Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, Président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre M. Jean-Paul de Gaudemar, professeur agrégé de sciences économiques, qui a été recteur des académies de Strasbourg et de Toulouse et qui est aujourd’hui directeur de l’enseignement scolaire.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

La parole est à M. de Gaudemar.

M. Jean-Paul de Gaudemar, directeur de l’enseignement scolaire - Mesdames, Messieurs les sénateurs, je vous remercie de vous préoccuper de la dimension éducative de la délinquance des mineurs en m’invitant à participer aux travaux de votre commission. Je suis pour ma part heureux d’avoir l’occasion d’exposer notre vision du phénomène.

Par délinquance des mineurs, on peut entendre beaucoup de choses. Je me suis demandé si vous reteniez une définition relativement restrictive, visant uniquement les mineurs dont les actes seraient susceptibles d’une qualification pénale ou si vous l’étendiez à tout ce qui peut, de près ou de loin, se rapporter à des comportements violents, ce qu’on appelle communément la violence à l’école.

J’ai pris le parti de me pencher sur ce dernier aspect que nous rencontrons le plus souvent, même si j’aurai l’occasion d’évoquer la population spécifique dont les actes peuvent être qualifiés sur le plan pénal. Mon propos n’aura aucune prétention exhaustive.

Dans une période au cours de laquelle la question de la délinquance en général, et des mineurs en particulier, est d’actualité, il est frappant de constater à quel point ce sujet est ancien. Je suis persuadé que ce problème est au centre des missions fondamentales de l’école, l’éducation apparaissant depuis le XIXème siècle comme la première des réponses organisées à cette délinquance, au moins en matière de prévention, éventuellement en matière de traitement ou de préparation à la réinsertion.

Les missions de l’école -et de l’école publique en particulier- sont au coeur de ce que Durkheim appelait « l’apprentissage de la norme ». Il s’agit d’apprendre à la population d’âge scolaire à intérioriser des normes de comportement social, à se soumettre à une autorité sous ses diverses formes en manifestant de l’obéissance. Le sujet qu’est l’élève apprend sa propre liberté en même temps qu’il apprend la contrainte.

Nous sommes confrontés tous les jours à la délinquance des mineurs à l’école. En outre, cette dernière est elle-même victime de certaines de ces formes de délinquance : on l’a vu récemment avec les affaires de racket.

Je voudrais développer devant vous quatre façons d’aborder le problème. Premièrement, comment appréhendons-nous la délinquance des mineurs ? De quels outils d’observation et d’analyse disposons-nous ? A partir de là, quelle démarche adoptons-nous ?

Les trois autres points seront beaucoup plus axés sur le mode d’action et s’organiseront autour des trois convictions qui nous animent face à la violence en milieu scolaire.

Première conviction : la principale réponse que nous devons apporter, c’est l’éducation parce qu’elle est au coeur de notre mission. Il s’agit en permanence de faire comprendre à l’élève que l’école a un sens, de lui donner des repères dans le cadre de la mission d’éducation civique qui est la nôtre et de l’aider à surmonter une forme de désespoir souvent à l’origine de la délinquance. Le premier volet de l’éducation consiste donc à aider l’élève à se préparer un avenir.

Deuxième conviction : notre travail d’éducation sera d’autant plus efficace que nous serons capables d’apporter des réponses propres à protéger l’école et à la rendre plus solidaire. Toutes les expériences montrent que plus les équipes sont soudées entre elles, et mieux elles réussissent à résister à des agressions internes ou externes. Il importe donc de construire ces rapports de solidarité.

Troisième conviction : l’école ne peut pas surmonter seule ce problème qui doit faire l’objet d’une démarche partenariale d’ensemble. Ce travail est engagé depuis de nombreuses années avec de multiples partenaires.

Je reviens sur chacun de ces aspects. Comment abordons-nous cette délinquance des mineurs ? Il faut bien avouer que pendant des années nous avons été démunis par rapport à l’appréhension objective du phénomène. Nos équipes ressentaient d’autant plus douloureusement cette lacune que leur vécu - dans de nombreux établissements en tout cas - était souvent assez pénible à cet égard.

Nous nous sommes donc employés à affiner nos techniques. Depuis les années soixante-dix, depuis ce qu’il est convenu d’appeler la démocratisation de l’école, le nombre de rapports faits notamment par l’inspection générale sur le développement de la violence à l’école est impressionnant.

Une modification d’importance est survenue dans l’état d’esprit de nos établissements à partir de la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix puisque la loi du silence sur les incidents à l’école a été très largement rompue. La pratique du signalement des incidents s’est généralisée, à tel point d’ailleurs qu’à partir de 1997, le matériau rassemblé était tellement divers - mêlant des actes très graves qui relevaient de la délinquance et d’autres qui se limitaient à des incivilités - qu’il devenait fort difficile de les traiter.

Pour y voir plus clair, nous avons fait un travail qui a débouché sur la constitution du logiciel SIGNA, géré par une autre direction du ministère. Il recense les éléments fournis par les établissements et opère un premier tri entre les incidents pour ne retenir que les plus graves.

Le champ de cette enquête, dont la périodicité est de deux mois, dépasse les établissements du second degré et s’étend aux écoles. Les chiffres concernant les deux premiers mois de l’année scolaire ont été publiés dès les premiers jours de janvier. Ceux qui sont relatifs aux mois de novembre et décembre sortiront très prochainement. Grâce à cet outil, la précision de notre vision s’est améliorée.

S’il est fréquemment fait état dans le débat public d’un rajeunissement de la délinquance des mineurs, notre enquête aurait plutôt tendance à démontrer le contraire. Les actes les plus graves qui sont repérés à l’école sont le plus souvent le fait de parents agressant les maîtres. Dans le second degré, ce sont les élèves qui sont majoritairement les auteurs de ces incidents concentrés sur un pourcentage relativement limité d’établissements. Il ressort de notre enquête que l’âge critique se situe à quinze ans.

Nous attendons beaucoup de cet outil pour rendre possible le pilotage d’une action. Cela nous a conduits à envisager un plus qualitatif pour compléter ces observations quantitatives. Nous essayons de mettre en place un Observatoire de l’enfance et de l’adolescence composé d’un certain nombre de spécialistes issus notamment de la pédopsychiatrie ou de la sociologie qui nous permettront peut-être de mieux comprendre la typologie de ces délinquants.

Nous nous intéressons en particulier à la porosité extrême qui existe entre le milieu de vie et l’école. Au terme d’un processus d’intériorisation, les drames qui étaient autrefois le fait des seuls adultes sont désormais des composantes essentielles des comportements enfantins.

Comment agissons-nous ? Le premier dispositif a une dimension éducative et concerne au premier chef ce que nous enseignons, la manière dont nous enseignons. Il s’agit, comme je le disais tout à l’heure, de donner du sens à l’enseignement et d’apporter des repères aux élèves. Cela touche plus aux comportements qu’aux savoirs.

Rappelons à cet égard la dimension civique et humaine de notre enseignement. C’est François Bayrou qui a lancé pour le collège et le lycée l’idée d’intégrer l’éducation civique à tous les niveaux de notre enseignement. Depuis, cette dynamique s’est étendue.

Nous avons bâti des programmes assez ambitieux qui constituent plus un apprentissage à vivre ensemble qu’un enseignement supplémentaire. Prenant appui sur des savoirs qui portent sur les institutions et les valeurs républicaines, ils visent à apprendre aux élèves la pratique du débat démocratique.

Nous sommes également convaincus depuis très longtemps que la meilleure prévention à l’égard de la délinquance des mineurs, c’est la lutte contre l’échec scolaire, surtout quand il est redondant avec un échec d’un autre type. Nous avons donc multiplié des dispositifs de pédagogie différenciée et autres outils spécifiques qui peuvent intervenir à l’intérieur de l’établissement, voire sous forme de classes relais externalisées si la situation de l’enfant le demande.

A côté de l’enseignement, il y a la vie scolaire. Enseigner l’éducation civique ne sert à rien si la vie quotidienne de l’établissement n’est pas elle-même empreinte des valeurs civiques que nous entendons transmettre. C’est la raison pour laquelle nous portons une attention particulière aux modalités d’accueil des enfants les plus jeunes. L’apprentissage de la ponctualité et de l’assiduité est essentiel. La pratique des délégués de classe, des comités de vie lycéenne participent de cette démarche d’immersion dans une forme de vie démocratique.

Nous misons sur le développement des futurs internats éducatifs pour apporter des réponses en termes de vie scolaire aux enfants en difficulté dans leur milieu d’origine.

Nous attachons beaucoup d’importance aux procédures disciplinaires et aux sanctions. La règle doit être explicite et connue des élèves : nul n’est censé ignorer la loi. Nous avons fait à cet égard un gros travail. Des textes nouveaux en date de juillet 2000 visent à faire en sorte que les élèves s’approprient les règlements intérieurs, à défaut de les élaborer. Dans certains collèges, des exercices permettent de s’assurer que l’élève a intériorisé dans son propre langage ce règlement intérieur.

Je voudrais maintenant évoquer les dispositifs propres à protéger l’école et à la rendre plus solidaire. Nous avons jugé utile de créer en octobre 2000 un Conseil national de lutte contre la violence à l’école. Nous disposons là d’un lieu de réflexion, d’observation et de production de documents afin de piloter sur le mode qualitatif des plans spécifiques de lutte contre la violence qui sont depuis une bonne dizaine d’années l’une des priorités de notre ministère.

Nous manifestons ainsi l’importance politique que nous attachons à cette question et nous en tirons les conséquences pratiques en identifiant les espaces prioritaires sur lesquels doit porter notre action. Elle concerne dix académies, une vingtaine de sites plutôt urbains. Ce dispositif vise un peu plus de 500 établissements, un peu plus de 2 000 écoles, soit environ 740 000 élèves sur les 5 millions du seul second degré.

Nous pratiquons dans ces zones une sorte de discrimination positive en y consacrant davantage de moyens, notamment en y affectant des personnels médico-sociaux ou des aides éducateurs qui ont pris le relais des appelés du contingent.

Je n’insisterai pas sur les zones d’éducation prioritaire que vous connaissez bien car elles sont de création plus ancienne.

Pour s’acquitter de sa mission de lutte contre la délinquance des mineurs, l’école a besoin de s’appuyer sur d’autres partenaires. Nous avons développé énormément d’actions de coopération avec le ministère de la justice et avec les autorités de la police et de la gendarmerie, actions qui témoignent d’une rupture considérable avec ce qui fut longtemps la culture de l’école.

J’évoquerai enfin deux dispositifs principaux. Premièrement, les dispositifs relais. Mis en place voilà relativement peu de temps, ils constituent un axe fort de lutte contre l’échec scolaire et la marginalisation des jeunes en leur permettant de trouver un accueil adapté à leur situation avant de rejoindre une structure scolairenormale. Arrêté par un texte de 1998, ce système a commencé à fonctionner dès la rentrée 1999 avec 180 dispositifs à l’échelle nationale. L’objectif de parvenir cette année au chiffre de 250 sera atteint. M. le Premier ministre a annoncé la multiplication par deux, dans les deux ou trois ans qui viennent, de cette innovation, qui a fait la preuve de son efficacité.

Deuxièmement, les dispositifs mis en place en partenariat avec le ministère de la justice pour assurer l’enseignement des mineurs incarcérés, tâche qui n’est évidemment pas facile puisque la durée du séjour en milieu pénitentiaire est de l’ordre de six mois. Je tiens à souligner que nous avons souvent pu transposer dans certains de nos établissements des compétences et des méthodes acquises en milieu pénitentiaire.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Pourriez-vous revenir sur le logiciel SIGNA ?

M. Jean-Paul de Gaudemar - Nous avions auparavant une typologie par quatre niveaux de gravité. Nous retenons désormais uniquement les incidents les plus graves, ceux qui relèvent des niveaux trois et quatre. Les incidents qui occupent les deux tiers de nos signalements sont les violences sans armes ou les insultes et menaces graves. Viennent enfin les vols ou tentatives de vols.

Cela signifie que les violences beaucoup plus graves sont moins fréquentes. C’est ainsi que, d’après nos statistiques, le pourcentage de racket est d’ordre de trois ou quatre. Quant au port d’armes à feu, il est statistiquement non significatif.

M. le rapporteur - Vous nous avez dit que l’une des missions de l’école est l’apprentissage de la norme. En cas de transgression, mettez-vous en place une pratique de signalement auprès des caisses d’allocations familiales, par exemple ? Si oui, comment se décline-t-elle et est-elle efficace ?

M. Jean-Paul de Gaudemar - Le fait d’avoir instauré la pratique du signalement est déjà un message. Désormais, tout acte d’un certain type de gravité est porté à la connaissance du chef d’établissement, au-delà à une autorité hiérarchiquement supérieure, voire à des autorités judiciaires. Dans le cadre du partenariat, se sont tissés des liens entre les ministères de l’Education nationale et de la justice qui ne se connaissaient pas bien, entretenaient même parfois des rapports de défiance réciproque. L’impact psychologique de la première convention que j’ai signée en tant que recteur d’académie avec le parquet général de Colmar, a été énorme. Les chefs d’établissement ont compris à quel point il était important que la justice soit saisie de ces incidents et décide des suites à leur donner.

Nous connaissons, grâce à notre logiciel, les suites internes qui sont données à ces actes dans les établissements. Nous savons que la moitié des événements recensés -ceux qui relèvent, par exemple, de l’insulte ou de la violence verbale- donnent lieu à une mesure alternative au conseil de discipline, c’est-à-dire une punition scolaire. Le conseil de discipline n’est saisi que dans 5 % des cas, par exemple le vol ou la violence physique. Environ la moitié des incidents ne font pas l’objet d’une suite interne.

Ces éléments sont déjà les garants d’une certaine efficacité. Il en va de même du travail entrepris pour faire en sorte que les élèves s’approprient le règlement intérieur.

De nombreux élèves ne connaissent pas ou ne comprennent pas le règlement intérieur. Celui-ci est souvent rédigé dans un langage qui n’est pas forcément accessible, surtout aux plus jeunes. La démarche consiste donc à expliquer aux élèves la signification de telle ou telle règle et les sanctions qui s’appliquent en cas d’inobservation de celle-ci. Nous recommandons aux enseignants de s’assurer de la compréhension de leur discours en organisant des travaux pratiques. Cet enseignement fait partie de l’éducation. Tous les établissements qui s’engagent dans cette voie obtiennent des résultats, notamment ceux qui sont les plus sensibles, comme l’a démontré le Conseil national de lutte contre la délinquance.

M. le rapporteur - Dans un document émanant du ministère de l’Education nationale, il est écrit : « Partout où la mobilité des personnels est très forte, les problèmes sont plus nombreux et plus graves ou du moins sont moins bien traités. » Existe-t-il un lien direct entre le turn over des enseignants et la délinquance ?

M. Jean-Paul de Gaudemar - Oui, nous le pensons. Mais où est la cause ? Où est l’effet ? La réponse n’est pas simple. En tout cas, nous avons constaté une corrélation entre les établissements difficiles et le turn over des enseignants. Ces derniers, souvent très jeunes, se trouvaient parachutés, à l’issue de leur formation, compte tenu de procédures de nomination peu adaptées, dans un milieu auquel ils n’étaient pas préparés. De ce fait, ils saisissaient la première opportunité qui se présentait pour partir.

Nous avons voulu réagir en essayant d’adopter des mesures tendant à assurer la stabilité des équipes éducatives. Il ne peut en effet y avoir, en la circonstance, de travail de fond et de longue haleine sans un personnel stable. Nous avons donc pris un certain nombre de dispositions de bon sens tendant à éviter d’affecter dans des postes difficiles des jeunes enseignants qui ne sont pas prêts à assumer de telles fonctions et qui ne sont donc pas volontaires.

Nous avons également mis à la disposition des professeurs un certain nombre de dispositifs de formation afin de les aider à faire face aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer et pris des mesures incitatives en termes de carrière, telles qu’une bonification indiciaire. Nous leur proposons également, en contrepartie de l’engagement de rester pendant un certain temps, par exemple trois ans, dans le même poste, une bonification de points leur permettant d’obtenir plus facilement une mutation. Ce dispositif est très apprécié et très efficace. Il permet aux enseignants de s’engager pleinement pendant quelques années tout en sachant qu’ils ne sont pas condamnés à rester et qu’ils pourront partir dans de meilleures conditions.

Nous observons toutefois bien souvent que certains d’entre eux décident de passer sinon toute leur carrière du moins une grande partie de celle-ci dans des établissements sensibles alors qu’ils pourraient, compte tenu de leur ancienneté, partir vers d’autres horizons. En effet, si nombre d’entre eux souffrent de leurs conditions de vie, d’autres, auxquels il faut rendre hommage, prennent leur travail à coeur. Grâce à eux, nous obtenons des résultats, ce qui nous encourage à maintenir et à développer ce type de système incitatif.

M. le rapporteur - De nombreux postes d’enseignants ont été créés. Qu’en est-il des personnels médico-sociaux et ATOS, qui assument, outre leurs fonctions, un rôle éducatif évident, notamment dans les établissements sensibles ? Les mesures qui ont été prises ont-elles été mises en oeuvre ? Le ministère de l’Education nationale prévoit-il d’en adopter d’autres ?

M. Jean-Paul de Gaudemar - Comme je l’ai souligné dans mon exposé introductif, tous les plans de lutte contre la violence mettent l’accent sur le renforcement des équipes, s’agissant notamment des personnels non enseignants. Un certain nombre de dispositions ont pu être mises en oeuvre grâce au Parlement par le biais des lois de finances. Elles peuvent, certes, paraître modestes, mais elles traduisent des efforts très significatifs.

Permettez-moi de citer quelques exemples. Grâce à la loi de finances pour 2001, nous avons obtenu la création de cinquante postes de médecins, dont trente ont été affectés dans les académies relevant du plan de lutte contre la violence. C’est ce que nous appelons la « discrimination positive ». Nous avons également obtenu la création de cent cinquante postes d’infirmières et de cent postes de personnels sociaux, dont les deux tiers ont été affectés dans ces mêmes académies. Au total, le bilan est d’ailleurs même plus important.

Au cours des dernières années, l’accent a été mis sur ces personnels. Certes, me direz-vous, nous ne créons jamais assez de postes. A titre personnel, je me réjouirai de l’augmentation du nombre de ces personnels parce qu’ils apportent un regard quelque peu différent sur les élèves et peuvent réellement s’attaquer à la prévention et au traitement de la violence dans d’excellentes conditions.

L’accroissement du nombre des aides-éducateurs -ils sont actuellement plus de 60 000- a constitué une aide importante. Un grand nombre d’entre eux sont affectés soit à des tâches éducatives, soit à des tâches de médiation tendant à faciliter le dialogue non seulement entre les élèves, les enseignants et les autres personnels mais aussi avec les parents et les partenaires extérieurs. Nous avons bénéficié d’un effort considérable dont nous nous réjouissons. Plus nous continuerons de renforcer nos équipes, mieux nous travaillerons.

J’ai même tendance à penser que certaines compétences font défaut à nos personnels, notamment en matière de traitement et de suivi individuel des élèves. L’aspect psychologique des difficultés de comportement nécessiterait parfois d’avoir recours à des compétences d’une nature autre que celle que les médecins, les infirmières et les assistantes sociales peuvent apporter afin de mieux cerner la personnalité desélèves. Certains établissements font déjà appel à ce type de compétences. Il nous faudra traiter ce problème.

Les conseillers d’éducation et les personnels d’encadrement constituent également une catégorie très importante. Nous avons décidé d’augmenter le nombre de proviseurs spécialisés qui suivent attentivement les problèmes de violence. Alors que nous en avions d’ordinaire un par académie, nous avons décidé d’en nommer un par département. Cette mesure est entrée en application depuis la rentrée 2001 en Ile-de-France, et nous espérons l’étendre aux neuf académies relevant du plan de lutte contre la violence.

M. le rapporteur - Quel est le suivi des jeunes après leur formation dans les classes relais ?

Le collège unique est-il bien adapté à un type de population en échec scolaire ?

Comment sont choisis les enseignants qui travaillent en milieu pénitentiaire ?

M. Jean-Paul de Gaudemar - S’agissant des classes relais, nous manquons un peu de recul. La clé du succès d’un tel dispositif repose sur un retour réussi des jeunes dans les collèges. Les équipes doivent être capables non seulement de cerner les élèves relevant de ce dispositif, mais aussi de préparer ceux-ci à leur futur retour dans les collèges.

Ce travail est effectué établissement par établissement. Il fait l’objet d’une observation attentive de la part d’un dispositif de pilotage. Je ne puis vous donner de chiffres précis quant au taux de réussite. Nous devons nous doter d’outils nous permettant de calculer le taux des élèves passés par ce dispositif qui reprennent une scolarité sinon normale du moins offrant un débouché.

Nous avons commencé de mettre en place un programme très important qui tend à permettre à tout élève à un moment en difficulté, qu’il ait bénéficié ou non d’un dispositif relais, de sortir du système scolaire avec une qualification minimale. Toute une série de dispositifs permettent, y compris à des jeunes ayant dépassé l’âge de la scolarité obligatoire, d’accéder, s’ils ne peuvent pas se réinsérer dans une structure normale, à une structure adaptée. Tel est l’objectif de ce que nous appelons la « mission d’insertion ». Nous disposons, au sein d’une scolarisation normale ou adaptée, d’éléments de réponse à d’éventuelles difficultés de réinsertion.

L’expression « collège unique » est mal adaptée, même si nous l’employons couramment, car nous visons à travers elle à la fois l’apprentissage, c’est-à-dire le fait d’inculquer à tous les élèves une culture commune, et la très grande diversité de ces derniers, en particulier les difficultés, parfois très grandes, que rencontrent certains d’entre eux. Tous les textes que nous avons mis en oeuvre au cours de ces deux dernières années prennent en compte ces deux éléments.

Je vous renvoie au dernier arrêté que nous avons pris concernant les classes de 6ème et permettant à un collège qui le jugerait utile d’organiser un dispositif spécifique d’accueil soit à l’intérieur de la classe, soit à l’extérieur. Ce dispositif apporte une réponse très pertinente aux difficultés rencontrées par les élèves. A cet égard, il faut rappeler que la réussite scolaire de ceux-ci n’est pas toujours liée à leur comportement. Les élèves en très grandes difficultés ne sont pas nécessairement des éléments perturbateurs. En revanche, nous pouvons avoir des élèves très perturbateurs qui réussissent.

Le collège unique ou le collège républicain, pour reprendre les termes de M. le ministre, peut apporter une réponse, y compris dans la diversité des modes d’apprentissage pédagogique. Je pense notamment à ce que nous appelons « les itinéraires de découverte », même s’ils occupent une place modeste dans l’emploi du temps des élèves. Cette plage de deux heures par semaine permet à ces derniers, sur fond d’apprentissage disciplinaire, de travailler d’une autre façon et peut-être de retrouver une motivation qu’ils n’ont pas nécessairement dans un dispositif plus traditionnel. Nous disposons donc là d’éléments de réponse, même s’ils font l’objet d’un débat très légitime.

S’agissant des enseignants en milieu pénitentiaire, ils doivent bien évidemment émettre le souhait d’exercer leurs fonctions dans ce milieu. Par ailleurs, des commissions s’assurent de leur capacité à le faire. Ce métier est à la fois passionnant et très difficile, mais je constate que le turn over est très limité, car ces enseignants, pour lesquels j’ai beaucoup d’estime, sont un peu militants en ce domaine et croient beaucoup à ce qu’ils apportent aux détenus.

Ces personnels, face à ce public, qui a un profil très particulier et qui est très mobile -il peut changer d’établissement d’un jour à l’autre- développent des qualités que nous aimerions pouvoir transposer ou adapter chez d’autres. Ils constituent l’une des richesses, peu connue mais importante, de notre système.

M. François Zocchetto - J’aborderai le thème de la toxicomanie. L’école peut être un marché privilégié d’échange de la drogue. N’existe-t-il pas un décalage important entre le traitement judiciaire de ce trafic -un jeune, lorsqu’il est pris, peut être placé du jour au lendemain en détention, ce qui est une mesure brutale- et le traitement fait par les établissements ? Certains d’entre eux ignorent ce trafic.

Ma seconde question a trait aux conseils de discipline. Il est souvent reproché à la justice de ne pas traiter en temps réel les infractions, de ne pas donner une réponse rapide aux jeunes. La procédure du conseil de discipline me semble un peu lourde à mettre en place. Il faut certes respecter les droits de la défense, mais nous voyons apparaître une sorte de « judiciarisation » de ces conseils, qui vont jusqu’à la présence d’avocats avec des échanges de conclusions. Ce dispositif me semble assez éloigné de l’esprit dans lequel il avait été institué. Ne faudrait-il pas le revoir ?

La délinquance se nourrit en partie, avez-vous dit, de l’échec scolaire. Ne devrions-nous pas abandonner le postulat selon lequel 80 % d’une classe d’âge doit parvenir au baccalauréat ? Tout le monde s’accorde à dire qu’il est tout à fait possible de réussir sans ce diplôme. La répétition permanente de ce slogan risque de confiner une partie des jeunes dans un ghetto dont il est difficile de sortir.

Enfin, ma dernière question concerne les enseignants nommés dans des zones difficiles. L’échelle des rémunérations entre ceux qui travaillent dans ces zones et ceux qui exercent dans les zones « tranquilles » est-elle bien marquée ? Dans l’armée, par exemple, selon que vous êtes au ministère de la défense ou en opération en ex-Yougoslavie ou en Afghanistan, la rémunération peut varier de un à cinq.

Mme Nicole Borvo - Il n’y a plus, dites-vous, de loi du silence à propos de la violence dans les établissements scolaires. Que répondez-vous aux magistrats qui ont souvent reproché à ces derniers de nier la violence en leur sein ? Il s’agit, en quelque sorte, d’une façon d’éluder la question. La tendance actuelle, en revanche, consiste à saisir la police à tout bout de champ, ce qui est une autre façon d’éluder la question.

Vous avez parlé des personnels non enseignants. Certaines mesures positives ont été prises à leur égard. Dans le même temps, une question n’est jamais posée : les jeunes « prédélinquants », en grande majorité des garçons, sont souvent en rupture de référent paternel. Or, dans les établissements scolaires, particulièrement les collèges, les personnels sont en grande partie féminins. Il faudrait donc inciter les hommes à exercer ces professions, car se pose un véritable problème lié notamment aux différentes cultures.

Vous avez évoqué le partenariat. Il est vrai que nous constatons une volonté de progresser en ce domaine. Néanmoins, il existe des réticences s’agissant du partenariat avec les familles. Or, le rapport entre l’institution et celles-ci est essentiel. Si l’institution ne se penche pas sur cette question, nous ne pourrons pas agir contre la violence chez les plus jeunes.

M. Jean-Paul de Gaudemar - Madame Borvo, vous avez fait observer qu’à la loi du silence s’est substitué l’excès inverse. Je l’ai en effet constaté sur le terrain. Mais cela fait partie de l’apprentissage collectif que nous avons à faire. Il est plutôt sain d’avoir eu une période pendant laquelle les parquets étaient encombrés. Nous sommes progressivement en train de réguler la situation.

Vous avez fort justement noté que nos statistiques faisaient très nettement apparaître une distinction entre les filles et les garçons. Plus exactement, la délinquance, selon qu’elle est masculine ou féminine, ne revêt pas les mêmes formes, mais il est clair qu’elle est plus le fait des garçons. J’en profite pour dire que l’intérêt de notre logiciel est de mettre notamment en avant tout ce qui a trait aux violences sexuelles, dont les filles sont en grande majorité les victimes. Cette question nous préoccupe beaucoup.

Le volet de la formation des équipes de prévention comprend une partie très spécifique liée à la prévention des violences sexuelles. Pour autant, sommes-nous capables d’inciter les hommes à être plus présents ? Si la profession est très féminisée dans le premier et le second degré, elle l’est nettement moins dans l’enseignement supérieur. Nous souhaiterions instaurer la parité, mais les modalités d’action ne sont pas simples. Nous sommes confrontés à des choix de profession. Peut-être faudrait-il introduire une discriminationpositive ? Je n’ai pas de solution à proposer en ce domaine, mais je reconnais la pertinence de votre question. Si vous avez des suggestions, je suis preneur.

Le partenariat avec les parents est une question essentielle. Il faut poser ce problème sous plusieurs angles. Nous avons un partenariat très développé avec les parents et les associations de parents d’élèves. Le problème est que les parents avec lesquels nous devrions être le plus en contact sont ceux que nous avons le plus de mal à rencontrer. Nous essayons de déployer des trésors d’ingéniosité pour résoudre cette difficulté et nous y parvenons grâce aux personnels sociaux, qui ont une expérience très utile en ce domaine.

Nous rencontrons d’ailleurs des difficultés non pas avec les associations reconnues de parents d’élèves mais avec les parents des élèves les plus en difficultés ou des délinquants dont le comportement déviant provient souvent de l’état de leur structure familiale ou de l’inexistence de celle-ci.

Je reconnais avec vous que ce problème est essentiel, mais il faut notamment l’analyser sous cet angle. C’est là où le partenariat doit être étendu. Je pense notamment aux collectivités locales. Un texte récent confie aux maires le soin d’être le « pilote organisateur » de la vie éducative à l’échelle de leur commune. Ces pistes intéressantes nous permettent de renouer des relations avec certaines familles.

Monsieur Zocchetto, s’agissant de la toxicomanie, nous avons développé un partenariat très riche avec la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie et les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté. Ces organismes ont pour mission d’organiser, autour des établissements scolaires, la prévention de toute dépendance et des conduites à risque.

Vous avez très probablement raison de souligner que nous avons une mauvaise appréhension de ces phénomènes, mais la situation n’est pas si simple. Certains peuvent être minorés ici et grossis là. La parole commence à se libérer en ce domaine. Il existe un véritable problème culturel qui consiste à essayer de créer une prise de conscience chez les jeunes. Nombre d’entre eux considèrent que la consommation de haschisch ou de drogue douce n’est pas nécessairement un acte délictueux. Comment faire évoluer cette situation ? L’école, seule, ne pourra pas apporter de réponse, ce qui explique la difficulté à appréhender la véritable dimension de ce problème. En tout cas, nous essayons de l’aborder, notamment à travers les structures que j’ai citées.

Vous avez également évoqué les conseils de discipline. Nous nous sommes beaucoup interrogés à ce sujet. Nous avons modifié les textes en 2000 après avoir constaté que les procédures étaient si lourdes que les chefs d’établissement renonçaient, la plupart du temps, à réunir ces instances. Les pratiques étaient même parfois contraires aux droits de l’enfant, voire au bon sens. C’est pourquoi nous avons essayé de réactiver ces conseils non seulement dans leur composition et leurs modalités de réunion mais aussi et surtout dans leur usage.

Deux erreurs sont, en effet, à éviter : soit ces conseils ne sont jamais réunis, soit ils le sont à tout bout de champ et prononcent des sanctions qui perdent en grande partie leur caractère éducatif parce qu’elles méconnaissent souvent le principe de la gradation de la sanction. Ainsi, des élèves qui étaient sans doute turbulents et qui avaient beaucoup à se reprocher se voyaient brutalement exclus, soit définitivement, soit temporairement, de leur établissement scolaire, et ce dans l’ignorance complète d’un principe élémentaire du droit, celui de la gradation de la sanction et de son appropriation. Il était donc nécessaire de mettre en place un dispositif de sanctions à la fois scolaires et disciplinaires permettant une utilisation plus appropriée et plus pertinente de ces conseils de discipline.

Nous manquons un peu de recul, dix-huit mois à peine après la mise en oeuvre de ces nouveaux textes. Mais un certain nombre d’indices nous montrent que ce dispositif est mieux et plus souvent utilisé. Nous verrons à l’usage si cette tendance se confirme.

S’agissant de l’objectif de mener 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, je mets en oeuvre la décision prise par le Gouvernement à travers la loi d’orientation de 1989. Nous n’avons pas atteint cet objectif. Toutes sections confondues, nous sommes parvenus à un peu moins de 70 %, ce qui correspond à la tendance générale dans tous les grands pays industrialisés. La loi de 1989 n’a donc été que la traduction législative de cette tendance.

Compte tenu de ma position, il m’est difficile d’insister davantage. Cela dit, n’importe quel citoyen sensé sait que la question essentielle est de savoir comment une nation veut préparer les générations futures à affronter les défis auxquels elles seront confrontées dans le contexte économique d’ouverture au monde et de mondialisation que nous connaissons déjà actuellement. Mais ce n’est pas à moi de répondre à cette délicate question.

S’agissant du caractère discriminatoire des rémunérations des enseignants, le système de bonification indiciaire qui a été mis en place n’est peut-être pas suffisamment attractif. L’échelle ne va pas de un à cinq. La bonification de prime des enseignants en ZEP s’élève à un peu plus de 1 000 euros par an, ce qui peut paraître modeste. Peut-être devrions-nous revoir le système, mais nous tombons alors dans un dispositif qui dépasse, de loin, mes compétences : je veux parler des primes, des indemnités et des bonifications indiciaires des fonctionnaires.


Source : Sénat français