Composition de la délégation : MM. Jean-Claude Carle, rapporteur, Georges Othily, secrétaire, Jean-François Humbert et Bernard Plasait.

I. Dîner-débat au Conseil général de Haute-Savoie

Au cours d’un dîner-débat à l’invitation de M. Ernest Nycollin, Président du Conseil général, la délégation a pu échanger avec le Président de l’Association des maires, M. Christian Monteil, un juge des enfants, un procureur chargé des mineurs, la directrice départementale de la protection judiciaire de la jeunesse et de nombreux maires du département.

· Le procureur de la République adjoint estime nécessaires la responsabilisation des familles de délinquants et notamment du père et la mise en oeuvre d’une procédure rapide pour les mineurs.

Les moyens des maisons de la justice et du droit qui permettent un dialogue entre les personnes concernées et notamment les familles, doivent être renforcés ainsi que les moyens psychiatriques à la disposition des pouvoirs publics. En effet, il est impossible d’organiser une consultation psychiatrique immédiate de mineurs mis en garde à vue.

· Mme le juge des enfants affirme que chaque acte trouve sa sanction mais qu’il serait, en revanche, nécessaire de disposer de moyens d’interventions sur les 13/14 ans notamment par la faculté de recourir à la détention provisoire.

· Le colonel de gendarmerie précise que les services de gendarmerie comptent 918 hommes sur un département situé à 73 % en zone de gendarmerie et que dans ces zones ont été constatés 23.000 crimes et délits en 2001.

Au quotidien, les gendarmes affrontent les conséquences du reflux de l’autorité. Les rebellions sont en hausse. L’éducation familiale et prodiguée par l’école est carencée.

Les réponses pénales légères n’ont guère de poids sur les sujets les plus difficiles. L’admonestation n’est pas perçue comme une sanction.

Il serait nécessaire de créer des liens entre les services policiers et les municipalités.

· Le commissaire principal de police note que, sur le département de Haute-Savoie, un tiers des interpellés sont mineurs ; ces derniers, incapables de se projeter dans l’avenir, sont insensibles à une sanction qui serait différée.

Il faut en outre constater une surreprésentation de minorités étrangères, notamment maghrébines, turques mais également des gens du voyage ; dans le cas des populations d’Afrique et du Maghreb, l’autorité du père traditionnellement déterminante s’étiole, notamment du fait de la peur des services de protection de l’enfance (en particulier le numéro d’appel 119).

· M. le maire de Thonon-les-Bains déplore pour sa part l’existence d’un fossé entre la justice et les élus. Il observe qu’il a appris à l’occasion de la visite de la délégation sénatoriale l’implantation d’un centre de placement immédiat sur le territoire de sa commune.

II. Visite du centre de placement immédiat de Thonon-les-Bains

Le centre de placement immédiat « Reliance » de Thonon-les-Bains est l’un des seuls CPI gérés par le secteur associatif, en l’occurrence par la Sauvegarde de l’enfance.

· Les jeunes

L’accueil d’un public mixte (50 % garçons, 50 % filles) repose sur un réseau de familles d’hôtes et sur une capacité d’hébergement en micro-accueil au centre (4-5 jeunes), constitué d’un chalet situé dans un village à l’écart de Thonon. Aucune activité n’a lieu sur le site de l’hébergement. La durée moyenne du séjour est de trois mois. La notion de famille d’hôte (bénévole) a son importance : lorsque le jeune sait que la famille est rémunérée pour l’accueillir, le respect est plus difficile à établir.

Le profil des jeunes est divers. Beaucoup sont auteurs et victimes de violences. Les premiers jours de prise en charge sont déterminants. Les jeunes dotés d’un projet sont aidés à le mener à bien. Pour ceux qui sont sans projet, le lieu de jour leur permet de réaliser des activités.

Les familles des jeunes placés sont souvent à bout mais doivent pourtant être associées. En cas de réussite du séjour au centre du jeune, elles risquerait parfois de se sentir, par contraste, comme incapables d’assurer l’éducation de leurs enfants. La mise en place d’entretiens familiaux vise à pallier ce risque.

· La sortie

60 % des jeunes retournent dans leur famille souvent avec un suivi en AEMO, 20 % sont orientés sur des institutions, 20 % vivent de manière autonome. La consolidation est difficilement réalisable même si un soutien en pointillé est proposé par les éducateurs.

· Les difficultés de fonctionnement

Le personnel du centre (6 éducateurs, 1 secrétaire, 1 chef de service, 1 directeur, 2 psychologues à mi-temps) n’est pas financé de manière pérenne et subit, pour les éducateurs, la concurrence de la Suisse qui offre des rémunérations supérieures (de l’ordre de 26.000 francs mensuels).

La Haute-Savoie souffre, en outre, d’une superposition des programmes et d’une absence de coordination des acteurs.

III. Visite de l’Association « Les 4 cités » de Thonon-les-Bains

L’Association est présentée par Mme Jamai, présidente et par des membres du bureau.

L’association est née d’un projet des habitants du quartier et rendue possible par un partenariat entre l’office HLM et la municipalité.

L’association accueille des enfants, sous la surveillance et l’animation de 4 emplois aidés (2 CES, 2 CEC). Les parents sont présents l’après midi. L’association propose diverses activités dont un atelier informatique et des sorties.

L’association souffre de difficultés matérielles malgré la forte implication de la mairie : les locaux ne sont plus adaptés aux activités, le coût des transports est élevé. Une liste d’attente a dû être constituée pour les sorties. En outre, un tiers des enfants ont versé une participation pour l’accès aux activités.

L’association multiplie par ailleurs les expériences créatrices de lien social : un atelier maman/bébé, un atelier musical, des sorties en famille ainsi qu’un début de travail de partenariat avec l’Education nationale. Malgré de bons résultats, la directrice précise que la tranquillité du quartier est précaire et tributaire des événements pouvant survenir.

Les éducateurs souffrent d’un problème de formation : une véritable formation est nécessaire pour savoir gérer les situations de conflit et la vie d’une cité évoluant dans un contexte pluriethnique.

IV. Rencontre à la mairie de Thonon-les-Bains

Outre M. Jean Denais, maire de Thonon, et ses adjoints, la table ronde comprend notamment le commissaire de police, le directeur du GAP (service de prévention spécialisée), la directrice de l’office HLM. 

· Le commissaire de police

 La délinquance juvénile a fortement augmenté au cours des deux dernières années sur la circonscription. Thonon-les-Bains souffre de l’absence d’un juge pour enfants même si ce problème est en passe d’être réglé. Le transfert d’un mineur auprès du Tribunal d’Annecy génère un surcroît de travail. Depuis un mois, 4 mineurs ont été incarcérés, dont deux interpellations en flagrant délit ; la courbe s’inverse ;

 le nombre de délinquants mineurs est très élevé (plus d’une mise en cause sur deux concerne un mineur) mais très peu de délinquants sont coupés de leur cellule familiale à la différence de Bagneux (où le commissaire était précédemment en poste) : il y a peu de jeunes exclus vivant de trafics sur les cités ;

 les profils de délinquants sont identifiés : 70 % des mises en cause concernent des jeunes issus de l’immigration, on constate également une forte présence de gens du voyage. Pour tous ces jeunes, la dévalorisation du travail est très nette ;

 la circonscription présente de vrais problèmes de toxicomanie : les « drogues dures » sont en présence importante du fait de la proximité de la Suisse où la législation est plus permissive. La détention de cannabis n’est plus poursuivie en dessous de 30 grammes. Il existe un milieu qui vit de la drogue à Thonon-les-bains. Les jeunes sont souvent la deuxième génération à fumer du cannabis. Certainssont « initiés » par leurs parents.

· Le responsable du service de prévention spécialisée

 La sanction est trop tardive. Les jeunes ont une perception du temps beaucoup plus brève. Si les délais entre le délit et l’accomplissement de la sanction sont trop étalés, le jeune ne lie plus les deux et perçoit cette dernière comme une injustice, voire une agression ;

 beaucoup de jeunes se sentent floués, mettent en avant le manque de divertissements (dans une région pourtant très tournée vers les loisirs). Beaucoup vivent dans le « mythe du retour au pays » et souffrent d’un sentiment de non-appartenance à la société, leur seul lieu de socialisation est la bande ;

 les exemples des « grands frères » sont problématiques : beaucoup doivent rester au domicile parental du fait de rémunérations trop faibles. L’incitation à l’insertion est faible puisque ces grands frères « travaillent honnêtement » sans pouvoir vivre de manière autonome ;

 de plus en plus, des jeunes présentent des troubles du comportement psychique qui ne trouvent pas de traitement ou à la marge.

· La directrice de l’office HLM

 Les immeubles de l’office se trouvent à 85 % sur la ville et tous les bâtiments des années 1970 ont été l’objet de rénovations. Le taux de chômage est de 6 %. Il n’est donc pas pertinent de mettre en avant un cadre de vie économique et urbanistique pour expliquer la délinquance juvénile ;

 l’explication de ce phénomène réside dans la « théorie du 1 pour 1.000 » : sur Thonon-les-Bains, les pouvoirs publics sont confrontés à la présence d’une vingtaine de mineurs très durs ;

 les jeunes filles commencent à poser des problèmes au même titre que les garçons ;

 il est nécessaire d’encourager et de soutenir les associations de quartier qui occupent le terrain et permettent de mener à bien une réelle politique préventive précoce.

V. Déjeuner-Débat à la mairie de Cluses

· Les responsables du collège et du lycée professionnel

Le collège accueille 900 élèves et est classé Réseau d’Education Prioritaire ; 120 personnes encadrent les élèves. Le principal estime nécessaire de maintenir les élèves ensemble dans le cadre du collège unique.

Le lycée professionnel vise un taux d’intégration des élèves de 100 %, avec néanmoins une difficulté posée par un petit noyau dur de 5 %.

La délinquance n’a pas augmenté en nombre d’acte mais en intensité. Les actes de délinquance sont graves et l’école ne dispose pas des moyens de lutter contre. Les réponses sont souvent à la limite des pouvoirs dévolus au personnel d’encadrement, comme la mise en stage d’un jeune difficile.

Les zones entourant les collèges doivent être sécurisées.

· Un médiateur de quartier, de l’association « mieux vivre », constate :

 La perte progressive de mixité sociale, et notamment l’impossibilité d’accéder au logement du secteur privé pour des communautés, et notamment les jeunes issus de l’immigration ;

 que beaucoup de jeunes sont malades, isolés, certains présentent des troubles du comportement sérieux ;

 que le tissu social reste à développer sur de nombreuses zones.

· Un major de la gendarmerie nationale

 les forces de l’ordre sont confrontées à une délinquance très dure des majeurs et des mineurs, en croissancedepuis deux ans ;

 l’organisation judiciaire présente un défaut car le tribunal de Bonneville ne dispose pas d’un juge des enfants : les jeunes doivent être transférés à Annecy.

· Le chef de la police municipale

 les difficultés sont doubles : elles concernent à la fois des parents et des jeunes ;

 les jeunes délinquants ont conscience d’une certaine impunité car ils ont l’impression, souvent justifiée, que leurs délits ne donneront pas lieu à sanction ;

 beaucoup de jeunes délinquants sont des jeunes issus de l’immigration ; le chef de la police municipale déplore « qu’ils ne jouent pas le jeu de l’intégration. Une toute petite minorité vit sur le crédit de l’ensemble descommunautés issues de l’immigration qui sont ensuite injustement accusées. D’ailleurs, ces jeunes ne sont pas punis, au contraire ils bénéficient de tous les programmes de prévention, de voyages au pays, qui sont comme des récompenses » ;

 l’expérience de police municipale lancée par la mairie de Cluses au mois de novembre donne des premiers résultats encourageants : la mise en place de six agents de prévention d’origine des quartiers a permis de créer un lieu de contact. Leur formation reste néanmoins à parfaire, voire à inventer.


Source : Sénat français