Composition de la délégation : MM. Jean-Claude Carle, rapporteur, Georges Othily, secrétaire, Jean-François Humbert, Bernard Plasait.

I. Visite de l’école Henri Wallon de Vaulx-en-Velin

La délégation a été reçue par M. Jean-Claude Séguy, directeur. Assistait également à cette rencontre la chargée de coordination pour la politique de la ville.

L’école accueille 200 élèves dans 10 classes dont 2 spécialisées, une CLIS pour handicapés mentaux et une CLIN pour l’initiation des élèves étrangers non francophones. Ces élèves appartiennent à 22 nationalités différentes. 40 % des enfants n’ont aucun parent qui travaille, 35 % sont issus de familles mono-parentales, 38 % sont pris en charge par le réseau d’aides spécialisées de l’école. Depuis trois ans, l’école affronte un turn-over élevé : le taux de mobilité annuel d’élèves est de 30 % hors changements normaux de juin et septembre.

Les enseignants sont peu ou pas formés à la prise en charge d’enfants difficiles ou en difficulté. Pour pouvoir former 4 futurs enseignants sur le secteur de Vaulx-en-Velin, un contrat expérimental a dû être conclu avec l’Education nationale, qui n’a pas été renouvelé. Pourtant, les enseignants ont un rôle de veille sanitaire mais également de veille sociale par leur contact continu avec des enfants qui se confient à eux.

Le tissu social urbain s’est vidé de ses adultes référents. L’annonce du retour de gardiens d’immeubles et l’arrivée de maisons de la justice et du droit pourrait pallier cette carence.

Les profils de jeunes délinquants ou en difficultés peuvent se classer en trois catégories :

 à l’instar de Khaled Kelkal, des anciens élèves ont mené à bien une scolarité de qualité, voire exemplaire, et réapparaissent, dans les faits divers, sans que l’institution scolaire n’ait d’explication. Sur ce point, l’interrogation doit porter sur la « vie souterraine » de la cité (trafic, réseau intégriste, etc.) ;

 des enfants présentent très tôt des troubles du comportement graves. Il est déplorable que la PJJ ne prenne pas systématiquement contact avec l’école. En outre, le département du Rhône se trouve confronté à des difficultés d’accueil, s’étant longtemps reposé sur les services d’accueil des départements voisins. En n’anticipant pas la hausse des besoins d’accueil, le département fait face à une pénurie d’établissements ;

 des enfants en souffrance ou maltraités qui mettent leur entourage en danger.

A travers la présentation de cas concrets, rendus anonymes, la délégation sénatoriale a pu constater l’inertie spectaculaire des institutions, notamment l’inspection académique et la PJJ du Rhône. En effet, il a fallu, il y a plus de trois ans, une tentative de meurtre et une tentative de suicide pour que le placement de deux enfants ayant multiplié les signes d’alerte puisse être obtenu.

L’attachée de la municipalité, en charge de fonctions de coordination pour la politique de la ville souligne en outre :

 le manque de cohérence des politiques publiques de la ville ;

 le manque de solidarité dans l’agglomération : les difficultés sont concentrées sur trois communes ;

 le risque de multiplication des coordinateurs (« je coordonne du vide ») ; la priorité doit être que chaque institution joue son rôle ;

 le danger d’une approche uniquement urbaine des difficultés : à ce titre les démolitions-reconstructions ne masquent pas le manque de moyens humains.

Les deux intervenants sont d’accord sur un quadruple constat :

 la césure entre l’enseignement et les services spéciaux est moins prononcée aujourd’hui, grâce à une coordination qui s’améliore lentement ;

 l’évaluation de la politique de la ville reste à faire ;

 la vraie difficulté réside dans la formation des enseignants qui est inadaptée, du fait de « l’extraordinaire inertie » de l’Education nationale ;

 les carences très nettes d’une PJJ qui devrait pourtant être « maître d’oeuvre » sur les dossiers d’enfants difficiles.

II. Visite du centre de placement immédiat de Collonges au Mont d’Or

Le foyer de Collonges a été transformé fin 1999 en centre de placement immédiat (CPI).

Il s’inscrit dans le dispositif PJJ du Rhône (5 CAE - 2 CPI) et dans le cadre d’un protocole départemental de l’accueil d’urgence signé en 1991 et renouvelé en 1999 qui fixe les modalités d’accueil.

La vie au centre

 Le public

Actuellement, le centre reçoit 12 enfants, ce qui est sa capacité maximale. Les jeunes sont mixtes, garçons et filles, délinquants ou maltraités. 10 sont présents, 1 jeune est placé en demi-pension, un autre en fugue.

Le centre présente deux spécificités : l’accueil est souvent fait sur décision du parquet et il reçoit un grand nombre de mineurs étrangers isolés. L’accueil de jeunes placés par le parquet permet un mixage des populations, tout en évitant la présence de grands délinquants trop violents ; l’accueil de mineurs étrangers isolés décale, en revanche, un peu le centre de sa mission première et pose des difficultés d’organisation et de suivi.

La durée moyenne du séjour est de deux mois et demi : à la sortie le jeune retourne dans sa famille avec un accompagnement social ou est placé en foyer, en lieu de vie, ou en Centre d’éducation renforcée (CER).

Le rapport à la justice est parfois complexe du fait des procédures : il existe des conflits entre le parquet qui demande le placement de certains jeunes et le parquet des mineurs qui contredit l’ordredonné ; ces décisions contradictoires exigent des personnels du centre qu’ils agissent par delà les règles normales en contactant des associations de terrain capables d’assurer la prise en charge d’un jeune qui se retrouve à la rue... sur décision de la justice. En fait, cette dernière ne sait gérer le placement que dans l’urgence : l’alternance du placement et de la remise à la rue est plus nocive que de laisser l’enfant à lui-même.

La distinction de l’accueil des jeunes dans le cadre de l’ordonnance de 1945 (délinquant) et des jeunes sous mesure d’assistance éducative est inopérante : les mineurs sont pour la plupart auteurs et victimes. Seule la problématique des enfants étrangers isolés et des gens du voyage est différente.

Les fugues ne sont pas très nombreuses, il conviendrait de parler plutôt d’absence irrégulière.

Sur la population du centre, les moins de 16 ans ont augmenté. D’un point de vue comportemental, les moins de 16 ans sont « enragés », les plus de 16 ans sont plus réalistes.

Le personnel affronte 2 à 3 crises par an. Le directeur est d’ailleurs en congé maladie. Les 13 éducateurs sont répartis entre des jeunes éducateurs et des éducateurs plus expérimentés.

Les postes d’éducateurs présentent une vraie difficulté de recrutement. Le secteur de l’hébergement est redoutable. Dans le même temps, les profils des candidats ont changé et sont beaucoup moins « militants ». De nombreux jeunes reçus au concours d’éducateur ont passé d’autres concours : poste, trésor public, et n’imaginent que très imparfaitement la difficulté de l’emploi (« être éducateur, ce ne peut pas être se caser tranquillement dans la fonction publique »).

L’urgence est de faire revenir sur le terrain des gens d’expérience. La perte d’expérience ne peut en outre que s’aggraver du fait d’un phénomène de classes creuses : les plus anciens vont partir en retraite et ne seront remplacés que par des jeunes. Le phénomène n’a pas été anticipé par les pouvoirs publics.

 Les difficultés de scolarisation

La formation professionnelle est rendue quasi impossible du fait du niveau culturel des jeunes : la plupart sont illettrés.

Pourtant, les cas qui traversent l’institution scolaire sans trouver d’échos sont rares : la responsabilité de l’inspection académique dans les carences du dépistage précoce est avérée.

Dans beaucoup de départements, une frange de la population n’est clairement pas en situation de réussir un cursus classique ce qui devrait légitimement réinterroger la notion de collège unique.

Ces jeunes sont privés de filières adaptées. Il est nécessaire de monter des conventions avec des collèges pour rendre l’école accessible à des élèves en rupture. La grande difficulté est que, hors du champ réglementaire, ces expériences se heurtent immédiatement à des sources de financement exsangues.

Il y a nécessité d’un véritable système de tutorat ou d’un adulte référent à l’Education nationale permettant d’associer des parents dont beaucoup sont eux-mêmes illettrés.

Le schéma départemental de l’enfance doit jouer un véritable rôle de coordination des politiques de traitement de la délinquance. On ne constate plus de « guerres de tranchées » sur les compétences mais sur le terrain la coordination reste difficile.

La psychiatrie occupe une place de plus en plus importante. Beaucoup de jeunes présentent des troubles du comportement sérieux ; nombreux sont les enfants violents ayant été eux-mêmes victimes de maltraitance, d’abus sexuels très jeunes.

La toxicomanie reste un problème, surtout pour le cannabis. Les éducateurs affirment que le débat sur la légalisation du cannabis leur fait perdre toute crédibilité lorsqu’ils s’opposent aux jeunes sur cette question et que la légalisation du cannabis serait catastrophique : elle encouragerait le passage à une drogue plus violente, par désir de braver l’interdit, les jeunes devenant par ailleurs ingérables sous l’emprise continuelle de psychotropes.

Visite et entretien avec les jeunes

Les bâtiments sont vétustes mais propres. Dans quelques mois, des travaux de rénovation changeront l’agencement des locaux.

Les chambres sont simples : un lit, une table, un lavabo, un placard. Celle montrée affiche quelques graffitis sur les murs et sur la porte. Elle n’est pas rangée, le lit n’est pas fait. Les installations sanitaires sont convenablement nettoyées. Au réfectoire, le repas est d’une simplicité de bon aloi : pâtes alimentaires, viande en sauce.

Un jeune déclare qu’il n’a « aucune idée de ce qu’il va faire en sortant », un autre que le « centre nous apporte beaucoup : on y apprend la gentillesse, le respect ; ça nous apprend à nous construire un avenir », un troisième ajoute sceptique « ouais, on peut dire çà ».

III. Visite du quartier des mineurs - prison de Lyon

Descriptif de la prison

La population du quartier des mineurs : malgré une capacité maximale d’accueil de 13 détenus, on constate la présence de 26 détenus dont 3 prévenus de moins de 16 ans en procédure criminelle, 20 prévenus de plus de 16 ans dont 11 en procédure criminelle, 9 en procédure correctionnelle et 3 condamnés pour des délits. 88 % des mineurs incarcérés sont en détention provisoire.

Les conditions de détention sont extraordinairement précaires :

 l’architecture est conçue en forme d’étoile. Le quartier réservé aux mineurs est situé dans l’une des pointes. La séparation majeurs/mineurs est virtuelle ;

 les locaux sont extrêmement dégradés. Les murs sont couverts de salpêtre, la peinture fortement écaillée. La couleur jaune du quartier des mineurs est d’un aspect crasseux. Les infiltrations d’eau sont générales. La grande humidité régnant laisse perplexe sur la salubrité de la prison ;

 les cours de promenade sont sinistres, minuscules, sans soleil. Les murs séparant ces cours sont surplombés de barbelés qui retiennent une multitude d’objets, papiers, vêtements, chaussures, etc. Des bandelettes de drap déchirés (les « yoyos ») servent aux détenus pour s’échanger des objets de cellule à cellule. La cour de promenade des mineurs est voisine de la gare de Perrache. Un filet tente de prévenir l’envoi de colis par-dessus le mur, notamment des stupéfiants voire des armes. La configuration de la prison peut faire des mineurs « les dealers » des majeurs. Un jeune majeur crie à travers les barreaux de sa cellule en direction du quartier des mineurs, ses paroles sont presque incompréhensibles, seuls peuvent être discernés les mots « ce soir, je le prends (...) comme d’habitude » - Réaction d’un éducateur : « il passe commande » ;

 le bruit est assourdissant, télévisions et radios sont portées à leur volume maximum dans de nombreuses cellules, entretenant une cacophonie permanente. De nombreux mineurs crient ou geignent. De temps à autre, l’un d’entre eux frappe de toute ses forces contre la porte de sa cellule ;

 au deuxième étage, les fuites d’eau sont généralisées. Des sanitaires sont défectueux ;

 au troisième étage se trouvent la salle de classe, pièce d’environ 20 m©˜, dotée d’ordinateurs couverts de linges et la salle de détente comprenant une activité modélisme et des instruments de musculation.

Visite d’une cellule et entretien avec deux détenus

 La cellule, située au rez-de-chaussée, n’est éclairée que par une petite fenêtre à barreau non accessible. La pièce est petite, mais haute de plafond. Il n’y a qu’un lit pour deux détenus. L’un des mineurs dort à même le sol, sur une sorte de paillasse. Les murs, les sanitaires, le sol carrelé ne sont pas en état de propreté suffisante ;

 un premier détenu (17 ans) est en détention provisoire pour tentative de meurtre. Originaire de Grenoble, il s’agit de sa troisième incarcération. Il souligne que sa détention à Lyon pose des difficultés pour les visites familiales : les frais de transport et de restauration atteignent rapidement les 500 francs pour une journée. Il se plaint en outre du peu de suivi de l’éducateur grenoblois, qui ne l’a vu qu’une fois en quatre mois. Un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse de Lyon le voit régulièrement ;

 le second détenu (16 ans) est incarcéré pour vol avec violence. Il affirme « je me suis fait prendre, le braquage c’est pas ma voie, je recommence pas puisque j’ai compris que c’est pas ma voie ».

Les deux détenus confient aux sénateurs les remarques suivantes :

 sur la politique : « nous on connaît que Chirac et Jospin ; ils ne parlent que de la délinquance. Qu’est ce qu’ils font pour les pauvres, pour ceux qui n’ont rien. Il y a des familles qui ont faim dans les cités. Pour nous, les politiques il faudrait qu’ils nous trouvent des idées intéressantes » ;

 sur la justice : « la justice est mal faite, le viol est moins puni que le braquage, violer c’est tuer à petit feu. Avec un braquage, on prend au moins huit ans, avec un viol c’est deux-trois ans et encore, on les fait même pas ».

Dialogue avec le personnel de la prison et le directeur régional des services pénitentiaires

Le rôle de la prison : la prison n’est pas un lieu de réinsertion mais est un lieu où se purge une peine : la privation de liberté. Il est néanmoins nécessaire d’avoir un projet qui puisse prendre les jeunes en charge à leur sortie. Or l’unique perspective de beaucoup de jeunes est de retrouver leur quartier et leurs anciennes fréquentations qui les conduisent à la récidive. Il est essentiel de sortir les jeunes de leurs quartiers.

La réponse socio-éducative reste à construire : les modèles des jeunes sont des sportifs, des stars, ou dans le pire des cas, les caïds des trafics. Les propositions d’insertion passant par des emplois aidés et faiblement rémunérés sont peu attractives. Dans le même temps, il est très difficile de proposer des formations à des jeunes dont la plupart sont quasiment illettrés.

Les problèmes psychiatriques prennent des dimensions considérables : 30 % des détenus de la prison de Lyon présentent des troubles du comportement sérieux. La prison est malheureusement contrainte de se substituer à l’hôpital psychiatrique qui n’accepte plus de patient en long séjour.

L’état de la prison est certes dégradé mais il ne faut pas attendre d’une « prison neuve » richement pourvue en services éducatifs une diminution des récidives. Par ailleurs, l’ouverture de nouvelles prisons prend du temps. A titre d’exemple, beaucoup de détenus préfèrent rester à Lyon que d’être transférés à Villefranche du fait des habitudes prises au sein de la prison, de la proximité des familles etc.

Le directeur régional insiste sur trois points :

 le nombre de personnels encadrants reste trop faible en France. Il faudrait arriver à un ratio de un personnel pour un détenu et former des travailleurs sociaux permettant de renforcer la dimension éducative ;

 il faut réhabiliter les prisons ce qui est en cours mais prend du temps ;

 il est important de réduire le volume des tâches administratives dans le travail pénitentiaire.

La délégation de la commission a été particulièrement choquée par l’état du quartier des mineurs des prisons de Lyon et considère qu’il est indigne de la France du vingt-et-unième siècle. Elle souhaite la fermeture rapide de ce quartier.


Source : Sénat français