Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, Président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous allons maintenant entendre le colonel Petit, chef du bureau de police administrative-circulation routière à la sous-direction de l’emploi de la gendarmerie, et le commandant Gamet, conseiller technique.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Vous avez la parole, mon colonel.

M. Christian Petit - Le bureau que j’ai l’honneur de diriger comporte une cellule « prévention, partenariat et politique de la ville », qui travaille sur tous les problèmes liés à la prévention, en particulier celle de la délinquance juvénile.

Je vais tenter de présenter brièvement le dispositif préventif que la gendarmerie a mis en oeuvre pour faire face aux difficultés qu’elle peut rencontrer en raison de l’émergence de la délinquance juvénile. Je tiens à rappeler que la raison d’être de la gendarmerie, qui est une force à vocation essentiellement répressive, n’est pas de faire de la prévention. Toutefois, nous avons développé cet axe, aussi bien au sein de l’institution que dans le cadre de différentes politiques locales de sécurité.

En ce qui concerne tout d’abord le dispositif mis en place au sein de l’institution, la gendarmerie est une force de proximité dont l’action est fondée sur deux grands principes : un maillage territorial, puisqu’elle dispose de 3.551 brigades territoriales, la règle étant qu’il en existe une par canton, et la polyvalence des personnels. Le gendarme est en effet un généraliste de la sécurité, qui accomplit des missions de police judiciaire, de surveillance générale, de recherche de renseignements, de protection de l’environnement, de préservation de la tranquillité publique, de contacts avec les élus, etc. Du fait de la nature de ses tâches, il est proche de la population, en particulier des jeunes, et cette proximité tend à se renforcer depuis une dizaine d’années.

Cependant, le gendarme qui, dans le cadre de la surveillance quotidienne qu’il assure, entretient ces relations, est confronté depuis quelques années à différentes difficultés qu’il ne connaissait pas auparavant.

En effet, comme l’a indiqué tout à l’heure le colonel Métais, la gendarmerie se trouve de plus en plus souvent en butte, dans sa zone de compétence, qui est plutôt à dominante rurale bien que la situation évolue rapidement, à des problèmes d’insécurité de type urbain qui n’ont longtemps concerné que les villes et leur périphérie. De surcroît, elle affronte une délinquance de plus en plus juvénile et de plus en plus mobile. Les délinquants se déplacent entre villes, banlieues et campagnes, ainsi que de leur lieu de résidence habituelle aux zones touristiques, en bord de mer ou à la montagne. Cela aussi soulève des difficultés qui étaient inconnues voilà quelques années.

Devant cette situation, la gendarmerie a estimé nécessaire de mettre en place, à partir du début des années quatre-vingt-dix, un certain nombre de structures de prévention. Cette politique a débouché sur la création des brigades de prévention de la délinquance juvénile, les BPDJ, à vocation exclusivement préventive.

Nous nous appuyons sur des dispositifs-relais dont vous avez sans doute déjà entendu parler. On trouve ainsi les formateurs-relais anti-drogue -leur installation remonte à 1990, ils sont au nombre d’environ 500 dans la gendarmerie et ont touché en 2001, au travers des conférences qu’ils ont données, 570.000 personnes, dont 350.000 jeunes d’âge scolaire- et les formateurs environnement et écologie, qui s’efforcent, par le biais de conférences, de sensibiliser le public au respect de l’environnement et de le responsabiliser en cette matière.

A côté de ces formateurs, qui portent la bonne parole aussi bien à leurs collègues qu’à la population, il existe des relais à différents échelons : les « correspondants gendarmerie-Education nationale » dans les brigades, les « correspondants jeunes » dans les arrondissements et les « référents jeunes » dans les groupements de gendarmerie. L’action de tous ces personnels vise à nouer des relations avec les différents partenaires en matière de sécurité et de traitement de la délinquance des jeunes et à mettre en place des tableaux de bord qui permettent de suivre l’évolution des phénomènes de délinquance.

Dans un autre ordre d’idées, des « référents sport » ont été installés très récemment, à la suite du développement des violences dans le sport. Ils sont répartis dans vingt-six départements considérés comme « sensibles » à cet égard. Les officiers qui assument cette fonction, laquelle s’ajoute à d’autres, constituent l’interface entre les élus et les associations sportives, d’une part, et la gendarmerie, d’autre part.

Un troisième dispositif se compose des brigades de prévention de la délinquance juvénile, qui ont été mises en place à partir de septembre 1997. Elles sont créées dans les départements les plus sensibles, et l’on en compte actuellement quarante. Leur vocation est de travailler dans les zones péri-urbaines difficiles, ce qui n’exclut bien sûr pas qu’elles puissent accomplir des missions en zone rurale. Il s’agit de petites unités, constituées de six personnels dont une femme, qui reçoivent une formation spéciale au centre de Fontainebleau et s’efforcent de retisser le lien social entre les forces de l’ordre et les jeunes des banlieues. Elles ont une mission essentielle de prévention, mais jouent aussi un rôle en matière de renseignement et de détection de signaux d’alerte. Leurs membres participent également, au titre de conseillers techniques, aux auditions de mineurs victimes, qui doivent maintenant être filmées. Enfin, ces unités s’impliquent dans tous les dispositifs de prévention existants, notamment les opérations « ville, vie, vacances », auxquelles la gendarmerie prend une part non négligeable.

On peut se demander si ces dispositifs de prévention sont réellement efficaces. Je suis incapable de vous répondre sur ce point, parce que, par définition, la prévention donne des résultats difficiles à évaluer. Nous pouvons annoncer que nous touchons un nombre « x » de personnes par le biais de nos conférences, mais il est particulièrement délicat d’affirmer que là où existent des brigades de prévention, la délinquance recule. Je ne m’engagerai donc pas dans cette voie. Nous pouvons seulement indiquer que l’activité des BPDJ varie selonl’implication des commandants de groupement et que, globalement, leur action est ressentie de façon très positive par l’ensemble de nos partenaires, qu’il s’agisse de l’Education nationale, des magistrats du parquet ou des tribunaux pour enfants.

Outre le dispositif institutionnel, la gendarmerie s’est impliquée encore davantage depuis quelques années dans un cadre contractuel. Comme je l’ai déjà relevé, une petite cellule, qui compte deux officiers et un sous-officier, s’occupe de ce domaine au sein de la direction générale de la gendarmerie nationale, notamment en participant aux travaux de la cellule interministérielle d’animation et de suivi des contrats locaux de sécurité, les CLS. La gendarmerie est partie intégrante de ce dispositif ; elle a signé 213 des quelques 600 CLS, soit 37 % d’entre eux. Presque tous les CLS comportent maintenant un volet relatif à la prévention de la délinquance juvénile.

Les axes de travail concernent le traitement en temps réel des infractions -mais c’est plus particulièrement le rôle de la police judiciaire-, le renforcement de la coordination entre les différents partenaires, qu’il s’agisse de l’Etat, des associations ou de la population, la mise en place d’actions de responsabilisation des parents -des problèmes se posent sur ce plan, puisque l’on crée maintenant des écoles de parents-, le développement des opérations « ville, vie, vacances », qui consistent non pas, à nos yeux, à occuper les jeunes pendant les vacances, mais à leur inculquer un certain nombre de règles en matière de respect et de comportement.

A cet égard, je voudrais évoquer un souvenir personnel. J’ai eu la chance de commander le groupement de gendarmerie du Bas-Rhin, département très sensible. Nous avions monté une opération « ville, vie, vacances », et mes personnels avaient été stupéfaits de voir des jeunes en danger qu’ils avaient emmenés au restaurant manger avec leurs doigts. Il s’agissait de jeunes en apparence normaux, mais il était nécessaire de leur apprendre à se servir de couverts et à ne pas manger n’importe comment, en éructant ou en bavant. Cette expérience remonte à trois ans seulement. Elle montre que, dans notre pays, on rencontre des personnes qui n’ont pas reçu l’éducation la plus élémentaire.

Quoi qu’il en soit, nous avons essayé de dresser le bilan, à notre sens très mitigé, de la mise en oeuvre des CLS, bien que le dispositif ait été instauré récemment.

Les CLS permettent aux différents acteurs de mieux se connaître et de définir une approche plus ciblée de la délinquance et des zones de délinquance. A partir du moment où il existe une « locomotive », on constate un véritable engagement des divers partenaires. Ce chef de file peut être le directeur départemental de la sécurité publique, le magistrat, le commandant du groupement de gendarmerie, le représentant du préfet, etc. Quand un tel chef de file apparaît, le dispositif fonctionne bien, mais l’application de celui-ci ne doit pas trop se prolonger dans le temps, car il est conçu pour régler un problème ponctuel ; ensuite, on passe à autre chose.

En revanche, on observe un certain nombre de carences, la principale tenant à un évident phénomène d’empilement des dispositifs, avec les CLS, les conseils communaux de prévention de la délinquance, les plans départementaux de sécurité, les plans locaux de sécurité, etc. Cela nuit à la fois à la lisibilité et à l’efficacité.

Nous sommes également engagés dans d’autres dispositifs. Je citerai simplement le protocole « gendarmerie et sécurité de l’école », qui n’est pas encore signé et qui vise à la mise en place de correspondants spéciaux dans les départements les plus exposés aux risques, qui sont généralement aussi les plus touchés par la délinquance. Nous participons également à l’action du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté, ainsi qu’à la mise en oeuvre des contrats éducatifs locaux.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Vous intervenez dans un domaine où les acteurs sont multiples. Est-ce pour vous un frein, et quels sont, parmi ces partenaires, les plus réticents à coopérer ? Par ailleurs, vous avez mis l’accent sur l’intérêt de disposer d’une « locomotive ». N’est-il pas nécessaire qu’un « fil rouge » guide l’action ?

M. Christian Petit - En ce qui concerne nos partenaires, il est certain que, jusqu’à une époque assez récente, nous avons rencontré des difficultés avec l’Education nationale. Ce n’est un secret pour personne. En effet, pour diverses raisons, les enseignants ne souhaitaient pas voir des uniformes dans l’enceinte des établissements scolaires, qu’il s’agisse de gendarmes ou de policiers. Fort heureusement, la situation a changé. Nous sommes maintenant accueillis, même s’il existe encore de fortes réticences. Ainsi, dans le Bas-Rhin, nous avions organisé une série de conférences au sein des écoles et certains chefs d’établissement m’avaient opposé une fin de non-recevoir catégorique. C’est un peu dommage ; ce n’est pas la règle, mais cela arrive.

Je ne pense pas qu’il existe d’autre frein ; en revanche certains partenaires pourraient peut-être s’impliquer davantage. Les conseils généraux, en particulier, pourraient, à mon avis, s’engager un peu plus, notamment sur le plan financier. J’ai ainsi été amené, l’année dernière, à procéder à l’audit d’un CLS à Nancy, et une carence avait été constatée à cet égard.

Cela étant, je crois que, d’une manière globale, les différents partenaires sont assez satisfaits du fonctionnement des dispositifs, même si, en ce qui concerne les CLS, certains d’entre eux regrettent l’absence de moyens affectés. Il s’agit d’une demande récurrente émanant de nombreux élus qui pensaient que les CLS seraient dotés de crédits, voire de moyens humains. C’était d’ailleurs l’objectif visé, mais dans une optique un peu particulière puisqu’il s’agissait de recruter les fameux ALMS, les agents locaux de médiation sociale. Ces derniers ont été embauchés en nombre beaucoup moins important qu’il eût été nécessaire, et beaucoup d’élus espéraient que, en revanche, les effectifs de la police ou de la gendarmerie seraient renforcés dans les zones concernées par les CLS. Tel n’a pas été le cas ; j’ai entendu tout à l’heure le colonel Métais parler de « trous à l’emploi », et le problème est donc connu : les gendarmes adjoints n’ont pas remplacé, en nombre et en qualité, les gendarmes auxiliaires. Dès lors que l’on fait appel au volontariat, c’est inévitable.

En ce qui concerne maintenant le « pilote dans l’avion », c’est en théorie l’autorité administrative qui remplit ce rôle. Le préfet n’ayant bien sûr généralement pas le temps d’assurer personnellement le suivi du dispositif, il délègue son directeur de cabinet ou un fonctionnaire de la préfecture. Cependant, cela n’est pas satisfaisant, parce que, en raison de la multiplicité des intervenants, il est difficile de donner une ligne directrice à l’action. On voit de plus en plus souvent apparaître des coordonnateurs chargés précisément de fédérer les énergies et de rassembler les moyens. C’est sans doute une piste à explorer plus avant, mais, là encore, soit l’autorité administrative, un élu ou un magistrat désigne ce coordonnateur, soit l’on engage un contractuel qu’il faudra bien payer. On en revient donc au problème des moyens.

M. le rapporteur - Vous participez à la formation des formateurs-relais anti-drogue. Quel bilan tirez-vous de cette action de formation et quelles sont les difficultés les plus importantes que rencontrent ces formateurs ?

M. Christian Petit - Leur formation est assurée par le centre national de Fontainebleau. Cela ne présente pas de difficulté majeure ; les connaissances sont régulièrement remises à jour et ces personnels disposent de mallettes spéciales contenant tous les produits stupéfiants couramment utilisés. Leur rôle est double : il est à la fois de former d’autres militaires de la gendarmerie et, de plus en plus, de donner des conférences dans les groupements. C’est la raison pour laquelle on tend maintenant à affecter ces personnels dans les brigades de prévention de la délinquance juvénile. Chacune d’entre elles en compte un dans son effectif.

En principe, ces formateurs ne rencontrent pas de difficultés particulières lorsqu’ils prononcent leurs conférences. Les jeunes sont en général attentifs, posent des questions. L’adjudant qui commandait la BPDJ à Strasbourg me disait que certains d’entre eux étaient très étonnés d’apprendre que le shit, c’était, en quelque sorte, passez-moi l’expression, de la « merde de chameau ». Cette découverte les écoeurait et cela suffisait parfois à enrayer leurs velléités. Le besoin d’information de notre jeunesse est donc manifestement très important, et ce dès le très jeune âge. Ainsi, nous organisons des conférences sur le racket ou l’incivilité dans des classes de cours moyen, c’est-à-dire pour des enfants de huit à dix ans. Pour informer les jeunes et les dissuader de s’engager dans la délinquance, il faut s’y prendre assez tôt.

M. Jacques Mahéas - Je voudrais poser une question sur l’insécurité et la délinquance routière.

Un permis pour les mobylettes a été mis en place, et j’ai eu l’occasion d’en remettre un certain nombre. Souvent, lorsque je disais à ces jeunes :« Maintenant, vous allez pouvoir conduire une mobylette », j’observais quelques sourires.

J’aimerais savoir si la gendarmerie et la police opèrent des contrôles dans ce domaine. Menez-vous une action spécifique, en sanctionnant les jeunes qui ne sont pas en possession de ce permis spécial ? Je rappelle qu’en mobylette et en moto on a onze fois plus de risques de se tuer qu’en voiture.

M. Christian Petit - Tout d’abord, ce permis est extrêmement récent. Il se situe dans un dispositif d’ensemble qui vise à faire acquérir aux jeunes un certain nombre de brevets ou de diplômes à travers plusieurs étapes qui mènent au permis de conduire, ces étapes étant obligatoires. Honnêtement, nous ne menons pas d’actions particulières dans ce domaine. Mais, face aux excès, nous menons des opérations ciblées essentiellement sur le bruit. En effet, les citoyens se plaignent beaucoup du bruit de certaines mobylettes sur lesquelles sont installés des dispositifs normalement destinés aux mobylettes de compétition. Il y a donc, à cet égard, une certaine hypocrisie.

Permettez-moi de vous donner un exemple personnel. Il y a quelques années, j’ai acheté un scooter à mon fils. La première chose que m’a demandée le détaillant était : « Est-ce que je vous débride le moteur ? » Il ne savait pas que j’étais gendarme. Je lui ai dit ma façon de penser. L’hypocrisie tient à ces fameux kits qui font du bruit. Nous pourrions certainement agir dans ce domaine. La vente libre de ces appareils ne devrait pas être autorisée sous prétexte qu’ils sont réservés aux mobylettes de compétition. On sait parfaitement que n’importe qui peut les acheter et les installer. Un certain nombre d’évolutions réglementaires sont en cours et concernent notamment l’immatriculation des deux-roues. Cette mesure simplifiera certainement notre travail.

Dans la pratique, quelle est la situation ? Imaginez deux gendarmes en voiture, dans leur 4L, leur Clio ou leur 206. Ils voient un jeune qui slalome entre les voitures avec sa mobylette. Même s’ils ont la volonté de verbaliser, que peuvent-ils faire ? A la limite, s’ils sont très sportifs et s’ils courent très vite, ils peuvent se lancer à la poursuite du jeune. Sinon, malheureusement, ils ne peuvent que déplorer une telle attitude. La problématique de l’adéquation des moyens de la gendarmerie à ses charges se trouve posée, comme celle de l’adaptabilité des personnes à la loi, ou l’inverse. En effet, il n’est pas toujours très simple d’appliquer les lois qui sont votées. C’est même parfois très difficile. Il faut systématiquement se poser la question :« Les gens qui vont être chargés d’appliquer cette loi, vont-ils pouvoir l’appliquer correctement ? » S’il y a un doute, il faut songer à simplifier les procédures. A nos yeux, beaucoup de procédures, qu’il s’agisse des procédures judiciaires ou administratives sont extrêmement complexes. Le temps passé à vérifier que nous avons bien respecté tel ou tel article de loi, nous ne le passons pas sur le terrain à contrôler les permis pour mobylette, les assurances et les comportements des conducteurs.

M. le président - Je vous remercie, messieurs.


Source : Sénat français