avons ouvert nos portes à 2 millions de réfugiés iraquiens qui avaient fui l’invasion britannique et américaine en Iraq. À cette époque, personne ne nous a aidés à supporter le fardeau économique que cela a entraîné. Deux ou trois ans plus tard, un tiers de la population libanaise est venu en Syrie, après l’agression israélienne de 2006. Personne ne nous a aidés à cette époque. Après cela, la coopération économique avec la Turquie, notre voisin, pays que nous tenons en haute estime, a eu des répercussions économiques désastreuses pour les petits artisans des campagnes aux alentours d’Alep et de Damas. Nous avions conclu avec la Turquie un accord de partenariat économique qui nous a coûté des milliards de dollars, et, en conséquence, des milliers de Syriens ont perdu leurs moyens de subsistance.

Le représentant de l’Inde avait raison lorsqu’il a mentionné les facteurs économiques à l’origine des événements en Syrie, mais ils ne sont pas de notre faute. Des erreurs ont été commises, c’est vrai. Il est vrai que des erreurs ont été commises ; le Président Al-Assad l’a d’ailleurs reconnu. Il a élaboré une feuille de route conçue pour nous aider à sortir de l’ornière de la crise. Il ne peut toutefois pas tout faire tout seul. Il a besoin de l’aide de la Ligue arabe, de la Turquie, des pays frères et du Conseil de sécurité.

Lorsqu’il a envoyé ce document (S/2012/71, annexe) au Conseil, le Secrétariat de la Ligue des États arabes a dit, à la dernière page, que d’autres annexes, parmi lesquelles le rapport Al-Dabi, seraient envoyées ultérieurement par courrier. Pourquoi le rapport Al-Dabi sera-t-il envoyé plus tard par courrier, pourquoi n’est-il pas inclus dans les documents dont le Conseil est actuellement saisi ? Pourquoi le rapport Al-Dabi n’a-t-il pas été soumis avec les annexes supplémentaires ?

En ce qui nous concerne, nous avons fait tout le nécessaire. Nous avons adressé au Président du Conseil de sécurité une lettre détaillant les principaux points du rapport Al-Dabi. Les membres du Conseil savent cependant que le Secrétariat de la Ligue arabe a rejeté la demande faite par certains membres du Conseil d’inviter M. Al-Dabi à prendre la parole devant le Conseil. Je crois que j’ai suffisamment parlé.

Le Président (parle en anglais) : Je donne la parole au Secrétaire général de la Ligue des États arabes.

M. Elaraby (parle en arabe)  : Il n’est pas dans mes intentions de me prêter à une polémique, mais l’Ambassadeur de Syrie vient de soulever une question que je me dois de clarifier.

Quand vous m’avez contacté, Monsieur le Président, vous avez mentionné le fait que certains membres avaient exprimé le souhait de voir participer le général Al-Dabi à la présente séance. J’ai alors répondu que le Premier Ministre du Qatar et le Secrétaire général de la Ligue des États arabes seraient présents, à la demande du Conseil des ministres de la Ligue, afin d’informer le Conseil de ce qui s’était passé. Le général Al-Dabi n’a pas été invité à venir prendre la parole devant le Conseil ; son travail se situe sur le terrain et son rapport est actuellement examiné par le Conseil (S/2012/71, annexe, pièce jointe no 4).

Le Président (parle en anglais) : Il n’y a pas d’autre orateur inscrit sur ma liste. Je tiens à remercier

de la part de ma délégation les membres du Conseil, et en particulier mes collègues, les représentants permanents, leurs équipes respectives et le Secrétariat du Conseil de sécurité, de tout le soutien qu’ils nous ont apporté au cours de la présidence sud-africaine en ce mois de janvier.

Cela aura effectivement été un mois chargé. Nous n’aurions pas pu faire tout cela sans le travail acharné, l’appui et la contribution positive de toutes les délégations, des représentants du Secrétariat, ainsi que des interprètes, des traducteurs, des services de conférence et des ingénieurs du son.

Alors que notre présidence s’achève, je suis certain de me faire l’interprète du Conseil en souhaitant bonne chance à la délégation togolaise pour le mois de février.

Le Conseil de sécurité a ainsi achevé la phase actuelle de l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.

La séance est levée à 18 h 35.