Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, Président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - L’ordre du jour appelle maintenant l’audition de M. Jean-François Renucci, professeur à l’université de Nice Sophia-Antipolis, qui a consacré sa thèse à l’enfance délinquante et à l’enfance en danger, et qui a réalisé de nombreuses études sur le droit pénal des mineurs.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Vous avez la parole, Monsieur Renucci.

M. Jean-François Renucci, professeur à l’université de Nice Sophia-Antipolis - Je suis heureux et très honoré de participer à votre important travail de réflexion sur le droit pénal des mineurs. Je me suis beaucoup intéressé à cette question pendant une quinzaine d’années. Depuis, je l’ai un peu délaissée au profit du droit européen en matière de droits de l’homme. Mais ce domaine n’est pas si éloigné de vos préoccupations. J’aurai sans doute l’occasion d’y revenir tout à l’heure. Je ne pourrai donc pas vous apporter des réponses techniques très précises, mais j’ai un certain nombre d’idées que je suis heureux de vous exposer.

La question centrale est l’ordonnance de 1945, qui a été incontestablement un texte remarquable. Ses rédacteurs ont fait preuve d’un esprit particulièrement inventif et d’une extraordinaire faculté d’adaptation. Toutefois, malgré ses immenses qualités, cette ordonnance a vieilli et n’est plus à même, me semble-t-il, de répondre très exactement et efficacement aux nouveaux défis.

Il est vrai qu’elle a été profondément et fréquemment modifiée pour prendre en compte les nouvelles réalités. Le toilettage opéré a été relativement efficace. Les réponses qui ont été apportées à la délinquance des jeunes ne sont pas, loin s’en faut, totalement obsolètes. Ce texte comporte des dispositions très intéressantes relatives à l’action de la PJJ, aux conseils de prévention et à la spécialisation de tous les acteurs intervenant en ce domaine. Il faut impérativement conserver ces acquis considérables.

Les systèmes de protection, les différentes garanties, l’assouplissement et l’accélération de la procédure constituent des avancées très importantes et fort intéressantes. Cela dit, il faut être très prudent. Il est vrai que le fait pour la France d’être assez régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, aux motifs que la justice est rendue trop lentement, incite le législateur à proposer des procédures de plus en plus accélérées. Le mieux est l’ennemi du bien.

Certes, il est nécessaire que de telles procédures existent. Mais si la France est souvent condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, c’est faute de procès équitable. Or, ce dernier implique que les affaires soient jugées dans un délai raisonnable. S’il n’est pas bon qu’une affaire soit jugée trop lentement, il ne faut pas non plus qu’elle le soit trop rapidement -la question ne s’est pas encore posée, mais elle le sera sans doute un jour- car nous risquons d’être condamnés pour avoir jugé dans des délais déraisonnables. Il est demandé de se prononcer non pas rapidement mais dans un délai raisonnable. Or, les affaires doivent être bien jugées, ce qui demande quelquefois du temps.

L’ordonnance de 1945 comporte une gamme très large de mesures qui me paraissent intéressantes, telles que l’admonestation, la remise aux parents ou à des tiers, la médiation-réparation. Ces mesures, que peut prononcer le juge des enfants, me paraissent suffisantes, mais elles doivent être maniées avec d’infinies précautions eu égard aux principes européens. Je pense en particulier à la médiation-réparation.

J’en reviens à la Convention européenne des droits de l’homme. La notion clé est le droit à un procès équitable tant pour le majeur que pour le mineur. Or, je ne suis pas certain que la médiation-réparation permette de respecter tous les droits de ce dernier. Peut-être attache-t-on à la parole de celui-ci trop d’importance. Peut-être fait-on aussi l’économie d’une procédure judiciaire, ce qui peut parfois constituer une erreur. Le fait de passer en justice peut aussi être un atout sur le plan pédagogique. Je ne suis pas certain qu’une procédure rapide incite le mineur à réfléchir à son acte.

Par ailleurs, un certain nombre de mesures ont été prises, notamment par une circulaire ministérielle de 1998. Je pense notamment à l’éloignement des mineurs, qui me paraît une excellente mesure tant pour le milieu dans lequel ils vivent, parce qu’ils peuvent le dégrader, que pour les mineurs eux-mêmes, qui, lorsqu’ils ont sombré dans la délinquance, se croient parfois obligés de continuer de jouer le rôle de délinquant de service. Le fait de les sortir de leur milieu leur permet d’abandonner ce rôle qu’ils n’ont sans doute plus envie de jouer et les aide à se réinsérer dans le droit chemin.

Le système actuel est loin d’être totalement inefficace. Cela dit, je persiste malgré tout à penser que l’ordonnance de 1945 a trop vieilli, et ce par la force des choses ; 1945, c’est loin. Depuis, le monde, comme la délinquance des mineurs, a beaucoup évolué. Cette forme de délinquance est plus précoce et plus violente. Je n’insisterai pas sur ce point, mais il est vrai que l’évolution profonde de celle-ci doit être prise en compte par le législateur.

Cette délinquance des mineurs n’est plus seulement celle d’un parcours individuel avec les difficultés liées à l’adolescence ou au milieu. Il s’agit d’une délinquance d’exclusion qui lance un véritable défi à l’ensemble des institutions. Les jeunes éprouvent incontestablement une aversion envers certaines valeurs ainsi qu’un sentiment de force et d’impunité.

En réalité, la délinquance juvénile est un phénomène non plus individuel mais collectif. Il s’agit non pas d’un passage difficile vers l’âge adulte mais d’un état permanent. C’est cette préoccupation qui doit nous guider pour essayer de trouver des solutions efficaces. Nous en connaissons les causes : les familles fragiles, le travail qui ne remplit plus sa fonction d’intégration, le manque de moyens de nos institutions.

Je n’insisterai pas davantage sur ce point, mais il me paraît intéressant de noter que les jeunes délinquants étaient, en 1945, des jeunes inadaptés, alors que ceux d’aujourd’hui sont parfaitement bien adaptés mais à la marginalité. C’est cette tendance qui me paraît très dangereuse et qu’il me semble important de prendre en compte.

Cela dit, il ne s’agit pas, à mes yeux, d’instaurer le « tout-répressif » après une période de « tout-éducatif » et inversement. Je ne pense pas que la solution réside dans une sorte d’alternance entre les deux systèmes qui coïnciderait peut-être avec une alternance politique. Il faut instaurer un équilibre entre les deux. Un texte sur la délinquance des mineurs n’a pas à établir une primauté. Il doit comprendre un volet éducatif et un volet répressif. Ce qui doit guider le juge, c’est tout simplement la gravité de l’acte commis et la personnalité du justiciable.

Cela dit, à tort ou à raison, l’ordonnance de 1945 est perçue comme un texte très permissif tant par l’opinion publique, ce qui ne me gêne pas trop, moi qui travaille dans la théorie et l’abstraction, que par les mineurs délinquants, ce qui est beaucoup plus préoccupant, d’autant que ce n’est pas toujours conforme à la réalité.

Incontestablement, nous avons assisté en 1945, pour des raisons historiques liées aux horreurs vécues à cette époque, à un grand élan de générosité et à une volonté éducative de réinsertion et de protection très forte. Or, j’ai l’impression -mais je ne suis pas un praticien- que l’ordonnance de 1945 a été appliquée, au cours de ces dernières années, de façon assez répressive, ce qui me préoccupe.

La plupart des mineurs délinquants continuent de penser que ce texte leur permet de bénéficier d’une certaine impunité, ce qui est très dangereux. En conséquence, il me semble très important d’envoyer un signal fort vers ceux qui s’apprêtent à sombrer dans la délinquance. Ils doivent savoir qu’ils vont commettre un acte grave et que les réponses peuvent être à la mesure de celui-ci.

En réalité, j’estime qu’il convient d’abroger l’ordonnance de 1945, mais il ne faut pas non plus se faire beaucoup d’illusions. Sur le plan de la technique juridique, un texte nouveau, aussi bon soit-il, ne sera pas forcément meilleur que l’ordonnance de 1945, rajeunie. Son intérêt serait beaucoup plus psychologique que juridique, mais il me paraît essentiel d’envoyer un signal et de donner des repères à ceux qui n’en ont plus.

Pour ne pas allonger les débats, je prendrai un exemple qui me paraît significatif, celui du principe de l’irresponsabilité pénale du mineur. Il s’agit d’une fiction totalement infantilisante qui ne correspond pas à la réalité, mais c’est en ce sens qu’a été interprétée, depuis très longtemps, l’ordonnance de 1945. Ce principe me paraît très dangereux non seulement pour le mineur lui-même, qui cherche désespérément des repères et des points d’ancrage, mais aussi pour la société.

Il me semble donc judicieux d’abandonner ce principe au profit d’un autre concept qui serait celui de la responsabilité pénale atténuée. Il faut en effet parler de responsabilité pénale. Les jeunes délinquants doivent avoir conscience de la gravité de leurs actes, mais il faut aussi prendre en compte l’âge des intéressés. C’est pourquoi une responsabilité pénale atténuée me semble être une solution très intéressante.

Les jeunes délinquants sont d’ailleurs demandeurs de ce type de réponse. Il s’agit de personnes fragiles en voie de structuration. Il faut les aider en leur envoyant -j’insiste beaucoup sur ce point- des signes forts pour leur expliquer leur comportement, leur faire prendre conscience de la gravité de celui-ci et de la nécessité pour la société d’y apporter des réponses efficaces.

Outre la réponse judiciaire, qui est nécessaire mais très insuffisante, il faut une réponse sociale, qui peut être très vaste. Il ne faut toutefois pas tomber dans une sorte de théorie abstraite qui ne nous conduirait pas très loin. Il convient de mener un certain nombre d’actions sociales qui me paraissent importantes.

La prévention est un point important en droit pénal des mineurs. Il faut beaucoup s’intéresser à l’école, qui est souvent, malheureusement, le lieu de l’apprentissage de la violence. A cet égard, il faut mener une action très forte en enrayant, par exemple, la logique de l’échec scolaire. Mais, dans le même temps, ce n’est pas parce que quelqu’un a une très forte fièvre qu’il faut casser le thermomètre en se disant que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Le passage automatique dans les classes supérieures n’est pas une très bonne mesure. Les élèves peinent à suivre parce qu’ils n’ont pas les acquis fondamentaux. Ils s’ennuient et, par la force des choses, perturbent leurs condisciples.

Il faut instaurer un lien très étroit entre la justice et l’école. L’idée d’un collège unique est très bonne en théorie mais elle aboutit, concrètement, à des situations assez catastrophiques parce que certains enfants ne sont pas adaptés à l’unique filière qui leur est proposée. La disparition des classes de transition a constitué une erreur. Ces classes doivent subsister sous une forme ou une autre, quitte à établir des passerelles. Il ne faut surtout pas que les élèves n’aient pas d’autre issue que cette filière-là.

L’apprentissage est une très bonne formule, mais il devrait commencer bien avant seize ans. A cet âge, comme vous le diront la plupart des employeurs, c’est beaucoup trop tard. Vous avez des jeunes qui se sont ennuyés pendant deux ans et qui ont pris de très mauvaises habitudes. Ils se sont enfoncés dans la marginalité et il n’est plus possible d’en tirer grand-chose.

Avoir jusqu’à seize ans une filière unique puis un apprentissage est une idée excellente, mais -et l’on n’en parle pas assez- c’est l’une des causes du racket. Des jeunes de quatorze ou quinze ans, qui s’ennuient à l’école, sombrent plus ou moins dans la marginalité. Ils ont besoin d’argent que leur famille ne peut leur procurer. Ils en demandent donc à ceux qui en ont dans l’établissement scolaire ou autour de celui-ci.

Si ces jeunes, au lieu de s’ennuyer pendant deux ans, partaient tout de suite en apprentissage et s’ils pouvaient recevoir un petit pécule en fonction du travail accompli, nous gagnerions sur les deux tableaux : d’une part, l’insertion dans la société serait beaucoup plus facile et, d’autre part, il n’y aurait plus ce risque de racket.

Ce racket classique se double d’un racket aux devoirs. L’élève de quatorze ou quinze ans qui s’ennuie dans sa filière, qui ne cherche même plus à comprendre tant il est dépassé, sera scolairement sanctionné - et c’est normal - s’il ne fait pas ses devoirs. Alors, tout simplement, il se tourne vers son voisin, bon élève un peu timide qui ne peut se rebeller, et lui demande une fois, deux fois, trois fois puis finalement lui impose de lui donner ses devoirs.

C’est aussi du racket et c’est aussi pourquoi il me semble absolument essentiel de diversifier les filières. Il faut trouver des solutions. Le collège unique mérite sans doute d’être réformé et l’entrée en apprentissage doit, à mon sens, intervenir beaucoup plus tôt.

Puis, dernière idée à laquelle je suis farouchement attaché, et je l’ai écrit à plusieurs reprises : la création d’internats urbains.

Il s’agit, bien évidemment, non pas de créer des bagnes, des maisons de correction ou des ghettos, mais un internat classique, comme celui que certains d’entre nous ont connu, dans les collèges des villes. C’est une nécessité absolue.

J’ai connu l’internat de la sixième jusqu’à la terminale, et j’en ai gardé un excellent souvenir. A l’époque qui était la mienne, l’internat se justifiait par l’éloignement géographique. Aujourd’hui, il a deux justifications : au mieux, l’éloignement affectif, les parents n’étant pas présents ou manquant de temps ; au pis, la proximité criminogène, car il est vrai que l’apprentissage de la violence se fait parfois dans la famille.

Ces internats ne recruteraient pas exclusivement, bien sûr, de jeunes délinquants. Ce seraient de vrais internats, accueillants, offrant diverses activités. En réalité, nombre de familles sont demandeuses : familles où les deux parents travaillent, familles monoparentales... De très nombreux parents ayant des difficultés à suivre ou à encadrer leurs enfants ne demanderaient pas mieux que des internats à proximité.

Enfin, une réponse judiciaire est nécessaire, mais elle doit être beaucoup plus moderne : il faut reprendre le flambeau des rédacteurs de l’ordonnance de 1945.

En 1945, on a fait preuve de pragmatisme et d’une certaine générosité ; on a aussi fait preuve d’anticipation. Il nous faut reprendre le flambeau, faire preuve d’imagination et anticiper pour trouver la réponse judiciaire adaptée.

Il ne faut cependant pas se polariser sur cette réponse judiciaire : elle est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante.

Nous pouvons écrire une loi quasi parfaite et bâtir le meilleur système du monde, mais, si nous n’intervenons pas dans le domaine social, notamment à l’école, ce sera, je le crains, une perte de temps, et les conséquences seront absolument catastrophiques.

M. le président - Je suis très sensible au fait que vous ayez parlé de la nécessité de « reprendre le flambeau des rédacteurs de l’ordonnance de 1945 », expression qui traduit parfaitement l’importance de la tâche à laquelle nous sommes confrontés.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Monsieur Renucci, je vous remercie, pour ma part, de la clarté de votre exposé. Nous vous adresserons un questionnaire, mais, dès à présent, je souhaiterais savoir si les mesures que peuvent ordonner les tribunaux pour enfants vous paraissent suffisantes et, le cas échéant, quelles mesures complémentaires vous semblent nécessaires.

M. Jean-François Renucci - La gamme des mesures est, a priori, satisfaisante, même si d’autres réponses sont, bien sûr, envisageables. L’éventail est large entre mesures éducatives et mesures répressives.

Nous disposons donc des bons outils, mais peut-être leur utilisation n’est-elle pas suffisamment efficace.

Sans doute faudrait-il assurer -mais j’ignore quelles seraient les conséquences sur le plan pratique- une meilleure coordination entre la procédure d’assistance éducative et la procédure relative à l’enfance délinquante. Enfance délinquante et enfance en danger sont deux réalités très proches, parce que l’enfant en danger est souvent un futur délinquant qui peut devenir dangereux. Qu’une partie des dispositions applicables soit dans le code civil et le code de procédure civile, l’autre dans le code pénal et le code de procédure pénale, constitue peut-être une erreur.

Dans ma thèse sur l’enfance délinquante et l’enfance en danger, j’avais examiné les interférences entre ces deux séries de dispositions et je terminais en rêvant à un grand texte sur l’enfance qui regrouperait tout ce qui concerne aussi bien l’enfance délinquante que l’enfance en danger.

Cela étant dit, il ne faut pas non plus instaurer une sorte d’automatisme entre ces deux aspects, car, s’il est vrai que les enfants en danger deviennent souvent des délinquants, nombre d’entre eux, fort heureusement, ne le deviennent pas, ce qui démontre d’ailleurs l’intérêt de la procédure d’assistance éducative.

Le fait que je souhaitais voir regrouper dispositions relatives à l’enfance délinquante et dispositions relatives à l’enfance en danger dans un même texte répondait peut-être à un souci de confort intellectuel sur le plan théorique. L’intervention d’un même juge dans les deux cas doit en effet garantir une certaine unité.

Cependant, cette situation soulève peut-être une difficulté -la question s’est d’ailleurs déjà posée avec l’ordonnance de 1945, puisque le juge des enfants instruit et juge- au regard de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cet article, qui consacre le droit à un procès équitable, insiste en effet beaucoup sur l’exigence d’impartialité du juge.

La situation est-elle conforme à la Convention européenne des droits de l’homme ? Il semble que oui puisque l’arrêt Nortier, qui, de mémoire, a été rendu en 1993 -cet arrêt concernait les Pays-Bas, mais leur système est sensiblement le même que le nôtre- paraît admettre la possibilité pour un même juge d’instruire et de juger une affaire.

Les juges européens n’en sont pas moins de plus en plus sensibles aux apparences quand il s’agit de statuer sur l’impartialité. Or, ce juge qui instruit et juge les affaires des mineurs tout en ayant la charge de l’assistance éducative peut très bien avoir vu trois fois un même mineur, une fois pour la procédure civile, deux fois pour la procédure pénale.

Il y a incontestablement là une difficulté sur laquelle il faut sans doute mener plus loin la réflexion, d’autant que la convention européenne des droits de l’homme est un traité international et a donc, vous le savez comme moi, une force supra-législative. Le juge doit écarter les dispositions de droit interne si, d’aventure, elles n’y sont pas conformes.

M. le rapporteur - Vous avez dit qu’il fallait se méfier d’une justice trop hâtive, et plus encore s’agissant de mineurs. Mais, sur le terrain, on constate que certaines affaires se prolongent dans le temps, ce qui n’est sain pour personne.

M. Jean-François Renucci - Il est évident qu’une justice trop lente est une mauvaise chose pour les majeurs et une plus mauvaise chose encore pour les mineurs.

J’ai interrogé des mineurs jugés pour des infractions qu’ils avaient commises longtemps auparavant : ils ont souvent l’impression qu’on parle de quelqu’un d’autre.

Il faut donc agir très vite et même le plus vite possible, mais il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

Des astuces procédurales pour que les choses aillent vite et bien doivent être trouvées.

Je crois cependant que le temps de la procédure n’est pas inutile, y compris pour les mineurs, parce que cela crée une sorte de choc psychologique qui peut être bénéfique.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la médiation-réparation est une mesure à laquelle j’ai toujours été assez hostile. C’est peut-être une bonne idée, mais j’ai le sentiment qu’en définitive c’est avant tout un moyen de gérer la pénurie de magistrats !

Voilà le problème ! Il faut gérer la situation telle qu’elle est et ne pas se retrancher derrière des préoccupations purement théoriques, mais il est évident que l’on ne peut pas ouvrir les portes de l’ENM à un recrutement massif. Je parle en connaissance de cause puisque j’ai fait partie cette année du jury pour les trois concours. Je me suis rendu compte qu’on ne peut pas retenir des candidats en trop grand nombre, sauf à abaisser le niveau et à recruter des magistrats qui ne seront pas opérationnels.

En tout état de cause, je crois qu’il faut faire preuve d’une certaine générosité en même temps que d’une certaine fermeté parce qu’il faut envoyer des signaux très clairs aux jeunes délinquants.

Je crois aussi qu’il faut faire preuve d’un très grand pragmatisme. C’est finalement le véritable enjeu : il faut trouver les solutions les plus efficaces. Ce ne sera pas facile, mais, avec beaucoup de bonne volonté, on pourra sans doute y parvenir en gardant les pieds sur terre.

M. Bernard Plasait - Envoyer un signe fort aux mineurs me paraît en effet très important. Vous souligniez tout à l’heure que les mineurs ont une impression d’impunité, alors même que la pratique de l’ordonnance de 1945 est de plus en plus répressive. C’est sans doute pourquoi on sent monter une demande en faveur de sanctions plus fortes.

Pour envoyer ce signe fort, vous envisagiez une modification de l’ordonnance de 1945 ou la rédaction d’un nouveau texte. Vous avez parlé de « responsabilité pénale atténuée ». Pourriez-vous en dire davantage sur cette notion ?

Un juge des enfants nous racontait la semaine dernière s’être entendu dire par un mineur : « De toute façon, tu ne peux pas me mettre en prison ! » Parmi les modifications qui peuvent être apportées à l’ordonnance de 1945, ne faudrait-il pas, pour lutter contre ce sentiment d’impunité, prévoir un abaissement des seuils ?

M. Jean-François Renucci - Absolument, et ces questions sont très importantes.

J’ajoute que la réponse à ce sentiment d’impunité ne réside pas nécessairement dans des sanctions toujours plus fortes. Je parlais tout à l’heure d’une inversion des valeurs. Elle est réelle et il y a parfois chez les mineurs un rapport à la violence absolument ahurissant. Nous avons affaire à des mineurs qui sont, ou disent être, dans des situations de violence extrêmes, y compris à la maison. Dès lors, la notion de fermeté de la sanction devient très relative. Une sanction très ferme pour mon fils qui grandit dans un certain cadre est une chose ; c’en est une autre pour un mineur qui assiste habituellement à des actes de violence, voire les subit physiquement.

C’est la raison pour laquelle l’apprentissage à la citoyenneté est une nécessité. Il faut faire un travail en amont, en particulier à l’école, pour ramener ces jeunes à la réalité.

Aujourd’hui, je ne suis pas certain, au vu des dérives auxquelles on peut assister, que le langage que nous employons à leur égard ait une quelconque portée et que les mots que nous utilisons aient le même sens.

Il faut donc non pas plus de fermeté mais une fermeté comprise, ce qui implique, j’y insiste, qu’il faut agir en amont. Sans quoi, on ne se comprend pas et je crains que de ce fait les jeunes ne prennent pas les institutions très au sérieux !

On ne parle plus le même langage.

M. le président - Comment parler le même langage ?

M. Jean-François Renucci - C’est un travail de longue haleine qu’il faut commencer avec les plus jeunes. L’idée importante, c’est sans doute celle-là.

Je ne dirai pas qu’il n’y a plus rien à faire avec un jeune qui, à seize ou à dix-sept ans, est fortement enraciné dans la délinquance, d’une part, parce qu’il ne faut jamais désespérer de la nature humaine, d’autre part, parce qu’il ne faut jamais baisser les bras. Il faut continuer à agir, mais en ayant conscience du fait que les solutions seront limitées.

En revanche, il faut « mettre le paquet » au collège pour que les plus jeunes, c’est-à-dire ceux qui ont entre onze et quatorze ans, réapprennent les vraies valeurs et la citoyenneté.

C’est encore une des raisons pour lesquelles je crois aux internats. Un jeune qui commence à « déraper » trouvera dans un internat la structure qui, malheureusement, fait défaut dans sa famille. Que ce soit parce que la famille est totalement déstructurée ou à cause de la vie moderne, si les enfants sont laissés à eux-mêmes et « traînent », il est rare que les conséquences soient heureuses.

Agir parmi les plus jeunes est une façon de couper le recrutement des bandes de délinquants. C’est un impératif.

M. le président - Je vous remercie, Monsieur Renucci.


Source : Sénat français