7 décembre 1941. Depuis plusieurs semaines, des mémos confidentiels circulent au sein de l’administration militaire états-unienne mettant en garde contre une « action hostile japonaise ». La flotte de Pearl Harbor a, selon le président Roosevelt, été prévenue quelques jours auparavant qu’elle était une cible potentielle. Malgré ces avertissements répétés, au petit matin, une escadrille de 183 appareils japonais, composée d’avions torpilleurs, de bombardiers piqueurs et de chasseurs Zéro fondent sur la base états-unienne, attaquant les aérodromes et la rade bondée de navires de guerre. Près d’une centaine sont touchés. Les avions alignés sur les pistes sont fortement endommagés. En plein milieu de l’attaque, vers 8h45, le Japon déclare la guerre aux États-Unis. Une deuxième esquadrille survient peu après. Cette fois, la défense états-unienne est opérationnelle, mais l’attaque fait tout de même d’importants dégâts. Le bilan est lourd : les huit cuirassés du Pacifique détenus par les États-Unis sont hors de combat, 240 avions ont été détruits et la moitié des bombardiers B17 sérieusement touchés. Les pertes humaines sont extrêmement élevées : 2300 morts ou portés disparus, et 1300 blessés graves. Les chefs militaires japonais, qui prévoyaient de perdre la moitié de leurs forces engagées dans l’opération, n’ont finalement à déplorer que 55 morts et la perte de 29 avions. C’est pour eux une victoire historique, et étrangement facile. Le commandant Fuchida, en charge de l’opération, s’en étonne même au moment d’évaluer les dégâts : il avoue avoir été « frappé par l’imprévoyance et le manque de préparation des États-Unis, en particulier par le fait qu’ils n’aient pas pensé à protéger leurs cuirassés avec des filets pare-torpilles ».

« Le jour d’infamie »

Le président Franklin Roosevelt
Lisant la déclaration de guerre
des États-Unis.

Le lendemain, alors que les Japonais lancent une offensive majeure dans le Pacifique en s’attaquant aux Philippines, à Hong-Kong, Guam, la Thaïlande et la Malaisie, le président Roosevelt se rend au Congrès, accompagné de son fils en uniforme des Marines, et prononce à la tribune un discours historique dans lequel il présente sa version des événements de la veille : « hier, le 7 décembre 1941 - une date à jamais frappée d’infamie - les États-Unis d’Amérique ont été soudainement et délibérément attaqués par les forces navales et aériennes de l’Empire du Japon ». Au terme de son allocution, il demande, et obtient, la ratification par les parlementaires de la déclaration de guerre. Par la même occasion, les États-Unis entrent en guerre contre l’Axe composé du Japon, de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. Ce qui était inimaginable deux jours plus tôt, compte tenu de l’état de l’opinion publique, devient d’un seul coup une évidence, comme l’écrit l’aviateur pro-nazi Charles Lindbergh dans son Journal du temps de guerre : « Je n’arrive pas à penser à autre chose et à me concentrer sur ce que j’écris. Comment notre flotte et notre aviation ont-elles pu laisser les Japonais s’approcher si facilement des îles Hawaï ?… L’attaque des Japonais ne me surprend aucunement. Nous les poussons à la guerre depuis plusieurs semaines. Ils ont simplement pris les devants… J’ai téléphoné au général Wood à Boston. Ses premiers mots ont été pour me dire : "Eh bien ! il nous y fait entrer par la porte de derrière…" Le Président a parlé à midi, demandant au Congrès de voter la guerre. À l’unanimité, le Sénat l’a approuvé. À la Chambre, il n’y a eu qu’un "non". Que faire d’autre ? Voici des mois que nous faisons tout pour avoir la guerre. Si le Président avait demandé au Congrès, hier, de le suivre dans une déclaration de guerre, il aurait eu une grande majorité contre lui. Mais, maintenant, on nous a attaqués chez nous, dans nos eaux. Nous avons attiré la foudre sur nos têtes, mais, dans les circonstances actuelles, je ne vois qu’une solution : se battre. Si j’avais été membre du Congrès, j’aurais voté la guerre, moi aussi. ».

Le mémorandum McCollum

Les témoignages de ceux qui ont pu discuter avec Roosevelt les 6, 7 et 8 décembre 1941 révèlent que l’attaque japonaise n’a pas été une surprise pour le président et ses proches conseillers. En réalité, une telle offensive était envisagée et même souhaitée par l’administration états-unienne depuis plusieurs mois.
Depuis plus d’un an, Washington cherche un moyen d’entrer en guerre contre le Japon tout en conservant le soutien de son opinion publique. Une évaluation stratégique de la situation rédigée le 7 octobre 1940 détaille en effet la menace que fait peser le Japon sur l’issue du conflit mondial dans lequel les États-Unis n’ont pas encore réussi à entrer. Son auteur, le lieutenant commandant Arthur McCollum, est membre de l’Office of Naval Intelligence, le service de renseignement de la marine. Son exposé est limpide.

Il commence par détailler la situation miliaire actuelle : toute l’Europe continentale est passée sous contrôle de l’Axe italo-germanique, et seul l’Empire britannique résiste encore à cette domination. Par ailleurs, la propagande de l’Axe a réussi à assurer la neutralité des États-Unis par rapport à « la guerre européenne ». Cette situation fait peser une menace stratégique sur les États-Unis : la sécurité du pays est mise en danger par des révolutions fomentées par l’Axe dans les pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. De plus, en cas de défaite de l’Angleterre, les États-Unis peuvent s’attendre à une attaque immédiate de la part de l’Allemagne, alors que la flotte britannique sera tombée entre leurs mains.

Le Japon représente donc une double menace : dans l’immédiat, une offensive japonaise permettrait à l’Allemagne et l’Italie de contraindre les États-Unis à se préoccuper de leur propre sécurité, empêchant ainsi Washington de poursuivre son soutien aux Britanniques face aux offensives aériennes allemandes. À plus long terme, après la défaite britannique, le Japon se trouverait en position privilégiée pour lancer les hostilités envers les États-Unis et assurer la victoire finale de l’Axe. En effet, l’armée nippone a la capacité d’attaquer les dominions britanniques et les routes d’approvisionnement vers l’Australie, mais aussi l’Inde et l’Indonésie. La conséquence d’une victoire japonaise serait désastreuse : le contrôle des mers, jusqu’ici assuré par la marine britannique, serait alors réalisé par des forces ennemies des États-Unis. « Pour résumer : la menace pour notre sécurité dans l’Atlantique reste faible tant que la flotte britannique reste en position dominante sur cet océan et amicale vis-à-vis des États-Unis ». Il faut donc empêcher que les Japonais ne lui portent un coup trop dur dans l’Océan indien, qui contraindrait les Anglais à se défendre sur deux fronts. D’autant que le Royaume-Uni est également menacé d’une attaque terrestre par l’Allemagne et l’Italie depuis les Balkans et l’Afrique du Nord contre le canal de Suez. Les États-Unis, écrit McCollum, font déjà tout leur possible pour aider le Royaume-Uni en Europe. Ce qu’ils peuvent faire de plus, c’est d’empêcher le Japon de créer un nouveau front maritime dans l’Océan indien.

Comment s’y prendre ? Le lieutenant général évalue les forces en présence et en conclut que les États-Unis sont en position favorable pour l’emporter en cas d’ouverture des hostilités avec le Japon. Mais c’est justement ce point-là qui pose problème : l’opinion publique états-unienne est majoritairement opposée à l’entrée en guerre des États-Unis. En pleine campagne électorale de 1940, Roosevelt assure ainsi son électorat que « vos garçons ne seront pas envoyés dans une quelconque guerre étrangère ». Il est donc nécessaire de renverser cette tendance. Pour cela, McCollum énonce huit recommandations :
 conclure un accord avec le Royaume Uni pour l’utilisation des bases britanniques dans le Pacifique, notamment Singapour
 conclure un accord avec la Hollande pour l’utilisation de ses bases et l’approvisionnement en matières premières dans les Indes néerlandaises (future Indonésie)
 aider de toutes les manières possibles le gouvernement chinois de Tchank-Kai-Chek.
 envoyer une division de grands croiseurs à l’est, aux Philippines ou à Singapour
 envoyer deux divisions de sous-marins à l’est
 maintenir l’essentiel des forces de la flotte US actuellement dans le Pacifique aux alentours des îles hawaïennes
 insister pour que les Néerlandais refusent de satisfaire les demandes japonaises de concessions économiques indues, notamment le pétrole.
 réaliser un embargo complet de tout commerce des États-Unis avec le Japon, en collaboration avec un embargo similaire imposé par l’Empire britannique.

Et il conclut : « si, de cette manière, le Japon pouvait être amené à commettre un acte officiel de guerre, tant mieux. Dans tous les cas nous devons être entièrement préparés à accepter la menace d’une guerre ». L’idée n’est pas nouvelle. Dans l’ensemble de l’histoire militaire, surtout au cours des deux derniers siècles, la question de la responsabilité du déclenchement des hostilités est un casse-tête pour les gouvernements et leur état-major militaire. En 1898, les États-Unis mettent en scène l’explosion d’un de leurs cuirassés, le Maine, dans la rade de Cuba et des Philippines, la faisant passer pour un acte d’agression des Espagnols, ce qui sera infirmé en 1911. Entre temps, les États-Unis auront pu déclarer la guerre à l’Espagne et prendre le contrôle de Cuba. En 1940, la situation est encore plus compliquée pour Washington : l’isolationnisme états-unien s’est renforcé après la Première guerre mondiale et le régime nazi n’a pas que des adversaires dans le pays [1]. L’idée de provoquer un acte hostile d’envergure, pour justifier l’entrée en guerre du côté des Alliés, s’impose d’elle-même.

L’exécution du plan McCollum

Le plan du lieutenant commandant n’aura pas le destin ordinaire des centaines de rapports similaires qui parviennent à Washington chaque jour. McCollum peut en effet compter sur l’oreille attentive de deux proches conseillers militaires du président : les capitaines de la Navy Walter S. Anderson et Dudley W. Knox. Anderson est à l’époque directeur du Bureau de renseignement naval (Office of Naval Intelligence), et a un accès direct à Roosevelt. Dudley W. Knox est un stratège naval et chef de la documentation de l’ONI. Il a servi de mentor à l’amiral Ernest J. King, un autre conseiller militaire de la Maison-Blanche, et approuve immédiatement le plan de McCollum, qu’il fait suivre à Anderson avec un petit mémo d’approbation. Il n’est pas établi, d’après les archives disponibles, que Franklin D. Roosevelt en ait pris connaissance. Cependant, force est de constater que la politique étrangère états-unienne dans la région va suivre à la lettre les recommandations formulées dans le mémorandum. En effet, à partir de 1941, toute la stratégie de Roosevelt va être destinée à provoquer l’ouverture des hostilités par le Japon. Des accords sont passés avec le Royaume-Uni pour l’utilisation de la base militaire de Simpson Harbor, à Rabaul, en Papouasie-Nouvelle Guinée. Washington mène par ailleurs des négociations avec les Pays-Bas pour empêcher que le Japon parvienne à s’approvisionner auprès d’eux. Roosevelt s’intéresse également de très près aux négociations entreprises en parallèle par les Néerlandais avec Tokyo. Concernant la Chine, l’administration accorde une aide financière de 25 millions de dollars au régime de Chang-Kai-Chek et autorise les miliaires états-uniens volontaires à se battre au sein des Tigres Volants, une division d’aviation composée de mercenaires dirigés par le colonel Claire Chennault. Roosevelt envoie ensuite, à l’automne 1941, son conseiller personnel, Henry F. Grady, pour qu’il rejoigne une commission états-unienne dont le but était de fournir toute l’aide possible à la Chine. La commission est présidée par le major-général John Magruder, ancien chef du renseignement militaire de l’US Army. Des croiseurs et des sous-marins sont également envoyés dans sur le « front » oriental, comme le suggérait le mémorandum. Et l’embargo total envers le Japon est déclaré le 26 juillet 1941.

Les documents déclassifiés par le Pentagone depuis 1994 permettent de savoir avec un peu plus de précision le nom des protagonistes états-uniens au courant de la stratégie. Le journal du secrétaire à la Guerre, Henry L. Stimson, révèle ainsi que, le 25 novembre 1941, le cabinet de guerre de Roosevelt s’est réuni pour discuter de la manière dont il fallait « laisser le Japon tirer en premier ». Robert B. Stinett, qui a eu accès à ces archives grâce au Freedom of Information Act, dresse une liste a minima des personnes concernées par le plan de McCollum, d’après les documents qu’il a consultés : le président Roosevelt, le lieutenant commandant Mc Collum, les capitaines Walter S. Anderson et Dudley Knox, les amiraux Harold Stark, James O. Richardson et William Leahy, le général George Marshall, le commandant Vincent Murphy (les grades sont ceux de l’automne 1940) [2]. Tous n’en approuvent pas la teneur, notamment quand il commence à apparaître que l’action japonaise recherchée doit, pour avoir un effet sur l’opinion publique états-unienne, occasionner des pertes humaines.

Ceci se fait jour avec la décision de déployer la flotte à Hawaï, dans la base de Pearl Harbor. C’est en effet une base particulièrement vulnérable. Lors d’exercices militaires en 1932 les forces aériennes états-uniennes, dirigées par l’amiral Harry E. Yarnell, avaient déjà réussi à l’attaquer par surprise. Un exercice similaire se déroula en 1938, sous la direction de l’amiral Ernst King. Avec le même succès. Ce qui ne fût pas sans donner des idées aux Japonais. Au collège militaire de la marine japonaise, un cours consacré aux « études stratégiques et tactiques dans les opérations contre les États-Unis » enseigne aux officiers que « au cas où le gros de la flotte de l’ennemi serait stationné à Pearl Harbor, l’idée devrait être d’ouvrir les hostilités par une attaque aérienne surprise » [3]. La décision de transférer la flotte états-unienne dans la base hawaïenne est néanmoins prise le 8 octobre 1940, le lendemain de la rédaction du mémorandum par McCollum. Ce qui suscite de virulentes réactions de la part de l’état-major de la Marine, conscient que les navires se retrouvent ainsi exposés à une attaque ennemie. Lorsque Roosevelt annonce la nouvelle aux amiraux William D. Leahy, chef des opérations navales, et James O. Richardson, commandant de la flotte, celui-ci explose : « Monsieur le Président, les officiers supérieurs de la Navy n’ont pas la confiance du commandement civil de ce pays qui est essentiel pour que soit mené avec succès une guerre dans le Pacifique » [4] . Il désapprouve également la politique de provocation à l’égard du Japon, puisque le « premier pas » qui doit déclencher la guerre visera, selon toute évidence, la flotte qu’il commande. Son opposition aux vues présidentielles conduisent le président Roosevelt à le démettre de ses fonctions le 1er février 1941, dans le cadre d’un vaste remaniement de la Navy. Le sous-amiral Husband Kimmel prend alors la tête de la flotte du Pacifique stationnée à Pearl Harbor. Dans ses mémoires, Richardson se range du côté de Kimmel, accusé de négligence par une commission d’enquête parlementaire au sortir de la guerre. Selon Richardson, Kimmel n’était effectivement pas au courant de la stratégie de Roosevelt. Il est beaucoup moins tendre envers l’amiral Harold Stark, chef des opérations navales depuis 1939, qu’il accuse d’avoir placé inutilement la flotte en danger, sans en avertir Kimmel.

Mémorandum adressé le 27 novembre 1941 au Lieutenant Généeral Walter Short, Commandant de l’US Army à Hawaï.
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Les écrans de fumée historiques

L’historiographie officielle de Pearl Harbor, qui parle d’« attaque surprise » se fonde sur deux postulats ressassés depuis 1941, dont chacun est nécessaire et suffisant pour enterrer la piste de la complicité de Roosevelt. Le premier est que les services de décryptage de l’US Navy ne connaissaient pas le code des messages japonais à l’époque. Le second est que, de toute façon, la flotte japonaise a observé un silence radio dans les dizaines d’heures qui ont précédé l’attaque. Ces deux précisions sont inutiles, puisque tout avait déjà été réalisé en amont pour s’assurer que les Japonais attaquent, et notamment pour fragiliser les positions de Pearl Harbor. Elles n’en sont pas moins fausses, comme l’a démontré Robert B. Stinnett : non seulement les Japonais n’ont pas observé le silence radio, mais en plus leurs messages ont été interceptés et décodés par les services de renseignement états-uniens, puis transmis à Washington. Ce qui permet d’expliquer pourquoi l’ambassadeur japonais fut contraint d’attendre plusieurs heures avec la déclaration de guerre en poche, avant le début de l’attaque : le secrétaire d’État n’accepta de le recevoir qu’une fois l’offensive déclenchée. Un mémorandum du 27 novembre 1941, signé Marshall et rédigé par le secrétaire à la Guerre Henry L. Stimson, rappelle au lieutenant général Walter Short les souhaits de la Maison-Blanche : « Les États-Unis désirent que le Japon commette la première action manifeste ». Dix jours plus tard, après avoir pris la précaution d’envoyer en mission de reconnaissance les trois cuirassés les plus importants de la flotte, la Maison-Blanche put jouer la carte de la trahison tandis que l’aviation japonaise envoyait ses navires par le fond.

La rhétorique de la « légitime défense »

Il apparaît particulièrement incroyable d’envisager que l’opinion publique états-unienne ait été tellement hostile à une entrée en guerre contre l’Allemagne nazie qu’il fût nécessaire de sacrifier plus de 2000 hommes pour les convaincre de l’utilité d’une intervention dans le conflit mondial. Il semble qu’avec le Vietnam, le Panama ou encore l’Irak, les mécanismes de propagande aient largement progressé outre-Atlantique. En 1940, l’héritage « pacifiste » des Pères Pélerins, qui ne déclarent la guerre qu’en légitime défense, est très prégnant. Mais aujourd’hui encore, l’administration états-unienne met systématiquement en avant la menace que font peser sur la « sécurité nationale » les pays qu’elle souhaite envahir. L’invasion de l’Afghanistan, en octobre 2001, qui visait à reprendre des positions stratégiques en matière pétrolière, ne fût-elle pas présentée comme une réponse aux attentats du 11 septembre ? De la même manière, pour justifer l’envoi de troupes en Irak, l’un des hauts responsables du secrétariat à la Défense états-unien s’est efforcé d’expliquer aux sénateurs états-uniens réunis à huis clos que l’Irak menaçait d’utiliser des drônes transcontinentaux pour envoyer des armes chimiques ou biologiques sur la côte est des États-Unis.

La menace que fait peser une prise de contrôle de l’Océan indien par une puissance hostile, telle que le Japon, prend finalement le dessus sur les volontés isolationnistes. La Charte de l’Atlantique, signée le 14 août 1941 entre Winston Churchill et Franklin Delano Roosevelt ne dit pas autre chose : l’article 7 prévoit que « la paix devrait offrir à tous la liberté des mers et des océans. ». Le reste du texte érige la vision du monde tel qu’il sera après la victoire sur le nazisme : un monde où « tous les pays parviennent à une collaboration totale dans le domaine économique, dans le but d’assurer de meilleures conditions de travail, le progrès économique et la sécurité sociale » (article 6) et où tous les États auront accès « aux marchés mondiaux et aux matières premières qui sont nécessaires à leur prospérité économique. » (article 4). Le tout, bien sûr, en respectant « le droit de chaque peuple à choisir la forme de son gouvernement » (article 3).

Mais au-delà de ces considérations sur le projet d’implantation d’un modèle économique à l’échelle mondiale, qui n’a pas attendu l’aube de Pearl Harbor pour être la doctrine stratégique des États-Unis, il convient de revenir sur cette opération de guerre psychologique que constitue le mythe du « jour de l’infamie » construit par Roosevelt. Si l’on en croit la définition par la 5e division de l’état-major des forces armées françaises (dite 5e bureau), « la guerre psychologique est l’emploi planifié de la propagande et d’autres moyens afin d’influencer les opinions, les émotions, les attitudes et le comportement des groupes humains, amis, ennemis ou neutres afin de faciliter l’accomplissement de buts et d’objectifs ». À cet égard, il est donc possible de réviser l’image traditionnelle, consacrée par les historiens, d’un Pearl Harbor illustrant la fin du « rêve américain » et la vulnérabilité militaire des États-Unis face à une attaque perpétrée sur leur sol. Au contraire, Pearl Harbor est un véritable succès en termes de guerre psychologique, qui ouvre la voie à une longue liste de manipulations et opérations du même type, de la Guerre froide jusqu’à aujourd’hui.

titre documents joints

[1Le IIIe Reich, du fait de son anticommunisme, bénéficie de réelles sympathies de la part de certains grands décideurs économiques et même d’hommes politiques états-uniens. L’ambassadeur des États-Unis à Londres, Joseph Kennedy, a notamment publié un opuscule intitulé Restons à l’écart de la guerre (Stay out of War), dont l’impression fut financée par les services de propagande du Reich.

[2Day of Deceit - The truth about FDR and Pearl Harbor, par Robert B. Stinnett, Touchstone, 1999.

[3« The day of infamy », par Jeremy R. Hammond, Yirmeyahu Review, 8 novembre 2002.

[4On the Treadmill to Pearl Harbor : The Memoirs of Admiral James O. Richardson, par George C. Dyer, US Navy.