Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, Président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous allons entendre M. Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Vous avez la parole, Monsieur Rosenczveig.

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Je ne sais pas si je vais dire la vérité, mais je vais dire ma vérité.

Je vous remercie de procéder à mon audition. Vous avez entendu M. Baranger tout à l’heure, qui est premier juge des enfants à Bobigny et, surtout, président de l’association des magistrats de la jeunesse. Nous avons pu recevoir certains d’entre vous au tribunal pour essayer de leur montrer in vivo ce qui se passait et comment nous réagissions.

J’ai apporté un support diaporama que je vais essayer de suivre. C’est une première pour moi.

Pour reprendre ce qui a été dit tout à l’heure par les officiers de gendarmerie que j’ai pu entendre, il y a une réalité de la délinquance, de l’insécurité, mais aussi un sentiment d’insécurité dans certains endroits où il n’y pas de problèmes. On dit un peu trop rapidement que les jeunes, les mineurs notamment, sont responsables de tout ce qui se passe à l’heure actuelle, de tous les maux de la société. Cela ne me surprend pas dans un pays que je trouve vieillissant. La fracture sociale est béante et nous sommes loin d’en avoir payé tous les « impacts ». Les limites de la politique d’intégration sont évidentes, j’aurai l’occasion d’y revenir.

S’il est vrai que l’on « charge la barque » des jeunes délinquants de ce pays, il n’empêche qu’il existe quelqueséléments sur lesquels nous pouvons nous entendre, en apportant certaines nuances à nos propos. C’est d’ailleurs toute la difficulté de l’exercice. Il est vrai qu’on observe une augmentation des faits. Pour autant, l’ensemble de la délinquance, y compris de rue, ne peut pas être mise sur le compte des jeunes. On sait bien qu’il y a aussi un effet de mode. Je prends un exemple : j’étais de permanence la semaine dernière. Dans le même après-midi, on m’a présenté comme jeunes délinquants deux jeunes qui avaient frappé leur mère. Les deux affaires étaient distinctes. Bien entendu, je ne justifie en aucune manière ces bagarres intrafamiliales, mais, il y a cinq ou dix ans, ces affaires n’auraient jamais été considérées comme relevant de la délinquance. C’est tellement vrai que je me suis refusé à mettre ces jeunes en examen, car j’ai bien vu les problèmes familiaux qui existaient. Mères de famille et enfants sont partis du tribunal bras dessus bras dessous, apaisés. Ce n’est sûrement pas en qualifiant de délinquant le jeune qu’on avait réglé un quelconque problème.

En d’autres termes, à l’heure actuelle, on qualifie souvent de délictueux des faits qui n’auraient pas été jugés tels auparavant.

Cependant, personne ne peut nier qu’il n’y ait une augmentation du nombre des faits qu’on peut mettre à la charge des mineurs, qui sont plus violents. C’est même la caractéristique fondamentale de la situation. Dans la délinquance juvénile moderne, il s’agit moins d’une délinquance transitionnelle où l’on passe de l’adolescence au monde adulte en affirmant sa personnalité -cela existe encore, cela existera toujours- que d’une délinquance liée à une période d’asocialisation, voire de rupture avec la société, bien que cette rupture soit partielle. M. Chevènement parlait de « sauvageons ». Ces jeunes, cependant, ont un pied à la maison. Le problème, c’est qu’ils ont aussi deux pieds dans la rue. Ils sont donc dans la loi de la maison et les parents nous disent qu’ils n’y posent aucun problème. Mais leurs deux autres pieds dans la rue les rendent dangereux. Ils appartiennent à un dispositif mafieux, comme le disait le lieutenant de gendarmerie qui était là il y a quelques instants. Ils sont plus ou moins utilisés, mais ils y trouvent aussi leur compte. La surreprésentation des jeunes issus de l’immigration est incontestable. Je pense qu’il faut reprendre l’analyse de Christian Delorme dans Le Monde il y a un mois. Il faut oser dire qu’une partie des jeunes issus de l’immigration rencontre de sérieuses difficultés à intégrer la société française.

Je rejoins les propos liminaires de l’officier de gendarmerie qui s’exprimait il y a quelques instants. Il convient de dépasser le niveau polémique, qui se manifeste particulièrement en période électorale. Les politiques, les professionnels et la population doivent disposer d’instruments de mesure fiables et appropriés, semblables à ceux que nous possédons dans d’autres domaines, en matière de toxicomanie, notamment. Depuis que nous avons ces instruments d’observation, il y a moins de débats sur « l’écume de la mer », c’est-à-dire les données subjectives, mais il y a un débat sur le fond.

Au coeur de la campagne électorale actuelle, je vais essayer d’apporter quelques éléments. Vos questions permettront ensuite, éventuellement, d’approfondir tel ou tel point.

Nous nous sommes engagés, les uns les autres, au cours du débat qui dure depuis maintenant six mois, dans de fausses réponses. Comme professionnels et citoyens, nous devons sortir de tout cela. Connaître les vraies réponses suppose d’identifier les vrais problèmes. Le discours politique, tous bords confondus, à quelques exceptions près, s’attache à prévenir la récidive de la délinquance. C’est une préoccupation en soi. Qui va contester une telle nécessité ? Mais on en est souvent resté là : on ne parle pas de la prévention des passages à l’acte. Or c’est là, à mon avis, que se situe l’enjeu politique d’une commission comme la vôtre. Il ne s’agit pas uniquement de constater dans quelles conditions l’instrument technique -policier, judiciaire et éducatif- arrive à juguler la délinquance ou le passage à l’acte de jeunes en difficulté. La question est de savoir comment on peut éviter que de nouvelles vagues encore plus violentes que les précédentes -c’est le pronostic de certains- ne déferlent sur notre société.

Je suis profondément convaincu qu’on est loin d’avoir épuisé les effets ou les conséquences négatives de la fracture sociale. A gauche comme à droite, les élus, qui représentent la société, ont cru que deux ou trois points de développement économique, la richesse irradiant le monde et la société française, suffiraient à tout régler. Ce n’est pas vrai. Quand des familles ont vécu pendant quinze ou vingt ans, sur deux ou trois générations, d’une manière déstructurée, on ne peut pas s’attendre à ce que, par miracle, par l’opération du Saint-Esprit, la reprise -qui n’est d’ailleurs pas là, mais peu importe- les sauve. Comment peut-on gérer l’ordre public à court terme, aujourd’hui, ce soir ? Comment faire en sorte qu’un jeune qui a commis un délit et qui ne peut pas rentrer chez lui soit incarcéré s’il faut l’incarcérer ou se voie offrir une alternative au retour à la maison s’il ne doit pas rentrer à la maison ? Comment ne pas se « prendre les pieds dans le tapis » lorsqu’il sortira de cette structure six mois plus tard ? Comment allons-nous gérer la situation à long terme pour éviter que de nouveaux jeunes ne tombent dans la délinquance ?

Je vais essayer de faire le procès des faux débats. Vous disiez, Monsieur le président, que ces auditions étaient diffusées. Nous sommes là pour nourrir le débat public et apporter du matériau à la réflexion. Alors soyons pédagogues autant que faire se peut !

Je prétends que l’ordonnance de 1945 n’est pas un texte obsolète. Notre code pénal a duré deux siècles et nous avons fait avec. Bien sûr, il fallait le rénover ! Mais vous savez comme moi que ce texte a été rénové une vingtaine de fois. Nous vous disons, en tant que professionnels, que l’ordonnance de 1945 est opérationnelle. Tous les jours, elle nous permet d’agir. Mon raisonnement est très simple. Tout le monde s’appuie sur ce que nous avons fait en Seine-Saint-Denis en 1992. Or nous l’avons fait sur la base de l’ordonnance de 1945. Si ce texte n’était pas bon, nous n’aurions jamais pu le faire. En effet, en tant que magistrats du parquet et du siège,nous n’aurions pas pu violer la loi. Ce texte, depuis, a été modifié par la loi Toubon et par la loi Guigou. Le débat sur l’ordonnance de 1945 est un faux débat. Ce texte défend certaines valeurs. Il affirme que dans toute éducation il y a de la contrainte et que dans toute contrainte il y a de l’éducation. Qui va prétendre que ce qu’a signé le général de Gaulle en 1945 n’est plus valable aujourd’hui ? Il s’agit de valeurs universelles, indépendamment du général de Gaulle. Le problème n’est pas celui de la loi en général. Le texte de 1945 est perfectible à la marge. J’essaierai tout à l’heure d’avancer quelques propositions.

Peu de gens vous l’auront sans doute dit, mais, à un détail près, nous sommes plutôt en cohérence avec l’ordre international, que nous avons ratifié, que vous avez ratifié, en tant que sénateurs. On ne peut pas dire blanc un jour et noir le lendemain. Vous êtes donc en conformité avec la convention internationale sur le droit de l’enfant. A un détail près, tout de même : le législateur devrait établir dans la loi un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés incapables. Actuellement, il existe une présomption d’incapacité avant sept ou huit ans, mais rien n’est précisé dans les textes. Pour l’essentiel, la convention internationale préconise une certaine déjudiciarisation. En d’autres termes, nous commençons à prendre une orientation contraire à la convention : nous multiplions les interventions du judiciaire, alors que nous devrions trouver des mécanismes de régulation civile des problèmes. Régulation civile signifie régulation familiale, scolaire, de quartier, plutôt que régulation policière et judiciaire. Les incidents qui ont lieu dans un hall d’immeuble nécessitent-ils obligatoirement une intervention policière et judiciaire qui laissera des séquelles ? N’est-ce pas un problème d’habitants, de bailleurs, de municipalité ?

Nous devons donc nous demander quels types de contentieux sociaux doivent relever d’une convention policière et judiciaire en sachant -et c’est le problème- que, à trop vouloir faire intervenir la justice, elle n’intervient plus.

Dans un contexte où la violence est plus présente que par le passé -on ne peut plus attendre que jeunesse se passe comme auparavant- le problème qui nous est posé est celui de l’attente d’une réponse immédiate qui soit relativement ferme. Je vous ai rappelé tout à l’heure à cet égard les propositions qui ont été avancées : la comparution immédiate pour jugement, l’abaissement de la majorité pénale à quatorze ans, la responsabilité pénale des enfants à dix ans, les centres de sécurité pour mineurs, les couvre-feux, ou encore la mise sous tutelle des allocations familiales.

A mes yeux, cette révolution ne s’impose pas même si l’on a pu critiquer certains principes qui guident notre fonctionnement. Je pense par exemple à la loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes qui a été adoptée en 2000 et qui ne tient plus compte de la spécificité de la justice des mineurs. Contrairement au texte qui avait été adopté en 1993, la filière spécifique pour l’incarcération des mineurs n’est plus aujourd’hui garantie. Au mois de décembre, le Parlement a d’ailleurs été obligé d’adopter en catastrophe un texte visant à donner au juge délégué la possibilité de prendre des mesures éducatives si le mineur n’était pas incarcéré. On a ainsi créé -je le souligne au passage- un nouvel échelon judiciaire. Cela dit, les grandes lignes du droit pénal relatif aux mineurs restent aujourd’hui valables et opérationnelles.

Le lieutenant-colonel de gendarmerie nous a parlé tout à l’heure des jeunes étrangers qui étaient manipulés. Je ne sais pas s’il pensait aux jeunes d’origine roumaine, mais on peut le supposer.

Comme nous l’avons expliqué à ceux d’entre vous qui sont venus au tribunal de Bobigny, à Bobigny comme à Paris, nous avons notre lot de jeunes de ce genre. Contrairement à ce que certains affirment, face à ces jeunes, nous ne sommes pas dans l’impossibilité de réagir. Certes, ils ne sont pas placés dans des foyers parce que, d’une part, ils ne le demandent pas et, d’autre part, comme ces foyers sont des structures ouvertes, nous n’allons pas les fermer pour eux. Cependant, nous pouvons recourir aux procédures répressives classiques, et notamment à l’ordonnance de 1945, en les condamnant rapidement à une peine de prison ferme avec exécution immédiate. Certes, le jugement sera prononcé par défaut, mais la diffusion de la sanction sera nationale. Si ces jeunes restent sur le territoire français et commettent à nouveau un délit -on le voit régulièrement- ils iront immédiatement en prison. En d’autres termes, même si nos moyens sont limités, nous avons la possibilité de lutter contre ce type de délinquance où des jeunes sont utilisés.

Je vous ai rappelé les principes de responsabilité des mineurs parce que ce point me semble important pour vous. Il faut décoller le nez de la vitre et voir les choses d’un peu plus loin.

Certes, on peut changer les frontières -cela relève du législateur-, et, en tant que praticien, je ne peux rien dire à ce sujet. Si vous voulez les changer, vous le ferez. Quoi qu’il en soit nous avons un dispositif qui prévoit une gradation de la responsabilité du jeune en fonction de son âge. Sa responsabilité est plus ou moins grande selon qu’il est âgé de moins de sept ans, qu’il se situe dans la tranche d’âge des treize-seize ans, des seize-dix-huit ans, ou après sa majorité.

Avant sept ans ou huit ans, un enfant est plutôt un « bébé », tourné sur lui-même. Entre l’âge de treize ans et de seize ans, il se tourne sur l’extérieur, et nous pouvons le rendre responsable de ses actes, mais notre action devra s’inscrire dans une démarche d’ordre éducatif. On ne peut pas le punir. Avant les lois Chalandon de 1987-1989, on pouvait le mettre en détention provisoire, mais on ne pouvait pas le punir, ce qui était incohérent. Certes, on peut retenir l’âge de douze ans, mais c’est le législateur qui le dira. Les sociologues, les médecins, les pédiatres ou d’autres encore vous convaincront-ils que l’enfance moderne n’est plus l’enfance d’il y a cent ans ? Ce débat m’échappe totalement. Quoi qu’il en soit, je le répète, la législation en vigueur nous offre une gradation des situations, y compris après la majorité, puisque, sur la base de l’ordonnance de 1945, dans un certain nombre de cas, différentes mesures peuvent être prises.

Par ailleurs, comme nous vous l’avons expliqué à Bobigny, non seulement les réponses peuvent être graduées par rapport aux individus, mais elles peuvent être diverses en fonction des situations que nous avons à traiter.

Le parquet dispose désormais de six ou de sept modalités d’intervention alors que, voilà quelques années encore, il n’avait pour seul choix que de classer ou de poursuivre : 60 % des affaires classées pouvaient viser les biens et 40 % les infractions contre les personnes. Aujourd’hui, il peut certes classer le dossier lorsqu’il estime qu’il n’est pas assez solide -cela représente entre 6 % et 8 % des affaires traitées par le tribunal de Bobigny- soit pour des raisons d’opportunité pure, soit pour des raisons juridiques ou judiciaires, mais s’offrent à lui plusieurs autres possibilités. Le procureur peut fixer un rendez-vous au délinquant dans un délai de cinq à six jours -les parents et la victime peuvent y assister- pour lui « remonter les bretelles » et évaluer la situation. Le premier substitut chargé des mineurs, M. Kross, et moi-même, nous vous avons dit à Bobigny que, dans neuf cas sur dix, on ne revoyait pas le jeune, la peur du gendarme ayant été efficace. Cette mesure a, de plus, un coût quasiment nul.

Si le procureur estime que cela ne suffit pas parce qu’il est confronté à un multirécidiviste, il peut le poursuivre selon une procédure classique devant le tribunal. Une convocation par officier de police judiciaire peut être adressée au délinquant pour qu’il soit mis en examen, mais il peut aussi être jugé en cabinet. Nous avons également à notre disposition la procédure issue de la loi Toubon, qui permet de déférer un récidiviste non plus devant le bureau du juge des enfants, mais devant le tribunal pour enfants, dans un délai de deux mois. Je parle là uniquement en termes de jugement. Nous avons, enfin, la possibilité de déférer le délinquant. Ainsi, à Bobigny, tous les jours, quatre à cinq personnes sont déférées. La semaine dernière, au cours de ma permanence, seize l’ont été. Si les circonstances l’exigent, on peut aussi prononcer à leur encontre des mandats de dépôt.

En d’autres termes, nous disposons d’une large gamme de réponses judiciaires, et donc de réponses juridiques, puisque ces réponses judiciaires sont fondées sur la législation, qui prouvent que l’ordonnance de 1945, l’instrument de travail dont vous nous avez doté, est opérationnel.

On peut à la fois faire respecter l’ordre public, en incarcérant, si nécessaire, et prendre en compte la personne. Le fait de recevoir individuellement chaque enfant primo-délinquant au tribunal, ce qui ne se faisait pas avant 1992, est une « sacrée » application de l’ordonnance de 1945. Il y a, en effet, une grande différence entre un dossier et un enfant qui est en face de vous. Lorsque, de surcroît, l’on rencontre ses parents, on peut savoir s’ils sont vraiment capables ou non de le prendre en charge. La défense de l’enfant est presque réelle, ce n’est pas la peine de se payer de mots ! Certes, on ne peut pas encore garantir qu’un avocat -c’est le problème du revenu économique de l’avocat- suivra la situation du jeune délinquant, ce qui pourtant est important, et c’est un grand défaut de notre dispositif actuel. Je tenais à le souligner même si ce n’est pas le sujet dont nous traitons aujourd’hui.

Par ailleurs, contrairement au discours dominant que nous entendons, les parents sont présents dans 70 % des affaires environ. Ils sont certes parfois dépassés par les événements, mais affirmer que les parents sont démissionnaires relève d’une erreur d’analyse. Cela ne correspond pas à la réalité.

Même s’il reste encore beaucoup à faire, la victime est mieux prise en compte qu’auparavant. Bien entendu, nous avons encore beaucoup de pain sur la planche.

Sur le papier, les réponses éducatives existent. Tout le problème est de les mettre en oeuvre. Où le bât blesse-t-il alors ?

L’opinion attend une réponse ferme, rapide et qui soit portée à sa connaissance. La question qui nous est posée est très simple. Elle vise notamment la catégorie des jeunes âgés entre treize ans et seize ans. S’agissant des autres tranches d’âge -j’y reviendrai ultérieurement-, il n’y a pas de problème.

Je ne mets jamais les institutions en opposition, mais j’attire votre attention sur le fait que le problème qui nous est aujourd’hui posé est moins judiciaire que policier.

Des études récentes démontrent que le chiffre noir de la délinquance est de quatre cas sur cinq. Si l’on considère que la police règle aujourd’hui -elle était un peu plus efficace dans le passé- 15 % des affaires qui lui sont soumises, on voit bien que le problème se pose d’abord en termes d’efficacité policière plutôt qu’en termes d’efficacité judiciaire.

La justice a mis en place, par le biais du traitement en temps réel et des permanences, une intervention judiciaire prompte, dont Thierry Baranger vous a certainement dit -puisque c’est l’AFMJF qui a réalisé cette analyse- qu’elle confine dans certains cas à l’activisme judiciaire. On a, il est vrai, de temps en temps, l’impression que la machine tourne sur elle-même pour faire un effet d’affichage.

En effet, un certain nombre de décisions, on le sait, ne seront pas exécutées. Ainsi, le magistrat de permanence peut prononcer, le dimanche, une mesure de liberté surveillée qui ne sera pas exécutée avant plusieurs mois. Il se demandera alors pourquoi il a passé son week-end au tribunal. Toutefois, au risque d’être traité de liberticide, le tribunal pour enfants peut prononcer l’exécution provisoire -aux termes de l’article 22 de l’ordonnance-, ce qui n’est pas possible pour les majeurs, pour lesquels il faut attendre un an. Le problème, c’est donc l’exécution d’un certain nombre de décisions.

Trois réponses peuvent être apportées : l’introduction du flagrant délit, que l’on appelle la comparution immédiate pour les mineurs, la réintroduction de la détention provisoire ou les centres de sécurité pour mineurs, toutes ces solutions s’inscrivant dans le registre de l’élimination. Je conçois parfaitement que l’ordre public prenne en compte, à court terme, le souci de la population de voir disparaître de son champ de vue une partie de la population qui est dangereuse. Mais nous savons que cela ne peut être que provisoire. Il ne suffit pas d’éliminer, il faut traiter, et c’est la question à laquelle nous devons répondre.

On parle dans certains cas de multirécidivistes, mais c’est une tautologie. Jean Lecanuet disait que la peine de mort devait être uniquement envisagée pour les cas graves. On n’a jamais prévu la peine de mort pour un vol de vélo ! Or, tout le monde s’est rejoint sur le thème « la peine de mort pour les cas graves ». Parler d’un délinquant multirécidiviste, c’est une tautologie. J’ai volé lorsque j’étais jeune, comme 80 % d’entre vous d’ailleurs ! Je ne vous demande pas de vous confesser, il y a prescription de toute façon, mais les études du ministère de la justice montrent que nombre d’entre nous avons commis des actes de délinquance. Pour autant, nous n’étions pas des délinquants ! Nous étions formellement des délinquants, mais nous n’étions pas ces délinquants dont on parle aujourd’hui, c’est-à-dire des jeunes en situation d’asociabilité. On nous a fait comprendre à la maison, à l’école, qu’il fallait arrêter de plaisanter, et l’on est passé à autre chose. On a même pu par la suite devenir magistrat de la République !

Les jeunes dont nous parlons sont donc, par définition, des multirécidivistes. Réserver le flagrant délit aux multirécidivistes, c’est prendre le risque de réduire à néant l’ordonnance de 1945. Le problème est de savoir si l’on se donne le temps de mettre en oeuvre des mesures éducatives ou si, au contraire, on supprime cette possibilité. En réalité, il faut faire les deux. Il faut être ferme. Comme au sein de toute famille où il faut être ferme avec son fils et, dans le même temps, prévoir l’avenir. Il ne faut donc pas opposer l’un à l’autre. Si l’on met en place le flagrant délit ou la comparution immédiate, la démarche éducative n’est plus possible. Si l’on est dans le tout-éducatif et si l’on ne prévoit pas, à certains moments, une punition ferme, on se situe alors dans l’angélisme. Il faut trouver un équilibre entre les deux.

Juger sur le champ constitue, me semble-t-il, un danger majeur. De toute façon, l’ordonnance de 1945 le permet dans certains cas. La COPJ, la convocation du mineur par officier de police judiciaire, pour jugement lepermet et le jugement peut même être rendu dans un délai très bref.

En réalité, les questions qui nous sont maintenant posées, il faut oser le dire, ce sont celle de la détention provisoire et celle des centres de sécurité pour mineurs. Tels sont les points que vous devez trancher.

Selon moi, le problème est en fait circonscrit aux délinquants âgés de treize ans à seize ans. En matière criminelle, la détention provisoire est possible ; en matière contraventionnelle, elle ne l’est pas parce que ce serait périlleux. Pour toutes les autres catégories d’âge, un dispositif existe.

Je vous invite à revenir sur l’histoire.

Lorsque, en 1987, M. Chalandon a accepté les propositions qui ont été avancées par un certain nombre de magistrats, par Françoise Dolto ou d’autres encore, c’est parce qu’il s’est fondé sur l’argument selon lequel l’ordonnance de 1945 n’était pas appliquée. Toutes les études émanant du ministère de la justice démontraient à l’époque que, pour la moitié des enfants, le premier contact avec la justice se faisait à la prison. C’est pour cette raison qu’Albin Chalandon a accepté qu’une proposition de loi devienne projet de loi et qu’il a restreint le recours à l’incarcération pour les jeunes âgés entre treize et seize ans.

Certes, les choses ont changé. Mais, comment éviter de ne pas retomber dans l’erreur qui prévalait avant les lois Chalandon tout en tenant compte de la réalité d’aujourd’hui ? Tel est l’enjeu actuel.

Au risque de me faire critiquer par certains de mes collègues, je pense qu’il faut savoir faire des compromis dans la vie, des compromis qui peuvent être dangereux, parce que si l’on ne prévoit pas de verrou, la situation peut déraper.

Instinctivement, je suis convaincu que le juge des enfants a un rôle à jouer, mais c’est maintenant le juge délégué qui joue ce rôle, ce n’est plus le juge des enfants comme celui que j’ai été car il n’existe plus.

Au passage, permettez-moi de vous inciter à ne plus « taper » sur les juges des enfants. Entre le parquet qui intervient d’un côté et le juge délégué qui intervient de l’autre, le juge des enfants a les mains propres ! C’est unsaint ! Ne le rendez pas responsable de la situation actuelle ! Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, le temps où le juge des enfants pouvait dire au jeune : « je te mets la pression, si tu ne fais pas cela, je t’incarcère ». Pour ma part, je vous propose de revenir à ce dispositif en plaçant le délinquant sous contrôle judiciaire et en lui faisant comprendre que c’est un ordre du juge, un ordre de la République. C’est plus que l’ordre de son père, non seulement il doit respecter son père et sa mère bien sûr, mais il doit aussi respecter l’ordre du juge.

M. le président - C’est ce que j’avais proposé ! Ma proposition n’a pas été retenue par le Sénat !

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Vous avez dit tout à l’heure qu’il fallait être optimiste ! Vous nous avez dit que vous aviez prêché dans le passé...

M. le président - Notamment cela !

M. Jean-Pierre Rosenczveig - ... et que les esprits évoluaient !

En tant que professionnel, j’insiste sur ce point. Je suis convaincu qu’un certain nombre d’enfants vont bien entendu venir se brûler les ailes pour savoir à quoi s’en tenir, d’autant que les adultes qu’ils auront rencontrés auparavant n’auront pas agi en conformité avec leurs paroles. Mais je suis convaincu qu’il faut suivre cette stratégie.

Si vous restaurez la détention provisoire en matière délictuelle, vous embarquez en prison un grand nombre de jeunes. Certes, ce peut être la solution dans certains cas mais, en l’état actuel des choses, on sait bien que ce n’est pas la solution. Il faut prévoir un filtre, pas seulement en termes de liberté, mais un filtre qui permette d’avoir une démarche éducative. Il faut que le juge des enfants reste au coeur du dispositif, ou alors il faut le supprimer. Tel est l’enjeu.

Bien sûr, vous pouvez aussi revenir au dispositif d’avant 1912. Pourquoi pas ? En tant que parlementaire, vous pouvez tout faire. Si l’on veut une détention rapide, il faut non pas un jugement rapide, mais une détention provisoire. Il faut apporter des réponses fermes.

Au cours de mes recherches, un chiffre m’a frappé : en 2001, on a enregistré 7.400 condamnations à des peines de prison ferme pour 65.000 nouvelles procédures. On peut donc dire, alors que la justice est qualifiée de laxiste, que, dans plus de 15 % des cas, les peines de prison sont fermes ! Par ailleurs, 12 000 mesures de réparation ont été prononcées. Sont aussi mises en place des mesures de sursis simple et de sursis avec mise à l’épreuve, ainsi que des mesures d’éloignement, contrairement à ce que l’on croit. Le problème n’est pas de prononcer une mesure d’éloignement, c’est de trouver le lieu d’accueil.

Ne mélangeons pas tout. Lorsque l’on veut punir quelqu’un, lorsque l’on veut le mettre à l’écart pour des raisons de sécurité, pour protéger la société, il y a un endroit pour le faire, c’est la prison, même si je ne suis pas favorable à la prison en tant que telle. La prison n’est pas une fin en soi. Elle ne peut rien apprendre, c’est une punition et une mise à l’écart.

Me vient à l’esprit l’exemple d’un gamin qui avait tué son frère par accident. On lui a dit que la chose la plus grave qui pouvait être, c’était de tuer et, qui plus est, de tuer son frère. Or, il n’a jamais été puni. Si on l’avait mis, ne serait-ce qu’un jour en prison, il aurait le sentiment d’avoir payé sa dette. Quand je l’ai revu, il devenait fou à force de chercher la punition. Avant, on coupait la main gauche, puis la main droite, on mettait la fleur de lys, on plongeait le coupable dans la rivière. Aujourd’hui, c’est la prison. Il ne faut pas avoir honte de la prison. La prison française, il est vrai -le rapport de la précédente commission d’enquête du Sénat le souligne-, « ce n’est pas le pied ». Cela dit, il faut poursuivre le travail qui a été engagé sous les ministères Guigou et Lebranchu pour la justice des mineurs. Reprenez la proposition de maintenir le travail de rénovation des centres pour mineurs avec des moins de dix-huit ans. Il faut que la majorité pénitentiaire soit la même que la majorité pénale, dix-huit ans et non pas vingt et un ans, comme c’est le cas actuellement. Ainsi, la Seine-Saint-Denis compte un centre de détention pour mineurs, consacré uniquement aux moins de dix-huit ans.

Il faut rénover plus que jamais la prison. Tant dans le programme de rénovation des prisons, que dans celui des centres d’éducation renforcée, vous avez des hommes, en l’espèce des gardiens de prison, des personnels pénitentiaires, qui vont au contact des jeunes, qui ne se contentent plus d’être des gens qui ouvrent les portes. On a compris que le drame majeur de ces jeunes qui sont dangereux pour les autres, c’est d’être en danger eux-mêmes. Ils n’ont pas de père de référence, ils n’ont pas d’homme de référence. Il faut mettre en face d’eux des hommes. C’est ce qu’essaient de faire les personnels de la pénitentiaire, pour des raisons certes très prosaïques, pour éviter que la prison n’explose.

Ce point a peut-être été développé par Thierry Baranger, mais nous sommes de plus en plus nombreux à penser que la semi-liberté pourrait être une solution efficace. La journée, le jeune serait scolarisé ou en formation et, la nuit, il serait dans un lieu clos. Pourquoi ne pas développer ce système ?

Si l’on recourt à la détention provisoire, soyons clairs. Au cours de la campagne électorale, à droite comme à gauche, on nous a parlé des centres éducatifs fermés. On ne peut pas faire un travail éducatif dans un lieu clos. Tous les jeunes qui ont vécu dans ce type de structure ou l’ont animé le savent. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que M. Peyrefitte avait supprimé, en 1979, le centre de Juvisy, après avoir pris connaissance d’un rapport relatif à la violence. La violence ne date pas d’aujourd’hui !

Selon moi, ou l’on doit punir et éliminer, c’est la prison ; ou l’on doit rééduquer, et cela se fera dans des lieux spécifiques, qui peuvent être des familles, des foyers, mais qui doivent être des lieux dans lesquels le jeune est dans une structure contenante. Il roule avec un moteur de 2 CV à 150 kilomètres par heure, il faut ralentir le moteur en évitant qu’une durite ne lâche. Cela prendra environ trois mois pour que le gamin redevienne un enfant et fonctionne selon le rythme d’un enfant. Ensuite, il faudra penser à la reconstruction. C’est tout le pari que nous relevons avec le dispositif de formation actuel : l’Education nationale classique ou le système de formation patronale par exemple. En coordination avec un patronat éclairé, il faut inventer de nouvelles formations pour ces gosses qui ne savent ni lire ni écrire et qui sont complexés. Ne songeons pas un seul instant les mettre dans des centres de formation classique. On doit leur offrir les moyens de vivre dignement dès qu’ils ne seront plus dangereux. Je le répète, le choix doit être clair : si l’on veut punir, c’est la prison ; si l’on veut rééduquer, c’est dans un milieu éducatif qui ne peut être qu’ouvert.

Le programme mis en place par les centres d’éducation renforcée réussit relativement bien -le rapport du CIRESE en témoigne- parce que la mesure intervient six mois après l’acte, mais la situation est plus difficile dans les CPI, les centres de placement immédiat, où il s’agit un peu de calmer les enfants, parce qu’on ne trouve pas les adultes capables de vivre avec eux. Ce n’est pas la loi qui changera cet état de fait. Il faut envisager un nouveau statut de « hussard de la République ». Il nous faut trouver 2.000 ou 3.000 personnes -pas 10.000 ou 100.000 !- qui acceptent de remplir cette mission. Il faut reconnaître leur travail et leurs responsabilités en prévoyant une récompense, un statut, éventuellement une rémunération. Il faut aller chercher des personnes âgées de cinquante ans, qui n’ont pas envie de mourir idiotes, qui n’ont pas échoué dans leur vie professionnelle, mais qui ont envie de faire autre chose et de s’engager. Il faut mener une campagne de mobilisation pour trouver au fin fond de ce pays des gens qui sont capables de s’engager pour des jeunes. Il y en a.

Lorsque l’on a mis en place des opérations d’été en faveur des jeunes en difficulté, des hommes et des femmes se sont engagés dans un mouvement politique, égalitaire, pour faire quelque chose, non pas pour faire un métier. Il faut reconnaître leur travail.

Un autre problème, qui a sans doute été soulevé au cours de vos auditions, c’est le travail des éducateurs. En tant que juge, je ne peux pas le traiter, mais je me demande ce que l’on attend d’eux. Qu’ils contiennent, qu’ils dressent, qu’ils apprennent aux enfants à se respecter pour respecter les autres ? Aujourd’hui qu’est-ce qu’éduquer ? C’est une question importante qui nous est posée. A l’heure actuelle, l’appareil de formation des travailleurs sociaux est incapable d’y répondre facilement. Comment peut-on former les gens ? De toute façon, leur nombre est totalement insuffisant.

Enfin, sur ce transparent (M. Rosenczveig présente un transparent), j’ai fait un petit dessin humoristique. « Tout le monde interroge les gamins : « pourquoi tu fumes ? pourquoi tu voles ? pourquoi tu fugues ? » mais personne ne sait ce qu’il faut faire. » Et l’on appelle cela le travail d’équipe !

S’agissant du consensus qui se dégage actuellement sur les lieux éducatifs fermés, je dirai que ce n’est pas parce que tout le monde est d’accord, que tout le monde a raison ! Les professionnels que nous sommes savent que, si l’on adopte ce que nous proposent les candidats, de droite comme de gauche, pendant la campagne électorale, on va dans le mur. On nous propose des murs linéaires de façade, mais cela ne garantira pas la prise en charge des jeunes qui sont à l’intérieur. A supposer même que ces lieux éducatifs fermés existent, la sortie de prison n’aura pas été préparée, et le problème sera reporté à deux mois ou à trois mois. On aura géré le court terme, mais pas le moyen terme. On est donc obligé de faire un pari éducatif. Il faut avoir préparé le jeune à la sortie de prison pour qu’il puisse vivre avec. Certes, ces thèses datent de vingt ans, mais elles restent valables, et ce sont celles que nous appliquons chez nous, dans nos familles.

Il ne faut pas seulement faire bien, il faut le faire savoir. Or, avec la campagne présidentielle actuelle, l’opinion publique est convaincue que personne ne fait rien pour ces jeunes délinquants. Il faudra beaucoup de temps pour que les Français prennent conscience du travail que les institutions font à l’heure actuelle. J’avancerai, pour ce faire, une mesure technique. Il faut faire en sorte que les contrats locaux de sécurité associent mieux les associations locales.

La loi n’est pas en cause. Le problème est moins judiciaire que policier et éducatif. Je ne veux pas dire qu’il ne l’est pas, sinon nous serions restés les bras croisés pendant dix ans. Or, ce n’est pas ce que nous avons fait et c’est bien parce que nous avons fait des choses que nous pouvons nous permettre de le dire. Certes, les policiers en ont fait aussi, tout comme les éducateurs. Mais, je le répète, le problème n’est pas judiciaire. C’est un problème de moyens, c’est un problème policier et éducatif.

Les solutions qui nous sont proposées restent institutionnelles. Il faut accentuer l’effort d’équipement. Je ne pense pas qu’il faille plus de moyens. Vous mettriez aujourd’hui sur la table un chèque de 1 milliard d’euros que cela ne nous donnerait pas les hommes. Il est trop simple de dire qu’il faut légiférer et accorder plus de moyens. Il faut, en réalité, trouver les hommes qui sont capables de vivre avec ces jeunes.

Par ailleurs, comme je l’ai expliqué à ceux d’entre vous qui sont venus à Bobigny, nous rencontrons un problème de gestion.

Ainsi, au mois de septembre prochain, le parquet des mineurs de Bobigny sera démantelé parce que certains ont obtenu leur mutation. Quatre magistrats sur dix partent. Pas une entreprise ne fonctionne de cette manière ! 40 % des effectifs du tribunal pour enfants disparaissent ! Mais la mémoire, c’est important ! On doit gérer différemment la justice, en termes de production. Il faut avoir le souci de la production judiciaire comme on a celui de la production économique. Or, on ne peut pas respecter le statut du personnel tout en gérant la mission de service public. Je suis favorable à une mission de service public, mais il doit être géré différemment.

Par ailleurs, on doit identifier ce que l’administration peut gérer directement et ce qu’elle doit confier à d’autres services. En effet, je ne suis pas convaincu que, aujourd’hui, -c’est une provocation très politique- la PJJ doive gérer en prise directe l’hébergement. Si elle sait passer le relais au secteur associatif, elle sera dégagée des lourdeurs de la gestion du personnel. Il faut, en effet, mettre en place une équipe qui, pour qu’elle soit opérationnelle, pendant quatre ou cinq ans, s’occupera de jeunes en grandes difficultés. Il faut qu’il y ait un chef, que des gens croient en lui et croient au projet. Or, il n’y a pas de miracle, ce ne sont pas les commissions paritaires de l’administration qui permettent de le faire. Le plus difficile, ce n’est pas de recruter des personnes, c’est de les garder pour que ne soit pas réduit à néant le travail qui a été fait la veille. Combien de fois ai-je vu la PJJ fière comme Artaban d’avoir remis en place tel foyer et, six mois ou un an plus tard, dire qu’il y a une crise parce qu’untel part. Il faut qu’on envisage d’autres modes de gestion.

Comme l’a noté Thierry Baranger, nous devons faire le partage entre ce qui relève du droit pénal national et ce qui relève d’autres contentieux, de l’autorité parentale, de la discipline scolaire, voire de l’autorité dans la rue, les gens ne devant pas laisser faire n’importe quoi. Il importe que tout ne remonte pas au judiciaire.

Soyons cohérents, parce que nous posons les bases pour dix ans ou quinze ans. Si vous devez remettre en cause l’ordonnance de 1945, demandez-vous si vous ne devez pas en étendre le champ d’application. Voulez-vous un statut spécifique pour les jeunes délinquants ? Tous les sociologues affirment que la jeunesse va de quinze ans à vingt-cinq ans. Tintin s’adresse bien à des jeunes âgés de sept ans à soixante-dix-sept ans ! Mais c’est pousser le bouchon un peu loin !

Ne faut-il pas se demander s’il faut maintenir le statut civil issu, vous vous en souvenez, de la réforme mise en place par Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la République tendant à abaisser la majorité de vingt et un ans à dix-huit ans, réforme extraordinaire que personne n’avait prévue. Certes, il fallait le faire, mais il l’a fait trop vite. Il a dû mettre en place très rapidement un dispositif pour éviter que, du jour au lendemain, des jeunes âgés entre dix-huit ans et vingt et un ans ne soient précipités dans un statut civil auquel ils n’avaient pas été préparés. Aujourd’hui, cela n’a plus de sens. Voulez-vous réserver un sort pénal et civil spécifique à ce que l’on appelle la jeunesse, c’est-à-dire à ceux qui sont âgés entre quinze ans et vingt-cinq ans ? Il serait facile de répondre que, comme l’on n’a déjà pas les moyens de s’occuper des jeunes de dix-sept ans, on ne voit pas comment on pourrait s’occuper des jeunes de vingt et un ans ? Mais c’est là où le politique doit faire du politique !

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas tout attendre de la justice, sinon on va se « planter ». De toute façon, le juge des enfants n’a plus aucun pouvoir, sinon celui du verbe. Parlons donc !

Tout ce que je viens de développer devant vous est lié à la réponse que l’on peut apporter aujourd’hui à la délinquance, mais n’oublions pas la prévention. Comment lutter contre ce qui va arriver ? La politique familiale, la politique sociale, la politique d’intégration, la politique citoyenne doivent permettre, demain, de diminuer le nombre de jeunes en grandes difficultés.

Certes, on a marqué quelques points. Ainsi, le 4 mars dernier, le projet de loi relatif à l’autorité parentale a été adopté. C’est bien beau d’avoir dit qui, au sein de la famille, était responsable et en quoi il l’était, mais encore faut-il que législateur et le Gouvernement, donc le monde politique, assurent la promotion civile et laïque de la loi de la République pour rassurer les gens. Cela va nous prendre cinq ans pour définir la place du beau-père, de la belle-mère au sein de la famille. Or, le soutien aux familles est essentiel, notamment celles qui sont issues de l’immigration. Quelles mesures ont été prises pour aider les familles appartenant à une autre culture ?

Comme Thierry Baranger vous l’a confié, il est urgent de mettre en place une prévention spécialisée pour éviter que tout ne remonte au judiciaire. En outre, il faut très vite, en amont, introduire du social à l’école. On a commencé à le faire, mais on est loin du compte. Il faut soutenir et aider les familles, je le répète, notamment celles qui sont issues de l’immigration. Il faut restaurer l’autorité en la recrédibilisant. Nous avons pu entendre, à gauche comme à droite, qu’il fallait restaurer l’autorité pour l’autorité. Mais on n’a pas compris que, pour être respectée, l’autorité doit être légitime.

A cet égard, elle doit non seulement fixer les droits, mais aussi protéger le citoyen. En d’autres termes, tant que vous n’aurez pas donné l’image d’une autorité, d’une police, des parents, d’enseignants qui protègent les enfants, ces derniers ne respecteront pas l’autorité. Ils respectent une autorité qui les protège, mais pas une autorité dont ils n’ont pas vu les bénéfices. C’est tout le débat sur la citoyenneté : une partie de la population française ne voit pas les avantages que présente la loi. Pourtant, ils sont extraordinaires. Il faut donc expliquer la loi.

Enfin, il faut donner de l’espoir, mais cela relève du politique. La prévention, on peut en faire. Mais il ne faut pas « paniquer » parce que vous allez légiférer pour une génération. Il faut faire attention aux simplifications et clarifier le débat : l’ordre public à court, moyen et long terme. Suivons nos valeurs : ce n’est pas en faisant le contraire de ce que l’on pense que l’on sera crédible.

La France a pris des engagements internationaux auxquels elle n’a pas, jusqu’à présent, « tordu le cou ». Mais, on peut faire une réponse à la française et ne pas opposer une France à l’autre, la jeunesse aux autres. Si l’on ne rassure pas l’opinion, on risque de « miter » la société : les riches vont s’enfermer derrière de hauts murs, ce que les pauvres font déjà en se renfermant sur eux-mêmes et interdisant leur territoire, ce qui est la pire des choses.

Le problème, c’est que l’on doit être exemplaire. Avant de faire du droit, il faut être pédagogue et réexpliquer les règles du jeu.

Pour résumer mon propos, je dirai qu’il faut faire une réforme, à la marge de l’ordonnance de 1945, s’agissant notamment de la détention provisoire. Il faut poursuivre les CPI et les CER et régler les problèmes de gestion et de personnels. Il faut maintenir les équipes compétentes. Le SEAT, le service éducatif auprès du tribunal, qui a pour mission d’évaluer les situations et de formuler des propositions, est essentiel dans une juridiction. Il faut faire évoluer la prison pour les mineurs et envisager un programme de semi-liberté. Enfin, il faut mener uneréflexion sur la PJJ. Est-ce une administration de gestion ou une administration de mission ? C’est la question clé, car je ne suis pas certain que la PJJ ait besoin de 6 000 personnes. Selon moi, être éducateur à la PJJ devrait être le bâton de maréchal. Il faut faire du social à l’école, mettre en place une politique de prévention sociale, apporter un soutien aux familles issues de l’immigration, développer les internats scolaires. A cet égard, j’ai pu me rendre compte au cours de mes déplacements -hier, j’étais à Montlhéry- qu’il existe quelques internats scolaires non conventionnés, mais que les internats scolaires qui ont été annoncés par le ministère de l’Education nationale ont beaucoup de mal à se mettre en place. Or nous en avons besoin. Le coût journalier est de 220 francs par jour contre 2.300 francs dans un CPI ou dans un CER. Enfin, il faut restaurer la loi dans les actes et dans les esprits.

Si j’avais à actualiser ce dessin qui date de vingt ans (M. Rosenczveig montre un transparent), j’ajouterais le procureur de la République. En effet, à l’heure actuelle, ce n’est pas le juge pour enfants qui rend la justice pour les mineurs. On a une juridiction à deux pieds : un grand pied, le procureur, et un petit pied, le tribunal. C’est un petit clin d’oeil humoristique.

M. le président - En tant qu’élu local, je suis bouleversé par le problème des halls d’immeuble. En effet, les plus défavorisés d’entre nous, parce que ce sont ceux qui le vivent et qui en sont victimes, ne peuvent pas rentrer chez eux sans avoir à se faufiler au milieu d’une bande, ou pis, sans croiser un regard. Je me demande même si ce n’est pas le problème numéro un de l’organisation de la vie dans la cité. Vous nous avez dit, et je vous comprends, que ces faits ne devraient pas relever de la justice. Il y aurait une insuffisance des intermédiaires qui devraient normalement les prendre en charge. Mais de quelle manière ?

J’ai la chance de diriger une commune dont le taux de délinquance est relativement faible -Châtillon dans les Hauts-de-Seine-, mais je suis néanmoins sollicité pour intervenir en tant que médiateur, ce que je fais de bonne volonté. Cette situation est tout de même difficile à vivre car, quoi qu’on fasse, même lorsque la police intervient, les jeunes reviennent, et on a le sentiment qu’on ne s’en sortira jamais.

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Ils reviennent et pour cause ! Ce qu’ils ont fait est très perturbant dans la vie quotidienne, mais n’est pas d’une gravité...

M. le président - En l’occurrence, oui !

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Les faits sont ressentis comme tels par la population !

A cet égard, je me référerai au film qui a été tourné sur Bobigny. Au cours d’une de mes permanences, j’ai rencontré trois jeunes, qui se faisaient d’ailleurs passer pour des victimes, alors que tel n’était pas du tout le cas. Dans un premier temps, on pouvait les croire, mais quinze jours plus tard, ils ont commis d’autres faits et, quinze jours plus tard encore. Avec les magistrats qui étaient aussi de permanence, nous en avons mis deux en prison et nous avons éloigné le troisième à six cents kilomètres. Ces jeunes -TF 1 a diffusé des images, je ne sais pas si vous les avez vues- avaient effectivement tenté de me « rouler dans la farine ». Ils ne pouvaient pas savoir que j’étais au courant d’un certain nombre de choses. Ils faisaient, il est vrai, régner la terreur, et encore le film n’a pas tout dit. La réalité, c’est qu’ils montaient chez les personnes âgées avec des pistolets réels ou non -c’est ce qui m’avait le plus choqué. Une femme avait osé parler au péril, peut-être pas de sa vie, mais de ce qui pouvait lui arriver, et elle osait, à visage découvert, parler à la télévision.

Des jeunes de ce genre peuvent être dangereux. Mais ce niveau d’acuité reste exceptionnel. En l’occurrence, nous avons, toutefois, réglé le problème en incarcérant deux jeunes et en éloignant l’autre. Certes, ce n’est pas le soir même où cette femme a parlé que nous avons pris cette mesure, mais quinze jours plus tard. En d’autres termes, si les faits sont relativement graves, nous sommes armés. C’est plus difficile, et je rejoins tout à fait vos propos, lorsque les actes sont plus mineurs alors qu’ils sont pour autant impossibles à supporter. Si tant est qu’une sanction puisse régler les problèmes, dans le cas que vous évoquez, Monsieur le président, on ne peut même pas y recourir. On est donc condamné à laisser la situation s’envenimer et à laisser les gens s’« autodéfendre », éventuellement en s’armant, ou à mettre en place des procédures diverses. En outre, l’intervention policière, dans un premier temps, et l’intervention judiciaire, dans un second, ont généralement pour effet de mettre de l’huile sur le feu, d’exacerber les choses, et cela se traduira par des rébellions ou des injures, par exemple. Nous devons nous demander pourquoi ces jeunes n’ont rien à faire, pourquoi ils agissent de la sorte et entrent dans ce rapport de forces. Ce sont les vraies questions qu’il faut aborder.

Il faut donc gérer différemment ces problèmes de halls d’immeuble, mais je touche à mes limites de magistrat. Pour ce qui nous concerne, notre action ne peut aller au-delà. Peut-être faut-il aménager les halls en y organisant des activités plurielles : un kiosque où acheter des journaux, un point télévision, par exemple ? C’est une caricature, mais qu’a-t-on fait dans les hôpitaux, dans les tribunaux, dans le métro ? On a remis de la vie dans des lieux où il n’y en avait plus. Certes, je ne dis pas qu’il faut réaménager les halls, mais il faut remettre de la vie dans ces quartiers. Comment gérer ces lieux de passage qui sont devenus des lieux de vie ?

Voilà un mois environ s’est tenu à La Villette un colloque sur ce sujet. Nous avons été quelques-uns à nous demander si la gestion devait être policière ou judiciaire. Il faut poser quelques limites car on se réfère toujours au mauvais exemple : tel office d’HLM qui pose des difficultés, tel comité de locataires qui n’est pas bon. Je pense qu’il faut apporter des réponses au niveau local et territorial en coordination avec les habitants de l’immeuble, le bailleur, la municipalité. Si certaines personnes sont indésirables, ne respectent pas les règles du jeu social, il faut qu’on puisse les éliminer de ce circuit. On ne va pas tout barricader ! Souvent, l’arrivée de Police-Secours ne résout rien. C’est même pire parce que c’est tout le quartier qui se mobilisera contre les policiers. La police et la justice doivent uniquement intervenir dans le cas de violences, d’atteintes graves aux libertés, mais le problème du bruit et de la gestion de l’espace ne doivent pas relever d’une intervention policière ou judiciaire. Je ne le crois pas, car on est face à un problème d’organisation de la cité. Il y a une responsabilité municipale, une responsabilité des bailleurs, des habitants. Je n’ai pas la solution !

M. Bernard Plasait - M. Rosenczveig a posé un très grand nombre de questions, que nous nous posons aussi, et il y a apporté de nombreuses réponses.

Comme vous l’avez souligné tout à l’heure, Monsieur Rosenczveig, nous nous demandons, nous aussi, comment le citoyen français ressent à l’heure actuelle les problèmes d’insécurité. Qu’elle soit importante ou limitée, l’augmentation de la délinquance et de la criminalité affole le citoyen, et ce n’est pas la campagne électorale qui apaise les choses. Elle les exacerbe plutôt ! Qu’il soit réel ou non, le laxisme prêté au juge et l’idée d’impunité font des ravages puisqu’ils scandalisent les honnêtes gens et encouragent les délinquants. Comment pouvons-nous et devons-nous répondre à ce sentiment ? Comment pouvons-nous corriger cette image laxiste de la justice ? Vous y avez répondu par des chiffres, mais il faut aller au-delà.

Comment supprimer ce sentiment d’impunité ? Je dirais même, comment réhabiliter l’idée de la sanction dans une société qui est plutôt à l’affaiblissement des peines ? Comment lutter contre les noyaux durs, puisque cette notion est souvent mise en avant, notamment par les médias ? Si l’on peut apporter une réponse à certaines formes de délinquance, quelle réponse peut-on apporter à ces noyaux durs, qui sont certes une très petite minorité ?

Par ailleurs, je constate que de nombreuses mesures prononcées sont en attente d’exécution.

Vous nous dites que la prison ne peut rien apprendre. Maintenez-vous cette affirmation dans sa brutalité ou la nuancez-vous ? La prison ne peut-elle pas aussi apporter une certaine formation ?

On entend beaucoup dire que la réponse judiciaire aux actes de délinquance des mineurs intervient trop tardivement après l’infraction. Est-ce votre sentiment et comment remédier à cet état de fait ?

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Vous avez raison de dire -et les chiffres le prouvent- que sont prononcées des condamnations à des peines de prison ferme, qui ne sont pas exécutées : 7.400 condamnations à des peines de prison ferme ont été prononcées en 2001 ainsi que 4.400 mandats de dépôt. Dans un certain nombre de cas, même si la proportion est faible, le parquet n’exécute pas volontairement la décision. Il le fait en accord avec le juge. Certes, il a prononcé la condamnation du jeune parce que celui-ci l’a mérité mais il pense que, en l’envoyant en prison, il précipite sa chute. On préfère donc laisser peser sur lui la menace.

M. Jean-Jacques Hyest - Est-ce pour cette raison que vous ne voulez pas mettre en place le sursis ?

M. Jean-Pierre Rosenczveig - On le fait, mais les jeunes ne comprennent pas le concept du sursis ! Intellectuellement, ils ne comprennent pas le mot « sursis ». Si je lui dis qu’il a six mois, mais que je peux faire exécuter la peine d’une heure à l’autre, là il comprend.

M. Bernard Plasait - Admonestation est un mot que les jeunes ne comprennent pas non plus !

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Tout à fait, c’est un mot châtié ! Ils ne le comprennent pas.

En ce qui me concerne, je procède différemment. Je sors le casier judiciaire. Je le montre au jeune en lui disant que, pour l’instant, rien n’y est inscrit, mais que, demain, peut-être, figurera « condamné » ou « avertissement ». Avec ces gamins qui ont trois cents mots, il faut parfois être très concret.

Je n’esquive pas la réponse mais, vous le savez aussi bien que moi, l’exécution des peines est un problème de parquet. C’est le procureur de la République qui fait exécuter les peines. Il est confronté à deux problèmes.

D’abord, le délinquant a pu lui échapper. On pourra alors exécuter une condamnation à une peine de prison ferme le jour où on arrivera à l’interpeller. Toutefois, un grand nombre de ces délinquants se méfient de la condamnation et essaient de ne plus croiser la police ou la justice. Soit ils vivent terrés, soit ils partent à l’étranger. C’est notamment le cas des jeunes dont je parlais tout à l’heure.

Par ailleurs, se pose un vrai problème, que nous ne pouvons pas nier, que les gendarmes et Thierry Baranger auront certainement évoqué : l’appareil judiciaire a mis le paquet sur sa façade, mais n’a rien mis en arrière-boutique. En d’autres termes, le service d’exécution des peines a été sacrifié au profit du parquet actif au quotidien. Les chiffres le prouvent. Bobigny comptait, il y a dix ans, deux substituts ; aujourd’hui, le tribunal compte cinq substituts, quatre délégués du procureur, des assistants de justice. On a fait en sorte que l’intervention soit rapide et ferme. Toutefois, il y a un problème de moyens. Si une administration ne refuse pas de prendre les gens, c’est bien l’administration pénitentiaire. Objectivement, je le dis rarement, mais je pense qu’on est confronté à un problème partiel de moyens en nombre de magistrats pour exécuter les peines.

Vous m’avez ensuite interrogé sur la prison. On est pour ou contre la peine de mort. On n’a pas à ergoter sur ce problème. Certes, un détenu peut suivre des études et obtenir un doctorat. Mais, pour reprendre ce que disait Alain Peyrefitte, la prison, c’est l’école du crime. C’est la rare chose qu’on puisse y apprendre. La prison n’apprend rien d’autre. Elle ne peut pas apprendre la vie. Il ne faut pas la charger d’une mission mythique, sinon on se prend les pieds dans le tapis. Comme j’ai tenté de vous le démontrer tout à l’heure, la prison c’est d’abord une peine. Ne pas pouvoir circuler, c’est une peine. De plus, c’est une mise à l’écart. On vous met à l’écart parce que vous êtes dangereux.

Même si je n’ai pas développé ce point, on peut penser que, pour certains jeunes, la prison peut être un temps contraint pendant lequel ils vont retrouver un cycle de vie à peu près normal : une heure pour se lever, se coucher, etc. On peut rêver, moi je n’y crois pas.

L’un des problèmes qui est aussi posé, c’est l’état de santé des jeunes. Si, en prison, on peut se préoccuper de leur santé, leur faire passer un bilan, et les amener à se préoccuper enfin d’eux, de leurs dents, de leur estomac, de leur tête aussi en rencontrant des psychiatres, c’est bien. Mais, honnêtement, on ne leur apprendra rien, parce que l’on ne peut pas apprendre la vie dans un lieu artificiel. Il faut qu’ils aillent en prison le temps nécessaire, mais n’attendons pas autre chose de la prison.

On peut certes occuper les jeunes en prison. A Fleury-Mérogis, vous avez pu apprécier la qualité des ateliers de formation. Cette conception remonte à dix ans ou quinze ans et je ne suis pas convaincu que la plupart des jeunes que je connaisse aujourd’hui soient capables de suivre ces formations. En plus, ça leur « prend la tête ». L’effort leur « prend la tête », tout leur « prend la tête ». Il faut réconcilier ces jeunes avec eux-mêmes.

Pour ma part, je pense que la prison doit les punir, les éliminer, éventuellement les aider à reprendre un rythme de vie normal et traiter leurs problèmes de santé. Mais je ne pense pas qu’elleuisse leur apprendre quoi que ce soit.

M. Jean-Jacques Hyest - Ne faut-il donc pas envisager d’autres établissements que cette prison, que ces quartiers de mineurs,...

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest - ... sous une forme complètement différente ?

Certes, les centres d’éducation renforcée sont une bonne mesure. Mais il faut aussi qu’il y ait un minimum de discipline, que des adultes jouent le rôle de surveillants. On a tous connu l’internat de lycée et on n’en est pas mort ! Il y régnait une discipline, on ne sortait pas quand on voulait !

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest - On ne faisait pas ce que l’on voulait ! On se levait à l’heure ! Il faut au moins prévoir une structure qui certes permettra aux jeunes concernés de retrouver un cours normal de la vie, comme vous l’avez dit, parce que beaucoup de gamins sont, il est vrai, complètement désocialisés, mais il faut qu’il y ait une certaine discipline et un certain ordre.

M. Bernard Plasait - Pardonnez-moi, mais je voudrais compléter les propos de M. Hyest.

J’aimerais vous parler des centres fermés ou semi-fermés, comme cela nous a été suggéré. Une des personnes que nous avons auditionnées nous a dit qu’un centre fermé était ingérable et reviendrait aux maisons que nous avons été obligés de fermer, les mêmes causes produisant les mêmes effets.

En revanche, on peut envisager la mise en place de centres semi-fermés qui, comme aux Pays-Bas, permettent à des jeunes de passer du centre semi-fermé à un centre fermé pendant quelques jours. Quel est votre sentiment à cet égard ?

M. Jean-Pierre Rosenczveig - M. Jean-Jacques Hyest et vous-même avez raison, j’ai aussi développé l’idée de la semi-liberté. Vous pouvez décliner cette mesure comme vous le voulez. Alors, pourquoi pas ?

Pourquoi ne pas se référer à la Convention internationale sur les droits de l’enfant ? Il faudrait prévoir un système pénitentiaire spécifique pour les mineurs. Si vous voulez le mettre en place, faites-le. Ce ne sera pas une régression. Simplement, osez le dire clairement. Pourquoi ? Pour ne pas créer une confusion, et on n’attendra pas alors de ces structures autre chose que ce qu’elles sont, c’est-à-dire, je le répète, une privation de liberté, une mise à l’écart et une reconstruction de la personne. Mais si l’on veut être dans le registre de l’éducation, outre ce système pénitentiaire spécialisé pour les mineurs, il faut mettre en place des dispositifs d’éducation où les jeunes doivent retrouver une présence humaine, des gens qui ne lâchent pas, tout comme les parents ne doivent pas lâcher. Si mes enfants ne sont pas sortis de la maison lorsqu’ils étaient jeunes, ce n’est pas parce que la porte était fermée à clé -elle ne l’est jamais-, c’est parce qu’ils savaient que je ne voulais pas qu’ils sortent. Il faut que les adultes aient un charisme, des valeurs, une cohérence.

Ce qui nous fait enrager les uns et les autres, c’est de voir que, pendant la campagne électorale, on mélange tout.

S’il faut mettre en place des structures fermées pour les mineurs, il faut une administration pénitentiaire spécifique pour les mineurs ; si ce sont des structures éducatives, envisageons des lieux éducatifs ouverts. Je pense, pour ma part, qu’il faut faire les deux : il y a un temps pour punir, il y en a un autre pour rééduquer. Je ne peux pas être plus clair.

Votre dernière question est passionnante, mais il est difficile d’y répondre.

On demande au juge des enfants -restons dans la configuration actuelle- d’étayer son intervention sur un fait pénal et de donner une réponse non seulement au jeune, mais aussi à la victime. Il ne faut pas l’oublier. Mais, on lui demande également de prendre en compte la vie de ce jeune. Or celui-ci ne va pas avoir un dossier, mais il en aura plusieurs. Ce n’est pas le jeune que l’on croise une fois et à qui on a fait une admonestation qui pose problème. Ce n’est pas pour lui que vous avez mis en place une commission d’enquête parlementaire. Celui qui pose problème, c’est celui qui a plusieurs faits à son actif et pour lequel le magistrat devra apporter une réponse judiciaire à tous les dossiers, ainsi qu’à la victime -c’est l’intérêt de la césure pénale qui a été introduite dans l’ordonnance du 2 février 1945. Dans le même temps cependant, le législateur a donné mandat au juge de transformer le jeune pour qu’il ne soit plus le même que celui qui a commis les faits.

Concrètement, on me demande de juger vite pour l’opinion et pour la victime, mais on me demande aussi de prendre du temps pour que le jeune évolue. En tant que parlementaire, vous ne me demandez pas de distribuer des condamnations, vous me demandez de faire en sorte que le délinquant d’aujourd’hui ne le soit plus demain. Vous ne me demandez pas de faire du chiffre, vous me demandez d’être efficace. Moi, je vous dis que, pour être efficace, j’ai besoin de temps. Comment faire la synthèse ?

M. Bernard Plasait - C’est la raison pour laquelle je vous parlais des noyaux durs ! Pour le plus grand nombre des délinquants, vous avez raison, mais pour les noyaux durs ?

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Je crois être cohérent : c’est l’avantage que nous avons à nos âges, car nous avons essayé d’éliminer les contradictions. Il peut en effet être nécessaire, en cas d’urgence, de donner une bonne gifle, si je puis dire, à chacun des membres d’un noyau dur et de les retirer provisoirement du circuit, parce qu’ils sont dangereux et qu’ils ont commis une faute et méritent d’être punis. Il faut donc les placer à l’écart, dans un lieu qui s’appelle la prison. Pour autant, le problème n’est pas réglé, car si vous laissez ces jeunes ressortir, le noyau dur sera reformé trois mois plus tard.

Il faut donc s’attaquer aux membres de ce noyau dur. Ce sera assez facile pour certains d’entre eux, très compliqué pour d’autres. Par conséquent, des mesures à géométrie variable doivent être prises. Dans certains cas, il faut répondre vite et fermement par le biais de la détention provisoire, par exemple quand il s’agit de multirécidivistes, dans d’autres, il faut laisser le temps au travail social de produire ses effets. La situation inextricable dans laquelle nous nous trouvons actuellement tient au fait qu’il n’était déjà pas facile autrefois d’éduquer ou de rééduquer des gamins voleurs de voitures -il fallait donner du temps au temps, mais la statistique judiciaire montrait que, vers vingt-six ans, les choses s’apaisaient, grâce à une vie de couple ou à la naissance d’un enfant- mais que, aujourd’hui, les jeunes ne suivent plus la petite formation professionnelle qui débouchera sur un CAP et leur permettra d’élever une petite famille, d’avoir une petite vie où, à cinquante ans, on se rappelle le passé en regardant ses tatouages.

La difficulté, c’est que si l’on pouvait prendre du temps lorsqu’il s’agissait d’infractions contre les biens, il faut aujourd’hui, s’agissant d’infractions contre les personnes, donner une réponse rapide alors que le problème est dix fois plus complexe. C’est la question la plus délicate à résoudre : comment apporter une réponse rapide et visible pour l’opinion ?

M. Bernard Plasait - Absolument !

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Dans le même temps, on engage le travail de fond avec le jeune : j’estime que si l’on a déjà clairement défini ce qu’il convient de faire et identifié qui peut faire quoi, on peut y arriver. L’administration pénitentiaire détiendra éventuellement le jeune si l’on juge que, pendant un certain temps, il faut le punir et le mettre à l’écart. La prison ne doit pas être un temps mort ; dès l’instant où le juge incarcère un jeune, il doit préparer l’avenir avec lui. Bien des jeunes que j’ai incarcérés me remerciaient en sortant de mon bureau, alors que je les avais fait pleurer une demi-heure plus tôt. Pourquoi ? Parce que je leur avais donné de l’espoir. Ils savaient qu’ils devaient être punis, et ils m’auraient pris pour un « bouffon » si je ne l’avais pas fait. Mais, dans le même temps, comme au sein d’une famille, on leur annonce que les choses ne s’arrêtent pas là et que l’on va essayer de transformer leur vie. La question est donc de savoir comment articuler la punition et l’éducation, avec les lieux et les personnes adéquats, ainsi qu’un chef d’orchestre. C’est toute la mission du juge des enfants, avec cette difficulté supplémentaire que l’opinion nous demande des comptes, alors que, voilà quelques années, nous agissions discrètement.

A cet égard, je pense très modestement qu’il faut maintenir la publicité restreinte des audiences, mais que l’on pourrait peut-être organiser une publicité des décisions rendues, région par région. L’anonymat devra sans doute être garanti, même si cela ne sera pas facile dans certaines banlieues ou zones rurales, mais je crois qu’il conviendrait de mieux rendre compte de l’action de la justice que ce n’est le cas actuellement.

Le problème politique auquel vous êtes confrontés est simple : soit vous perfectionnez les rouages du système, qui est complexe parce que la vie est complexe, mais qui fonctionne relativement bien et que l’on nous envie plutôt ailleurs ; soit vous le brisez et vous revenez à un droit pénal distributif pur et dur, quitte à réduire de moitié les peines. Dans la première hypothèse, vous conserverez un régime qui, depuis 1912 et nondepuis 1945, se donne pour vocation de transformer l’individu. Je n’ai pas de leçons à donner, mais je vous rappelle au passage que tout le XXème siècle a été marqué par le fait que les innovations de la justice des mineurs ont ensuite été reprises pour la justice des majeurs. Par conséquent, les préconisations que formulera votre commission d’enquête, les votes que vous émettrez en tant que parlementaires auront demain des incidences sur la justice des majeurs. C’est incontestable ! La question qui se pose à vous est donc la suivante : revenez-vous sur le virage essentiel pris en 1912, lorsqu’il a été affirmé que l’on ne doit pas seulement juger les faits, mais que l’on doit faire en sorte que l’individu ne soit pas en situation de récidiver, et donc le transformer. Le législateur d’alors a fait un double pari sur le temps et sur le travail social. Tout au long du XXème siècle, on a travaillé à améliorer ce système.

Pour ma part, je crois qu’il faut reprendre les fondamentaux. La meilleure référence est, à mon sens, l’attitude que nous adoptons vis-à-vis de nos propres enfants. Premièrement, il faut énoncer la loi -il ne suffit pas de l’afficher par des dazibaos, il convient de conformer nos actes d’adultes à nos paroles-, qui doit être vécue comme protectrice, ce qu’elle n’est plus aux yeux d’une partie de la population. Deuxièmement, je pense que des actions symboliques doivent être menées en direction des personnels de la police et de la gendarmerie, qui portent la loi au premier degré. Troisièmement, s’il faut punir, la punition doit être claire et rapide. Enfin, il faut permettre l’espoir et pour cela transformer la situation, c’est-à-dire transformer la psyché de l’individu, ses conditions de vie et son statut : grosso modo, c’est de l’action sociale. Les mesures doivent éventuellement être coordonnées par un magistrat. Cela débouchera ensuite sur une peine moins lourde ou plus sévère, selon que l’intéressé aura coopéré ou non. Je dis aux jeunes qu’ils sont jugés sur trois choses : ce qu’ils ont fait, ce qu’ils étaient, ce qu’ils sont devenus. Il est trop tard pour revenir sur ce qu’ils ont fait, des enquêtes permettent de déterminer ce qu’ils étaient : la marge de manoeuvre concerne leur évolution, et c’est bien parce que je les jugerai sur cela qu’ils ont intérêt à changer. Il y aura une prime à leur transformation.

En voulant des réponses rapides, comment allez-vous garantir aux juges que nous sommes une prise sur les jeunes ? En effet, si nous les jugeons le soir même, la seule solution qui nous restera sera de ne pas faire exécuter la peine.

M. Bernard Plasait - Vous parliez de publicité. Je me demande s’il ne faudrait pas approfondir cette idée, parce que, à partir du moment où il y a une réponse, il s’agit en réalité d’un début de réponse. Tout un processus s’ensuivra, mais personne ne le sait. Par conséquent, il pourrait être souhaitable de donner une publicité à ce début de réponse, s’il est formalisé de façon adéquate.

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Vous avez raison. Nous nous sommes engagés dans la bonne voie, et il est peut-être possible d’aller plus loin ; des expérimentations ont été menées, peut-être pourrait-on mieux organiser les choses.

J’ignore si le parquet vous l’a indiqué, mais il existe, en Seine-Saint-Denis, une cellule composée d’emplois-jeunes qui constituent par exemple l’articulation entre le parquet et l’Education nationale. Cette cellule informe les enseignants des décisions qui ont été prises par les juges. Peut-être devrions-nous aller plus loin et faire en sorte que le maire et son équipe soient tenus au courant s’ils le souhaitent.

M. Bernard Plasait - Ils le souhaitent.

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Dans ce cas, nous devrions pouvoir leur donner des informations, et aussi les responsabiliser, parce que l’on ne peut pas dire n’importe quoi. En tant qu’élus, si vous êtes destinataires d’une information, vous ne pourrez pas la diffuser dans n’importe quelles conditions. Pour répondre brièvement à votre question, je pense que, autant il ne faut pas confier au maire le rôle de coordonnateur de la politique de sécurité locale, autant il faut prendre le maire pour ce qu’il est, à savoir une interface entre la population et les institutions. Cela suppose qu’il fasse circuler l’information et que, réciproquement, on lui donne les éléments qui lui permettront d’évaluer la situation, de demander des comptes si le processus achoppe et d’en rendre à la population. Vous avez raison : il faut organiser un circuit d’informations qui doit, à mon avis, passer par le maire.

M. Bernard Plasait - Vous avez évoqué la comparution immédiate. Pourquoi la procédure de comparution à délai rapproché est-elle aussi rarement utilisée ? Vous dites que la « palette » de l’ordonnance de 1945 est suffisante, sauf à introduire dans certains cas la détention provisoire, si je vous ai bien compris, peut-être sous forme adaptée, par exemple quand il y a révocation du contrôle judiciaire. Ne peut-on envisager de mettre en place un contrôle judiciaire mieux adapté aux mineurs ?

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Vos suggestions me semblent intéressantes, mais le contrôle judiciaire offre une grande souplesse. Par exemple, j’impose systématiquement aux jeunes de ne pas se trouver hors de leur domicile après dix-neuf heures le soir sans autorisation parentale et sans avoir indiqué où ils vont, qui ils fréquentent et à quelle heure ils doivent rentrer. Quand je dis aux gamins qu’ils ne doivent pas fréquenter leurs copains ni la victime, ils s’en fichent, mais quand je leur annonce que désormais ils seront tous les soirs à la maison à dix-neuf heures et que si jamais les policiers les rencontrent dans la rue à dix-neuf heures une sans autorisation parentale, je les mets au « trou », je les vois changer de tête ! Cela étant, il faut peut-être en faire plus.

M. Bernard Plasait - Mais vous n’en ressentez pas le besoin ?

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Le contrôle judiciaire laisse une grande latitude au magistrat. J’ai inventé la contrainte que je viens de décrire en me fondant sur le bon sens : en France, l’après-midi s’achève à vingt heures -ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le journal télévisé s’ouvre à cette heure-là !-, et c’est la soirée qui commence. Or, on ne sort pas tous les soirs, car sinon on ne peut plus se lever pour aller travailler, à l’école ou ailleurs. Les sorties doivent être exceptionnelles et subordonnées à l’accord des parents, qui doivent savoir où sont leurs enfants. Une fois que la confiance est installée, le contrôle n’est plus nécessaire.

Le problème est de pouvoir sanctionner le contrôle judiciaire quand il s’agit de jeunes âgés de treize à quinze ans. En effet, jusqu’à présent, le discours qui a prévalu, c’est que le magistrat tiendra compte, au moment de juger, de l’attitude du jeune qui a été placé sous contrôle judiciaire. Pour ma part, je pense que, dans un certain nombre de cas, il faut révoquer celui-ci. La situation est différente pour les jeunes âgés de seize à dix-sept ans, car s’ils commettent un délit, il est possible de les incarcérer.

Contraint et forcé, j’en viens donc à proposer le contrôle judiciaire révocable. Je ne sais si l’on peut le dire, mais il m’est arrivé, à une unique reprise, sur le fondement d’une jurisprudence de Grenoble, de révoquer le sursis d’un gamin de quatorze ans et demi qui avait été arrêté pour la troisième fois après avoir foncé sur des policiers, la nuit, au volant d’une voiture volée. Je l’ai donc incarcéré, à la demande du parquet, afin que son père puisse le prendre en charge et le renvoyer au Mali. Ce père passait son temps à courir après son fils, qui était le seul de ses enfants à poser problème.

En conclusion, je pense que la révocation du contrôle judiciaire doit être exceptionnelle mais possible. Il faut surtout éviter que ne se répande l’idée selon laquelle on ne risque pas d’aller en prison avant seize ans.

En ce qui concerne la comparution immédiate, y recourir, même pour les multirécidivistes, signerait la mort du dispositif prévu par l’ordonnance de 1945. Si c’est ce que l’on veut, autant le dire crûment. Cela reviendrait à aligner le régime des mineurs sur celui des majeurs. En revanche, si l’on part du principe que, sauf cas exceptionnels, il faut entreprendre une démarche éducative qui exige du temps, on ne peut pas introduire le flagrant délit pour les mineurs.

M. Laurent Béteille - La comparution immédiate n’interdit pas, par exemple, d’ajourner la peine.

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Non, mais je crains que vous n’ouvriez la boîte de Pandore. Il faut savoir ce que l’on veut ! J’essaie d’être clair et cohérent dans mon propos : si l’on doit placer quelqu’un en détention provisoire, faisons-le sur le fondement de la législation relative à la détention provisoire ! Pourquoi toujours taper à côté de l’objectif que l’on vise ? Si l’on estime que, avant que n’intervienne le jugement, il est nécessaire de mettre en oeuvre des mesures de sûreté, faisons-le ! La détention provisoire est une mesure de sûreté, mettons-la en oeuvre !

Je le dis crûment, car il est parfois bon de mettre les pieds dans le plat, mais l’idée de réintroduire la détention provisoire ne me fait pas plaisir. Je me suis battu contre elle dans le passé, mais, vingt ans plus tard, tout en conservant le même souci de la protection du droit des enfants et de la société, j’estime qu’il ne faut pas laisser des gosses rouler à cent cinquante kilomètres à l’heure. Je pense être cohérent en affirmant que recourir à la détention provisoire peut laisser le temps à l’action éducative de se développer et permettre de juger plus tard. La détention provisoire est le premier levier, mais il en faudra d’autres par la suite, éventuellement le contrôle judiciaire, la condamnation ou l’exécution de la peine. Il s’agit de gamins qui ont besoin d’être encadrés pendant un certain temps. Si je grille toutes mes cartouches le premier jour, je n’aurai plus aucun moyen de les tenir. Je crois donc que vous avez raison sur le plan technique : rien n’oblige à condamner ! Cependant, le législateur doit anticiper : si le Parlement introduit la comparution immédiate pour les mineurs, il ouvrira une autoroute menant à l’abrogation de l’ordonnance de 1945. Si c’est cela que l’on veut, il faut le dire clairement.

M. Bernard Plasait - Alors pourquoi la comparution à délai rapproché est-elle si peu utilisée ?

M. Jean-Pierre Rosenczveig - C’est un instrument qui existe, que l’on a quelquefois utilisé, mais il doit être réservé à un nombre limité de cas. La plupart des situations ne justifient pas qu’on l’emploie. N’oubliez pas un détail : le jeune doit être en état de récidive, avoir déjà été condamné une première fois. Le mécanisme est simple ; si l’on a à faire à un multirécidiviste, il faut très vite une convocation par officier de police judiciaire, éventuellement pour jugement. Si, en dépit des mesures législatives qui accompagnent la convocation par officier de police judiciaire, le gamin continue à faire des bêtises, il sera alors en état de récidive, donc il relèvera des deux mois. Il faut mettre en place le dispositif le plus complet possible, afin que nous puissions faire du « sur mesure ». Si l’on passe beaucoup de temps sur le mécanisme judiciaire, il faut en consacrer autant aux outils éducatifs qui l’accompagnent.

Je terminerai sur une note d’optimisme : la situation a un peu changé au regard de ce qu’elle était voilà cinq ans, à l’époque de la commission Lazerges-Balduyck. En effet, il était alors quasiment impossible de faire prendre en charge un jeune par une structure éducative. Le programme des CPI et des CER nous permet aujourd’hui de trouver de telles structures, qui accueillent les jeunes ne pouvant retourner chez eux.

A cet égard, il est essentiel de souligner que la prise en charge dans un foyer n’est pas, à la différence de la liberté, une solution de rechange à la prison ; c’est la solution de rechange au retour à la maison. Le jeune ne doit pas aller en prison, mais peut-il pour autant retourner chez lui ? Si tel n’est pas le cas -par exemple parce qu’il risque de récidiver ou parce que la famille est absente-, le placement dans un CPI ou un CER doit être présenté comme une mesure éducative. Il ne doit pas y avoir de barreaux, mais les jeunes doivent trouver en face d’eux des gens qui ne se laissent pas marcher sur les pieds. Dans un CPI de la région parisienne que je désignerai pas, on a lâché du lest et on laisse les gamins rentrer à vingt et une heures trente le soir, voire ne pas rentrer du tout : cela ne correspond pas à la mission confiée à un tel établissement ! Dans un CPI, on ne doit pas quitter les jeunes des yeux.

M. Jean-Jacques Hyest - Comme dans une famille !

M. Jean-Pierre Rosenczveig - Exactement. Quand, en ma qualité de juge des enfants, j’ordonne le contrôle judiciaire en imposant que le jeune soit rentré à dix-neuf heures tous les soirs, il y a incohérence si le CPI autorise celui-ci à rentrer à vingt et une heures trente, voire à dormir chez lui. Toutefois, il ne s’agit là que de scories, qui s’expliquent par le fait que les éducateurs ne parviennent pas à tenir les gosses : tel est le vrai problème. Toute la question est de trouver des personnels adéquats.

M. le président - Il nous reste à vous remercier, Monsieur Rosenczveig.


Source : Sénat français