Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, Président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous allons entendre M. Thierry Baranger, président de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, Premier juge des enfants à Bobigny.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Vous avez la parole, Monsieur Baranger.

M. Thierry Baranger - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, mesdames, Messieurs les sénateurs, comme vous avez déjà auditionné de nombreuses personnalités, des sociologues et des magistrats notamment, je développerai un aspect plus parcellaire de la délinquance et vous exposerai mon point de vue en tant que praticien, juge des enfants, une fonction que j’exerce depuis un certain temps. De plus, grâce à l’Association française des magistrats de la jeunesse, l’AFMJF, j’ai la possibilité de voir ce qui remonte du terrain, hors de la région parisienne notamment.

Je laisserai de côté certains aspects qui ne sont certes pas négligeables mais qui n’entrent pas directement dans le cadre de votre commission d’enquête, qu’il s’agisse des difficultés que nous rencontrons, du découragement que peuvent éprouver certains juges des enfants ou d’aspects plus institutionnels, c’est-à-dire plus internes à la justice. Je pense notamment à la gestion du corps des juges des enfants, à la reconnaissance de cette fonction, à la déspécialisation rampante que nous constatons depuis quelques années ainsi qu’au problème des moyens auquel nous sommes confrontés, notamment en termes de personnels de greffe, lesquels sont, en dépit des recrutements, en nombre très insuffisant.

Tout d’abord, on peut se demander si l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est efficace. Est-elle opérationnelle ou faut-il la modifier pour tenir compte des mineurs qui commettent actuellement des actes de délinquance ?

Pour illustrer mon propos, je prendrai une image biblique, celle du pasteur et des brebis.

L’ordonnance de 1945 a été mise en place à une époque où les mineurs délinquants pouvaient s’apparenter à la brebis égarée. Le juge des enfants devait se demander pourquoi cette brebis s’était égarée et comment il pouvait la remettre dans le droit chemin. La situation actuelle est très différente. A cause d’une certaine massification des problèmes, ce n’est plus une brebis qui est égarée, mais c’est une grande partie du troupeau. A l’arrière-plan, il y a le problème de la socialisation déviante des jeunes dans certains quartiers et, faute d’une véritable prévention, celui de la délinquance massive, pour lequel la justice des mineurs est actuellement saisie.

Je n’aborderai pas ici les causes de ce phénomène qui tiennent aux évolutions profondes de la société depuis les années 1970. Des personnes beaucoup plus averties que moi pourront vous en parler, tels les sociologues Hugues Lagrange ou Irène Théry. Vous avez d’ailleurs auditionné Denis Salas, magistrat. Vous pouvez aussi vous reporter aux travaux de Christian Bachman, décédé. Toutefois, je le souligne au passage, nous devons prendre en compte ces changements si nous voulons apporter des réponses pertinentes au symptôme que constitue la délinquance des mineurs.

Je développerai d’abord différents aspects de la délinquance et je me demanderai ensuite ce que peut faire la juridiction des mineurs pour les traiter.

La massification de la délinquance que nous observons actuellement est liée à une certaine socialisation déviante des jeunes, qui s’exprime sous deux formes. Nous sommes confrontés à des petits faits, qui sont à la limite des infractions pénales -je veux parler des petites destructions, des dégradations de biens publics, des incendies ponctuels- et à des comportements hostiles, impolis ou encore irrespectueux, tels que les regards menaçants et provocateurs, les conduites gênantes, bruyantes et ostentatoires ainsi que toutes les injures. Nous déplorons notamment l’augmentation du nombre des outrages et des rebellions envers la police.

Tous ces faits se déroulent dans un espace public, dans la rue, sous le regard de tous. Or, les élus locaux peuvent constater sur le terrain que les mineurs délinquants ne font pas toujours la différence entre l’espace privé et l’espace public.

Pour ma part, je reste convaincu que de telles situations relèvent plus d’une véritable prévention que de la justice des mineurs. La prévention spécialisée, qui est malheureusement très absente du dispositif, a plus d’outils pour traiter ce type de problème que la justice. Cela vaut aussi -mais j’y reviendrai ultérieurement-, pour les institutions, à commencer par la famille, ou l’école. Peut-être pourrait-on mettre en place des commissions locales qui regrouperaient à la fois des élus de terrain et des associations de proximité. En effet, le juge des enfants doit trop souvent traiter ces problèmes, et c’est cette masse qui, d’une certaine manière, le noie.

Parallèlement, se pose le problème des économies souterraines et des trafics, qui sont, à mon avis, la forme ultime de l’isolement de certaines cités, totalement résignées à leur marginalisation. Là encore, ce n’est pas le juge des enfants qui est le plus apte à traiter ces problèmes, ni la police de proximité, qui règlera, pour sa part, les problèmes visibles. A mon avis, compte tenu du travail de terrain difficile et de longue haleine à mettre en place, ces faits devraient relever de la compétence de la police judiciaire ou d’une brigade des mineurs qui serait chargée des mineurs victimes et des mineurs délinquants. Depuis fort longtemps déjà, nous souhaitons la mise en place d’une police judiciaire à cet effet. Or, ces dernières années, nous avons observé une baisse des capacités de la police judiciaire par rapport à celles de la police de proximité.

Tels sont les deux aspects de la socialisation déviante des jeunes que j’ai observés et que le juge des enfants ne devrait pas avoir à traiter.

Nous avons l’habitude de parler de deux types de délinquance classique : la délinquance dite initiatique et les bandes. Toutefois, les choses sont plus complexes et moins rigides. On peut retrouver dans le phénomène des bandes un aspect initiatique.

On peut constater -je ne sais pas si nous disposons de statistiques en la matière, mais c’est la réalité, et tous les juges des enfants pourront le confirmer- que 70 % à 80 % des mineurs que le juge des enfants rencontre pour un délit ne recommencent pas. En revanche, tous les adolescents qui accumulent des facteurs de risques et qui se révèlent dangereux pour eux, mais aussi pour la société -il n’est plus question ici d’incivilités- posent problème.

Même si leur nombre est marginal, environ 10 % des cas que nous traitons, nous rencontrons dans nos cabinets des adolescents qui additionnent les handicaps. Ceux-ci peuvent être de différentes natures.

Les handicaps peuvent être familiaux, avec notamment des problèmes de violence familiale, scolaires -le parcours de l’adolescent peut être marqué par l’absentéisme et l’échec massif- ou encore psychologiques car la prise en charge des problèmes pédopsychiatriques fait singulièrement défaut en France. On manque en effet d’hôpitaux de jour, de centres médico-psychologiques -pour ceux qui existent, les listes d’attente sont longues- et d’internats spécialisés, sous la tutelle de la CDES, dont certains mineurs peuvent relever et pour lesquels il faut s’armer de patience pour obtenir une place.

J’ajouterai un dernier handicap qui est, à mon avis, important, c’est le handicap culturel. Ce n’est pas un hasard si une partie très importante des jeunes que nous avons à traiter et qui se retrouvent en prison sont issus de l’immigration. Il s’agit bien souvent, me semble-t-il, de familles fragiles, de parents qui ne peuvent pas dialoguer avec l’école et ne trouvent pas leur place au sein des institutions. Un travail important doit donc être fait à ce niveau.

Toutefois, je tiens à vous dire que le juge des enfants est capable de traiter les jeunes qui sont les plus en difficultés, ceux qui sont les plus dangereux mais aussi ceux qui sont les plus en souffrance. En effet, le travail du juge des enfants procède d’une démarche individuelle. Cela ne signifie pas qu’il ne doive pas oublier le contexte psychologique ou social du quartier dans lequel vit ce mineur. Je note cependant que le juge des enfants n’en a que très peu connaissance parce que les informations ne remontent pas. Le parquet, lui, en aura éventuellement connaissance, mais pas le juge des enfants. Quoi qu’il en soit, à condition qu’on lui en donne le temps, le juge des enfants a un savoir-faire pour traiter ces cas lourds et complexes.

Or, actuellement, on s’oriente de plus en plus -et c’est tout le paradoxe- vers un traitement en temps réel et une réponse judiciaire systématique à tout acte commis par un mineur.

Apporter une réponse à tout acte commis par un mineur ne me choque pas en soi, mais le fait d’y apporter une réponse judiciaire me choque. Cette situation provoque une augmentation du nombre des procédures pénales pour des faits mineurs, qui peuvent entraîner des non-lieux ou des relaxes. Les chiffres de mises en cause dont nous disposons sont très différents de ceux qui sont avancés par le ministère de la justice. A cet égard, je souhaiterais la création d’un observatoire indépendant qui puisse évaluer toutes ces questions et faire un travail de recherche. Voilà quelques années, en région parisienne, environ 30 % des dossiers que les cabinets des juges des enfants traitaient allaient au pénal et environ 70 % des dossiers étaient de l’assistance éducative et de la protection. Aujourd’hui, la situation s’est inversée : presque 60 % des affaires relèvent du pénal et 40 % de l’assistance éducative, des tutelles aux prestations sociales ou des mesures jeunes majeurs.

Cette situation conduit donc le juge des enfants à traiter des dossiers et à les évacuer. A cause de cette massification -et c’est un danger sérieux-, le juge des enfants se retrouve à traiter des faits plus banals et il n’aura donc pas le temps de se consacrer à des affaires plus lourdes qui exigent des années de travail éducatif et judiciaire.

Je ferai un autre constat. La délinquance procède moins de personnalités pathologiques que d’individualités rendues problématiques par une véritable crise de la socialisation. Nous sommes face à des jeunes qui se socialisent beaucoup plus par leurs pairs que par leurs parents. A cet égard, une sénatrice, qui était venue à mon cabinet, m’a confié que, lors de l’audience à laquelle elle avait assisté, elle avait ressenti que les parents étaient en grand désarroi. C’est une réalité que nous vivons tous les jours. Nous assistons non pas à leur démission, mais à leur détresse.

Je reviendrai au phénomène de bandes dont je parlais tout à l’heure. Ce ne sont pas des bandes au sens classique du terme, car il s’agit plus de regroupements territoriaux que de bandes réelles telles que nous les avons connues dans les années 1950 ou 1960. Elles présentent néanmoins, je ne le conteste pas, un caractère assez violent.

Face à tous ces problèmes, la politique du traitement en temps réel a été appliquée. Toutefois, à la lecture des enquêtes de « victimation » conduites par Sébastian Roché ou par d’autres sociologues, on s’aperçoit qu’elle présente quelques limites du fait des aléas rencontrés tant dans la détection que dans le traitement des actes de délinquance. Même si l’on doit peut-être nuancer ces études, moins de 10 % des faits délictueux seraient traités, selon Sébastian Roché, par la justice et par la police, et il s’agirait plus de délits contre les biens que contre les personnes. Ce dernier point est avéré car, avec le système de l’assurance, les victimes déposent plus facilement plainte pour leurs biens que pour elles-mêmes. Effrayées, elles hésitent bien plus à porter plainte pour elles-mêmes et il nous est très difficile de les y inciter.

En tout état de cause, ne laissons pas dire que les juges des enfants rechignent à faire du pénal. Cela était peut-être vrai dans les années 1970. Ils préféraient alors faire un travail sur le long terme et s’occuper des questions de protection du mineur au sens large du terme. C’est une époque que j’ai moi-même connue au début de ma carrière, mais elle est révolue. On ne peut plus actuellement faire ce reproche aux juges.

J’aborderai maintenant les solutions que nous pouvons apporter à la délinquance.

Je ne suis pas convaincu qu’en envoyant un message fort aux mineurs la nature de la délinquance se modifiera. Les problèmes sont beaucoup plus complexes. Ce n’est pas par une plus forte répression que le problème sera réglé. J’ai, en effet, le sentiment que les délinquants que nous rencontrons, pour une très grande majorité, ne sont pas du tout conscients de leur acte.

Par ailleurs, cessons de dire que l’ordonnance du 2 février 1945 conforterait les mineurs dans une impunité totale. En fait, ce texte me semble extrêmement souple dans la mesure où il permet au magistrat de choisir entre le répressif et l’éducatif.

Si un mineur âgé de moins de treize ans n’encourt pas de sanction pénale, il peut être, je tiens à le rappeler, responsable pénalement. Contrairement à ce qu’affirment souvent les médias, la responsabilité pénale existe avant l’âge de seize ans. Elle peut même être invoquée très tôt puisque, de plus en plus, des enfants âgés de huit ans ou neuf ans sont poursuivis au pénal. Je me demande toutefois si, à cet âge-là, un travail d’assistance éducative et de protection, conduit en coordination avec la famille, ne serait pas plus adapté.

La situation que nous connaissons n’est pas sans conséquence sur une certaine cohérence de la justice des mineurs. J’analyserai cette observation au niveau du parquet et du siège.

Ainsi, le fonctionnement de l’institution judiciaire des mineurs a été profondément modifié avec, pour le parquet, la mise en place de la « troisième voie » et de ce que l’on appelait -cette notion est beaucoup plus significative- le traitement autonome des mineurs, ainsi que, pour le siège, toutes les questions de comparution immédiate sur lesquelles je reviendrai.

S’agissant du parquet, après des débuts prometteurs, la politique dont je viens de parler a atteint ses limites. En effet, le parquet ne peut pas être l’organe de prévention de faits qui pourraient être traités en amont. Cette décision est partie d’une bonne intention, mais elle a conduit les institutions à se défausser sur la justice. Je pense notamment à certains accords, qui ont pu être passés pour des faits mineurs, entre l’Education nationale et le parquet. Si l’on a pu régler rapidement des problèmes plus graves au sein de l’Education nationale, cette situation a également entraîné le signalement de faits mineurs à l’école que l’on appelle « rackets » et qui n’en étaient pas forcément, notamment pour des petits enfants. Ce surcroît de travail a donc pénalisé le travail du parquet.

Par ailleurs, on observe une « déspécialisation » des parquets en matière de mineurs au profit de la montée de ce que l’on appelle la « territorialisation » de l’action publique. A ma connaissance, trois ou quatre tribunaux en France ont fermé les parquets des mineurs pour recentrer leur action sur des parquets fondés sur le territoire. Je pense notamment aux parquets de Nanterre, de Toulon ou d’Aix-en-Provence. Cela procède effectivement d’un choix, mais il n’est pas sans conséquence.

Pour ce qui concerne le traitement des affaires en temps réel, se pose le problème de la formation des délégués du procureur.

La mise en place de ces délégués a été tout à fait positive, mais nous n’avons malheureusement pas assez de garanties quant à leur formation et au contrôle de leur mission qui consiste à savoir si, après une rencontre avec le mineur, l’affaire peut être réglée en amont ou si, à cause d’un problème de fond plus grave, d’un dysfonctionnement plus grand au niveau de la famille, dont le délit ne serait que le symptôme, l’on doit se tourner vers le judiciaire.

S’agissant des éducateurs, je note que le contexte actuel a aussi modifié leur travail. Ils ont, de plus en plus, me semble-t-il, été utilisés à contre-emploi et sont devenus plus des conseillers chargés d’une aide à la décision que des éducateurs investis d’une véritable mission éducative, qui est un accompagnement dans le temps. Le monde éducatif se retrouve de ce fait déstabilisé.

Je m’interroge donc bien évidemment sur les conséquences induites de la dyarchie judiciaire tant dans le fonctionnement interne des juridictions des mineurs que dans l’image de l’institution à l’extérieur. Je me demande notamment comment les responsables locaux et nos concitoyens perçoivent la juridiction des mineurs. C’est une question que j’aimerais vous poser.

J’interviens dans de nombreux colloques et je m’aperçois que beaucoup confondent le procureur, le juge des enfants, l’éducateur, le délégué du procureur, le médiateur. Pour des raisons légitimes que je ne conteste pas, des solutions ont été empilées et elles ont entraîné une certaine incohérence et un manque de visibilité de notre politique. Et je ne parle pas de la communication ! La justice des mineurs aurait bien besoin d’améliorer sa communication avec l’extérieur ! En effet, on parle beaucoup des mineurs qui ne sont pas allés en prison après avoir été déféré devant le juge des enfants, mais on ne parle absolument pas des autres mesures qui peuvent être prises, notamment des mesures éducatives, des mesures de placement. On fait comme si la réponse ne pouvait s’entendre qu’en termes d’incarcération. Or, Dieu merci, d’autres réponses telles que la réparation ou le placement peuvent être très importantes.

S’agissant maintenant du siège, le traitement des affaires en temps réel a conduit à prédéterminer le type de procédure que le juge des enfants allait appliquer en fonction de la voie choisie par le parquet.

Les procédures sont nombreuses, notamment depuis 1996, lorsque M. Toubon a mis en place la comparution à délai rapproché, qui permet d’obtenir une comparution rapide, ainsi que des mesures provisoires immédiates, comme les convocations du mineur par officier de police judiciaire en vue de jugement dans un délai se situant entre un et trois mois, ce qui est, à mon avis, une réponse rapide à une transgression. On observe actuellement une explosion du nombre des mineurs déférés.

En France, en 2001, environ 8.000 mineurs ont été déférés devant les tribunaux. De plus en plus, le mineur arrive chez le juge des enfants non pas en ayant suivi la voie qui, voilà dix ans, était classique, c’est-à-dire après un courrier ou une convocation à délai différé, mais par défèrement. Ces défèrements sont positifs lorsque les faits sont graves, mais des enfants se retrouvent parfois déférés pour des faits mineurs. Cela n’a plus aucun sens, tout comme la garde à vue peut ne plus avoir de sens pour certains mineurs.

En l’espèce, je ne vois pas très bien ce que pourrait apporter l’instauration d’une comparution immédiate telle qu’elle existe pour les majeurs. Je n’y verrais comme seul intérêt que de pouvoir réprimer immédiatement l’absence de renseignements tant sur la personnalité du mineur que sur son environnement. Qui plus est, elle ébranlerait définitivement la logique de l’ordonnance de 1945.

En effet, cette ordonnance a été modifiée de nombreuses fois et elle reflète plutôt un choix de société : elle met en avant le fait de vouloir éduquer ces jeunes qui transgressent la loi pour qu’ils puissent se réinsérer dans la société, plutôt que de les réprimer. Si l’on adoptait la procédure de la comparution immédiate, on retiendrait de la justice des majeurs les dispositions qui ne sont pas forcément les meilleures. Certes, la comparution immédiate des majeurs permet de régler rapidement nombre de problèmes, mais, parfois, elle n’empêche pas les récidives. La comparution immédiate ne règle pas tout fondamentalement ; elle est plus un traitement de l’instant. Elle est ce qu’elle est pour les majeurs, mais elle serait catastrophique pour les mineurs.

Autre danger de la comparution immédiate : nous en arriverions, même si je caricature quelque peu mon propos, à une justice de plus en plus virtuelle.

Ainsi, la France connaît des situations parfaitement inégales : les tribunaux de Pau ou de Montpellier ne connaissent pas les mêmes situations que ceux de Paris, de Bobigny ou de Créteil. Dans les grandes agglomérations, des délais de trois mois à quatre mois sont souvent nécessaires avant la prise en charge effective des mesures qui ont été prises par les juges, s’agissant notamment des mesures éducatives en milieu ouvert, de la liberté surveillée préjudicielle ou des mesures d’hébergement. Comme je vous l’ai dit dans mon propos liminaire, de nombreux adolescents figurent sur des listes d’attente pour entrer dans l’établissement que les institutions leur ont préconisé. C’est une réalité que nous ne pouvons pas nier. Mais se pose également le problème des décisions qui ne sont pas exécutées faute de personnels, notamment de greffes, et d’encombrement des services des tribunaux. Je pense à certains sursis avec mise à l’épreuve, mais aussi à certaines peines de prison qui ne sont pas exécutées.

Il ne faut donc pas confondre vitesse et précipitation. Il serait particulièrement grave que la justice n’aie pas les moyens de traiter les affaires qui lui sont soumises et de tenir ses engagements. Elle perdrait alors son sens et sa crédibilité. Cette perte de croyance en la justice est le vrai risque d’impunité. C’est un danger très sérieux pour notre démocratie.

Certes, je le reconnais, je vous ai dressé un constat sévère. Toutefois, j’ai de plus en plus souvent l’impressiond’évacuer des stocks de dossiers plutôt que de faire le travail pour lequel je suis devenu juge des enfants. J’ai vraiment le sentiment de procéder parfois -pardonnez-moi ce terme un peu dur- à un « abattage », une notion que je ne connaissais pas, je vous l’assure, il y a une dizaine d’années. Je n’en reste pas moins convaincu de l’intérêt d’une rencontre rapide entre le juge et le mineur à condition qu’elle soit cohérente, qu’elle permette un travail qui puisse s’étaler dans le temps et qu’elle puisse aller au-delà de la sanction qui est certes nécessaire, mais qui n’est pas suffisante. La réponse rapide au délit ne doit pas obligatoirement entraîner une sanction.

Faisons vraiment une distinction entre la rencontre et le jugement. Si la rencontre a lieu en même temps que le jugement, le travail éducatif ne pourra pas se faire. C’est tout le danger de la comparution immédiate, qui serait contre-productive pour le mineur sur le moyen terme.

Je le répète, je crois également -et j’y suis fortement attaché- au pari éducatif inscrit dans l’ordonnance de 1945, que je ne considère pas comme une baliverne vieille de cinquante ans, mais comme l’attitude que doit avoir un adulte face à une société en devenir. Ce n’est pas une attitude angélique : il n’est pas question de dénier toute réponse ferme et responsable face à des actes de délinquance, mais il faut faire tout le travail utile en aval de l’acte, en tenant compte notamment du contexte familial, social et, si nécessaire, culturel du mineur délinquant, sinon la sanction perdra tout son sens et sera vécue comme une simple violence sans protéger la société sur le moyen terme.

On peut, bien entendu, estimer que l’ordonnance de 1945 peut être améliorée. Je pense notamment à des modifications qui pourraient donner un coup de fouet à la mesure de réparation. C’est une mesure qui est profondément éducative et qui constitue une réponse à des actes délictueux. C’est, selon moi, la meilleure mesure de ces dix dernières années. Le problème, c’est qu’elle n’est pas assez utilisée, et ce pour plusieurs raisons.

Le juge, au moment où il rencontre le mineur, n’est peut-être pas, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, le plus apte à savoir si c’est le bon moment d’édicter une mesure de réparation. Ainsi, l’ordonnance de 1945 pourrait envisager la possibilité pour les services éducatifs, qui interviendraient par exemple dans le cadre de la mise en place de mesures pénales telles que la liberté surveillée, de proposer au juge, à un moment donné de la procédure, une mesure de réparation. Cela favoriserait peut-être le recours à la réparation.

Par ailleurs, nous rencontrons, je ne vous le cache pas, des difficultés à l’échelon local pour trouver des lieux d’accueil où mettre en place la réparation. Il en est de même des travaux d’intérêt général. Les instances locales doivent se mobiliser pour mettre en oeuvre ces mesures, qui pourraient être développées.

L’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille a élaboré une plate-forme qui a regroupé pendant trois ou quatre mois des professionnels appartenant à différentes instances, des commissaires de police, des éducateurs, des psychologues, des juges.

Après avoir analysé la situation, nous avons formulé une quarantaine de propositions. Je vous remettrai tout à l’heure le texte que nous avons rédigé. Parmi ces propositions figure la possibilité de prendre une mesure à caractère général en matière pénale qui tiendrait compte de toutes les facettes de la personnalité du mineur, les problèmes éducatifs, familiaux qu’il rencontre, ainsi que, éventuellement, le problème économique de la famille. Un référent fil rouge assurerait la continuité et pourrait peut-être aussi prendre des contacts avec les associations locales, s’intéresser à l’environnement du délinquant, être présent lors de l’incarcération, parce que c’est un moment de rupture où l’éducatif est très souvent absent. Au cours de la détention se pose aussi la question de l’articulation entre les services éducatifs et les services de la pénitentiaire. Nous constatons que la coordination est souvent absente. Ce référent permettrait de travailler dans la continuité et dans le temps, ce qui serait tout à fait positif.

M. le président - Comme vous allez nous remettre ce dossier, peut-être pourriez-vous resserrer votre exposé, Monsieur Baranger ?

M. Thierry Baranger - Je vais faire une synthèse de mon propos.

Tout d’abord, l’ordonnance de 1945 est opérationnelle à condition que nous n’ayons pas à traiter tous les problèmes de délinquance dus à une socialisation déviante. Un travail important de prévention doit être fait en amont. S’agissant des économies souterraines et des trafics qui existent dans certains quartiers, c’est la police judiciaire qui doit être saisie.

Comme je vous l’ai déjà dit, mais je tiens à le répéter, le juge des enfants est capable de traiter des mineurs en grandes difficultés, qui peuvent être des mineurs particulièrement dangereux. En revanche, il n’a pas les moyens -les services éducatifs non plus d’ailleurs- de traiter toute une masse d’affaires, qui sont en fait de petites transgressions, mais qui lui sont soumises parce que toutes les institutions, qu’elles soient familiales ou scolaires par exemple, n’ont pas réussi à définir un cadre. Tout adolescent ou tout enfant cherche, à un moment ou à un autre, à transgresser la loi. Cela a toujours existé. Le problème est de savoir quels cadres permettent de limiter la délinquance. Notre objectif est de remettre ces mineurs au sein d’un monde commun. Nous devons faire en sorte que ces jeunes partagent notre monde, ce qui n’est pas forcément le cas actuellement.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Vous nous avez dit que vous aviez plus l’impression d’évacuer des stocks de dossiers que de faire votre véritable métier.

M. Thierry Baranger - C’était une caricature !

M. le rapporteur - Certes ! Cela pose le problème du délai de la réponse que la justice apporte au délinquant. Ce délai nous semble particulièrement long. Qu’en pensez-vous ? N’y aurait-il pas d’autres réponses plus rapides que le recours à la procédure judiciaire ?

M. Thierry Baranger - Dans le traitement judiciaire ou hors du traitement judiciaire ?

M. le rapporteur - Hier, nous étions aux Pays-Bas. La procédure des Haltburö y a été mise en place pour traiter les délits mineurs. Elle permet de soulager toute la chaîne judiciaire d’un certain nombre de délits mineurs. La police présente à des éducateurs les mineurs qui ont commis des délits relativement bénins, ce qui permet de les traiter très rapidement et de désengorger toute la chaîne judiciaire.

M. Thierry Baranger - Je parlerai en mon nom personnel, parce que telle n’est pas la position de tous mes collègues.

Pour ma part, je ne serais pas choqué que de petites affaires soient traitées en amont, dans le cadre de commissions au sein desquelles siègeraient des élus locaux, des associations. La prévention et le traitement de la délinquance ne peuvent pas venir que de la justice. La justice peut intervenir en fin de chaîne, mais elle n’est pas capable de régler un problème de société. Mobiliser les structures locales en ce sens ne me choquepas ; je pense notamment aux commissions qui ont été mises en place au Portugal. Reste à en définir le cadre, et à prévoir un certain contrôle. Le parquet devrait y être représenté pour dire si, éventuellement, l’affaire examinée relève du judiciaire ou non. Personnellement, je ne suis pas opposé à une telle ouverture parce que la justice ne peut pas régler tous les problèmes de transgression des mineurs. Le problème est beaucoup plus vaste. Il y a un problème de société, un problème de cadre institutionnel, d’environnement, de famille. Il faut mobiliser tout le monde.

M. le rapporteur - Vous avez parlé des inconvénients de la comparution immédiate. La comparution à délai rapproché est-elle suffisamment utilisée ?

M. Thierry Baranger - Elle est assez utilisée.

En revanche, une mesure émanant de l’AFMJF , que M. Toubon avait retenue, qui me semble particulièrement intéressante, ne l’est pas assez, je veux parler de la césure pénale du procès. Cette mesure offre la possibilité au tribunal pour enfants ou au juge des enfants de se prononcer immédiatement sur la culpabilité du délinquant, d’indemniser les victimes et de renvoyer à quelques mois la sanction pénale. Cette mesure est particulièrement riche parce qu’elle permet de faire tout un travail éducatif. Du fait de l’embouteillage des dossiers, elle n’est toutefois pratiquement pas appliquée.

Voilà deux mois, j’ai traité d’une affaire où un mineur avait commis une trentaine de délits, c’est vraiment ce que l’on appelle un multirécidiviste. J’ai passé une journée au tribunal pour enfants uniquement pour ce mineur et j’ai appliqué cette mesure. Depuis deux mois, il n’a pas été déféré devant le tribunal. La césure pénale permet de régler la question des victimes, problème important qu’il faut pouvoir régler rapidement, de dire si le délinquant est coupable et, dans l’affirmative, de lui dire que la sanction dépendra aussi beaucoup de lui, de ce qui se passera dans les mois qui viennent. Je le répète, juger la culpabilité du mineur et prévoir la sanction le jour où le magistrat le rencontre casse toute la logique du travail qui est nécessaire. La césure est malheureusement peu employée parce que les magistrats estiment ne pas pouvoir renvoyer l’affaire dans six mois alors que de nombreux dossiers attendent.

M. le rapporteur - Que pensez-vous de la réforme en cours des services éducatifs auprès des tribunaux qui va conduire, dans la plupart des cas, ces services à ne plus être localisés au sein du tribunal ?

M. Thierry Baranger - L’AFMJF a toujours été opposée à cette mesure, estimant que la coordination entre les services éducatifs et judiciaires était fondamentale pour le travail de la juridiction des mineurs. Si les services éducatifs ne sont plus localisés au sein des tribunaux, il n’y aura plus de contact entre les juges et les éducateurs, lesquels ne pourront plus s’interpeller sur leur travail respectif. Deux logiques différentes, qui ne se retrouveront pas, se mettront en place. Or, les juges sont dans la même « galère » que les éducateurs. Ils doivent faire un travail dans le temps, qui nécessite de connaître les autres, de pouvoir échanger, de ne pas être d’accord, mais au moins de se rencontrer. Pour ma part, je me suis toujours clairement opposé à cette mesure.

M. le président - Je vais maintenant donner la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent poser des questions.

M. Jean-Jacques Hyest - Les services éducatifs dont vous venez de parler vous servaient aussi de relais pour savoir, après avoir engagé un débat, quelle structure semblait la mieux adaptée à la situation du mineur.

Nous avons appris qu’un certain nombre de structures n’étaient pas remplies mais, dans le même temps, les juges se plaignent de ne pas trouver de structure pour accueillir les jeunes. En dépit de la présence des services éducatifs au sein des tribunaux, le système semble ne pas bien fonctionner. Qu’en sera-t-il alors lorsqu’ils ne seront plus localisés au sein des tribunaux ? Ce sera pire encore ?

M. Thierry Baranger - Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest - Nombre de vos collègues nous ont dit qu’ils n’avaient pas de solutions parfaitement adaptées à la situation du mineur parce qu’ils ne trouvent pas de place. Mais, simultanément, on constate que des places sont vacantes dans un certain nombre de structures de la PJJ. Ces structures ne seraient-elles pas parfaitement adaptées aux besoins de ces mineurs délinquants ?

M. Thierry Baranger - Vous parlez des structures qui ne sont pas employées. Pour ma part, je relève plutôt qu’il est difficile de trouver des structures telles que les centres d’éducation renforcée, les CER, ou les centres de placement immédiat, les CPI, pour accueillir les délinquants. S’il y a des structures vides, nous n’en avons pas connaissance.

J’ajoute que les éducateurs au sein du tribunal sont aussi un relais avec les services éducatifs extérieurs.

M. Jean-Jacques Hyest - Tout à fait !

M. Thierry Baranger - C’est la raison pour laquelle je tiens à ce qu’ils restent localisés au sein du tribunal. Mon propos peut paraître quelque peu provocateur mais, la justice sans l’éducatif, c’est la violence. L’éducatif humanise le travail du juge, et c’est fondamental. Si l’on creuse le ravin qui est déjà, à mon avis, profond, on aura deux domaines qui n’auront plus rien à voir l’un avec l’autre.

Par ailleurs, je défends aussi l’idée d’une formation conjointe entre les éducateurs et les juges, non pas sur des thèmes, mais sur des pratiques professionnelles. Il est, en effet, très important que, d’un côté, un juge des enfants sache que tel mineur, s’il est placé dans tel établissement, risque peut-être de le déstabiliser et que, de l’autre, l’éducateur sache qu’une audience est très importante parce qu’elle est le point de départ du travail éducatif qui sera fourni ensuite. Ce face-à-face est tout à fait nécessaire.

M. Jacques Mahéas - Un grand éventail de solutions vous est proposé : les lieux de vie, les familles d’accueil, les travaux d’intérêt général, les TIG, par exemple.

La commune de Neuilly-sur-Marne est prête à accueillir de nombreux TIG ; elle n’en a eu que onze depuis un an et trois mois. Quarante personnes ont été formées à cet effet, pourtant il semble que plus personne n’assure actuellement la liaison entre le tribunal et la municipalité. Quelquefois, comme on a pu le relever, vous ne connaîtriez pas le nombre de places disponibles. L’articulation entre les services est donc mauvaise.

Vous nous dites que la réparation vous semble la meilleure solution dans la mesure où elle permet de juger rapidement et de répondre à la demande de la population. Pourquoi vos collègues ne la mettent-ils pas en place ? Rencontrent-ils une difficulté particulière ?

M. Thierry Baranger - Il leur est peut-être difficile d’avoir la connaissance du terrain. En outre, comme je l’ai déjà souligné, ce n’est pas forcément le jour de la rencontre, de la mise en examen du mineur que le juge est le plus apte à savoir s’il faut mettre en place la réparation. Ce ne sera peut-être qu’un mois plus tard, dans le cadre de la mesure éducative, qu’il se rendra compte que c’est la mesure la plus efficace pour le mineur.

Par ailleurs, même si je n’ai pas été directement confronté à ce problème, nous nous demandons si la réparation doit être mise en place dans la commune d’origine du mineur.

M. Jacques Mahéas -Je me suis battu pendant très longtemps pour qu’elle ait effectivement lieu dans la commune d’origine.

M. Thierry Baranger - C’est une question que nous nous posons tous.

M. Jacques Mahéas -Pendant très longtemps, le tribunal n’a absolument pas voulu envoyer les gens dans leur commune d’origine, arguant du fait que les élus ne feraient pas de l’éducatif, mais du répressif. Or ce n’est pas vrai. Les élus savent faire de l’éducatif.

M. Thierry Baranger - Un débat est engagé sur ce point.

Il faut dépasser le problème en organisant des rencontres. Les élus doivent pouvoir rencontrer les juges pour en débattre.

M. Jacques Mahéas -D’après vous, quelle est, au sein de la délinquance, la proportion de la délinquance économique, qui est quelquefois nécessaire à la survie, avec la mise en place d’économies parallèles, et celle de la délinquance gratuite, telles que les dégradations gratuites ?

M. Thierry Baranger - Je ne sais pas si l’on peut dire que cette délinquance est gratuite.

Par définition, l’économie souterraine et les trafics qui en découlent nous sont inconnus, et c’est tout le problème. C’est la raison pour laquelle je vous ai dit qu’un travail important devait être mené par la police judiciaire.

Ce sont plus les élus locaux qui peuvent se rendre compte qu’une autarcie règne dans certains quartiers, que des économies souterraines y sont mises en place et que des incidents y sont créés uniquement dans le but d’écarter l’existence de toute institution.

M. Jacques Mahéas -Depuis une vingtaine d’années, nous constatons une montée en puissance de la délinquance gratuite qui est surprenante.

M. Laurent Béteille - Je voudrais revenir sur le problème des délais. Vous nous avez dit qu’il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation, mais nous avons tout de même affaire à des enfants qui n’ont pas la même échelle du temps que nous. Juger un adulte huit mois ou un an après la commission des faits, ce n’est pas grave parce qu’il n’a pas oublié, qu’il est toujours sous pression...

M. le rapporteur - Parfois, c’est grave !

M. Laurent Béteille - Certes, mais pas toujours !

En revanche, pour un enfant, l’échelle du temps est plus étroite. La famille qui a vocation à le sanctionner le fait tout de suite. La paire de claques n’est pas donnée une semaine après, mais dès que la famille a connaissance du fait. Je me demande si le fait de prononcer une sanction quelquefois deux ans après les faits n’est pas trop tardif.

M. Thierry Baranger - C’est parfaitement inadmissible !

M. Laurent Béteille - Je ne doute pas que le tribunal de Bobigny soit plus performant, mais fréquentant un peu celui d’Evry, j’ai pu voir comment les choses s’y passaient ! J’ai l’impression que, lorsqu’elle intervient trop tard, la sanction est inefficace ou elle est comprise comme une injustice. Il faudrait envisager un système pourqu’elle intervienne plus rapidement. Cela n’exclut pas, naturellement, que se développe et que soit privilégié le côté éducatif, mais, je le répète, une sanction trop tardive est, dans le meilleur des cas, inutile, dans le pire, nuisible.

M. Thierry Baranger - J’abonde dans votre sens. Une sanction qui intervient deux ans après les faits n’a plus aucun sens pour le mineur, c’est une évidence.

Faisons toutefois une distinction entre les petits délits pour lesquels les mineurs peuvent être jugés assez rapidement -et on ne les revoit pas par la suite- et, paradoxalement, les situations particulièrement lourdes qui exigent un travail important et pour lesquelles le jugement ne doit pas être trop rapide. Je ne dis pas qu’il faille attendre deux ans, mais prononcer un jugement entre six mois et un an permet de voir l’évolution du jeune. Vous nous avez dit que les jeunes n’ont pas du tout la même conception du temps que nous ; de même, je vous dis que la situation d’un jeune peut avoir évolué un an plus tard, à condition toutefois qu’un travail éducatif ait été mis en place après la rencontre avec le juge et la mise en examen. Distinguons cette situation de celle où le délinquant qui a commis un délit ne voit personne pendant un an, ce qui est inadmissible.

Mme Nicole Borvo - Si je vous comprends bien, le délai ne doit pas être compris comme une absence totale d’intervention, mais comme le laps de temps pendant lequel la mesure éducative permettra au mineur d’accepter une sanction ultérieure.

M. Thierry Baranger - Il faut qu’il prenne conscience de son acte !

Mme Nicole Borvo -Il faut qu’il en prenne conscience et qu’il adhère à la réparation ou à des mesures coercitives.

Vous nous avez dit tout à l’heure quelque chose de très intéressant : le judiciaire ne devrait plus avoir à traiter un certain nombre de faits. On constate, en effet, que l’école se défausse souvent sur la justice. Localement, des commissions appropriées ne pourraient-elles pas favoriser la rencontre de différents secteurs ? Nous avons auditionné des représentants des associations familiales. Ne pensez-vous pas que des familles, même si ce ne sont pas les familles concernées, pourraient être associées à cette instance qui n’existe malheureusement pas pour l’instant ? Devons-nous favoriser la participation de groupes de parents ?

M. Thierry Baranger - Tout à fait !

Ainsi, en Seine-Saint-Denis, un service éducatif mène une expérience avec les familles de trois ou quatre jeunes qui connaissent des difficultés sensiblement proches. L’idée est de mettre en place des réunions de groupes de parents pour que le travail éducatif se déroule dans un contexte collectif. Cette initiative est tout à fait positive.

M. le président - Nous vous remercions, Monsieur Baranger.


Source : Sénat français