Composition de la délégation : MM. Jean-Claude Carle, rapporteur, Jean-Jacques Hyest, vice-président, Mme Nicole Borvo, secrétaire, MM. Laurent Béteille, Jacques Mahéas et Bernard Plasait.

I. Présentation générale

Le tribunal pour enfants de Bobigny se compose de 5 magistrats du parquet et 11 juges des enfants.

Le personnel du parquet est particulièrement féminisé puisqu’y travaillent 4 femmes et 1 homme. Le procureur a fait remarquer que d’avril à juin 2002, deux substitutes seraient en congé de maternité. Pour combler en partie les effectifs, le parquet devrait bénéficier d’un substitut placé.

Le tribunal de Bobigny a traité 4 % de l’activité (civile et pénale) des 134 tribunaux pour enfants de France en 2000.

II. Entretien avec les représentants du parquet

1. L’évolution de la délinquance des mineurs

En 2000, elle représentait 27 % de la délinquance générale (dont les auteurs sont connus), contre 15 % en 1995.

En matière de délinquance de voie publique, la part des mineurs s’élève à 42 %. Ils sont particulièrement impliqués dans les vols à la portière. Les jeunes qui effectuent ces effractions ont moins de 16 ans et sont difficiles à interpeller sauf en cas de flagrant délit. En outre, ils sont souvent remis en liberté après leur défèrement devant l’autorité judiciaire, ce qui est mal ressenti par la police et par les victimes.

Se pose donc le problème de la lisibilité judiciaire : même si des mesures de liberté surveillée, d’observation ou d’investigation ont été prises, pour le voisinage, il ne s’est rien passé.

Pourtant, en dépit de la masse des affaires, le parquet de Bobigny a adopté une attitude très volontariste à travers le développement de la troisième voie et du rôle des délégués du procureur qui prennent en charge certaines situations (à savoir la délinquance faible ou moyennement faible comme les dégradations ou les vols).

En 2001, 3200 mineurs ont fait l’objet de mesures relevant de la troisième voie. Lorsque leurs effets apparaissent concluants, l’affaire est classée sans suite.

Les représentants du parquet ont toutefois souligné la nécessité de manier les chiffres de la délinquance avec précaution. En effet, le taux d’élucidation des crimes et délits au niveau national est de seulement 27 % tandis que le taux d’élucidation des délits de voie publique s’élève à 6,5 %.

Ils ont également insisté sur les confusions soulevées par le débat sur le taux de classement sans suite : ce dernier ne doit pas être confondu avec le taux de réponse judiciaire, notamment parce que le premier ne tient pas compte de la troisième voie.

Les statistiques du tribunal pour enfants de Bobigny font apparaître que sur 100 mineurs, 13 % ont à leur actif 5 faits ou plus.

En 2000, 8.300 mineurs ont été mis en cause :

 dans 3.000 cas, le juge des enfants a été saisi ;

 3.000 cas ont fait l’objet d’une troisième voie.

Lorsque le jeune est convoqué par la justice, dans 9 cas sur 10, il est accompagné de ses parents, ce qui permet d’évaluer sa situation familiale.

2. Les causes de la délinquance

Les représentants du parquet ont évoqué deux causes majeures de la délinquance, à savoir l’appartenance communautaire et l’influence du quartier.

Ils ont également souligné le fait que de plus en plus de jeunes ont des difficultés psychologiques qui ne sont pas prises en compte : en conséquence, le pénal doit se substituer au social. Or, certains comportements psychiatriques devraient être détectés très tôt, dès la crèche.

Le groupe a plus d’influence que les parents. En outre, certaines populations immigrées (comme les populations africaines) ont une perception erronée de la rue qu’elles jugent protectrice. C’est ce qui se passe à Montreuil, ville comportant une importante communauté malienne.

3. Quels traitements pour les mineurs délinquants ?

La lutte contre la délinquance juvénile est confrontée à deux contraintes contradictoires : la réponse à apporter aux jeunes repose sur le long terme alors que le voisinage exige une réponse immédiate, qui permette de rétablir l’ordre public.

Les outils juridiques existent pour traiter la délinquance. L’ordonnance de 1945 prône une démarche éducative, de restauration des individus dans la société.

En revanche, les moyens sont insuffisants pour appréhender la délinquance des mineurs de manière globale.

Il faut une réponse qui responsabilise les mineurs.

De même, certains récidivistes ne peuvent pas être laissés dans leur milieu. Il ne faut donc pas assimiler mesures éducatives et absence de contraintes.

Dans le département, il y a deux centres de placement immédiat (CPI) qui accueillent 8 mineurs chacun, ce qui est très insuffisant. En outre, les éducateurs sont très réticents à accueillir des jeunes réitérants, alors même que le métier d’éducateur est de gérer la difficulté.

Certains membres du parquet ont estimé que le soi-disant suivi des mineurs par les éducateurs ne correspondait pas à ce qu’on attendrait d’une véritable prise en charge. La formation des éducateurs ne serait pas toujours adaptée tandis que les cas lourds nécessiteraient des éducateurs expérimentés.

En ce qui concerne les travaux d’intérêt général, il semble que leur mise en place se heurte à plusieurs obstacles :

 importants délais entre le moment où la sanction (le TIG) est prononcée et le moment où elle est effectuée ;

 réglementation stricte du travail des mineurs qui limite la nature des tâches qui peuvent être confiées aux mineurs : ainsi, dans la mesure où ils n’ont pas le droit de manipuler des produits toxiques, ils ne peuvent pas être affectés au nettoyage des tags qu’ils ont pu écrire ;

 réticence des juges pour enfants à prononcer ce genre de peine et développement de la réparation pénale (article 12-1) qui « concurrence » les TIG (et représente les trois quarts des mesures).

Les représentants du parquet se sont interrogés sur la pertinence des seuils inscrits dans l’ordonnance de 1945 et ont fait les trois constats suivants.

D’abord, lorsque les jeunes deviennent majeurs, beaucoup arrêtent d’être délinquants.

Ensuite, prendre des sanctions sévères très tôt peut parfois mettre un terme à la délinquance du mineur.

Enfin, l’impossibilité de placer en détention provisoire les mineurs de 13 à 16 ans en matière correctionnelle mériterait d’être revue à condition que la détention s’accompagne de mesures éducatives.

L’article 227-17 du code pénal responsabilise les parents puisqu’il est prévu que lorsque les parents bénéficient des actes de délinquance de leurs enfants, ils peuvent être condamnés. Toutefois, cet article mériterait d’être mieux rédigé. Aujourd’hui, il est peu utilisé car les magistrats qui sont susceptibles de l’invoquer craignent les relaxes.

III. L’activité du siège

1. L’activité du tribunal pour enfants en 2000

Le TPE de Bobigny est le premier tribunal de France pour l’assistance éducative. Il assure 22 % de l’activité de la région parisienne et 3,5 % de l’activité nationale.

La permanence pour mineurs reçoit 130 à 140 appels par jour.

La présence de l’aéroport de Roissy dans le département a entraîné la multiplication des placements de mineurs étrangers. Du coup, les centres de placement sont engorgés et ne peuvent pas accueillir tous les mineurs originaires du département.

Les indicateurs de l’activité pénale du tribunal pour enfants de Bobigny sont les suivants pour l’année 2000 :

 753 peines et mesures de détention dont :

* 272 peines d’emprisonnement ferme ;

* 271 peines d’emprisonnement avec sursis simple ;

* 156 amendes fermes ou avec sursis ;

* 54 TIG et sursis avec mise à l’épreuve ;

 1.769 mesures écartant la responsabilité et mesures socio-éducatives dont :

* 428 mesures rejetant la poursuite ;

* 1.134 admonestations, remises à parent et dispenses de mesure ou de peine ;

* 35 réparations ;

* 149 mises en liberté surveillée ;

* 8 mesures de placement ;

* 15 mises sous protection judiciaire.

A Bobigny, si le parquet n’avait pas pris en charge une partie des délinquants par le biais de la troisième voie, les juges des enfants n’auraient plus le temps de se consacrer à l’assistance éducative.

IV. Le Service éducatif auprès du tribunal (SEAT)

L’effectif du SEAT est composé de 10 éducateurs qui correspondent à 8,8 équivalents temps plein.

L’équipe du SEAT a mis en place des stages d’action villepintien d’instruction civique (SAVIC). Il s’agit de stages ordonnés dans le cadre d’une mesure de réparation et organisés en partenariat avec le commissariat de police, les pompiers, la mairie, etc.

Cette initiative part du constat que le rappel à la loi ou l’admonestation n’est pas considéré par le jeune comme une réponse judiciaire. A donc été créé ce stage qui dure une semaine pendant les vacances scolaires et au cours duquel les jeunes rencontrent les agents de transport, les personnels de la prison de Villepinte, le maire qui à la fin du stage donne quitus. Après chaque rencontre, les jeunes doivent rédiger un compte-rendu.

Ces stages sont considérés comme efficaces. Ainsi, les pompiers ont pu constater qu’ils se font moins « caillasser » dans la commune de Villepinte.

Toutefois, jusqu’à présent, seuls 89 jeunes ont fait ce stage : il est donc difficile d’avoir des éléments d’information en matière de récidive. Ils ont toutefois l’avantage de permettre aux jeunes de constater que les institutions ne leur sont pas hostiles.

En réalité, de tels stages mériteraient d’être généralisés à tous les jeunes. Toutefois, leur organisation demande beaucoup d’investissements et ces stages restent la résultante d’engagements personnels. Ils restent donc limités à un public particulier.

Les représentants du SEAT ont évoqué le rôle de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Ses moyens s’élèvent à 960 millions de francs dans le département et 30 milliards de francs au niveau national. Cette politique est donc richement dotée. Pour autant se pose le problème des instruments à mettre en oeuvre pour qu’elle soit réellement efficace.

L’ASE de Pantin privilégie l’intervention judiciaire plutôt que la prévention.

En outre, il faut distinguer la prévention de la récidive de la prévention du passage à l’acte, qui exige l’engagement d’autres acteurs. Ainsi, il faudrait développer les services sociaux à l’école afin de pouvoir repérer les enfants à problème. Par ailleurs, les services sociaux des secteurs ne repèrent pas les enfants en difficulté.

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Deux membres de la délégation sénatoriale ont pu assister à des audiences de cabinet tenues par les juges des enfants.


Source : Sénat français