Composition de la délégation : MM. Georges Othily, secrétaire, et Jean-Claude Frécon.

I. Le conseil général de la Guyane

1. Le service de prévention de la délinquance

Les principaux obstacles rencontrés par le service de prévention de la délinquance du Conseil général de la Guyane sont la faiblesse des moyens, notamment le manque de personnel qualifié, et le contexte géopolitique et géographique particulier de la Guyane, en particulier l’importance des flux migratoires, en provenance de Haïti, du Guyana, du Brésil et du Surinam. La Guyane connaîtune explosion démographique, la moitié de la population ayant moins de 20 ans et plus de 50 % de la population étant étrangère. L’aide sociale générale ne correspond donc pas à la sociologie guyanaise.

Le service de prévention de la délinquance, qui compte environ 10 animateurs, réalise une animation spécialisée mais pas de prévention spécialisée. Aucune association de prévention spécialisée n’a reçu d’habilitation du Conseil général et il n’y a aucun club de prévention en Guyane.

La qualification des personnels fait défaut pour mener une démarche d’expertise et de diagnostic. La course effrénée au recrutement conduit à solliciter les élèves de l’Institut régional du travail social (IRTS) dès leur première année d’école ! La Guyane aurait besoin d’un centre de formation des personnels sur place.

L’absence d’articulation entre l’Etat, le Conseil général, les communes et la protection sociale empêche de bâtir un langage commun en matière d’action sociale, ne serait-ce que pour définir ce qu’est le public en difficulté en Guyane, éviter les doubles dépenses, mettre en commun les personnels et les moyens financiers. Sur le terrain, les professionnels travaillent « sans cadre, sans politique, sans schéma ».

L’absence d’observatoire de prévention de délinquance est déplorée. Le Conseil départemental de prévention de la délinquance (CDPD) est aujourd’hui factice : une première réunion a été organisée le mois précédant la visite de la délégation, après cinq ans d’inactivité.

La délégation a pu constater que l’inefficacité du Conseil départemental de prévention de la délinquance reflétait la mauvaise qualité des relations entre le Conseil général et l’Etat. Celui-ci reproche au Conseil général de ne pas être à la hauteur de sa mission et de ne pas avoir désigné les élus responsables du CDPD. Au contraire, le Conseil général reproche au préfet de ne pas avoir activé le CDPD et de ne pas y avoir convié le président du Conseil général.

2. La faiblesse de l’hébergement

Il n’y a que quatre foyers pour toute la Guyane (habilités par le Conseil général et un par la PJJ), dont trois seulement font de l’hébergement collectif. Pour une capacité théorique totale de 183 lits, seuls 165 mineurs ont été accueillis sur l’année 2001.

Cette situation est aggravée, d’une part, par le fait que le foyer des jeunes travailleurs ne remplit pas sa mission et est beaucoup trop onéreux, d’autre part par l’absence totale de structure d’hébergement pour les adultes, qui génère de nombreux squatts où la violence est importante, et dont de nombreux mineurs errants sont victimes.

Le foyer Courbaril refuse les prises en charge au titre de l’ordonnance de 1945 (pour lesquelles il n’est pas habilité) et les mineurs toxicomanes car la structure n’a ni le personnel ni les locaux pour gérer la violence. Il joue le rôle de structure d’accueil d’urgence à la condition que la durée de placement du jeune soit fixée à l’avance, donc inférieure à une semaine. En 2000, le prix de journée du foyer Courbaril était de 837 F par jour par enfant, tout compris. Le foyer n’emploie pas d’assistante sociale et n’a pas de vacation de personnel médical.

Le problème essentiel est celui des jeunes étrangers qui ont fait la majeure partie de leur scolarité en Guyane, donc ne sont pas expulsables, alors que leurs parents sont en situation irrégulière ou ont été reconduits à la frontière. Quand un jeune scolarisé en Guyane depuis l’âge de 5 ou 6 ans atteint la majorité, il est systématiquement renvoyé à la frontière : « C’est un énorme problème. Il faut leur donner un titre temporaire de séjour, c’est la loi, elle n’est pas appliquée en Guyane, nous subissons le bon vouloir de tel bureau de la préfecture ! »

A son initiative, le foyer Courbaril aide les jeunes expulsés à bénéficier du rapprochement familial. En l’absence de consulat du Guyana, il doit non seulement payer le passage et les actes administratifs, mais aussi envoyer une personne digne de confiance au Guyana pour effectuer les démarches, tout cela avec les 837 francs déjà insuffisants pour organiser l’hébergement collectif.

3. Le Conseil général n’a pas les moyens de sa politique sociale

Deux exemples illustrent la faiblesse des moyens du Conseil général.

Alors que les collèges ont des charges croissantes, la dotation d’équipement n’a pas varié depuis la décentralisation (pour 78 MF de dépenses réelles, la dotation de l’Etat est de 20 MF). Les jeunes devaient faire 200 km pour aller au collège. Depuis la décentralisation, le Conseil général construit un collège par an : de 5 à 23 aujourd’hui. Des collèges conçus pour 200 élèves en reçoivent 800 aujourd’hui.

Les communes ayant des difficultés financières, aucun centre communal d’action sociale (CCAS) n’a de service social. En conséquence, le Conseil général n’a pas de relais locaux. Il peine également à recruter des travailleurs sociaux, pourtant indispensables pour révéler et prévenir des problèmes jusque là cachés, en particulier l’inceste et les maternités précoces (beaucoup de filles de moins de 16 ans sont enceintes, parfois à 12-13 ans). Il n’y a pas d’assistantes sociales à St-Laurent-du-Maroni, car elles préfèrent aller à l’hôpital où les conditions de travail sont plus confortables.

Enfin, l’application de la loi métropolitaine est perçue comme inadaptée à la réalité guyanaise. A titre d’exemple, le transport scolaire fluvial se faisant en pirogue, le Conseil général doit appliquer la loi Sapin au transporteur, donc organiser un CAP de piroguier ! Seuls deux ou trois piroguiers peuvent répondre aux appels d’offres. Le Conseil général procède donc par bons de commande, mais il rencontre des difficultés pour payer les transporteurs, si bien que certains enfants ne peuvent aller à l’école !

II. Commissariat central de Cayenne

La délinquance, qui est perceptible depuis une dizaine d’années en Guyane, est liée à la consommation de drogue (le prix de la dose est dix fois moins cher qu’en métropole : 10 francs pour du crack) et à l’alcoolisme.

En 2001, 131 mineurs ont été mis en cause par les forces de police en Guyane soit 11,3 % des mis en cause. Parmi les délits avec auteurs mineurs figurent 16 % de vols à main armée avec arme à feu et 24 % de cambriolages. L’essentiel de la délinquance se passe sur Cayenne.

Si la part de la délinquance des mineurs n’est « que » de 10,4 % des faits élucidés, contre plus de 20 % en métropole, en revanche la délinquance en Guyane est violente et laisse augurer des difficultés à l’avenir.

La brigade des mineurs, qui emploie trois personnes, a un rôle de protection, elle suit les mineurs victimes, tandis que l’activité d’enquête sur les mineurs délinquants relève de l’ensemble des effectifs de l’unité de recherche et d’investigation.

Pour les mineurs étrangers, qui ne sont pas expulsables et dont certains ont l’habitude du maniement des armes, il n’y a pas de réponse de la Justice, pas de structure dans les foyers, ils sont remis dehors alors qu’ils ont commis un vol avec violence et n’ont ni toit ni à manger. A leur majorité ils seront incarcérés.

Le manque de relations institutionnelles est déploré. Il n’y a pas de structure permettant de faire se rencontrer la police et le Conseil général ; le CDPD ne fonctionne pas. Le contrat local de sécurité de 1998 pour « l’île de Cayenne » a été rédigé dans l’urgence. Il n’a pas fonctionné faute d’impulsion et de suivi.

Enfin, l’absence de structures pour mineurs délinquants ou toxicomanes place la brigade des mineurs en difficulté.

III. Le centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly : quartier des mineurs

1. Présentation du centre pénitentiaire

Situé à 15 km de Cayenne, le centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly est le plus récent établissement pénitentiaire de France. Construit en avril 1998, il compte 479 places pour 530 détenus.

Plusieurs infrastructures sont communes : bâtiment médical, quartier d’isolement, atelier, terrain de sport, gymnase, bâtiment socio-éducatif, etc. Cet établissement récent a une histoire mouvementée. En juillet 1999, une émeute a ravagé le CP. Depuis son ouverture, l’intégralité des locaux de détention de l’établissement n’a pu être exploitée (insuffisance de personnel, travaux de réparation et de sécurisation).

2. La population pénale, notamment les mineurs

La surpopulation, due notamment à l’augmentation de l’incarcération au dernier trimestre 2001, pose des problèmes de fonctionnement collectif. La population pénale est très particulière : deux tiers sont des étrangers, le plus souvent en situation irrégulière, et 95 à 97 % sont indigents.

Les détenus sont tout le temps armés, ils font des piques avec n’importe quoi. Deux fouilles par semaine permettent de découvrir des armes fabriquées avec des bouts de grillages, les fixations des étagères au mur forment des sabres ou des massues, un simple flotteur de WC constitue une pique en fer de 40-50 cm.

Une baisse du nombre de mineurs incarcérés est enregistrée : 8 aujourd’hui, contre 15 à 21 selon les mois en 2001. Cette baisse s’explique par les mises en liberté et surtout, depuis septembre 2001, la volonté du SEAT et du SPIP de revoir toutes les situations.

Sur les huit mineurs actuellement incarcérés, cinq sont des prévenus et deux ont moins de 16 ans :

 un mineur est en liberté conditionnelle (il suit un stage) ;

 deux mineurs vont aller en CER ;

 un mineur a des problèmes psychiatriques ; depuis l’âge de cinq ans, il n’est pas allé à l’école ; son père s’est fait assassiner sous ses yeux ; il vend du crack ; actuellement, il est sous traitement ;

 trois mineurs sont condamnés pour viol sur mineur de moins de 15 ans ;

 un mineur de 17 ans est en instruction pour assassinat.

La direction départementale de la PJJ a fait une étude sur 2001 pour estimer le nombre des récidivistes : sur 46 mineurs incarcérés, 23 étaient inconnus, or ils commettent des faits graves !

En 2000, 51 % des 71 détenus mineurs étaient Français, 26 % Guyaniens, 16 % Surinamais et 7 % Brésiliens. En 2001, la majorité des détenus avaient 16-18 ans.

L’isolement du centre pénitentiaire par rapport à Cayenne, conjugué à l’absence de transport en commun, et au fait que très peu de familles soient connues, explique qu’en 2000, seuls 21 mineurs sur 71 aient reçu des visites. Très peu ont la visite de leur avocat.

3. Le personnel

Sur un effectif théorique de 154 surveillants, 133 postes sont effectivement pourvus. Depuis son ouverture, le centre pénitentiaire est lourdement déficitaire en personnel. L’absentéisme est très fort.

La spécialisation des surveillants au centre de jeunes détenus est difficile à mettre en place. Sur le quartier des mineurs, deux postes sont tenus par cinq agents. Il y a en outre un chef de service et un agent en poste fixe. Tous les agents n’ont pas reçu une formation spécifique pour mineurs.

4. La réinsertion en panne

Si l’ancienne maison d’arrêt de Cayenne était indigne, à Rémire-Montjoly, il y a des salles de classe, mais les ateliers sont vides : les entreprises ne donnent pas de travail. Il n’y a pas encore de cellule de réinsertion (cellule de préparation à la sortie).

Le problème est que la date de sortie des prévenus n’est pas connue. Les personnes rencontrées par la délégation souhaitent que les magistrats prononcent une mesure éducative à la sortie de prison, afin que le jeune ne sorte pas sans aucun appui. Quand le mineur en longue peine devient majeur, il peut se retrouver livréà lui-même à la sortie, c’est-à-dire finir dans un squatt à Cayenne. Faute de moyens, le SPIP de Remire-Montjoly ne fait pas de milieu ouvert.

5. L’enseignement

Il y a trois enseignants pour 530 détenus. Des instituteurs sont mis à disposition, des enseignants de collège viennent faire des heures supplémentaires. Pour les moins de 16 ans, la scolarité est obligatoire, l’objectif étant de la rendre obligatoire jusqu’à 18 ans. Au minimum 6 heures de cours sont organisées par semaine.

6. Le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP)

Le SPIP emploie deux conseillers d’insertion et de probation (CIP) qui interviennent comme référents mineurs. Ils ne sont pas spécialisés, puisqu’il n’y a que 4 CIP pour 530 détenus. Ils font l’interface entre la détention et l’éducateur PJJ, lequel assure le suivi individuel des mineurs. Le SPIP organise les activités collectives ; le sport et la formation professionnelle sont organisés en commun avec des jeunes majeurs.

A force de multiplier les catégories prioritaires (toxicomanes, mineurs, délinquants sexuels), les moyens sur le quartier des mineurs sont insuffisants.

Malgré l’organisation une fois par mois d’une réunion regroupant tous les services, il reste des problèmes institutionnels, notamment pour les sorties : il est arrivé que les juges d’instruction envoient un fax à 11 h pour une sortie de prison à 15 h, plaçant le SPIP et la PJJ en difficulté pour accompagner le jeune.

7. Visite des locaux

La délégation a visité une petite cour, inutilisable en journée (trop de soleil), des cellules, la salle d’activités et les douches (accessibles en libre service). Le quartier des mineurs est composé de dix cellules à 2 places et une cellule individuelle.

Il n’y a pas de régime de détention différencié, permettant de récompenser la bonne conduite et de sanctionner les atteintes au bon déroulement de la vie collective.

Les mineurs peuvent être deux en cellule : soit en cas de surpopulation, soit à leur demande. Il est vrai qu’une circulaire de l’administration pénitentiaire « autorise » une telle pratique, en contradiction avec l’article D. 516 du code de procédure pénale. Si l’exception à l’encellulement individuel est pleinement justifiée pour certains mineurs, qui sont terrorisés à l’idée d’être seuls la nuit en cellule, il est indigne que la surpopulation ait conduit, en 2000, à placer certains mineurs en quartier d’isolement, faute de places en nombre suffisant sur le quartier des mineurs.

Dans le bâtiment socio-éducatif, les activités sont organisés en commun pour les mineurs et les jeunes majeurs : boxe, muay thai, musique, sécurité routière, chant, guitare, sport, cours d’informatique, bibliothèque. Etaler les activités sur l’année est difficile à cause du financement, notamment pour les associations. Le budget est mixte AP-PJJ sur ces actions.

V. Entretien avec M. Jean-Claude Lafontaine, maire de Cayenne

Les relations entre la ville de Cayenne et l’Etat ne sont pas pleinement satisfaisantes. Certes, le préfet fournit au maire des données hebdomadaires sur la mesure de la délinquance, mais celles-ci ne différencient pas les mineurs des majeurs. Le rectorat ne donne pas d’informations sur l’absentéisme à la ville, qui les obtient par les bonnes relations qu’elle entretient avec les directeurs d’établissement. Le maire estime que l’Etat doit davantage partager les informations avec les collectivités locales, qui ne sont pas en compétition avec lui.

Le contrat local de sécurité (CLS) intercommunal pour les quatre communes de « l’Ile de Cayenne », créé en 1997, n’a jamais fonctionné. Il n’y a eu que deux réunions du CLS en quatre ans. La ville de Cayenne absorbe toute la journée les habitants des communes voisines (35.000 entrées et sorties par jour). Il est donc regrettable que le CLS intercommunal n’ait aucune existence réelle.

La ville estime nécessaire de tenir compte du caractère extrêmement violent des vols en Guyane : il n’y a aucun rapport entre la violence de l’agression et le gain escompté, la violence estgratuite. C’est une « violence sud américaine ».

Actuellement, une démarche est en cours pour refaire le diagnostic préalable au futur CLS, qui ne concernera plus que la seule Ville de Cayenne.

Le nouveau CLS devra comporter deux volets importants :

 le volet social : toxicomanes, personnes sans domicile...

 le volet délinquance des mineurs.

La non-prise en charge de la précarité à Cayenne crée les incivilités et l’insécurité : il y a de nombreuses personnes sans domicile. Il n’existe aucun dispositif à ce jour en vue de leur réinsertion.

Un volet très important depuis trois ans concerne la résorption des squats à Cayenne, une quinzaine ayant été démolis. Dans le cadre de l’opération d’amélioration de l’habitat, l’Etat et la ville ont réhabilité 250 habitats en trois ans.

V. Rencontre avec le juge des enfants

1. Des conditions matérielles de travail indignes

La délégation a pu constater que le greffe du juge des enfants était surchargé de dossiers et le bureau minuscule.

Les locaux sont totalement inadaptés : on voit les mineurs se faire juger, au mépris du principe du huis clos. En effet, la salle, entièrement vitrée, est exposée au regard de tous les visiteurs. Cela pose un problème de confidentialité dans un pays où tout le monde se connaît.

Le TGI est soumis à un arrêté de fin d’exploitation, délivré par la mairie de Cayenne, à la suite du constat par la commission de sécurité que les locaux ne sont plus adaptés aux normes. La date limite est le 30 juin 2002.

2. Des difficultés à faire appliquer les décisions

Faute de temps

La Guyane ne compte qu’un seul juge des enfants. Celui-ci est donc contraint de travailler en permanence en urgence, d’autant plus qu’il siège également en appel, à la chambre détachée, une fois par semaine. L’arrivée d’un deuxième juge des enfants en Guyane devrait intervenir avant fin 2002.

En raison des caractéristiques de la Guyane

Le juge se rend une fois par mois à Saint-Laurent-du-Maroni (500 km aller-retour), car il existe des difficultés d’application des décisions sur le territoire guyanais.

Si les mineurs ne sont pas des rebelles et n’insultent pas le juge, ils commettent des infractions imprévisibles et violentes : « Ici on passe à l’acte ». Les mineurs se procurent des armes facilement donc les braquages à main armée pour voler un booster sont fréquents.

Faute de structures adaptées

Il n’y a ni CER, ni foyer habilité PJJ en Guyane pour accueillir les jeunes ayant commis des crimes ou délits : le magistrat utilise les familles d’accueil PJJ ou les associations. Il a du mal à décider un placement car les organismes ont des places limitées : « C’est plus facile d’envoyer un mineur en prison qu’en foyer car [l’administration pénitentiaire] trouve toujours de la place ».

La création de trois CER en Guyane, Guadeloupe et Martinique, ayant le même directeur et comprenant 8 places (jeunes originaires de Paris et locaux) a été actée. Le directeur départemental de la PJJ dispose déjà des personnels volontaires pour aller travailler en CER. Sur le CER de Guyane, il va négocier l’entrée de gamins en cours de session : un centre à entrée permanente permettrait de ne pas sous-utiliser la structure, faute d’avoir pu réunir les huit jeunes à la date d’ouverture de la session.

Le juge regrette les jugements par défaut. Les gens du fleuve ne peuvent se rendre au tribunal qu’avec l’aide de la PJJ à cause du coût élevé des transports en Guyane (absence de transports en commun) : 500 francs pour Cayenne-Saint-Laurent-du-Maroni.

En raison de dysfonctionnements propres aux magistrats

Le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention sont compétents pour la mise en détention provisoire en matière criminelle. Le juge des enfants ne sait même pas qui sont les mineurs en détention à Rémire Montjoly ! Cela ne fonctionne que par relation entre le juge des enfants et le juge d’instruction, de façon informelle. Le juge des enfants souhaiterait être informé systématiquement.

Les gros délais ne sont pas le fait du juge des enfants mais des juges d’instruction, en matière criminelle. En conséquence, beaucoup de majeurs (18 ans) sont jugés pour des faits commis quand ils étaient mineurs, à cause du délai d’instruction : « On poursuit beaucoup mais on réprime moins ».

VII. Activité de la PJJ

1. Visite de l’Unité d’hébergement diversifié (UHD) et du centre d’action éducative (CAE)

La PJJ emploie 13 à 19 familles d’accueil. La mission de l’UHD est difficile car, normalement, l’UHD vient en complément de l’hébergement classique, or celui-ci est inexistant en Guyane. Pour les professionnels de la PJJ, la Guyane a besoin d’un hébergement, pas forcément d’un CER.

Des projets de rupture sont organisés à l’UHD pour les jeunes non scolarisés ne pouvant s’inscrire ni en insertion ni en stage, par exemple un voyage en voilier jusqu’en Martinique. Il s’agit de développer des moments où les adultes partagent le quotidien avec les jeunes.

La PJJ a déjà fait des activités de CER en Guyane, même si ce n’était pas sur une session de trois mois. Donc elle a l’expérience, le savoir faire. Il faut penser le CER comme un moyen pour le jeune de s’en sortir, non un moyen de se débarrasser de lui, et que la mesure éducative continue à la sortie du CER.

Certains postes étaient prévus pour un foyer d’action éducative au départ, mais le directeur départemental n’a pas les moyens de monter un foyer (un foyer représente 16 personnels). Donc ces postes ont été affectés à l’UHD.

Un poste de directeur est vacant, et le chef de service qui exerce cette fonction n’est pas payé pour ce travail supplémentaire. Or, autant les jeunes éducateurs ne sont pas source de désorganisation du service, autant l’affectation d’un jeune directeur sortant de l’école serait perçue comme un handicap potentiel.

2. La PJJ manque de partenaires et doit pallier le sous-équipement de la Guyane

Le Conseil général de Guyane, le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) en particulier, n’assure pas ses missions, si bien que la PJJ en Guyane travaille sur les nourrissons et jeunes enfants, alors qu’en métropole elle n’intervient qu’à partir de la pré-adolescence. L’absence d’un schéma départemental définissant la compétence du Conseil général est déplorée, de même que l’absence de structures, notamment pour les jeunes mamans. La scolarité est difficile dans le secteur normal de la maternelle à la terminale, par manque de places : « Certains gamins passent une année chez eux car il n’y a pas de place à l’école ! C’est un désert ici, il n’y pas de volonté politique pour que ça change. Le Conseil général est absent. »

La Guyane est sous-équipée. Un service spécialisé en thérapie familiale, actuellement absent, serait indispensable.

3. Les mineurs étrangers

Beaucoup de mineurs étrangers sont pris en charge par la PJJ et nécessitent d’importantes démarches administratives auprès des consulats. Le juge demande parfois à la PJJ de trouver une orientation professionnelle à des jeunes sans papiers, alors que parfois le jeune n’a pas même un papier d’état civil donnant son nom et son âge. Une énergie folle est dépensée à la préfecture et au tribunal civil, qui sont très lents.

4. La classe relais

L’Éducation nationale, la PJJ et le Conseil général ont signé une convention en 1998 afin que des jeunes de 12-16 ans en difficulté au collège puissent effectuer un travail individualisé dans les trois classes relais de Guyane (Cayenne, Kourou, Saint-Laurent-du-Maroni).

Un coordinateur PJJ, un personnel de l’Education nationale, un animateur sportif du département et un agent de Justice (qui intervient en dehors du temps scolaire) composent l’équipe de la classe-relais de Cayenne. Quatre volets sont déclinés : médical, psychologique, éducatif et pédagogique.

5. Les activités d’insertion

En Guyane, la PJJ n’a pas de centre de jour comme en métropole.

Huit jeunes hors âge scolaire, tous sous le coup d’une procédure pénale, sont suivis par un professeur technique. Certains ont été incarcérés. Ils suivent une semaine sur deux une formation en voilier pour passer le diplôme de moniteur premier degré Jeunesse et Sports, afin de pouvoir emmener des touristes en bateau jusqu’à 48 heures.

Par ailleurs, huit jeunes filles sous mandat judiciaire travaillent dans le secteur médico-social, dont six vont être embauchées en hôpital cet été.

La PJJ fait le ramassage de Kourou à Cayenne pour les actions d’insertion sinon ces jeunes ne peuvent pas venir.

Pour le directeur départemental, les foyers échouent parfois à cause des partenaires absents. Ces gamins ont besoin de suivre une formation à l’extérieur. Les solutions manquent de souplesse notamment pour les moins de 16 ans déscolarisés, difficiles à inscrire en pré-stage de qualification ou dedécouverte : « Personne ne veut s’investir pour eux, notamment la CAF qui ne veut pas fournir un numéro de sécurité sociale. »

Le financement par le Fonds social européen présente des dysfonctionnements ; il n’est pas rare qu’il arrive deux ans après !

6. Le fonctionnement de l’administration de la PJJ constitue un handicap

En ce qui concerne la formation du personnel, les départements d’outre-mer étaient rattachés au centre régional de formation d’Ile-de-France. Désormais il existe un centre régional de formation en Martinique mais le personnel de la PJJ de Guyane ne peut y aller faute de moyens.

Le problème de la PJJ est de raisonner département par département. Cela empêche de dépayser un jeune. Il faudrait faire tourner les jeunes difficiles, en faisant des échanges entre les départements. Le fonctionnement est trop rigide, aucune mutualisation des moyens n’est possible, notamment lorsqu’un foyer est en perte d’activité alors qu’un autre est au maximum de sa capacité.

Si l’avantage du secteur public de la PJJ est d’être un laboratoire, ce que les associations ne peuvent pas faire, faute de moyens, il présente l’inconvénient d’être payé la même somme, que le foyer soit complet ou non, et de ne pas choisir ses personnels.

Le SEAT a une importante activité : 511 mineurs ont été suivis depuis fin 1999. Le directeur départemental se bat pour éviter la suppression du SEAT, estimant important qu’il y ait un bureau au tribunal.

Certains éducateurs ne savent pas faire du pénal car ils n’ont jamais fait que du civil. Les jeunes éducateurs savent mieux faire. A la limite, il faudrait renvoyer un grand nombre d’éducateurs en formation.

VIII. Rencontre avec la substitut du procureur chargée des mineurs

Le traitement en temps réel est intéressant pour les mineurs. Concernant la réduction délai d’audiencement, un certain délai de latence est nécessaire pour juger car les peines sont plus lourdes en comparution immédiate. Pour les mineurs dans la répétition, il faut juger rapidement et obtenir un mandat de dépôt.

Le délai d’audiencement est d’environ un mois, un maximum de six semaines s’écoulant entre les faits et l’audience. Donc, la résorption des stocks est moins un problème de moyens qu’une question d’organisation.

Il faut cerner la population pénale pour ne pas traiter les récidivistes et les primodélinquants de la même façon.

Il faut adapter le travail d’intérêt général pour l’étendre aux moins de 16 ans dans les chantiers de la PJJ.

Le contrôle judiciaire doit prévoir les obligations d’ordre éducatif et des soins, visibles et évaluables, par exemple trouver un travail.

Beaucoup de mineurs sont seuls sur le territoire de Guyane, sans logement, sans ressources, sans adulte référent, déscolarisés ou exclus de tout dispositif d’insertion. Beaucoup relèvent d’une prise en charge médicale.

Deux grandes pistes de travail sont retenues :

 convocation à délai rapproché devant le tribunal pour enfants pour les mineurs connus ;

 pour les primodélinquants : réponse immédiate, rappel à la loi, par courrier, par le délégué du procureur ou devant le substitut du procureur. Le taux de récidive sur 18 mois est très faible. La PJJ mène les réparations.

IX. Foyer Rozo (Cayenne)

Habilité pour 24 jeunes (10 places en ordonnance de 1945, 14 places en article 375 et jeunes majeurs), le Foyer Rozo ne fait pas d’hébergement collectif mais uniquement de l’hébergement diversifié, principalement avec des familles d’accueil et dans les six appartements pour majeurs. Le prix de journée est de 600 F par jour. Sur un an, le foyer suit une cinquantaine de jeunes.

La rémunération de la famille d’accueil est de 150 F par jour net. Le financement est partagé entre le Conseil général et l’Etat (l’Etat finance pour les jeunes majeurs et le pénal), le prix de journée étant identique pour la PJJ et le Conseil général.

Le tissu associatif habilité est composé de jeunes associations fragiles, le gros système d’associations comme la Sauvegarde de l’Enfance en métropole n’existe pas en Guyane.

L’école d’éducateurs spécialisés (IRTS) existe depuis 8 ans en Guyane. Pour travailler dans une association habilitée Justice, il faut être diplômé. Il y a encore beaucoup de métropolitains dans les promotions, même si ça change peu à peu. Tous les secteurs sont demandeurs en éducateurs. A Rozo, les éducateurs ont été recrutés sur promesse d’embauche avant d’avoir obtenu leur diplôme.

Le foyer emploie 6 éducateurs. Rozo est surchargé en assistance éducative et la direction départementale de la PJJ n’a plus de place à Rozo pour les ordonnances de 1945. En Guyane la prise en charge est plus longue : les jeunes sont souvent suivis jusqu’à 21 ans, contrairement à la métropole. Le foyer freine des quatre fers pour ne pas prendre les filles mères avec enfant sinon il risque d’être débordé par les demandes.

Il estime ne pas être assez contenant pour certains jeunes car la famille d’accueil n’est pas professionnelle, mais si ces jeunes étaient en foyer, ce serait beaucoup plus explosif.

Il y a des lacunes dans le dispositif, notamment la capacité de réaction rapide (trouver une solution pour un jeune dans la journée), les jeunes mères avec enfants, les pathologies multiples, les toxicomanes et les jeunes ayant des problèmes psychiatriques.

La direction départementale de la PJJ souhaite qu’une des cinq structures (UHD PJJ, Rozo, Courbaril, Maluana ou La Providence) se spécialise en accueil d’urgence et les quatre autres en service de suite. Il faut une organisation différente, pour spécialiser par tranche d’âge. C’est tout l’enjeu du schéma, qui est écrit mais pas encore signé, entre l’Etat et le Conseil général.

La PJJ a récupéré des éducateurs en détachement c’est à dire des gens du Conseil général, ce qui a désorganisé encore plus leurs services.

X. Rencontre avec Mme Simart, pédopsychiatre

La délégation a tenu à organiser une table ronde, réunissant les parents d’élèves, la substitut du Procureur chargée des mineurs, la PJJ, les services de l’Aide sociale à l’enfance et de la prévention de la délinquance du Conseil général et un médecin psychiatre.

L’intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile est mal connu à cause du sous-équipement dramatique. La prise en charge ne va pas au-delà de 16 ans, par manque de moyens, c’est regrettable car les mineurs délinquants ont le plus souvent plus de 16 ans.

Il y a bien une politique en faveur de l’adolescence dans l’intersecteur, 1.400 enfants sont suivis chaque année, mais la liste d’attente est de trois mois.

La Guyane n’a aucune structure d’accueil malgré des projets en cours depuis plus de cinq ans. Or, cela éviterait probablement l’incarcération. Les deux seuls mineurs de moins de 16 ans qui ont été incarcérés à Rémire Monjoly auraient dû relever de l’inter secteur de Saint-Laurent-du-Maroni.

Il manque une structure d’hospitalisation pour adolescents, notamment les adolescents suicidants et les adolescents en compensation psychique qui ont des comportements de violence, ainsi qu’un centre médico-psychologique propre aux adolescents et allant jusqu’à 18 ans. Il faut tenir compte du hiatus entre les moins de 16 ans, les 16-18 ans et les adultes. Ce n’est pas la même prise en charge. Il faut une prise en charge en externe pour les adolescents, sans rendez-vous, ouvert.


Source : Sénat français