(mercredi 27 juin 2001)

Présidence de M. François Loncle, Président

Le Président François Loncle : La Mission d’information vous remercie d’avoir répondu à son invitation. Vous connaissez probablement l’existence et le but de notre Mission d’information. L’Assemblée nationale française a souhaité connaître la vérité sur les événements tragiques de juillet 1995 à Srebrenica. A cet effet, elle a constitué une Mission d’information composée d’une dizaine de Députés de la Commission des Affaires étrangères et de la Commission de la Défense, puis procédé à un très grand nombre d’auditions de responsables civils et militaires de plusieurs nationalités. Les membres de la délégation terminent leur mission en venant rencontrer les responsables bosniaques, les victimes, et se rendre sur les lieux de Srebrenica et de Tuzla, afin d’obtenir le maximum d’informations pour bâtir le rapport d’information.

(Le Président présente les membres de la Mission d’information.)

La délégation est très sensible à votre présence et désireuse de vous écouter.

Mme Munira Subasic : Je suis membre de l’association " Mères de Srebrenica et de Zepa ". Je suis contente de constater que vous avez, vous aussi, compris votre part de participation dans ces événements. En effet, chacun sait qu’en 1993, le général Philippe Morillon a proclamé Srebrenica enclave protégée. Il nous a garanti, à nous les mères, à nos enfants et à nos maris, que la guerre était terminée pour Srebrenica ; il a affiché le drapeau des Nations unies et a, d’une certaine manière, garanti la sécurité de ceux qui y sont restés.

Le général Janvier, qui devait empêcher la tragédie de Srebrenica, ne l’a pas fait, de même que le Président Chirac. On sait qu’aux mois de janvier et de juillet, le général Janvier avait rendez-vous à Zvornik avec Mladic, et ce qu’ils ont négocié, nous l’avons senti dans notre chair en 1995. En effet, après la chute de Srebrenica, nous n’avons plus jamais revu 10 700 personnes, dont 570 femmes et 1 042 enfants mineurs, emmenés sous les yeux du bataillon néerlandais. Celui-ci avait demandé au général Janvier d’autoriser les frappes aériennes sur Srebrenica pour protéger ces vies, ce qu’il a refusé. Il est le premier responsable, avec le Président Chirac, de la tragédie de Srebrenica.

Pour ma part, je considère qu’ils sont responsables militairement et politiquement des événements tragiques de Srebrenica. Je ne sais pas comment votre Gouvernement et votre Parlement perçoivent cela, s’ils considèrent eux aussi que cet homme aurait dû empêcher les horreurs qui ont eu lieu et qu’il ne l’a pas fait. Il a respecté l’accord qu’il avait passé avec Mladic.

D’après le premier accord, Mladic devait relâcher les Français pris en otages après les premiers bombardements de Pale. C’est là que le général Janvier a donné le feu vert à Mladic pour occuper Srebrenica. Nous, les mères, nous le considérons comme le coupable, et il l’est réellement. A Potocari, on m’a pris mon fils qui était mineur, mon mari, mon père et 22 membres de la famille Subasic. Je suis à la recherche de 10 701 personnes qui ont disparu après la chute de Srebrenica.

M. Ibran Mustafic : Puis-je vous poser une question ? Je vous fais une proposition pour empêcher que la réunion prenne un tour négatif. Avant d’entamer les discussions, je propose, comme vous l’avez fait de votre côté, que chacun d’entre nous se présente pour que l’on voit qui est là aujourd’hui et quel est ce travail que l’on doit faire.

Mme Fatima Husejnovic : Je suis membre de l’association " Srebrenica 99 ". J’ai passé toute la guerre à Srebrenica et avec la chute de Srebrenica, je suis venue ici dans la Fédération de Bosnie. Je suis très active dans l’organisation féminine, créée à Srebrenica depuis 1992, et j’ai été informée de certains événements, dès le début de la guerre. J’ai personnellement organisé la prise en otages du général Morillon et de ses militaires lorsqu’ils sont venus à Srebrenica. J’ai eu de nombreux contacts directs avec lui, dans son cabinet à Srebrenica, durant lesquels il m’a dit beaucoup de choses, entre quatre murs.

Dr. Eliaz Pilav : J’étais médecin à Srebrenica. Actuellement, je vis dans la région de Sarajevo. Je suis membre de ce groupe de réfugiés qui s’est installé à Vogosca.

M. Ibran Mustafic : Depuis 1990, je suis leader du parti au pouvoir à Srebrenica. De 1990 à 1996, j’ai été membre du Parlement de Bosnie-Herzégovine et Président du Gouvernement de la ville de Srebrenica jusqu’à l’éclatement de la guerre. Au début de l’agression sur la Bosnie-Herzégovine, je suis venu, le 7 avril 1992, pour participer à une session au Parlement à Sarajevo et je suis resté à Sarajevo pendant les sept premiers mois de la guerre.

Puis, début décembre 1992, je suis rentré à Srebrenica où je suis resté jusqu’au 12 juillet 1995. J’ai été emprisonné jusqu’au 26 avril 1996. Jusqu’aux élections de 1996, j’ai participé au travail de l’assemblée. De 1996 jusqu’à maintenant, j’ai fait un peu de politique, mais je me suis principalement occupé de sujets touchant à Srebrenica.

Mme Hatija Mehmetdovic : Je suis de Srebrenica et membre de l’association " Mères de Srebrenica et de Zepa ". J’ai vécu à Srebrenica jusqu’en 1995, jusqu’à la chute de Srebrenica. Là j’ai perdu 2 fils et mon mari. Je n’ai plus personne. J’ai perdu mes frères, mes neveux et beaucoup d’autres membres de ma famille.

Mme Advija Sehomerovic : Je suis de Srebrenica et membre de l’association " Mères de Srebrenica et de Zepa ". Je suis née et j’ai vécu à Srebrenica jusqu’en 1995. C’est à cette époque que je suis partie à la retraite. Avec la chute de Srebrenica, j’ai perdu beaucoup de membres de ma famille et beaucoup d’amis. En 1992, mon mari a été tué par les Tchetniks à Bratunac.

Mme Mirsada Bosnjakovic : Je suis de Nova Kasaba de la commune de Blasenica. Je suis aussi membre de l’association " Mères de Srebrenica et de Zepa ". Quand la guerre a éclaté, je me suis retrouvée à Srebrenica avec ma famille. Mon mari a travaillé pour l’association Médecins sans frontières (MSF) en tant qu’interprète. Pendant la chute de Srebrenica, j’ai perdu mon mari, qui, en présence de membres de MSF, a été emmené de son travail, ainsi que mon fils qui était mineur, il n’avait même pas treize ans. J’ai aussi perdu mon frère, mon neveu, ma belle-s_ur et 17 membres de la famille Bosnjakovic.

Ici j’ai la carte de travail de mon mari, avec la lettre que j’ai adressée à MSF ainsi qu’une lettre de recommandation indiquant que c’était le meilleur interprète à Srebrenica et que, sans lui, cette organisation ne pouvait accomplir son travail. En arrivant à Tuzla avec mes 3 autres enfants, je me suis adressée plusieurs fois aux responsables de cette organisation pour qu’ils m’aident. Ils ne m’ont jamais rien envoyé, même pas un mot de condoléances. Pour moi, ils sont coupables et responsables de la mort de mon mari parce qu’il a été emmené sous leurs yeux. Ils avaient garanti la sécurité de tous leurs employés, mais ils ont laissé les Tchetniks l’emmener et l’égorger. On a retrouvé son corps dans un charnier à Karakaj, avec cette carte d’accréditation. C’est grâce à cette carte que l’on m’a retrouvée et que j’ai pu identifier le corps de mon mari. Il n’a toujours pas été enterré. Tous les corps se trouvent à Tuzla en attendant un enterrement commun. Quant au sort de mon fils mineur, de mon frère et de tous les autres, je n’ai eu aucune information.

Je profite de cette occasion pour remercier un homme, M. François, de Paris, qui a travaillé avec mon mari à MSF. Il nous avait dit, si jamais nous avions besoin d’aide, de nous adresser à lui, mais j’ai tout perdu, son adresse et tous les papiers.

Mme Munira Hadzic : Je suis de Nova Kasaba et membre de l’association " Mères de Srebrenica et de Zepa ". J’étais à Srebrenica. Au moment de la chute, j’ai perdu ma s_ur, mes amis et beaucoup d’autres. C’est tout.

Le Président François Loncle : Je vous remercie beaucoup pour ces témoignages extrêmement émouvants. Le but de la Mission d’information est de connaître la vérité et d’essayer de faire en sorte que plus jamais un tel événement ne puisse se reproduire. Nous avons auditionné un grand nombre de responsables. Par ailleurs, l’ONU a fait un rapport, sous la responsabilité de son Secrétaire général.

La visite en Bosnie de la Mission d’information est très importante, et nous ne pouvons pas aujourd’hui vous donner nos conclusions. Vous serez informés en priorité lorsque nous publierons le rapport, mais d’ores et déjà le sentiment de la Mission d’information est que la responsabilité est multiple. On ne peut accuser exclusivement tel ou tel responsable politique ou militaire. Il y avait une chaîne de commandement, dans l’Organisation des Nations unies, très complexe et qui n’a pas fonctionné. Des pays ont essayé de défendre la liberté et la paix sur le territoire de l’ancienne Yougoslavie. D’autres pays n’ont pas voulu intervenir ici et n’ont manifesté aucune attention pour les drames qui s’y déroulaient. Il serait paradoxal que seuls les pays qui se sont investis soient aujourd’hui accusés. Ainsi, il y aura neuf ans demain, le Président de la République française, accompagné d’un membre du Gouvernement, permettait à l’aéroport de Sarajevo d’être rouvert.

S’agissant de Srebrenica, vous êtes victimes de la tragédie la plus atroce qui se soit déroulée en Europe depuis la guerre. En premier lieu, la Mission d’information souhaite avoir des précisions sur ce que vous ressentez et ce que vous avez vécu, et qui encore une fois nous émeut infiniment.

J’ai personnellement deux questions précises à vous poser. La première concerne l’accusation que vous portez à l’encontre du général Janvier et de la France lorsque vous dites qu’il y a eu échange entre la libération des otages et la possibilité pour le général Mladic d’avoir toute liberté dans l’enclave. Jusqu’à maintenant, nous n’avons recueilli aucune preuve sur la réalité de cet accord. J’aimerais savoir si certains d’entre vous ont des preuves que cet accord aurait été conclu.

Ma deuxième question porte sur l’évacuation de l’enclave. Compte tenu des informations dont certains disposaient sur les dangers d’une attaque serbe, pourquoi le HCR ou une organisation comme MSF n’ont-ils pas évacué les civils et, s’agissant de MSF, leurs personnels bosniaques ?

M. Ibran Mustafic : Je voudrais dire, tout d’abord, que vos propos sur le Président Mitterrand et sa venue à Sarajevo m’ont irrité. Au moment de son arrivée, j’étais à Sarajevo et c’est pourquoi je voudrais faire quelques remarques concernant cet événement. A cette époque, j’ai réagi et dit à M. Alija Izetbegovic que si j’étais le Président de la République de Bosnie-Herzégovine, le Président Mitterrand ne serait pas autorisé à rentrer dans la présidence et resterait devant la porte. Je prétends - et j’en prends toute la responsabilité - que le Président Mitterrand n’est venu à Sarajevo que pour empêcher l’intervention du Conseil de sécurité des Nations unies, car la guerre, à cette époque, avait déjà éclaté en Bosnie-Herzégovine. Il est seulement venu pour établir un corridor aérien avec Sarajevo, afin que les habitants de Sarajevo puissent recevoir des boîtes de poisson pendant cinq ans. Nous en sommes tout à fait conscients et nous avons le droit de le dire, car nous sommes venus aujourd’hui pour parler franchement. Avec le Président Mitterrand, la politique officielle de la France s’est mise ouvertement du côté de l’agresseur, c’est-à-dire du côté serbe. Pour nous, cela était tout à fait clair. En ce qui concerne la deuxième question, le Dr. Pilav pourra vous répondre, car il est médecin et a travaillé avec cette organisation.

Quant au général Janvier, nous disposons de documents qui mentionnent son rendez-vous le 15 juillet 1995 à Belgrade. A cette réunion, qui s’est déroulée chez le Président Milosevic, participaient le général Janvier, Karadzic, Mladic, M. Akashi, en tant que Représentant des Nations unies, et M. Carl Bildt. La tragédie de Srebrenica a commencé le 11 juillet, et ils se retrouvent le 15 juillet à cette réunion à Belgrade. La particularité de cette réunion est qu’ils se retrouvent tous le 15 juillet à Belgrade et que le lendemain, le 16 juillet, les plus grands massacres des personnes déjà arrêtées sont perpétrés. Cela ressort des déclarations et du témoignage de Erdemovic qui a été inculpé et jugé à La Haye. C’est le lendemain de cette réunion que les plus grands massacres sont commis. Bien entendu, on ne peut pas savoir de quoi ils ont discuté et sur quoi ils se sont mis d’accord, mais on perçoit très bien les conséquences de cette réunion, et ce qui s’est passé après.

Plus spécifiquement, s’agissant du général Janvier et du Gouvernement français de cette époque, le général Janvier était ici dans le cadre des forces des Nations unies qui s’appelaient à l’époque FORPRONU et, en même temps, il était militaire français, il était responsable devant le Gouvernement français. Je veux dire qu’avant tout, il était général de l’armée française.

A ce sujet, j’évoquerai un épisode qui a fait que je suis resté prisonnier des Tchetniks et que des milliers de personnes sont restées à Potocari. Au moment de la chute de Srebrenica, j’étais encore dans un assez mauvais état de santé car, cinquante jours avant la chute, j’avais été blessé et j’avais du mal à bouger. Le 11 juillet au soir, je suis parti dans la direction de Bulime, c’est-à-dire la direction dans laquelle la plupart de la population s’est dirigée en voulant traverser la forêt pour rejoindre Tuzla.

Je suis arrivé jusqu’à un endroit qui s’appelle Dubrocevic, mais j’étais déjà complètement épuisé et je suis rentré à Potocari. En arrivant à Potocari, vers minuit, j’ai cherché un poste de radio pour avoir des informations, car je n’en avais aucune. La nuit du 11 au 12 juillet, j’ai écouté le journal de minuit de la radio de Bosnie-Herzégovine, et j’ai entendu la déclaration du Président Chirac demandant que le Conseil de sécurité des Nations unies prenne la décision d’intervenir d’urgence à Srebrenica afin d’arrêter les forces de l’agresseur, de les renvoyer hors de Srebrenica, d’attaquer, si nécessaire, avec les troupes de l’OTAN, et de permettre à la population de rester à Srebrenica. Ce discours du Président de la République française, que j’ai entendu à ce moment-là, m’a conduit à décider d’attendre, avec beaucoup d’autres, les Tchetniks dans cette usine de Potocari. En effet, il ne s’agissait pas là d’une déclaration d’aide humanitaire ou d’un membre d’une organisation humanitaire en France, mais de la déclaration du Président de la République française, l’une des puissances de l’OTAN et membre permanent du Conseil de sécurité, c’est-à-dire des Nations unies, ceux-là même qui avait voté la résolution selon laquelle Srebrenica était une zone protégée.

En même temps, ce qui est encore plus grave, le Conseil de sécurité et la France, en tant que membre permanent, savaient que Srebrenica était une zone démilitarisée, ce qui est cent fois plus particulier que d’être simplement une zone protégée, parce qu’on était effectivement le peuple désarmé. Selon la Charte des Nations unies, sur laquelle se basent toutes les organisations internationales, c’est-à-dire le Conseil de sécurité et l’OTAN, la communauté internationale était dans l’obligation d’intervenir à Srebrenica.

Le Président François Loncle : Tout cela, nous le savons. Vous remarquez vous-même que le Président Chirac a fait une déclaration qui laissait entrevoir une protection, tout en l’accusant personnellement, mais vous ne répondez pas à ma question sur la preuve d’un accord entre le général Janvier et Mladic sur un échange éventuel entre les otages et la liberté d’action.

M. Ibran Mustafic : Je ne parlais pas ici des otages français, mais de la réunion du 15 juillet à Belgrade.

Le Président François Loncle : Alors sur quoi aurait porté un accord entre le général Janvier et Mladic ?

M. Ibran Mustafic : A Srebrenica, nous n’étions pas l’OTAN pour pouvoir enregistrer les entretiens à Belgrade ! Ils ont probablement bu du whisky, car chacun sait que Milosevic aime le whisky, mais il est impossible d’attendre de nous de dire sur quoi portait l’accord, excepté le fait qu’ils se sont mis d’accord sur quelque chose à Belgrade. Ce qui nous intéresse, ce sont les conséquences de l’accord. C’est pourquoi on évoque la responsabilité de toutes les institutions, de certains Gouvernements, qui étaient mandatés. Nous pourrions aussi vous poser des questions sur ce qui nous intéresse. Par exemple, s’agissant du témoignage du général Janvier devant le Parlement français, il n’y a eu aucun compte rendu dans la presse et les médias. J’ai pourtant suivi les travaux de la Mission d’information.

Le Président François Loncle : Vous aurez ce compte rendu dans le rapport.

M. Ibran Mustafic : Nous attendons de vous des réponses à ces questions, car peut-être qu’à l’époque le Gouvernement français n’était pas impliqué directement dans ce drame. Imaginons que je sois militaire dans l’armée bosniaque, je sais pour quelles tâches je suis mandaté, je ne suis pas simplement parachuté dans cette organisation, je suis responsable envers le Gouvernement que je représente.

Le Président François Loncle : Vous estimez a priori que la France est coupable, donnant l’impression qu’elle est seule à l’être, et vous finissez votre propos, de manière plus objective, en reconnaissant que ce n’est pas seulement la France, mais la communauté internationale et d’autres responsables.

M. Ibran Mustafic : Nous n’avons pas devant nous la délégation du Conseil de sécurité. Ce qui vous intéresse, c’est la responsabilité du Gouvernement français.

Le Président François Loncle : Pas seulement.

M. Ibran Mustafic : Pas seulement. Bien sûr, pourquoi ? Je ne voulais pas évoquer le Président Mitterrand tout à l’heure, ni le Premier ministre britannique, Major, parce que je pensais que cela ne vous intéressait pas.

Le Président François Loncle : Le Dr. Pilav va maintenant décrire l’évacuation et le rôle de MSF.

Dr. Eliaz Pilav : Cela ne vous surprendra pas si je vous dis que cette question est débattue en ce moment. Je parle de cela en tant que témoin de tous les événements à Srebrenica. Quand on pose une telle question, on essaie aussi de dévier l’attention sur des choses beaucoup plus importantes. Pour moi, attirer l’attention sur les organisations humanitaires, c’est que l’on n’est soit pas assez soit bien informé. MSF et la Croix-Rouge sont arrivés à Srebrenica après que l’enclave eut été déclarée zone protégée. Du début jusqu’à la fin, j’ai été un très proche collaborateur de MSF. Je profite de cette occasion pour exprimer tout mon respect pour cette organisation. Les membres de MSF ont fait beaucoup, et je ne sais pas s’ils auraient pu faire plus dans les conditions données. Ils continuent d’ailleurs encore aujourd’hui. Je pense que cette réunion s’est aussi tenue grâce à eux. J’espère que tout cela aboutira à un résultat qui sera juste.

Pour revenir à Srebrenica, les représentants du HCR ont quitté la ville quelques mois avant sa chute. Seul un employé local est resté, c’est-à-dire un Musulman de Srebrenica. Les représentants de la Croix-Rouge ont également quitté Srebrenica quelques mois avant la chute et seuls quelques employés locaux sont restés. Quelques mois avant la chute, la mission MSF a aussi été réduite à Srebrenica. Au moment de l’attaque et de la chute de Srebrenica, il n’y avait comme représentants de MSF qu’une infirmière allemande, Christina Schmitz, et un médecin australien, Daniel O’Brien.

Quel était le mandat de MSF à Srebrenica ? Eux non plus ne pouvaient entrer et sortir de la ville comme ils le voulaient. Peut-on imaginer que ces deux personnes aient pu organiser l’évacuation ? Je le sais parce que j’en ai été témoin qu’ils ont envoyé des rapports en permanence, jour et nuit, dans tous les coins du monde. Savez-vous quelles sont les réponses qu’ils recevaient le plus souvent ? Vos rapports, et là je cite, " peuvent-ils être confirmés par des sources indépendantes " ? Qu’est-ce que les sources indépendantes ? Ils étaient seuls avec nous. J’arrête sur ce point qui n’est pas important dans cette situation.

Srebrenica était une zone protégée, une zone démilitarisée, et on a commis un génocide à Srebrenica. Quelqu’un a pris la responsabilité en 1993 de déclarer Srebrenica zone protégée et démilitarisée. Selon cette logique, Srebrenica n’aurait pas dû vivre ce qu’elle a vécu. Mais si elle a eu ce destin, quelqu’un en est coupable. Il est évident qu’il n’y a pas de responsabilités individuelles. Plusieurs facteurs ont contribué au sort de Srebrenica.

Les Serbes sont les exécuteurs de Srebrenica ; cependant il est très clair, et cela ne devrait plus faire l’objet de polémiques, qu’ils avaient des complices, c’est-à-dire avant tout la communauté internationale, et quand je dis communauté internationale, je pense à ceux qui étaient présents à cette époque. Dans cette hiérarchie, en partant du bas, il y a le bataillon hollandais, l’inévitable général Janvier, M. Akashi, et bien sûr M. Kofi Annan qui, à cette époque, n’était pas le Secrétaire général, mais la personne en charge des Balkans.

J’évoquerai encore ce dont j’ai été le témoin. Du 10 au 11 juillet, c’est-à-dire la veille de la chute, en tant que médecin, j’étais présent à la réunion du poste de commandement de Srebrenica où on a essayé encore une fois de voir comment défendre Srebrenica. A minuit exactement, le colonel Karremans est arrivé au poste où se tenait la réunion. Comme s’il savait de quoi on parlait, il a expliqué qu’il ne fallait pas que l’on tire ou que l’on réponde aux combats. Il a déployé la carte de la région où étaient marquées nos positions et celles des Serbes. Il a précisé qu’il avait indiqué des zones qu’on appelait zones de la mort. Il a précisé avoir déjà demandé à plusieurs reprises et finalement obtenu l’autorisation des frappes aériennes et qu’à l’aube, ces frappes auraient lieu. Il a indiqué ces soi-disant zones de la mort et a demandé qu’on se retire à une distance où on serait en sécurité par rapport à elles, prétendant que ceux qui s’y trouveraient seraient tués.

Que pouvaient faire les militaires de Srebrenica dans une situation aussi catastrophique ? Tout ce qu’il nous restait à faire, c’était de le croire. J’ai appris par la suite qu’un certain nombre d’avions avaient décollé d’Aviano en Italie et entendu dire que ces avions avaient été rappelés par le général Janvier.

M. Ibran Mustafic : Vous avez demandé de quelle manière était organisée l’évacuation, c’est-à-dire pourquoi les organisations internationales n’ont pas organisé une évacuation. Je vous renvoie la question, car elle signifie qu’on s’était déjà mis d’accord sur le principe de l’évacuation des habitants de Srebrenica ?

Le Président François Loncle : Il y avait des risques.

M. Ibran Mustafic : C’est la Serbie qui a agressé Srebrenica. Si, à ce moment-là, on avait opéré une évacuation en bonne et due forme, cela signifiait qu’on acceptait le nettoyage ethnique qui était la stratégie de toute cette guerre. La raison en était la signature des accords de Dayton selon lesquels la Bosnie-Herzégovine a été définitivement partagée.

Le Président François Loncle : Là n’est pas la question. Le problème est lié à l’existence d’une contradiction entre les informations convergentes recueillies, prédisant le pire quant à l’action des Serbes à Srebrenica et la détention de ces renseignements par ceux qui auraient pu prendre des précautions d’évacuation. Les mêmes ne peuvent pas nous dire à la fois qu’il y avait danger et qu’ils le savaient, et puis expliquer qu’ils n’ont rien fait pour évacuer les populations civiles.

Mme Hatija Mehmetdovic : Je voudrais revenir sur la première question. Vous avez demandé si nous avions les preuves de ces réunions secrètes entre le général Janvier et Mladic. Oui, nous les avons. Il y a 5 500 sacs qui sont déposés à Tuzla, 10 700 de nos enfants ont été emmenés et tout cela a été convenu avant que cela se passe. Les pays, qui avaient leurs militaires et officiers en Bosnie-Herzégovine, comme la France, les Pays-Bas, la Russie et les autres, qui étaient là pour éviter que ce malheur arrive, sont des complices parce qu’ils n’ont pas agi comme ils le devaient. Ils n’ont pas accompli leur mission comme il le fallait et ils sont responsables.

M. François Lamy, Rapporteur : Cette réunion d’aujourd’hui est importante car pour la première fois, la Mission d’information rencontre des personnes qui étaient sur place, mis à part les responsables hollandais.

J’aurai deux questions. On sait que Naser Oric et une partie de son état-major sont partis au mois d’avril. Je voudrais savoir si vous étiez informés de cela et si vous en connaissez les raisons, et si vous estimez que sa présence était utile. Militairement, était-il possible de faire quelque chose ou pas, compte tenu de l’état des forces bosniaques à ce moment-là ?

Quant à la deuxième question, certes il n’y a pas eu de frappes aériennes le 11 juillet au matin. En revanche, il y en a eu à 14 heures et puis selon nos informations, elles se sont arrêtées à la demande du Gouvernement hollandais. Vous qui étiez sur place, considérez-vous qu’il était encore possible, après 16 heures le 11 juillet, de continuer d’intervenir avec des avions ? Cela risquait-il d’entraîner des victimes civiles ? Etait-il encore possible d’avoir une action militaire dans la fin de la journée du 11 juillet ?

Dr. Eliaz Pilav : Je commencerai par la deuxième question. Ce que vous appelez les frappes de 14 heures le 11 juillet, on peut les appeler comme on veut, mais certainement pas des frappes. Que s’est-il passé ? Deux avions ont survolé la zone, et l’un des deux a lâché quelque chose qui ressemblait à une bombe fumigène, cela au moins trois kilomètres derrière les positions serbes. Etait-il possible d’intervenir à 16 heures ? Je pense que oui et avec beaucoup d’efficacité. A ce moment-là, le risque de tuer des civils était minime, parce que les civils avaient déjà quitté la ville.

M. Ibran Mustafic : Quand il y a eu le génocide perpétré par le régime de Milosevic à l’encontre des Albanais au Kosovo, l’OTAN n’a pas visé seulement les cibles. Leur cible était aussi le QG de l’armée yougoslave à Belgrade. A 14 heures le 11 juillet, j’étais à Lipa, une côte qui domine toute la zone. Quand ces deux avions de l’OTAN ont survolé la zone, je pensais qu’ils étaient en train de viser les véhicules blindés serbes qui se dirigeaient déjà vers Srebrenica. Après cette bombe qu’ils ont lancée, que je pensais être une vraie, j’ai vu que les véhicules blindés continuaient leur route vers Srebrenica. De cette côte qui domine toute la ville, un char tirait en permanence sur la ville, on n’a même pas essayé de le détruire. De plus, par la suite, on a appris, lors du procès de Krstic à La Haye, que c’était un lieu de commandement. Il ne faut pas nous poser des questions du genre " que se serait-il passé s’il y avait ou pas... ? ", cela ne nous intéresse pas. Quant à la question du départ de certaines personnes de Srebrenica, il faut leur demander pourquoi elles sont parties ou poser la question à ceux qui les ont convoqués.

M. François Lamy, Rapporteur : Mais vous (s’adressant aux autres personnes), qu’en pensez-vous ?

Mme Advija Sehomerovic : Pour ce qui concerne Naser Oric, je ne suis pas militaire. S’il était resté, cela aurait peut-être pu être un soutien moral pour nous, mais le soutien moral n’aurait pas suffi car notre armée était désarmée. Il aurait pu y avoir des centaines de Naser, mais sans armes, cela n’aurait servi à rien. En tout état de cause, il n’y avait personne pour nous défendre.

M. Ibran Mustafic : Je dois intervenir là. Nous avons dit tout à l’heure que Srebrenica était démilitarisée, que nous étions tous là-bas des civils sans armes, depuis 1995. On ne peut pas parler d’activités militaires à l’intérieur de la zone.

M. François Lamy, Rapporteur : Madame le dit très bien.

Mme Advija Sehomerovic : J’ai été la dernière à quitter ma rue le 10 juillet. Les voitures militaires blindées du bataillon hollandais étaient à Srebrenica. Les Hollandais nous ont aidés à quitter Srebrenica et nous ont invités à aller à Potocari. Quand les frappes ont commencé, j’étais dans un champ. Je n’ai pas du tout été effrayée par ces frappes. J’avais plus peur des avions serbes quand ils bombardaient Srebrenica, à l’époque, parce que c’était plus fort. Tout cela pour vous dire que, pour moi, ce n’était pas vraiment des frappes aériennes.

Mme Munira Subasic : Le 11 juillet à 16 heures, il y avait déjà environ 35 000, peut-être plus, hommes, femmes et enfants dans cette usine à Potocari. On avait installé une banderole rouge, blanche et jaune et on nous répétait sans arrêt : les personnes qui se retrouvent à l’intérieur de ce cercle sont en sécurité, mais on ne garantit rien pour celles qui sont en dehors. Pendant ces frappes de l’OTAN, j’allais à pied vers Potocari. Je pensais que c’était un avion qui partait vers Belgrade, je n’avais rien senti de spécial. Puis, au loin, j’ai vu une grande fumée. C’est politique de dire qu’il y a eu des frappes aériennes, et c’est uniquement pour se donner une petite justification.

Mme Advija Sehomerovic : Puis-je vous poser une question ? Cela sera peut-être un peu provocateur, mais pourquoi le Parlement français a-t-il mis six ans pour s’intéresser à la chute de Srebrenica ? Pourquoi pas plus tôt ? Fallait-il qu’une organisation humanitaire le pousse à le faire ? Six ans, c’est beaucoup, pour que quelqu’un reconnaisse qu’il est responsable de ce qui est arrivé. Beaucoup de mères sont déjà mortes ou meurent sans savoir ce qu’il est advenu de leurs enfants. Beaucoup ne le sauront jamais.

Le Président François Loncle : C’est à l’honneur de l’Assemblée nationale d’effectuer une enquête qu’aucune autre démocratie européenne n’a faite. La nouvelle assemblée a été élue en 1997. Pour des raisons politiques, il était logique que ce soit cette nouvelle assemblée qui fasse cette enquête avec un peu de recul. Il fallait qu’un certain nombre de responsables de l’époque ne soient plus dans l’action militaire ou civile, mais l’essentiel est que cette enquête soit effectuée et aboutisse à un rapport très complet.

Mme Advija Sehomerovic : Je salue votre décision de mener cette enquête. Mais comment se fait-il que tous ces Gouvernements, membres des Nations unies, n’ont pas cette conscience et ne se posent pas des questions ? Je salue votre décision, mais pourquoi vos prédécesseurs ne l’ont-ils pas prise ?

Le Président François Loncle : La principale conséquence, sur le plan international, du drame que vous avez vécu est que le fonctionnement des Nations unies a été mis en cause. Depuis, des propositions de réforme des Nations unies, très importantes pour l’avenir, ont été présentées. Ensuite, il y a eu, hélas, le Kosovo. On essaie de tirer toutes ces leçons.

M. Annan a demandé à M. Brahimi de faire des propositions de réforme de l’ONU, car cette organisation a toujours été dirigée pour maintenir la paix, mais pas pour faire la guerre. Or, en Yougoslavie, c’était la guerre. Il y a eu forcément des dysfonctionnements graves, en particulier au niveau de la chaîne de commandement. Le rapport de M. Annan a courageusement reconnu toutes ces erreurs.

Mme Munira Subasic : Nous n’avons rien su de tout cela.

Mme Marie-Hélène Aubert : Je voudrais tout d’abord m’exprimer en tant que femme. Je suis mère de famille moi-même, j’ai deux garçons, et je voulais vous exprimer mon respect pour ce que vous avez vécu. Je n’ose pas imaginer comment j’aurais réagi moi-même dans une telle situation. Nous sommes des parlementaires français et, à mon sens, il est de notre devoir de comprendre comment ont agi les représentants de la France dans la tragédie de Srebrenica. Les premiers qui doivent être informés du résultat de nos travaux, c’est vous. Notre devoir est aussi d’assumer nos responsabilités en tant que Français, même si d’autres sont également responsables. Je trouve légitime et normal que nous le fassions.

Je voudrais vous poser une question, qui est peut-être douloureuse pour vous. Le 11 juillet, vous confirmez ce que nous ont dit notamment les représentants de MSF sur place, c’est-à-dire que vous attendiez au matin des frappes aériennes importantes et que le colonel Karremans était tout à fait sûr de lui quand il vous en a parlé.

Quand les hommes ont commencé à être séparés des femmes et du reste de la famille, comment avez-vous réagi, qu’avez-vous demandé aux Casques bleus hollandais et comment eux ont-ils réagi ? Qu’est-ce qui a été tenté pour empêcher cela ?

Mme Fatima Husejnovic : Au moment de la chute de Srebrenica, j’étais dans le poste de commandement de la FORPRONU, dans cette fameuse usine à Potocari, où il y avait plus de 3 000 femmes, enfants et hommes pouvant porter des armes et d’autres pas. On a installé les blessés et les malades évacués de l’hôpital de Srebrenica. Personnellement, je m’occupais de ces blessés et de ces malades qui, le premier jour, n’avaient même pas d’eau. J’étais le témoin du transport des blessés depuis ce lieu de commandement de la FORPRONU. Christina Schmitz, qui alors dirigeait MSF, était directement impliquée ainsi que ce médecin australien, Daniel O’Brien.

Je continue sur ce que le Dr. Pilav a dit sur MSF car, moi aussi, je collaborais étroitement avec MSF. Je ne pourrai jamais oublier les larmes de Mlle Christina au moment où Srebrenica est tombée, ainsi que le souci du Dr. O’Brien lors de l’évacuation des blessés.

Le Président François Loncle : Mme Christina Schmitz nous a expliqué tout cela.

Mme Fatima Husejnovic : Je me trouvais, le 12 juillet, dans ce lieu de commandement à Potocari, après l’évacuation de la première moitié des blessés. Dans le hall de ce poste, entre deux grandes pièces où avaient été installés des réfugiés et des malades, on avait tiré une corde près de laquelle il fallait passer pour se rendre aux toilettes. A gauche de cette corde, se trouvait une sortie qui allait vers le village de Pecista et à droite, on se dirigeait vers les toilettes. Les hommes, les femmes et les enfants étaient obligés de passer à côté de cette corde pour aller aux toilettes. Les petits enfants pouvaient aller à droite vers les toilettes, tandis que les hommes et les jeunes garçons étaient dirigés de l’autre côté, puis emmenés. On n’a jamais revu aucun d’entre eux.

Après vous avoir raconté ce dont j’ai été témoin, je vais vous dire ce que les gens rapportaient. J’ai donc vu de mes propres yeux qu’on emmenait ces hommes, mais d’autres ont vu qu’à cet endroit, on les tuait et qu’on jetait leurs corps dans un puits.

J’ajouterai un dernier élément concernant cette corde tirée pour séparer les hommes et les jeunes garçons des femmes et des enfants. Quand l’évacuation a commencé le 13 juillet, tard dans l’après-midi, il y avait deux soldats. On ne savait plus s’il s’agissait de militaires hollandais ou serbes, car les Serbes avaient déjà pris aux militaires hollandais leurs uniformes. On peut donc supposer qu’il s’agissait de militaires serbes, car ils ne parlaient pas anglais et n’osaient pas parler le serbe.

Je le sais car, comme je circulais dans cet endroit, on m’a demandé pourquoi je ne portais pas le signe de la Croix-Rouge du fait que je travaillais avec les blessés. Mais ils me l’ont demandé par gestes. Dans ce même hall, il y avait des rangées de lits. Quand l’évacuation a commencé le 13 juillet dans l’après-midi, ils ont ordonné que les mères et les petits enfants prennent la sortie la plus éloignée de ces lits. Quant aux hommes et aux jeunes garçons, ils devaient prendre la sortie située près des rangées de lits.

Comme les interprètes disposaient de certaines informations sur les événements se déroulant à l’extérieur, l’un d’eux m’a dit de ne pas laisser les gens prendre cette sortie où il y avait des lits car on allait tuer leurs garçons. Ensuite, j’ai eu l’information selon laquelle chaque enfant masculin, même âgé d’un an, devait, selon les ordres de Karadzic, être tué et ne pas quitter cet endroit. Puis j’ai compris pourquoi ces lits étaient là, c’était pour pouvoir examiner les enfants.

J’ai alors demandé à plusieurs femmes de venir avec nous, les femmes les plus âgées. C’est ainsi que les enfants ont quitté cet endroit. Pendant qu’on attendait de sortir par groupe ce jour-là, on n’avait pas d’eau ou d’une qualité très douteuse. Un soldat nous a ordonné - je ne sais pas s’il était hollandais ou serbe, mais les Hollandais doivent le savoir - de donner tous les objets (couteaux, ciseaux et autres) que nous avions dans nos sacs.

On sortait par groupes, puis lorsque cela a été le tour de mon groupe, nous sommes sortis sur la route principale. Des soldats étaient postés le long de la route, les bus étaient à gauche, et plus loin il y avait encore d’autres bus. Un soldat désignait du doigt les hommes en leur demandant de quitter la colonne sans se préoccuper s’il s’agissait d’enfants ou d’hommes. (Discussion entre les auditionnés.) Nous avons été évacués par les bus serbes conduits par des chauffeurs serbes, sans être escortés par la FORPRONU.

Mme Hatija Mehmetdovic : Je suis arrivée à Potocari le 11 juillet au matin. J’ai regretté que toute la population ne soit pas rassemblée à Potocari, car je pensais que nous serions protégés dans cette enclave. Puis Mladic est arrivé. Je ne sais plus quelle heure il était. Il s’est adressé à nous avec un haut-parleur en nous disant que nous serions tous protégés et que nous étions en lieu sûr. Il a apporté du pain, des cigarettes, du chocolat qu’il a distribués aux enfants. Il nous a jeté le pain d’un camion comme à des chiens en nous disant : " Vous voyez ce qu’Alija a fait de vous, il ne veut pas de vous ".

Pendant que les caméras filmaient, il était gentil. Mais dès que les caméras sont parties, on a commencé à voir qu’on emmenait des hommes. Comment pouvions-nous réagir ? Nous leur avons demandé où ils les emmenaient. Ils nous ont répondu que les autres seraient emmenés au même endroit à Tuzla, par un autre convoi. Ce même jour où des bébés naissaient, on tuait des gens, d’autres se suicidaient. Pendant tout ce temps, les Tchetniks ont pu emmener qui ils voulaient. C’est alors que mes deux fils et mon mari ont disparu. Comment a-t-on pu regarder cela les bras croisés ? Nous savons qui a commis ce crime.

Mme Mirsada Bosnjakovic : Je vais vous raconter mon histoire. Le 12 juillet à midi, Mladic est venu avec ses Tchetniks tous fortement armés avec des mitraillettes et des sabres. Ces militaires serbes sont rentrés parmi nous, les mères, qui n’étions pas armées. Il y avait un bébé qui pleurait. Le Tchetnik a dit à la mère de faire taire son bébé, mais elle n’a pas réussi. Il a alors attrapé le bébé par le bras, a pris le couteau, l’a égorgé et a jeté la tête d’un côté et le corps de l’autre. Nous sommes toutes restées muettes, impuissantes. A ce moment-là, un millier de nos proches avait déjà été emmené. Il y avait du sang partout. Pendant que certaines personnes étaient égorgées, d’autres étaient violées, d’autres encore se pendaient, tandis qu’au même moment, des femmes accouchaient. Nous n’avions que deux pierres pour couper le cordon ombilical. C’était l’horreur. On ne peut pas l’expliquer.

C’est à ce moment-là qu’on a emmené mon fils. Lorsque j’ai crié, Mladic m’a demandé pourquoi. Je lui ai dit que j’avais peur. Il m’a demandé si j’avais de la famille, je lui ai dit que j’avais un fils, et ils m’ont pris mon fils. Je suis sûre que mon fils était vivant jusqu’au 16 juillet, jusqu’à ce que le général Janvier signe avec Mladic, Karadzic et Milosevic. Je ne considère pas que tous les Français sont coupables, mais je ne pardonnerai jamais à la France qui, depuis la deuxième guerre mondiale, a un contrat moral avec les Serbes.

Quand je dis la France, je pense aux généraux qui tendaient tout le temps la main aux Tchetniks au moment où ils nous violaient, nous tuaient, nous massacraient. Je pense aussi aux Pays-Bas et à la Grande-Bretagne. Je ne leur pardonnerai jamais. C’est leur faute. Ils ont rendu cela possible, et les Tchetniks l’ont exécuté. (Elle pleure.)

Mme Marie-Hélène Aubert : Pensez-vous que dès le 12 ou le 13 juillet, les représentants de l’ONU étaient informés de l’ampleur du massacre ?

M. Ibran Mustafic : Peut-on essayer de voir l’essentiel de tout cela ?

Le Président François Loncle : Ces personnes n’ont pas fini de témoigner.

M. Ibran Mustafic : Vous aimez voir les mères qui pleurent ! Il faudrait aussi que l’on parle à un niveau plus haut de ce qui s’est passé.

(Protestations des membres de la Mission d’information)

Le Président François Loncle : Nous sommes venus écouter des témoignages et pas des militants politiques.

M. Ibran Mustafic : Vous êtes venus voir comment on pleure ? Moi je ne pleure pas.

Le Président François Loncle : Nous sommes venus écouter des témoignages, des récits importants dans le déroulement de ces événements, nous ne sommes pas venus écouter des militants politiques.

M. Ibran Mustafic : Alors ce n’est plus la peine que je reste ici. Au moment des événements de Srebrenica...

Le Président François Loncle : Nous vous avons déjà entendu et écouté avec intérêt.

M. Ibran Mustafic : ... quelle était la responsabilité de Kofi Annan ?

M. François Lamy, Rapporteur : Vous nous l’avez déjà dit ! Chacun et chacune des personnes ici présentes a également le droit de s’exprimer.

M. Ibran Mustafic : Moi aussi. Je voudrais parler à Mme Aubert.

M. François Lamy, Rapporteur : Mais vous l’avez déjà dit ! Nous avons compris.

M. Ibran Mustafic : Je dirai juste quelques mots, et ensuite je me tais. Je m’adresse à Mme Aubert. Vous venez de Paris, de la ville où ont été négociés les accords de Dayton selon lesquels Srebrenica fait partie de la Republika Srpska. Srebrenica est la ville où ce crime a été commis et Paris, la ville où il a été légalisé.

M. François Lamy, Rapporteur : Qui a signé les accords de Paris ?

M. Ibran Mustafic : Le bandit de Sarajevo, Alija Izetbegovic, le bandit de Zagreb et celui de Belgrade.

Le Président François Loncle : Et les Américains.

Mme Munira Hadzic : Les nôtres ont signé, mais sous la pression. Tous les représentants français, allemands et autres ont obligé notre leader à signer cet accord parce que nous, on saignait et on avait faim. Il était obligé de signer pour nous. Il vaut mieux une paix telle qu’elle est plutôt que la guerre.

M. Pierre Brana : Pendant de nombreux mois, la Mission d’information a enquêté. Par conséquent, elle connaît parfaitement l’aspect historique. Nous avons rencontré les généraux, les ministres, les représentants de l’ONU. Or, ce qui est important pour nous, dans votre témoignage, c’est que hormis les deux membres de MSF consultés à Paris, nous n’avons jamais rencontré des personnes qui - comme vous - ont vécu les événements sur le terrain. C’est pourquoi vos témoignages sont très importants pour la Mission d’information. A côté de l’histoire officielle, vous apportez un témoignage vécu, qui nous touche, et que nous essaierons de traduire dans le document qui sortira de cette rencontre.

Mme Advija Sehomerovic : Je vais essayer de vous décrire les événements à Potocari. Je suis arrivée à Potocari le 10 juillet dans l’après-midi. J’ai dormi deux nuits devant l’usine avec 2 000 ou 3 000 personnes. Le 11 juillet, nous avions peur. Il y avait des obus, cela tirait de tous les côtés. Ce jour-là, nous sommes restés au même endroit. Puis le 11 juillet, les Tchetniks sont rentrés dans la foule. J’ai oublié de préciser un épisode que j’ai pu voir car j’étais alors dans la cour, à l’extérieur. Lorsque les Tchetniks sont rentrés dans Potocari, il y avait 4 véhicules blindés stationnés derrière un pont, là où étaient les militaires hollandais. Les Tchetniks sont arrivés jusqu’aux véhicules blindés et ont désarmé les militaires hollandais. Ils ont pris leurs uniformes, leurs casques.

Il y a une chose que je ne comprends pas : à ce moment-là, alors qu’il y avait très peu de Tchetniks, pourquoi ces militaires des Nations unies se sont-ils laissé désarmer ?

Mme Marie-Hélène Aubert : Nous non plus, nous ne comprenons pas.

Mme Advija Sehomerovic : Les 8 militaires hollandais désarmés sont allés dans l’autre usine et les Tchetniks sont rentrés dans la foule. Dans mon groupe, il y avait mes amis, ma belle-s_ur, mon beau-frère. Ils ont emmené 3 hommes que je connaissais derrière l’usine. Nous avions peur pour eux. Ils les ont gardés pendant un moment, puis les ont ramenés. La nuit était tombée. Nous étions dehors. Une femme s’est alors mise à crier car on lui avait pris son enfant. Elle était à une vingtaine de mètres de moi. Quand on lui a demandé qui lui avait pris son enfant, elle a répondu que c’était un Tchetnik, un voisin.

Il y a eu tout de suite une rumeur. On a commencé à emmener les hommes ainsi que des jeunes de quatorze ou quinze ans. Je veux juste vous décrire cette nuit et comment je me suis sentie affolée. Je ne sais plus quelle heure il était, mais au moins passé minuit, nous avons entendu un cri terrible d’enfant. Je l’entends encore. Probablement qu’ils n’avaient pas été emmenés très loin.

Le lendemain, nous avons quitté la cour, et je suis partie vers les bus. Nous n’imaginions pas un seul instant qu’ils pouvaient garder autant de personnes, qu’ils pouvaient prendre un garçon à sa mère et lui dire d’aller attendre derrière le bus, ou à un vieillard de quatre-vingts ans. On a emmené mon beau-frère devant moi. On lui a dit d’aller attendre derrière le bus et on ne l’a plus jamais revu. Nous sommes montés, environ une cinquantaine, sur le camion et nous sommes allés à Tuzla.

Vous dites que vous avez rencontré des militaires, des gens responsables à cette époque qui auraient été en mesure d’empêcher ce crime. J’ai écouté M. Karremans quand, lors d’une conférence de presse, il a évoqué les événements de Srebrenica. Il a menti. Il a dit cela devant tout le monde, mais il a menti, lorsqu’il a dit que le départ de Potocari s’était passé sous la surveillance du bataillon hollandais, c’est-à-dire que nous étions escortés par les Hollandais. Il n’y avait aucun militaire hollandais. Nous n’étions escortés que par les Tchetniks parce que sur la route, ils ont fait descendre des bus des centaines de nos jeunes filles qu’on n’a plus jamais revues. Vous pouvez tous les rencontrer, mais ils vous mentiront tous.

M. Pierre Brana : Vos propos viennent en contradiction avec ceux déjà entendus, c’est important pour nous. Vous donnez un point de vue contraire à celui que l’on a pu entendre par ailleurs. Si on a caché la vérité, c’est important.

Mme Advija Sehomerovic : Nous avons lu le rapport de M. Kofi Annan. Dans ce rapport, il y a 20 % de vérité, tout le reste ce sont des mensonges. Qui a préparé ce rapport ? Quelqu’un qui est maintenant en poste en Nouvelle-Zélande. Ce rapport contient beaucoup de mensonges par rapport à ce qui s’est réellement passé à Srebrenica. Ce rapport concerne la responsabilité morale des Français, des Hollandais. Ce que vous appelez la responsabilité morale, pour nous, c’est la responsabilité des crimes. Depuis six ans, nous cherchons nos fils, nos filles, nos maris, et nous ne recevons aucune réponse de qui que ce soit, même pas du général Philippe Morillon qui nous a protégés en 1993 et qui nous a garanti qu’il ne nous arriverait rien.

M. Pierre Brana : A plusieurs reprises, vous avez parlé de jeunes filles. Y a-t-il eu de nombreuses disparitions de femmes ?

Mme Advija Sehomerovic : 570 jeunes filles sont portées disparues. Certains corps ont été découverts dans les charniers et se trouvent aujourd’hui au centre d’identification à Tuzla.

Je voudrais ajouter une dernière chose. Le 20 ou le 21 juillet, j’ai regardé, à la télévision, la visite du général Morillon à Srebrenica. On a pu le voir serrer la main à un homme de Srebrenica, un Serbe, et ce dernier lui dire : " Merci de m’avoir aidé à rentrer chez moi ". Le général Morillon lui a répondu qu’il était content de pouvoir rendre un tel service à quelqu’un. J’aimerais lui poser la question suivante : Où est notre bonheur, où sont tous nos droits ?

M. Jean-Noël Kerdraon : Vous rappelez-vous de la date approximative à laquelle vous avez eu la certitude qu’il y avait eu des exécutions massives ? Par ailleurs, à quel moment les forces de l’ONU ont-elles également eu cette information ?

Mme Munira Subasic : Les Nations unies ont tout enregistré, et les enregistrements existent. Chaque fois qu’il y a eu un massacre, il y a eu un témoin, c’est-à-dire qu’il y a toujours eu quelqu’un qui a survécu à ce massacre d’une manière ou d’une autre. C’est ainsi que nous avons appris l’existence des massacres.

Mme Marie-Hélène Aubert : Pour vous, l’ONU le savait très tôt ?

Mme Munira Subasic : Tout le monde le savait. A l’ONU, ils l’ont su dès la préparation de la prise de Srebrenica.

Mme Mirsada Bosnjakovic : Pendant le transport de Srebrenica à Tuzla, à Nova Kasaba d’où je viens, on a arrêté notre camion et les Tchetniks nous ont dit de regarder pour la dernière fois nos fils, nos frères, nos hommes. Au stade de Nova Kasaba, il y avait 5 000 hommes, des enfants, des femmes à moitié nues, avec les mains derrière la tête. Ils ont attendu leur condamnation. Avez-vous rencontré un général ayant perdu son enfant à Srebrenica afin qu’il vous explique quel était le rôle de tous ceux qui étaient obligés de protéger Srebrenica ?

Si nous n’avions pas cru être protégés, nous serions partis par les forêts comme l’a fait mon fils avec des centaines d’autres. C’est vrai que beaucoup ne sont jamais arrivés, mais lui a réussi à arriver après trois mois. Mon autre fils avait treize ans. Quand on l’a arraché de mes bras, puisque Madame qui est aussi mère nous a posé la question de savoir comment nous nous sommes senties à ce moment-là, je ne connais pas la réponse à cette question. J’entends encore les cris de ces enfants. Ce n’était pas 1 enfant, 5 enfants, mais 1 400 enfants, et tous ces enfants criaient et demandaient l’aide des militaires du bataillon hollandais. Eux ils ont souri et attendu qu’il n’y ait plus beaucoup de personnes pour pouvoir continuer à faire la fête, la fête pour fêter le travail bien fait. C’est tout, je ne peux plus parler. (Elle pleure.)

Le Président François Loncle : Ces témoignages sont très émouvants pour nous. Nous avons besoin de ces récits et de ces précisions, de ce vécu tragique, non pas pour vous voir pleurer, mais pour avoir la connaissance humaine de ces événements. Vous êtes les seules à pouvoir témoigner de cette façon. Si vous avez des choses à ajouter, n’hésitez pas car nous voulons vraiment tout savoir. Nous aurons encore d’autres entretiens dans ce pays ainsi qu’une vision des lieux. Mais si vous avez encore quelque chose sur le c_ur, quelque chose qui doit compléter vos témoignages, n’hésitez pas.

M. Pierre Brana : A-t-on une estimation du nombre des enfants qui ont disparu ?

Mme Hatija Mehmetdovic : 1 042 enfants mineurs de huit à seize ans. Ils n’ont pas disparu, ils ont été emmenés et ont été pris à leurs mères. Nos enfants nous ont été arrachés. C’est la situation où nous, les mères, nous tirions un bras et les Tchetniks l’autre. La communauté internationale a regardé faire et était présente tout le temps. Quand je dis communauté internationale, je pense au bataillon hollandais.

Le Président François Loncle : Quel sentiment avez-vous lorsque vous savez que Mladic et Karadzic sont toujours en liberté ?

Mme Hatija Mehmetdovic : Il y a beaucoup de Mladic et de Karadzic actuellement à Srebrenica. Nous allons à Srebrenica après-demain pour une réunion. Chaque fois que je vais à Srebrenica, je vois l’homme qui m’a pris mon fils. Cela veut dire que de 1995 à 2001, c’est le même homme, mais que les criminels ne portent plus les symboles des Tchetniks.

Mme Munira Subasic : Nous les connaissons et nous connaissons leurs noms.

Le Président François Loncle : Mais ceux qui ont donné les ordres, ce sont Mladic et Karadzic, et probablement Milosevic. Qui les protège ?

M. Ibran Mustafic : La Republika Srpska.

Mme Munira Subasic : Que faire ? Nos maisons sont en Republika Srpska. Quant à M. Akashi et aus généraux Morillon, Janvier, tout le monde les protège.

M. Ibran Mustafic : Je voudrais vous donner une information qui concerne plus particulièrement le rôle du général Morillon.

Le Président François Loncle : Avant cela, je voudrais dire un mot sur l’impunité. Je ne voudrais pas vous donner des espoirs qui sont inutiles par rapport aux drames que vous avez vécus. Mais qui aurait pensé, il y a un ou deux ans, que Milosevic pourrait être traduit d’ici peu devant un tribunal international ? Rien n’est définitif en ce qui concerne les coupables. Ils finissent toujours par payer.

Mme Hatija Mehmetdovic : Oui, mais s’il passe devant ce tribunal quand il aura quatre-vingt-dix ans ! Faut-il que je meure et que je renaisse pour connaître la vérité ?

Le Président François Loncle : C’est pourquoi la liberté de Mladic et de Karadzic, entre autres, nous choque beaucoup.

Mme Hatija Mehmetdovic : Six ans pour attraper un criminel de guerre, c’est trop long.

Le Président François Loncle : Vous vouliez parler du général Morillon.

M. Ibran Mustafic : A l’été 1992, Izvanovic avait 450 soldats armés qui sont venus de Tuzla à Konjevic Polje. Il leur a parlé du destin de Konjevic Polje et de la population qui y habitait, et leur a dit que si jamais la zone protégée de Konjevic Polje se trouvait dans une situation délicate ou devait face à un grand danger, le général Morillon viendrait. A l’été 1992, les gens à qui il s’adressait ne connaissaient pas le général Morillon. Puis en octobre de la même année, Izvanovic a été tué. On a dit de lui qu’il travaillait pour les renseignements. Il est vrai qu’après une grande offensive, la chute de Cerska et l’arrivée de réfugiés à Konjevic Polje, fin février 1993, alors qu’Izvanovic n’était plus en vie, le général Morillon est arrivé.

Izvanovic avait déjà cette information à l’été 1992. Malheureusement, la population a été déplacée et beaucoup de gens sont allés vers Srebrenica, ou encore plus en profondeur, plus loin du territoire libre. Ensuite, le général Morillon a quitté Konjevic Polje, au moment de la grande offensive partie de Skelani vers Srebrenica. C’est après cela que le général Morillon est entré à Srebrenica.

Il me semble que c’est un élément intéressant pour les membres du Parlement français de savoir que déjà à cette époque certaines personnes à Konjevic Polje détenaient cette information. Cela signifie que certains services de renseignement internationaux avaient déjà des informations sur ce qui allait se passer dans cette région de la rivière Drina.

Je conclurai en m’adressant à mes collègues politiques. Srebrenica a disparu au moment où le plan du Groupe de contact a été refusé quand on a conclu, après ce plan, que les territoires remis en question seraient Srebrenica, Zepa et Gorazde. S’il n’y avait pas eu de génocide à Srebrenica, Gorazde ne serait pas ce qu’elle est, car Gorazde faisait également partie de cet accord. Ensuite, on a trouvé un compromis.

Le Président François Loncle : Vous aurez compris, Monsieur, que mon intervention de tout à l’heure visait à permettre à toutes ces dames de s’exprimer.

Mme Fatima Husejnovic : Je voudrais juste ajouter un élément d’information sur le général Morillon. Depuis son arrivée à Srebrenica jusqu’à la chute de Srebrenica, ce qui couvre une période de vingt-sept mois - je ne citerai pas de noms - mais il y a eu de nombreux généraux français dans les plus hautes sphères du commandement.

Le Président François Loncle : La Mission d’information les a entendus.

Mme Fatima Husejnovic : Je demande pourquoi le Parlement français n’a pas alors réagi quant aux événements, non seulement de Srebrenica, mais de toute la Bosnie-Herzégovine. Je considère que, pendant ces vingt-sept mois, on aurait pu organiser la défense de Srebrenica. Quand Srebrenica est tombée au mois de juillet, elle était déjà tombée avant.

Le Président François Loncle : Aucun d’entre nous n’était alors député.

Dr. Eliaz Pilav : Il y en avait d’autres.

M. François Lamy, Rapporteur : Certains parlementaires ont réagi, mais il faut que vous sachiez aussi qu’en France, la démocratie évolue. Il y a encore cinq ou six ans, il n’était pas acceptable que le Parlement se préoccupe de problèmes de défense ou d’affaires étrangères, tel que nous le faisons maintenant.

C’est depuis 1997 que se sont créées les Missions d’information parlementaire comme sur Srebrenica mais aussi sur des événements qui se sont déroulés en Afrique au Rwanda, ou encore pour contrôler les actions de responsables politiques et militaires.

Dr. Eliaz Pilav : Je voudrais savoir si, après l’initiative de MSF, une discussion a été ouverte sur Srebrenica à l’Assemblée nationale française.

M. Pierre Brana : Je vais vous répondre, car je suis le mieux à même de le faire puisque j’ai été le premier, avant MSF, à déposer devant le Parlement une demande de mission d’information. J’ai été le premier avant MSF, qui a ensuite repris la proposition que j’avais faite, et non pas l’inverse.

Dr. Eliaz Pilav : Y a-t-il eu une discussion au Parlement sur Srebrenica ?

M. Pierre Brana : Oui.

Dr. Eliaz Pilav : A-t-on fait un rapport à la suite de cette discussion ?

M. Pierre Brana : Oui. Je vous explique brièvement la procédure. Une demande a été formulée, un débat s’est engagé et, au terme de discussions, car c’est un Parlement démocratique, nous sommes parvenus à la décision de créer une Mission d’information commune à la Commission des Affaires étrangères et à la Commission de la Défense nationale. En effet, au cours de ces débats, nous avons déterminé qu’il y avait intérêt à enquêter à la fois sur le plan politique et sur le plan militaire. Il y a donc bien eu passage à l’acte concret, c’est-à-dire la création de cette Mission d’information à laquelle nous appartenons, et c’est l’explication de notre présence ici aujourd’hui.

Le Président François Loncle : Les parlementaires décident librement. Je confirme que l’initiative de cette Mission d’information appartient à M. Pierre Brana. MSF a fait campagne pendant plusieurs semaines pour que cette Mission d’information soit conduite. Nous avons entendu leurs arguments, mais d’un autre côté, nous n’aimons pas beaucoup les pressions, surtout quand elles sont maladroites. Néanmoins l’essentiel a été la décision collective de mener cette Mission d’information, et de la mener jusqu’au bout.

Même les auditions pour lesquelles le ministère de la Défense a demandé le huis clos seront publiées, car cette demande nous a beaucoup déplu.

Dr. Eliaz Pilav : Vous allez rédiger un rapport qui sera soumis à une discussion au Parlement.

Le Président François Loncle : La Mission d’information compte dix Députés. Ce rapport sera présenté aux deux Commissions, Défense nationale et Affaires étrangères, puis rendu public, et publié sous forme d’un livre disponible à tous, que nous vous adresserons.

M. Ibran Mustafic : Je vous fais une proposition pour éviter, comme cela arrive souvent, que ceux qui commencent quelque chose ne deviennent au bout du compte les coupables. Il serait bien que la Mission d’information du Parlement français prenne l’initiative de pousser les Parlements d’autres pays importants dans la Communauté européenne à suivre la même démarche. Ceci afin que cette discussion soit menée tant aux Parlements britannique, hollandais, allemand qu’au Congrès américain, c’est-à-dire que les autres pays déterminent aussi qui est responsable de cette tragédie.

Le Président François Loncle : Nos collègues hollandais travaillent déjà sur la question, je ne sais pas s’ils mèneront jusqu’au bout leurs investigations. Aux Pays-Bas, ce sont surtout des historiens indépendants qui étudient cette question. C’est une formule intéressante.

S’agissant du rapport et de votre demande, nous espérons que le travail de la Mission d’information convaincra des collègues étrangers d’entreprendre la même démarche, mais nous ne pouvons décider à leur place. Chaque Parlement est libre d’agir comme il le souhaite, y compris le Parlement bosniaque. Je vous remercie encore pour votre patience et pour vos témoignages.


Source : Assemblée nationale (France)