Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous allons entendre M. Philippe Lutz, commissaire principal à Noisy-le-Grand, après avoir été commissaire au Blanc-Mesnil, que nous remercions d’avoir accepté de venir nous faire part de son expérience.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

La parole est à M. Lutz.

M. Philippe Lutz - Je vais faire une courte présentation de la circonscription sur laquelle j’exerce -Noisy-le-Grand- et de la Seine-Saint-Denis concernant la délinquance des mineurs.

En Seine-Saint-Denis, l’année dernière, 140 000 plaintes ont été déposées et 31 000 personnes ont été mises en cause, 26 % d’entre elles, soit plus de 8 200, étant mineures. Plus de 3000 ont commis entre deux et sept infractions, près de 600 en ont commis plus de cinq. Sur ces 8 200, 48 ont été écrouées, soit, par rapport à l’année précédente, une baisse de 40 % du nombre d’écrous pour les mineurs.

En répartissant par tranche d’âge, on constate que les moins de treize ans représentent près de 8 % du nombre d’interpellations, les treize-quinze ans, 41 % et les seize-dix-sept ans, la majorité, soit 51 %.

Il existe, sur la Seine-Saint-Denis, deux centres de placement immédiat, qui rassemblent à eux deux seize places, l’un à Villemomble, l’autre à Pantin.

La Seine-Saint-Denis est un département difficile et est un peu un laboratoire, en ce qui concerne la délinquance et les tentatives de règlement de cette dernière.

La circonscription de Noisy-le-Grand compte 6 500 habitants. L’an passé, 6.200 plaintes y ont été enregistrées. L’une de ses particularités est d’avoir la population la plus jeune de toute la Seine-Saint-Denis : l’année dernière, encore 34 % des mises en cause, contre 27 % pour l’ensemble du département, visaient des mineurs.

J’exerce depuis la fin de 1997 à Noisy-le-Grand. Il est intéressant d’y constater l’évolution de la part des mineurs dans la délinquance : en 1997, elle était de 39 % ; elle était encore de 38 % ou de 36 % en 1998, de 32 % ou de 34 % en 1999, est remontée à 35 % en 2000 et à plus de 33 % en 2001.

En matière de délinquance sur la voie publique, celle qui touche le plus la population -vols avec effraction, dégradations, vols à la roulotte- les mineurs représentent 46 % des auteurs interpellés par les services de police et, pour certains types d’infractions encore plus emblématiques, à savoir les vols avec violence, 71 %.

Suite à ce bilan chiffré à partir de 1997-1998, nous avons pris des mesures évolutives. Le dispositif qui a été instauré a lui-même continué à progresser, avec à la fois le contrat local de sécurité et la mise en place de la police de proximité, voilà juste un an, à Noisy-le-Grand.

Le constat sur lequel nous nous sommes appuyés pour construire ce dispositif, c’est qu’en 1997 les moins de treize ans représentaient 13 % des auteurs d’actes de délinquance, donc un potentiel explosif pour les années suivantes, et, en 1997 et en 1998, 80 % des auteurs de vols avec violence, ces derniers progressant, chaque année, sur Noisy-le-Grand, à peu près de 60 % à 70 %.

Enfin, au sein des établissements scolaires, les incidents violents se multipliaient, notamment dans le collège Victor-Hugo, directement intégré, architecturalement, au Pavé-Neuf, l’une des cités de Noisy-le-Grand, et ce aussi bien contre les professeurs que contre les bâtiments, régulièrement dégradés, du fait de jets de pavés dans les vitres, notamment.

Ce dispositif s’est également appuyé sur un certain nombre d’éléments qui existaient déjà, tant sur Noisy-le-Grand que sur la Seine-Saint-Denis.

Le premier était le partenariat entre la police et l’Education nationale, qui a été créé en Seine-Saint-Denis en 1992.

Le deuxième était le contrat local de sécurité, signé en 1998, avec, comme corollaire, la création d’un groupe de traitement local de la délinquance sur le Pavé-Neuf et Champy.

Le dernier était la mise en place de la police de proximité et, surtout, l’un des éléments clés de cette dernière, à savoir la gestion par objectifs de la sécurité.

Par ailleurs, nous avons analysé le plus précisément possible les quartiers sur lesquels nous allions travailler : quelles en étaient les particularités ? Quels étaient les types de délinquance ? Quel était l’âge des délinquants ?

Le constat fut rapidement fait que, d’un quartier à l’autre, les types de délinquance, les tranches d’âge de participation des mineurs à la délinquance différaient.

Tous ces éléments devaient être impérativement intégrés dans le dispositif à mettre en place.

L’une des mesures de base de ce dispositif était le renforcement du maillage sur les différents quartiers, maillage tant institutionnel qu’associatif.

La première initiative consista à créer des brigades des mineurs.

Certes, cela n’avait rien de particulièrement original. Toutefois, jusqu’à présent, les brigades des mineurs - un petit groupe, au sein des commissariats, composé en général d’un, de deux ou de trois fonctionnaires au grand maximum, la plupart du temps plutôt d’un - ne s’occupaient que des mineurs victimes.

La délinquance des mineurs n’était pas traitée, parce que les familles n’étaient pas identifiées et que les officiers chargés de ces affaires changeaient quasiment en permanence. Le phénomène n’était par conséquent pas véritablement connu.

Nous avons donc décidé, en septembre 1998, de créer une brigade des mineurs renforcée, formée de sept personnes - deux officiers, quatre gardiens de la paix et un adjoint de sécurité - ayant une compétence totale sur la problématique des mineurs, à la fois auteurs et victimes, et s’attachant à mettre en place des partenariats relativement novateurs avec l’aide sociale à l’enfance et la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse.

Cela a nécessité un investissement relativement important, et, puisque les effectifs des services de police ne sont pas extensibles, leur redéploiement au sein de la circonscription de Noisy-le-Grand.

Cette brigade des mineurs, qui existe toujours, à effectif presque constant, traite l’intégralité des procédures concernant les mineurs.

En ce qui concerne essentiellement le racket, nous avons constaté assez rapidement qu’il y avait un échange des rôles, dans certaines affaires, entre le statut de victime et celui d’auteur. Le système antérieur ne permettait pas de faire le lien entre les auteurs et les victimes ; aucun travail n’était fait sur les familles. Grâce à la création de cette brigade, la même unité voit l’intégralité des mineurs.

Parmi les initiatives prises par cette brigade des mineurs, je citerai la création d’une fiche à l’intention des parents. Le but était de faire du répressif, mais aussi de la prévention en direction des parents et d’essayer d’éliminer ce noyau qui gonflait chaque année des moins de treize ans - je rappelle que 13 % des mineurs délinquants avaient moins de treize ans en 1997 et en 1998 - afin d’éviter qu’ils ne passent dans la phase supérieure, que, chaque année, ce type de délinquance ne se renouvelle et que nous n’ayons, finalement, une espèce de tonneau des Danaïdes. Chaque année, les mineurs délinquants de moins de treize ans sont de plus en plus nombreux.

Tous les mineurs qui sont interpellés ou qui font une fugue pour la première fois sont convoqués par la brigade des mineurs avec leurs parents.

Ces derniers reçoivent une fiche ; leur devoir d’éducation et le texte du code civil leur sont rappelés ; le nom et le numéro de téléphone direct des officiers de la brigade des mineurs leur sont indiqués. Ils peuvent les contacter en cas de problème dans la gestion de leur enfant après l’interpellation par les services de police ou après la fugue. Sur cette fiche, il est mentionné que, dans les deux mois, la brigade reprendra contact avec eux pour faire le point sur la suite qui a été donnée à cet incident et savoir comment l’enfant a évolué.

Un suivi a donc lieu. Nous avons enregistré très peu de cas de récidive entre 1998 et 2002, pour ce type de primo-délinquants.

Pour cette brigade des mineurs a été mis en place un partenariat élargi, notamment institutionnel.

Jusqu’à présent, le travail sur les mineurs était situé uniquement dans une optique police - justice - Education nationale, qui fonctionnait relativement bien, mais la problématique des mineurs ne peut pas se réduire uniquement à ces trois institutions. L’aide sociale à l’enfance, l’ASE, travaille sur l’antériorité, et la protection judiciaire de la jeunesse travaille a posteriori , finalement.

Régulièrement - tous les trois mois environ - ont lieu des réunions au cours desquelles sont examinés les cas qui nous préoccupent chacun de notre côté, ceux de fugue, notamment, chacun ayant son propre point de vue. L’ASE, quant à elle, vise essentiellement un aspect purement préventif.

Les cas d’expulsion, qui concernent directement les commissaires de police, sont également évoqués - certaines familles peuvent poser problème - ainsi que, parfois, ceux de primo-délinquants dont les familles sont déjà connues. Nous cherchons si des mesures peuvent être prises.

Au-delà de ce travail de réunion -il existe également avec la PJJ- des liens beaucoup plus directs entre la police et l’aide sociale à l’enfance ont pu être développés, et ont un peu cassé cette barrière qui se dresse la plupart du temps entre elles, chacune ayant tendance à travailler de son côté. C’est un aspect essentiel.

D’autres partenariats ont été développés avec les associations -j’y reviendrai un peu plus tard- notamment avec les fédérations de parents d’élèves.

Le partenariat scolaire a été une des bases de la création de la brigade des mineurs. La Seine-Saint-Denis a une expérience nettement plus ancienne que les autres départements dans ce domaine, puisqu’elle a été pionnière.

Le collège Victor-Hugo fait partie d’un partenariat renforcé depuis la rentrée scolaire, comme six établissements scolaires de la Seine-Saint-Denis. Nous constatons, quand nous rencontrons les professeurs, que la plupart ignorent encore plus ou moins en quoi consiste le partenariat, ce qu’il peut apporter, aussi bien à l’institution de l’Education nationale qu’aux services de police, et que, parfois, il n’est pas si bien vu que cela. Il est difficile d’y impliquer les enseignants.

Je ne nie pas du tout l’avancée très importante qui a été réalisée grâce à ce partenariat mais, de toute évidence, des choses restent à améliorer.

Ce partenariat permet également aux policiers d’intervenir dans les établissements scolaires. Nous étions entrés dans une logique de répétition : chaque année, depuis 1992 ou 1993 -cela s’est vraiment mis en place en 1995- nous faisions une intervention bien rôdée sur le racket, sur le recel, sur les coups et blessures et une présentation de la police, mais sans réel travail en profondeur, ni avec les élèves ni avec les professeurs. Nous étions incapables d’évaluer exactement la portée de ces interventions, tant auprès du corps professoral que des élèves à qui nous nous adressions.

Nous avons donc décidé tout récemment, à la rentrée 2001-2002, de les modifier profondément.

Dorénavant -nous l’avons expérimenté sur le collège Victor-Hugo- nous distribuons un questionnaire à tous les élèves qui vont recevoir cette formation. Il se présente sous la forme d’une trentaine de questions auxquelles ils doivent répondre par oui ou par non : considèrent-ils qu’il est grave ou non d’insulter un professeur, un camarade, un policier ? De jeter une pierre à un policier, de voler une voiture, de dégrader un abri-bus ?

Les questionnaires sont ensuite compilés par le chef de secteur et par le CPE, le conseiller principal d’éducation. L’intervention des îlotiers se fonde sur ce sondage : elle n’est pas ciblée sur le racket ou les coups et blessures, elle est adaptée aux réponses. C’est la première phase.

La deuxième phase est celle de l’évaluation : nous remettons aux élèves, à la fin de chaque intervention, un questionnaire d’évaluation sur ce qu’ils en ont tiré : ont-ils finalement appris quelque chose, et, dans l’affirmative, vont-ils changer leur comportement, vont-ils en parler à leur famille ?

Dans une troisième phase, nous faisons un debriefing avec la classe et les professeurs.

Ce dispositif lourd, parce qu’il nécessite une préparation intensive, nous permet de travailler beaucoup plus en profondeur, et est relativement intéressant.

Je reviendrai tout à l’heure sur la dernière phase, qui est en cours d’élaboration, et vise à associer les parents des élèves sur lesquels nous sommes intervenus.

Les interventions scolaires ont donc été un peu repensées.

Nous avons créé, en 1999, des cellules d’écoute au sein des établissements scolaires dont le principal s’était montré intéressé. Elles étaient tenues, à l’époque, par les îlotiers, la police de proximité n’existant pas encore. Tous les quinze jours environ, l’îlotier du secteur s’installait dans un bureau réservé et attendait que des élèves viennent lui parler des problèmes qu’ils rencontraient dans leur vie soit personnelle, soit scolaire.

Nous avons arrêté totalement cette expérience parce que plus aucun jeune ne venait. Dans un certain nombre d’établissements, ces cellules n’avaient pas été clairement mises en place.

Un travail en amont très important avec les enseignants avait été nécessaire : nous avions rencontré tous les professeurs des établissements dont les principaux étaient volontaires pour tenter l’expérience, nous leur avions expliqué qu’il s’agissait non pas d’attenter à leur légitimité, mais d’essayer de raccourcir la chaîne de traitement de la délinquance, puisque tel était l’un des objets essentiels du partenariat entre la police, la justice et l’Education nationale.

Chaque chef d’établissement est tenu de signaler tout incident au sein du collège à la police, à la justice et à l’inspection de l’Education nationale. Nous recevons régulièrement des fiches, soit directement par fax, soit lors des cellules de veille que nous tenons avec la mairie, sur des affaires de racket. Le collège Victor-Hugo m’informe ainsi régulièrement de trois, de quatre ou de cinq affaires de racket par mois.

Nous constatons que nous en restons au signalement, que nous n’avons jamais la plainte.

A partir du moment où un policier était présent au sein de l’établissement, nous pouvions espérer que, dans certains cas, l’entretien se déroulerait directement sur place. L’îlotier était chargé non pas d’enregistrer la plainte, mais d’indiquer à l’élève qu’il était là pour faire défendre ses droits, car ce qui lui était arrivé n’était pas normal.

Cette expérience a échoué parce que des locaux ont rarement été mis à notre disposition : les cellules d’écoute se déroulaient parfois en plein milieu de la cour. Ce n’était pas viable.

Le seul établissement où elle s’est révélée relativement efficace est le collège situé à Gournay-sur-Marne.

La circonscription de Noisy-le-Grand couvre deux communes : Noisy-le-Grand, qui est mixte, en termes de délinquance, avec à la fois un habitat très résidentiel et un habitat de cités, et Gournay-sur-Marne, qui est très résidentielle.

Les élèves scolarisés dans ce collège, même s’ils ne viennent pas que de Gournay-sur-Marne, ont pour la plupart des parents assez aisés. Cette cellule d’écoute a tout de même eu vent de certaines affaires relativement graves, notamment d’attouchements.

Cette expérience a été assez positive, mais, dans cet établissement qui ne compte que 500 élèves, nous ne pouvions pas espérer - le but n’est d’ailleurs pas d’espérer ! - que se produisent chaque semaine des incidents.L’année dernière, il ne s’y est plus rien passé : nous y avons donc mis un terme.

La dernière phase du dispositif consiste à travailler avec les associations. Nous avons souhaité collaborer tout d’abord avec les fédérations de parents d’élèves, qui, jusqu’à présent, n’étaient pas associées au travail de la police. Nous ne leur ordonnons pas de nous aider. Nous leur présentons tout simplement l’existence des brigades de mineurs, leur rôle, vis-à-vis à la fois des mineurs délinquants, des victimes, et, grâce à ce partenariat, des fédérations de parents d’élèves.

La première réunion que nous avons eue ainsi sur Noisy-le-Grand a été un peu tendue, parce que les parents ne savaient pas trop ce qu’ils devaient penser de la police. Nous avons noté une évolution radicale dès la deuxième réunion.

Je ne vais pas faire d’échelle de Richter du partenariat, mais c’est l’un des plus efficaces. Lorsque, l’année dernière, nous avons eu à traiter, sur Noisy-le-Grand, une affaire de coups de couteau à la sortie d’un collège entre élèves de deux établissements scolaires, la réactivité a été de part et d’autre exemplaire : les faits se sont produits le vendredi ; le lundi, les représentants de la police, de l’Education nationale et des fédérations de parents d’élèves étaient réunis dans le bureau de la principale de l’établissement où les auteurs de l’agression avaient été identifiés.

Sans ce partenariat, nous n’aurions peut-être pas pu réaliser cette opération.

Grâce à lui, nous avons vraiment une meilleure réactivité en cas d’incidents graves, nous pouvons passer un certain nombre de messages et avoir un retour au sein des établissements scolaires.

Dans certains cas, les fédérations de parents d’élèves, quelles qu’elles soient, d’ailleurs, aussi bien la PEEP que la FCPE, nous ont aidés dans une large part à intervenir dans les établissements scolaires.

J’en viens à notre collaboration avec les associations de quartier, qui est essentielle.

Les institutionnels, à l’exception des policiers, arrêtent de travailler à dix-sept ou dix-huit heures. Les associations de quartier -c’est un euphémisme de le dire- sont implantées sur le terrain.

Nous avons créé, sur Noisy-le-Grand, en partenariat avec la police de proximité, quatre comités d’usagers, rassemblant vingt ou trente personnes par quartier. Nous nous réunissons tous les trois ou quatre mois environ, pour discuter avec eux des problèmes de sécurité.

Le but est d’essayer de casser ce type de réunion où les gens crient, ne sont jamais contents : la police ne répond pas au téléphone, ou, si elle répond, ne dispose d’aucun véhicule ; quand, par miracle, elle en a un, elle arrive une heure après, et, de toute manière, sa venue n’apporte aucune solution. La première réunion, en général, se résume à peu près à cela.

Nous devons clairement expliquer que le comité d’usagers a pour but, non pas d’organiser une réunion défouloir, mais de faire un travail constructif avec les habitants du quartier ou avec les associations.

Au Pavé-Neuf vit une population africaine extrêmement importante. Nous évoquons sans cesse la responsabilisation des parents. Sur un tel quartier, ce n’est pas que la loi ne signifie rien -ne vous trompez pas sur ce que je vais dire- mais les parents, s’ils viennent chercher leur enfant après dix-neuf heures, donc en dehors de la présence de l’officier qui a traité le dossier, sont reçus par le chef de poste -un gardien de la paix qui n’a absolument pas participé à l’affaire, qui a juste comme mission de dresser un procès verbal aux termes duquel ils ont récupéré leur fils ou leur fille après la garde à vue et s’engagent à déférer à toute convocation ultérieure de la police ou de la justice- et, la plupart du temps, ils ne comprennent pas ce qui se passe. Nul ne leur a expliqué exactement ce qui était reproché à leur enfant.

L’un des rôles de ces comités d’usagers est de pouvoir, le lendemain, s’ils sont saisis par la famille, nous recontacter pour faire le point avec nous sur ce qui s’est véritablement passé. Le gamin n’aura évidemment pas avoué qu’il a été mis en garde à vue parce qu’il a commis un vol avec violence -qu’il ait été reconnu ou non, il a une convocation pour dans six mois- et il va affirmer qu’il a été relâché parce que les policiers se sont trompés.

L’association, au sein du quartier, expliquera à la famille ce qui est arrivé et ce qui va se passer maintenant.

Telle est l’une des idées qui a surgi au cours des réunions de ces comité d’usagers.

Par ailleurs, ces associations nous aident à organiser des réunions avec les parents des élèves devant lesquels nous intervenons : nous souhaitons que ces parents soient au courant de notre intervention, du sondage que nous diffusons ; nous désirons savoir si leurs enfants leur en ont parlé à la maison.

Dans l’une des classes dans lesquelles nous sommes intervenus, 10 % ou 15 % des élèves estimaient que jeter une pierre sur un policier n’était pas grave. Nous voulons donc qu’il y ait un écho auprès des parents.

Enfin, nous avons développé notre action sur les primo-délinquants : au sein des quartiers, aidés par ces associations, nous revoyons un certain nombre de familles qui ont posé problème. Il peut s’agir -je le répète- soit d’un premier acte de délinquance, d’un vol à l’étalage, d’une main courante dans laquelle un voisin se plaint d’avoir été insulté par tel enfant, ou d’une fugue, qui est révélatrice lorsqu’elle se produit à moins de treize ans. La police doit également accepter le fait qu’elle n’est pas le seul interlocuteur à avoir connaissance de ces faits de délinquance ou de ces problèmes concernant les mineurs.

Sur le Pavé-Neuf, les associations travaillent dans une maison des services. Le dispositif se déroule sur un mois. Au cours de la première réunion, des noms sont confrontés : la police en cite un certain nombre, explique pourquoi, l’association également ; la médiatrice de justice, qui travaille en liaison avec la mairie et le tribunal de grande instance, peut être, elle aussi, informée de problèmes et signaler des noms.

L’association essaie de faire une petite enquête, va voir les familles quand elle les connaît, fait venir parents et enfants devant cette structure -dont le rôle n’est pas du tout de réprimer, mais de conseiller, d’informer- pour lui exposer les faits et lui demander son sentiment.

Le but est de parvenir à un maillage extrêmement fin des différents quartiers.

Quelles conclusions, quels principes pouvons-nous tirer du dispositif mis en place ?

J’ai développé uniquement l’aspect préventif, mais il ne peut pas se passer d’un dispositif répressif très fort : cetype d’actions ne peut pas être mis en place si, auparavant, un certain nombre de problèmes -à savoir le stationnement de jeunes dans les halls d’immeubles, les petits trafics, le non-respect de la loi- n’ont pas été éradiqués avec la plus grande exemplarité.

L’utilisation du tissu associatif -je l’ai largement expliqué- permet à la fois de renforcer la proximité vis-à-vis deshabitants et de rétablir les adultes sur le quartier dans un rôle d’autorité.

Le maillage réalisé sur les quartiers, tant institutionnel qu’éducatif, permet de repérer, dès leur plus jeune âge, des mineurs qui peuvent devenir déviants, donc d’apporter un traitement le plus vite possible.

Il évite que les mineurs n’aient l’impression que le passage à l’acte est facile, évite que le premier acte de délinquance, s’il n’est pas réprimé -parce qu’il n’aura pas été vu, parce que personne n’aura rien dit, ne se sera senti concerné- n’entraîne d’autres actes de délinquance. C’est une évidence.

Grâce à lui, nous avons une observation beaucoup plus fine et -nous l’espérons- une réaction beaucoup plus rapide.

Nous devons privilégier l’expérimentation : il nous faut essayer d’avoir en permanence des idées, même si elles peuvent paraître parfois farfelues, et, rapidement, c’est-à-dire au bout de six mois ou d’un an, évaluer si l’action qui a été mise en place a porté ses fruits, s’est révélée positive. Le plus beau des dispositifs peut être instauré, mais si personne n’appelle le chef de secteur, si aucune association n’agit, il sera voué à l’échec.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Monsieur le commissaire, pour quelles raisons rencontrez-vous quelques difficultés à impliquer les professeurs dans l’action que vous menez ?

M. Philippe Lutz - Notre interlocuteur direct est le chef d’établissement. Nous ne pouvons pas nous adresser directement aux professeurs et, parfois, une barrière se dresse entre eux et nous.

Le problème, en Seine-Saint-Denis, d’une génération de professeurs qui pourraient refuser la police n’existe quasiment pas, puisque la moyenne d’âge des enseignants y est extrêmement basse.

Depuis trois ans, nous organisons, chaque année, sur deux quartiers, une réunion de présentation de ce partenariat pour les nouveaux enseignants, tant dans les écoles primaires que dans les collèges.

Le cas m’a été soumis récemment d’un écolier qui avait volé une petite somme d’argent, l’équivalent, à l’époque, de cent francs. Il avait été identifié, et la question se posait de savoir s’il était vraiment utile de le signaler à la police. C’est là qu’il est utile d’expliquer ce partenariat et le rôle de la police. Nous n’allons pas mettre en prison un gamin de huit ans qui a volé cent francs ! L’important est de le signaler, de mettre en relation d’autres institutions, d’indiquer que nous travaillons avec l’ASE, laquelle a peut-être déjà repéré la famille, travaille sur elle ; d’autres éléments sont peut-être parvenus à la police au sujet de cet enfant. Peut-être a-t-il déjà été interpellé pour un vol à l’étalage.

Je n’ai jamais ressenti, au cours de ces réunions avec les jeunes enseignants, de défiance vis-à-vis de la police. Je n’y ai pas entendu de discours selon lequel il est hors de question de travailler avec la police parce que ce serait faire de la répression. Le « chacun de son côté » est, heureusement, dépassé. En effet, l’institution de l’Education nationale est désormais confrontée aux actes de délinquance.

Les difficultés viennent d’une méconnaissance de ce travail de partenariat, de l’efficacité qu’il peut avoir.

Quand nous collaborons directement avec les professeurs, cela se passe très bien. Ils enseignent essentiellement en sixième et en cinquième. Nous préparons avec eux notre intervention devant les élèves, nous leur communiquons les résultats du sondage et de l’évaluation réalisés dans leur classe. Il est tout de même intéressant pour eux de les connaître.

Il est vrai que le partenariat est difficile à instaurer : c’est l’un des problèmes de la police de proximité. En effet, la notion de sécurité, de coproduction de sécurité, n’est pas acquise par tout le monde.

A mon arrivée à Noisy-le-Grand, l’un des objectifs était de renouer le contact avec les entreprises.

Cette ville fait partie du secteur I de Marne-la-Vallée et abrite les sièges de DIAC, de Groupama, la direction générale de l’ANPE, la division formation d’IBM, et des cadres s’étaient fait agresser. En général, les incidents passent non pas par le commissariat de police, quand il s’agit de ce type d’entreprises, mais par la direction générale, le ministère de l’intérieur, puis le préfet, avec, toujours, la menace d’aller s’implanter ailleurs si cela continue.

Le contact a été repris grâce à la mise en place, par la ville de Noisy-le-Grand, d’un comité d’entreprises, d’unecommission de sécurité, que nous rencontrons régulièrement. Or, une fois que les choses vont mieux, les contacts se distendent de nouveau et l’impératif de sécurité, qui doit être intégré par tous, a du mal à résister.

M. le rapporteur - Vous nous avez dit qu’il fallait privilégier l’expérimentation et, si possible, évaluer très rapidement les expériences. Au vu des vôtres et de l’évaluation que vous avez peut-être pu en tirer, pensez-vous qu’il est possible, si ce n’est de généraliser, du moins d’étendre à une grande partie du territoire les actions que vous avez menées ?

M. Philippe Lutz - Plusieurs brigades des mineurs existent déjà en Seine-Saint-Denis. Elles ont désormais toutes une compétence totale sur les mineurs.

D’autres mesures sont, à mon avis, plus difficiles à étendre.

Nous avons réussi à faire baisser de façon notable la part des mineurs dans la délinquance mais - nous l’avons vu - en 2000, elle était remontée brutalement à 35 %, alors qu’elle avait régressé à 32 % ou 33 %. Rien n’est acquis. L’une des clés du succès est qu’il faut prendre en compte la réalité du terrain.

J’ai deux expériences complètement différentes sur Noisy-le-Grand : celle du secteur du Pavé-Neuf et celle du Champy.

Il ne faut pas se focaliser sur la spécificité. La problématique du Champy et celle du Pavé-Neuf ne sont pas du tout les mêmes : ces deux quartiers n’ont pas le même type de population, nous avons eu beaucoup plus de mal à travailler avec le tissu associatif du Pavé-Neuf qu’avec celui du Champy.

Sur une même circonscription, il est déjà difficile de déterminer quelle action mener. Sur Neuilly-sur-Marne, le même dispositif ne pourrait peut-être pas fonctionner, parce que le tissu associatif et la réalité de la délinquance n’y sont pas les mêmes qu’à Noisy-le-Grand.

Sur la Seine-Saint-Denis, le chiffre de 27 % de mineurs mis en cause recouvre des disparités considérables.

J’ai travaillé auparavant sur Le Blanc-Mesnil : la délinquance des mineurs tournait aux alentours des chiffres nationaux, c’est-à-dire 23 % ou 24 % ; elle n’allait pas plus loin. Je n’y avais pas été confronté à une vague du type de celle que j’ai pu constater à Noisy-le-Grand, quand cette délinquance avait atteint 39 %.

Des expériences peuvent être étendues, celle de la brigade des mineurs, notamment.

Il faut essayer de privilégier un travail non seulement avec les institutionnels, mais aussi avec le tissu associatif, donc au plus près du terrain.

Il faut en revenir aux principes basiques, en particulier à la notion d’autorité. La police a une figure d’autorité, mais dont nous constatons qu’elle n’est pas toujours respectée, contrairement à celle de quelqu’un qui vit en permanence dans le quartier et avec lequel nous allons pouvoir travailler.

Notre but n’est pas du tout de déléguer. Je ne suis pas favorable à ce que les conflits soient réglés à l’amiable,tout le monde étant gentil, et grâce à une fausse médiation permanente. Dans le travail qu’elle accomplit avec les associations, la police est vraiment partie prenante : elle ne leur donne pas une liste de gamins en les chargeant d’aller voir les familles et de se débrouiller avec elles.

Notre but, au contraire, est de voir en permanence ce qui a été fait, de savoir comment l’association a été reçue, comment certains points peuvent émerger dont nous, nous n’avions pas connaissance, non plus que certaines institutions, et de déterminer ce que nous pouvons faire.

M. le rapporteur - Il est beaucoup question, dans le débat public, de zones de non-droit. Existe-t-il des quartiers où la police ne pénètre pas ou ne peut pas pénétrer ?

M. Philippe Lutz - Vous avez lu mon curriculum vitae : je suis un cas un peu particulier, parce que je travaille en Seine-Saint-Denis depuis quinze ans, en dehors du fait d’y être né. J’ai été inspecteur, commissaire dans trois circonscriptions différentes, je fais des permanences de nuit régulièrement : je ne connais pas, en Seine-Saint-Denis, qui est l’un des départements les plus difficiles de France, de zone de non-droit.

Il faut bien nous entendre sur ce que nous appelons « zone de non-droit » : il n’existe aucun secteur en Seine-Saint-Denis où la police ne se rend pas.

En revanche, les applications de la loi peuvent être différentes d’un quartier à l’autre. C’est une réalité, mais ce sont les habitants qui peuvent nous le dire.

A partir du moment où, les halls de leurs immeubles étant squattés en permanence, les résidents sont obligésd’utiliser des méthodes de contournement -passer par la cave, qui est à trois numéros de leur accès, pour rentrer par derrière- afin de ne pas croiser les jeunes, pas même du regard, et où nous ne parvenons pas à faire respecter la loi, nous pouvons effectivement considérer que se pose un problème.

Pour cette raison, j’ai bien précisé que le dispositif préventif devait être impérativement couplé avec un dispositif répressif fort.

Le stationnement des jeunes peut cacher plusieurs choses. Il peut n’être rien : ainsi, dans les rues de Gournay-sur-Marne, une dizaine de gamins jouant au football indispose la population. Les halls d’immeubles peuvent abriter des alcooliques ou des délits de stupéfiants.

Cela relève du travail de la police de proximité.

A Noisy-le-Grand, notamment sur le Pavé-Neuf, depuis sa mise en place voilà un an, douze affaires de trafic de stupéfiants au lieu de deux ont été réglées. Il ne s’agissait pas de gros trafics -ils ne portaient pas sur dix kilos à chaque fois- mais ces jeunes étaient identifiés, semaient le trouble au sein de la population. Il faut casser ces groupes compacts qui créent des difficultés.

Telle est la notion de « zone de non-droit ».

M. le rapporteur - La mise en place de la police de proximité a-t-elle conforté ou affaibli le rôle de la police judiciaire ?

M. Philippe Lutz - C’est un vaste débat. Je ne me dérobe pas à votre question, mais il existe vingt-cinq façons d’organiser la police de proximité.

L’unité de police de proximité de Noisy-le-Grand ne procède peut-être pas de la même façon que celle de Saint-Denis, de Calais ou de n’importe quelle ville de France. Elle n’est pas exceptionnelle -ce n’est pas ce que je veux dire- mais les fonctionnaires qui travaillent dans les quartiers, dont les zones pavillonnaires, sont en contact avec la population et, ensuite, exploitent les renseignements, c’est-à-dire qu’ils assurent un traitement judiciaire.

La plupart des affaires de trafic de stupéfiants que j’ai évoquées tout à l’heure ont été traitées par les unités de police de proximité. C’est quelque chose qui n’est pas tout à fait en concordance avec la doctrine de la police de proximité, mais qui fonctionne bien. Les policiers de proximité sont vraiment polyvalents : ils exécutent des actes judiciaires, enregistrent des plaintes, font des constatations, des surveillances. Ils sont vraiment investis, ce qui est très important pour la population.

J’ai parlé des comités d’usagers tout à l’heure. Si, certes, lors des premières réunions, il est reproché à la police de ne rien faire ou de relâcher deux heures après les quelques jeunes que, de temps en temps, elle interpelle -ce qui ne sert donc à rien- des problèmes très pratiques sont posés, des problèmes de stationnement de jeunes, mais aussi de véhicules. Quand nous répondons, nous devons être crédibles : si, lors de la réunion suivante, trois ou quatre mois plus tard, nous n’avons pas réglé ces problèmes, nous ne le sommes plus.

Les aspects judiciaires découlent de cela : lors d’une réunion, peut être évoqué un trafic de stupéfiants : à tel endroit, les dealers ont été vus, ils s’échangent des choses. Ce n’est peut-être pas vrai, car beaucoup d’habitants, dès qu’ils voient trois jeunes ensemble, les soupçonnent automatiquement, mais il ne faut pas non plus faire l’impasse, ces soupçons, dans certains cas, se vérifiant. Nous devons pouvoir expliquer, la fois d’après, que nous avons pris telle et telle mesure, pour tel et tel résultat. Il nous faut avoir cette sorte de transparence devant les gens.

L’année dernière, la délinquance a été stable. Voilà deux ans, nous avions commencé à tenir des comités d’usagers, car elle avait fortement augmenté. Nous devons annoncer aux habitants du quartier que, selon nos chiffres, la délinquance a beaucoup baissé -de 10 % à 15 %- et leur demander si ces chiffres correspondent à ce que eux ressentent.

La mise en place de la police de proximité n’a pas affaibli la police judiciaire parce que les renseignements exploitables parviennent de façon beaucoup plus massive.

Auparavant, les îlotiers signalaient dans leurs rapports un trafic de stupéfiants sur tel ou tel quartier. Ces rapports étaient totalement inexploitables et ne présentaient pas le moindre intérêt. Maintenant, ils sont forcément beaucoup plus précis, comportent des noms, des modes opératoires. Nous avons une obligation de réponse.

M. Jacques Mahéas - Monsieur le commissaire, vous avez bien mis en exergue tous les travaux qui sont faits en Seine-Saint-Denis, terre d’expériences. Je suis aussi satisfait de constater qu’un partenariat y existe entre la justice, la police et, notamment, les travailleurs sociaux, en vue du maintien de la sécurité.

Alors que, souvent, la police est mal considérée, comme vous l’avez indiqué, nous apprenons en vous écoutant que la motivation de tous et la mise en place de la police de proximité permettent d’obtenir des résultats positifs. Vos propos sont très réconfortants.

La police est-elle présente aux moments les plus criminogènes, les plus difficiles, c’est-à-dire lorsque les jeunes délinquants sont, eux, encore dans la rue, et qu’il ne reste plus que la brigade anti-criminalité, c’est-à-dire en soirée, le samedi et le dimanche, notamment ? Ne doit-elle pas s’adapter en conséquence ?

Le fait qu’au Pavé-Neuf, par exemple, la population soit extrêmement mobile, extrêmement renouvelée, pose-t-il d’importantes difficultés, en particulier en ce qui concerne cette délinquance des mineurs ? Comment pouvez-vous obtenir des renseignements sur une famille qui arrive auprès de vos collègues, s’ils sont hors département ?

Enfin, que penseriez-vous d’une coordination des actions en cours chapeautée par le maire ?

M. Philippe Lutz - Les policiers de proximité, sur Noisy-le-Grand, travaillent en cycles et n’ont pas les mêmes horaires selon les secteurs : ceux du centre-ville, pavillonnaire, finissent à vingt et une heures trente ; en revanche, ils commencent plus tôt le matin, à cause du marché. Ils s’adaptent.

Ceux des autres secteurs -du Champy et du Pavé-Neuf- terminent leur service à vingt-deux heures trente, y compris le samedi.

Ces horaires ne sont pas considérés comme un dogme : ils varient en fonction de la délinquance, comme les effectifs. A de très nombreuses reprises déjà, sur un an, y compris dans le centre-ville, ils se sont décalés, parce que des augmentations de délinquance étaient constatées. Ainsi, sur le Pavé-Neuf, l’année dernière, nous avons eu quelques petits soucis : le quartier ayant été plongé dans le noir plusieurs fois, les effectifs se sont décalés.

Que les effectifs de police de proximité s’adaptent à la délinquance est un impératif : c’est le B A - Ba de la police.

Il y a eu une première vague où la police de proximité était très efficace, parce que d’un seul coup, grâce aux redéploiements d’effectifs, beaucoup plus d’hommes étaient affectés sur les créneaux les plus sensibles, c’est-à-dire la fin d’après-midi et le début de soirée.

Les délinquants, en face, notent les arrivées, les départs ; ils savent à partir de quelle heure nous n’avons plus personne, il ne reste qu’un véhicule de police secours et la brigade anti-criminalité.

Il faut casser cette espèce de cercle qui nous conduirait à retrouver très rapidement les problèmes que nous avons connus voilà quelques années.

Il faut une adaptation très régulière, sans, évidemment, que les fonctionnaires de police ne vivent quasiment uncalvaire, ne sachant pas, d’une semaine sur l’autre, selon quels horaires ils vont travailler. C’est un problème de gestion des personnels.

Dans mon secteur - et c’est le cas de nombreuses autres circonscriptions de la petite couronne - je dispose de fonctionnaires extrêmement jeunes. Certes, c’est un inconvénient, car ils ont une faible expérience, mais c’est aussi un énorme avantage car ils sont très motivés, notamment en matière de police de proximité. La plupart du temps, je n’ai pas besoin de leur signaler une augmentation de la délinquance après minuit ; ils constatent eux-mêmes ce fait car ils ont communication de plaintes tous les jours. Ainsi, au bout de deux ou trois jours, ils décalent leurs horaires. Il faut impérativement prendre en compte cette mobilité.

En ce qui concerne votre deuxième question relative à l’obtention de renseignements au sujet de personnes qui viendraient notamment d’autres départements, actuellement, il est plutôt rare d’être renseigné ; on attend qu’un premier fait soit commis pour s’intéresser au problème. C’est un handicap. Mais la fourniture de renseignements est obtenue par un autre canal, à savoir celui de l’Education nationale. En effet, celle-ci détient les dossiers des familles qui peuvent poser problème.

Les personnels de mon service rencontrent ceux de l’Education nationale, de la mairie, des centres commerciaux dans les cellules de veille, tous les mois. De ce fait, nous réduisons le laps de temps entre le moment où des personnes arrivent, commencent à soulever quelques petites difficultés alors que nous ne les connaissons pas.

Ce point est évidemment perfectible. Un travail énorme doit être effectué avec les bailleurs. Mais nous n’en sommes qu’au tout début. La police de proximité a été mise en place en France voilà au mieux deux ans : dans certaines circonscriptions, son installation date de quelques semaines ; dans mon secteur, elle remonte à un an. Parfois encore, elle est inexistante. Pour ma part, je commence à enregistrer le résultat du travail avec les bailleurs. Ainsi, ils ont un réel pouvoir sur les expulsions. Au lieu d’engager des procédures d’expulsion fondées exclusivement sur des dettes locatives, on peut en ouvrir en raison de troubles du voisinage. Mais les bailleurs considèrent qu’il existe un risque, et c’est vrai. Ainsi, cette semaine, un jeune a frappé un gardien d’immeuble. Une procédure d’expulsion a tout de suite été engagée. Bien évidemment, on sait qu’elle ne va pas aboutir tout de suite.

La troisième question qui m’a été posée concerne la responsabilité du maire. Les contrats locaux de sécurité ont peu prévu la phase d’évaluation. Or si cette phase était véritablement menée à bien, un travail en lien beaucoup plus étroit pourrait être effectué.

A titre personnel, je suis moyennement favorable à une espèce de « chapeautage » du maire sur la police nationale. A Noisy-le-Grand, les relations avec la mairie sont satisfaisantes ; des dossiers avancent de façon régulière. J’ai connu la même situation au Blanc-Mesnil. C’est un intérêt bien compris. Aller au-delà me semble délicat.

M. Bernard Plasait - Pourquoi ?

M. Philippe Lutz - En raison de l’indépendance que doit avoir la police vis-à-vis du politique.

M. le président - Je vous remercie, monsieur le commissaire.


Source : Sénat français