Composition de la délégation : MM. Georges Othily, secrétaire, et Jean-Claude Frécon.

I. Commissariat de Pointe-à-Pitre

1. Mesure de la délinquance

La délinquance des mineurs en Guadeloupe est moins importante en volume que la délinquance métropolitaine, mais plus violente.

Sur le plan quantitatif, dans la circonscription de police de Pointe-à-Pitre, 146 mineurs ont été mis en cause en 2000. Les mineurs représentaient 16 % des mis en cause en 1999 et 9 % en 2000 et en 2001. En zone de Gendarmerie, 226 mineurs ont été mis en cause en 2001. Plus de 80 % de la délinquance est en zone de police, majoritairement sur la circonscription de Pointe-à-Pitre-Gosier-Abymes. Seule Pointe-à-Pitre a une brigade des mineurs.

Sur le plan qualitatif, la délinquance des mineurs est de plus en plus violente. Les infractions les plus commises par les mineurs sont les infractions à la législation sur les stupéfiants (crack) puis les cambriolages et les vols avec violence (vol à l’arraché sur la voie publique, vol avec arme).

2. La brigade des mineurs

La brigade des mineurs emploie cinq personnes. Elle s’occupe essentiellement de mineurs victimes, mais traite également tous les auteurs en cas de violences sexuelles, les violences conjugales, tous les délits liés à la famille et au concubinage (par exemple les pensions alimentaires, les conditions de vie des enfants, les enquêtes sur les familles par les magistrats). La brigade criminelle intervient pour les infractions commises par les mineurs.

L’importance du travail lié à la nouvelle législation, notamment le fait de filmer les gardes à vue de mineurs a été évoquée comme une source de difficultés. En moyenne, il faut consacrer 1 h 30 par mineur. La structure du commissariat ne permet pas ces auditions (bureaux de trois fonctionnaires) : l’audition filmée des mineurs auteurs pour tous les délits n’est pas utile, il faudrait la réserver aux crimes et aux délits importants. Le Parquet admet que personne n’a demandé à visionner les auditions pour les petits délits.

Seuls 66 des 137 mineurs mis en cause ont été placés en garde à vue en 2001, en raison de la complexité de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence.

Actuellement, la brigade des mineurs n’envisage pas de s’occuper des mineurs auteurs car elle est déjà submergée avec les mineurs victimes et la plupart des mineurs auteurs de faits graves agissent avec des majeurs. Au niveau de la police, il est plus difficile de scinder en deux la procédure comme le fait le Parquet.

L’essentiel des efforts de la police a été porté sur la police de proximité, c’est-à-dire la voie publique, au détriment des services d’enquête, alors même que le temps pour s’occuper d’une procédure a été multiplié par quatre.

La brigade des mineurs regrette la faiblesse des rapports avec le juge des enfants qui lui envoie les ordonnances à faire en urgence : « Hier, j’ai reçu cinq fax pour convoquer des gens dans la journée ! Je dois tout lâcher pour faire ces convocations (COPJ) ! Le juge des enfants, le juge d’instruction et le Parquet n’ont aucun synchronisme, tous nous adressent des demandes urgentes, concurrentes. »

La brigage s’inquiète de l’existence de squatts, qui allonge la durée des fugues. Beaucoup de mineurs sont livrés à eux-mêmes. Elle demande systématiquement aux établissements scolaires de signaler les absences.

II. Entretien avec M. le sous-préfet de Pointe-à-Pitre sur la « coproduction de sécurité »

Participent chaque semaine aux réunions de coproduction de sécurité : le sous-préfet ; la DDSP, la DST, la PAF, les RG, les Douanes ; les quatre chefs des polices municipales ; les maires ou adjoints de ces mêmes villes (Pointe-à-Pitre, Abymes, Gosier, Baie-Mahault) ; le commandant de gendarmerie ; le DDPJJ ; le chef de projet du volet intercommunal du contrat de ville, les chargés de mission pour la politique de la ville, pour la prévention de la délinquance et pour la lutte contre les exclusions ; le recteur ; le médecin inspecteur à la DSDS, chargé de la lutte contre la toxicomanie ; le procureur.

La sécurité est un moteur à quatre temps : Prévention, Dissuasion, Répression, Prévention de la récidive. Les réunions de coproduction de sécurité sont centrées sur la dissuasion et la répression.

L’occupation des forces de police pour le maintien de l’ordre entraîne une augmentation de la délinquance de voie publique : « Hier des jeunes ont incendié cinq voitures aux Abymes car ils savaient que les forces de l’ordre étaient occupées à Basse-Terre » (en raison d’une manifestation).

Chaque réunion se décompose ainsi :

Les policiers, les gendarmes et les policiers municipaux présentent leur activité de la semaine et les faits constatés. Le procureur fait de même. Puis les informations sont croisées et une réponse commune est élaborée. Le recteur fait le point sur tous les établissements scolaires. Des points thématiques sont ensuite abordés (par exemple : chiens dangereux ; toxicomanie ; bilan de l’Éducation nationale ; jeunes délinquants ; prostitution...). Enfin, le suivi des actions décidées aux précédentes réunions permet une évaluation des résultats.

En six semaines, la délinquance a diminué de 30 % sur la circonscription.

III. Les magistrats du parquet

1. Basse-Terre

Le principal problème rencontré est celui des mineurs multirécidivistes sur lesquels les mesures alternatives à la détention sont un échec. Le sentiment d’impunité est clairement évoqué par les mineurs eux-mêmes : ils arrêtent parfois de commettre des délits à 18 ans, bien que leur situation sociale n’ait pas changé. Ce sont toujours les mêmes mineurs qui comparaissent, certains commettent jusqu’à 35 ou 40 cambriolages !

Pour les primaires, le Parquet a mis en place en 2002 la réparation sous forme d’un stage d’instruction avec un suivi assuré par un éducateur, les parents étant reçus.

La substitut du procureur chargée des mineurs estime ne pas avoir rencontré de cas où il aurait fallu placer un mineur de moins de 16 ans en détention provisoire.

Si la comparution immédiate n’est pas souhaitée, le parquet juge nécessaire de raccourcir le délai entre la commission des faits et le jugement.

En l’absence de délégués du procureur pour les mineurs, c’est la PJJ qui fait les réparations, laquelle exclut les agressions physiques et ne concerne que les mineurs primo-délinquants.

2. Pointe-à-Pitre

Il y a six magistrats du parquet à Pointe-à-Pitre, dont le ressort couvre les deux tiers des 420.000 habitants de la Guadeloupe. La substitut chargée des mineurs, qui ne s’occupe pas exclusivement de mineurs, s’est attachée à son arrivée à résorber le stock d’affaires anciennes (un délai de trois ou quatre ans entre les faits et le jugement était constaté). A la limite de la prescription, beaucoup de majeurs ont été jugés pour des faits commis quand ils étaient mineurs.

Les relations avec la PJJ sont jugées excellentes. La recherche de structures d’hébergement est prioritaire.

En 2000, le parquet des mineurs de Pointe-à-Pitre a été saisi de 480 procédures. Cinq ouvertures d’information(= procédures criminelles) ont été enregistrées. Pour 63 requêtes pénales (= par courrier), on dénombre 82 convocations par officier de police judiciaire. Le problème est que la comparution à délai rapproché n’est pas utilisée ici.

Le circuit du défèrement d’un mineur pose problème : en raison de l’éclatement sur plusieurs sites du TGI, un mineur prévenu doit traverser deux fois la place de la Victoire5(*), entre deux gendarmes blancs, avec les menottes.

Le parquet souhaite que la notion de réitérant, consacrée par la loi du 4 mars 2002 soit étendue aux mineurs. En effet, la multiplication des alternatives aux poursuites minore considérablement la récidive.

IV. Les juges des enfants

(Pendant la visite de la délégation, le tribunal de grande instance de Basse-Terre et le Conseil général sont assiégés par des manifestants, les CRS lancent des bombes lacrymogènes, des manifestants lancent des pierres... Ils manifestent pour la libération d’Evans, un commerçant qui a tué deux mineurs venus braquer son magasin ; il s’agissait du dix-neuvième braquage de ce magasin).

Les juges des enfants apprécient que l’ordonnance de 1945 laisse une grande marge au juge, mais regrettent le manque de moyens en aval. Il manque des centres adaptés pour les mineurs et il y a un problème de formation des cadres éducatifs. Pendant longtemps, les mesures éducatives n’ont pas été mises en oeuvre. Les Antilles n’ont pas de CER. Il y a une grande lacune au niveau de la lutte contre la toxicomanie. Or, on achète très facilement du crack en Guadeloupe. En conséquence, des mineurs sont incarcérés par manque de structures adaptées.

Les délais de jugement ont été réduits, mais le problème est post sentenciel, notamment pour les SME et TIG, la révocation n’étant jamais prononcée.

Ici les dossiers basculent très vite de l’assistance éducative au pénal car il n’y a pas de prévention, il n’y a pas d’éducateur de rue.

Le Conseil départemental de prévention de la délinquance ne fonctionne que de manière intermittente, seuls les Conseils communaux de prévention de la délinquance fonctionnent.

Le SEAT de Pointe-à-Pitre est très apprécié mais l’effectif de trois éducateurs est jugé insuffisant.

Il n’y a pas de travail en réseau, y compris dans l’autorité judiciaire. Les relations avec le parquet pourraient être améliorées. Le problème est que le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre est réparti sur cinq sites, le tribunal pour enfants se trouvant isolé. Le bureau des juges des enfants a été le dernier service informatisé du tribunal de grande instance.

Des pistes de réforme de l’ordonnance de 1945 ont été évoquées, comme le renforcement des pouvoirs du juge en cabinet afin d’alléger les audiences pour tout ce qui ne serait pas une incarcération ferme, ou la comparution immédiate en cas de récidive. S’agissant du contrôle judiciaire pour les moins de 16 ans, les magistrats souhaitent que la loi leur donne les moyens de ne pas être laxistes.

Les juges des enfants exercent également d’autres fonctions. Ils souhaiteraient pouvoir se consacrer à leur spécialisation, en particulier pour pouvoir organiser une permanence pénale des juges des enfants au tribunal.

Le regroupement du service éducatif auprès du tribunal (SEAT) au sein du centre d’action éducative (CAE) n’est pas favorablement accueilli par les magistrats car le CAE est moins orienté vers le pénal.

Les juges des enfants estiment ne pas exercer les mêmes fonctions ici qu’en métropole, un enfant en danger en Guadeloupe n’étant pas le même qu’en métropole.

V. La PJJ

Selon la PJJ, les mineurs qui posent problème sont peu nombreux, ils sont confiés beaucoup trop tard à la PJJ et posent de graves difficultés psychiatriques donc il est difficile de trouver un foyer permettant leur traitement. Il faut développer le versant médical. Or, malgré une convention Justice-Santé depuis trois ans, rien n’est mis en place en Guadeloupe ! A l’intersecteur de psychiatrie, il y a trois mois d’attente. L’hôpital refuse d’hospitaliser les mineurs même en pleine crise de démence. La PJJ peine à trouver des vacations de psychologues car elle les rémunère 95 francs de l’heure, tandis que les autres employeurs les rémunèrent 250 francs. En conséquence, plusieurs mesures d’investigation et d’orientation éducative (IOE) sont actuellement en attente.

L’organisation de la formation des éducateurs est critiquée car ils partent en formation alors qu’ils sont déjà en poste. La relève n’est pas assurée et l’école de formation des travailleurs sociaux a fermé en Guadeloupe.

Il n’y a pas assez d’activités en hébergement, par manque de personnel. Il n’y a qu’une structure publique, elle ne prend que sur le court terme, c’est le CPI ! Il faut trouver d’autres lieux, le CPI ne correspond pas car la prise en charge dure six mois maximum.

Il manque des structures pluridisciplinaires. Il y a d’énormes difficultés dans le département, en l’absence de lieux de vie et de placement. Il n’y a pas de foyer PJJ. Le même problème se pose pour les mineurs en danger : il n’y a pas d’hébergement d’urgence. La Guadeloupe manque de tout : CHRS, foyer de jeunes travailleurs et alternatives à l’incarcération.

VI. Centre pénitentiaire de Baie-Mahault : quartier des mineurs

Le centre pénitentiaire de Baie-Mahault6(*) a ouvert en décembre 1996, sans qu’un quartier des mineurs n’ait été prévu. Celui-ci a été créé dans un quartier de détention ordinaire, ce qui ne facilite pas le respect des exigences légales.

Le projet est d’isoler le quartier des mineurs des adultes, mais il n’y a pas de structure adaptée. Actuellement, le quartier répond seulement à une seule exigence : l’étanchéité.

L’établissement a connu des incidents répétés avec les mineurs : agressions sur le personnel, destruction de matériel, incidents avec les escortes de gendarmerie lors des extractions.

Le nombre de mineurs incarcérés peut varier très rapidement. L’effectif mensuel moyen était de 4 à 23 en 2001(moyenne 12). Il y a actuellement 9 mineurs incarcérés pour 25 places dans 18 cellules. Cinq criminels, quatre en correctionnelle. Aucun condamné définitif, mais certains sont à la fois condamnés et prévenus.

Le quartier des mineurs n’a que deux surveillants référents. Il répond à la mission de garde uniquement, on ne peut parler d’insertion. Le centre pénitentiaire ne compte que 2,5 travailleurs sociaux pour 420 détenus. Un seul surveillant pour les mineurs doit surveiller les différentes occupations : il laisse donc la salle d’activités ouverte et tente de surveiller les deux groupes. Il faudrait quatre postes de plus sur le quartier des mineurs.

Les éducateurs de la PJJ rendent visite aux mineurs quatre fois par semaine7(*).

Les mineurs sont actuellement un par cellule mais cela n’a pas toujours été le cas.

La délégation a visité une salle d’activité (très dépourvue, sans commune mesure avec celles du CJD de Fleury-Mérogis), des douches (propres et accessibles une fois par jour, voire plus à la demande), des cellules.

Elle a constaté que les échanges entre mineurs et adultes étaient possibles (on peut lancer des objets par dessus le mur ou par les couloirs). L’étanchéité est donc toute relative.

Le bâtiment social avec la salle d’enseignement est commun aux mineurs, adultes, hommes et femmes, condamnés et prévenus. Des activités sont parfois supprimées car le personnel n’est pas assez nombreux pour accompagner les mineurs au bâtiment social.

La salle d’enseignement est en fait un petit bureau, absolument pas fonctionnel. Un suivi individuel est mis en place par l’enseignant qui traite les plus et les moins de 16 ans sur le même régime.

Si la bibliothèque est propre et accueillante, il n’y a pas beaucoup d’ouvrages pour les mineurs. Ceux-ci peuvent aller une fois par semaine dans la salle informatique (quatre ordinateurs).

Le bâtiment d’activités est sous-dimensionné. Si les femmes viennent au bâtiment social, il n’y a aucune autre activité possible pendant ce temps-là pour les autres catégories de détenus.

Le SMPR fonctionne mais il serait nécessaire d’y créer des lits pour diminuer les transfèrements au centre hospitalier. Il n’y a qu’un quart temps de psychiatre pour tout le centre pénitentiaire.

La délégation se rend ensuite dans un bâtiment plus ou moins inutilisé qui servira plus tard de quartier des mineurs. Il est isolé, très fermé, constitué de 15 cellules individuelles. Cela n’aura rien à voir avec l’actuel quartier, « ouvert » sur des patios avec pelouse. Cet environnement est étouffant, bruyant (avions et climatisation), sinistre, beaucoup moins vivable que l’actuel quartier des mineurs. Le directeur du centre comme les membres de la délégation conviennent que ce bâtiment est davantage conçu pour être un quartier disciplinaire et un quartier d’isolement que pour abriter un quartier des mineurs. Son seul avantage est de supprimer la promiscuité.

Les actuels quartiers disciplinaires et d’isolement feraient, à la limite, un meilleur quartier des mineurs que le bâtiment précédemment visité, car ils comprennent deux patios.

Les couloirs très nombreux, qui délimitent les patios, sont l’occasion de recevoir des insultes permanentes, notamment pour le personnel féminin.

VII. Le centre de placement immédiat de Sainte-Anne

Le CPI est isolé en milieu rural, ce qui limite les fugues. Il a ouvert en septembre 2000 et les premiers jeunes ont été pris en charge le 20 octobre 2000. Il y a eu un important mouvement trèsvirulent des riverains contre l’ouverture du centre.

Toute l’ambiguïté du CPI dans un petit département est qu’il a ouvert sur le cahier des charges de l’administration (évaluer en 3 mois, proposer une orientation et la mettre en oeuvre), sans être connecté à d’autres solutions, notamment pour les 13-16 ans déscolarisés depuis des années, et « qui ont tout cramé ».

Pour une capacité de 8 places, 30 jeunes ont été reçus en 18 mois, dont les situations les plus difficiles du département, notamment les 13-16 ans.

Le CPI ne peut fonctionner que s’il lui est adjoint un centre d’activité de jour. Or, il n’y a qu’un centre de jour pour tout le département, avec très peu de moyens. Il est trop éloigné et occupé pour que le CPI puisse en bénéficier.

15 personnels composent l’équipe du CPI : le directeur, un chef de service, 8 éducateurs, 2 ouvriers professionnels de cuisine8(*) ; 2 ATE pour la veille de nuit, dont un vacataire ; un conducteur d’automobile mis à disposition par le directeur départemental.

Le centre fonctionne 7 jours sur 7, 365 jours sur 365 avec des mineurs difficiles et une violence latente. C’est l’équivalent à l’hôpital du service des grands brûlés : il faut des moyens pour s’en occuper.

Le personnel du CPI pratique la contrainte et la sanction tous les jours. Il estime que les magistrats doivent assurer le suivi des dossiers des mineurs délinquants, notamment que les fugues et les SME et contrôles judiciaires non respectés doivent recevoir une sanction de la part du juge.

Il faut porter un regard thérapeutique sur ces jeunes. En Guadeloupe, malgré la facilité à se procurer du crack, il n’y a pas de centre pour traiter la toxicomanie. Il faut des centres différents pour des pathologies différentes, avec un personnel spécialisé.


Source : Sénat français