Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, Président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous allons entendre MM. Patrice Bergougnoux, directeur général de la police nationale, et Christian Decharrière, directeur central de la sécurité publique.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête, précise que les intervenants ont demandé à être entendus à huis-clos et fait prêter serment.)

Monsieur Bergougnoux, vous avez la parole.

M. Patrice Bergougnoux - Vous avez souhaité, dans le cadre des travaux de votre commission, recueillir mon témoignage sur le problème de la délinquance des mineurs et les mesures mises en oeuvre par la police nationale pour y faire face. Je vous en remercie. J’ai demandé à M. Decharrière de m’accompagner car ses services couvrent toutes les circonscriptions de sécurité publique sur le territoire national, c’est-à-dire près de trente millions d’habitants, dans les zones à forte et moyenne densité urbaine, et sont confrontés en première ligne aux phénomènes de la délinquance, notamment celle des mineurs.

L’aggravation de la délinquance des mineurs au fil des années est une réalité incontournable pour tous ceux qui ont en charge non seulement la sécurité publique mais aussi l’équilibre social des espaces urbains. La qualité et l’efficacité de sa prise en compte conditionnent aujourd’hui la crédibilité des institutions et par là même celle de l’Etat auprès des populations qui subissent ces phénomènes.

S’agissant du constat, je rappellerai simplement quelques statistiques établies par la direction centrale de la police judiciaire et relatives aux zones couvertes tant par la police nationale que par la gendarmerie.

Entre 1992 et 2001, la progression du nombre des mineurs mis en cause, toutes infractions confondues, a été de 79 %. Dans les zones urbanisées, où la sécurité publique est assurée par la police, avec 128.893 mineurs interpellés en 2001, elle est supérieure à 100 %.

En 1992, 13 % de l’ensemble des personnes mises en cause pour crimes et délits étaient des mineurs. Ce taux est aujourd’hui supérieur à 21 %. Les mineurs représentent désormais plus du tiers des auteurs de vols contre moins du quart en 1992, 35 % des auteurs de cambriolages, 37 % des auteurs de vols de véhicules et près de 48 % des auteurs de vols avec violence. Ce taux est supérieur à 50 % dans les agglomérations et atteint, voire dépasse 60 % dans certains secteurs urbains sensibles.

Ils représentent, enfin, un peu plus de 15 % des auteurs de crimes et de délits contre les personnes -27.224 mineurs ont été mis en cause en 2001- et près de 34 % des auteurs de dégradations contre les biens. Je note particulièrement leur représentation en matière d’incendie volontaire contre les biens publics, 59 % , et contre les biens privés, près de 51 %.

Les actes de violence à l’encontre des agents de la force publique ou des représentants de l’autorité ont quadruplé en dix ans. Il en va de même pour les outrages à agent. Je remarque d’ailleurs, mais sans y voir de lien direct, que cette augmentation de la participation des mineurs en matière de vol et de violence contre les personnes et les biens est à mettre en parallèle avec la multiplication par quatre, au cours de la même période, du nombre de jeunes dealers ou consommateurs de stupéfiants.

Sans vouloir évoquer de façon exhaustive toutes les autres catégories d’infraction pour lesquelles la part des mineurs est en progression, je note qu’il est clair qu’au cours des dix dernières années la situation est devenue plus préoccupante. Nous venons de le voir dans trois domaines : la violence acquisitive, la violence contre les personnes et celle contre les biens, notamment sous ses formes les plus graves, comme les incendies.

Tous ces chiffres représentent non seulement la réalité statistique mais aussi et surtout une réalité sociologique difficilement vécue par la population des quartiers les plus sensibles et par les policiers qui doivent y faire face quotidiennement.

Cette délinquance des mineurs se manifeste de diverses manières : agressions individuelles dont d’autres jeunes sont fréquemment victimes, violences urbaines le plus souvent contre les institutions ou encore, reflets de sentiments identitaires exacerbés au sein de quartiers différents, violences et dégradations dans les transports en commun, violences scolaires et dans le sport auxquelles s’ajoutent ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les « incivilités ».

Beaucoup de choses pourraient être dites sur chacun de ces phénomènes et sur leurs causes. J’insisterai simplement sur deux aspects. Le premier, qui est plus préoccupant encore que l’augmentation du nombre des mineurs mis en cause, est le rajeunissement de ces derniers. Ils sont de plus en plus jeunes à commettre des actes agressifs. Sur l’ensemble des mineurs interpellés par la DCSP, la part des seize à dix-huit ans régresse légèrement de 2 % en 2001, celle des quatorze à seize ans reste stable. En revanche, celle des moins de treize ans augmente. Les mineurs de moins de seize ans représentent 12 % des personnes interpellées par la sécurité publique et près de 49 % des mineurs mis en cause.

Nombre de nos policiers y voient là à la fois un effet d’entraînement, de leadership de mineurs ou de jeunes majeurs réitérants sur les plus jeunes, et un exemple de « désocialisation » plus précoce de certains mineurs par une perte des repères sociaux et par des troubles comportementaux non traités dès la prime enfance.

Le second aspect est la déstabilisation que cette délinquance de très jeunes individus introduit ou engendre dans de nombreux secteurs urbains. Elle a plusieurs conséquences dont certaines sont particulièrement dommageables.

Tout d’abord, la présence permanente et provocatrice au sein des quartiers de ces jeunes délinquants, malgré leurs arrestations successives par les services de police ou de gendarmerie, crée un sentiment permanent d’insécurité auprès de la population et une perte de confiance envers la puissance publique ou les autorités publiques.

Ensuite, nous assistons à une déstructuration progressive du tissu économique et commercial due à la lassitude des professionnels et au départ des commerçants. Enfin, il faut faire en sorte que, dans les quartiers sensibles ou défavorisés, l’ensemble des mesures d’aménagement, d’éducation ou d’intégration trouvent, à travers la politique de la ville ou de grands projets urbains, leur pleine efficacité.

On comprend, à la lumière de ce constat trop bref, que la délinquance des jeunes ne concerne qu’une part infime de notre jeunesse mais cette part infime a aujourd’hui un impact considérable sur la vie des quartiers et constitue l’une des préoccupations majeures de la police nationale tant sous l’angle qui lui est propre, celui de la prévention et de la répression, que sous celui où elle n’intervient que de manière accessoire ou complémentaire, c’est-à-dire le traitement judiciaire ou éducatif des situations individuelles.

Quelles sont les réponses apportées par la police nationale ? A l’échelon gouvernemental, le problème posé par la délinquance des mineurs a fait l’objet de trois conseils de sécurité intérieure en 1998, en janvier 1999 et en janvier 2001.

De façon synthétique, disons que trois catégories de mesures ont été prises. Les premières, d’ordre structurel, concernent l’organisation des services de sécurité publique ; les deuxièmes, de fond, sont relatives à la prise en charge pénale ou éducative des mineurs délinquants les plus difficiles, à la responsabilisation des parents ou à l’amélioration de l’accès des jeunes à l’emploi ; enfin, les troisièmes, de nature opérationnelle, concernent certaines formes de délinquance des mineurs. Je pense notamment à la lutte contre la violence à l’école et dans le sport.

S’agissant des mesures structurelles, le CSI a décidé de créer de nouvelles brigades des mineurs sur l’ensemble du territoire concerné par la police nationale. A leurs compétences traditionnelles, à savoir le traitement des mineurs victimes, s’est ajouté le suivi des affaires relatives à des mineurs délinquants particulièrement jeunes ou auteurs d’infractions très graves. Cette compétence a également été étendue au traitement des violences en milieu scolaire et, de manière plus traditionnelle, à la prévention et à la protection des mineurs : enquête sociale, recherche de mineurs en fugue, absence scolaire.

A ce développement des brigades des mineurs, dont l’action a changé de nature, s’est ajoutée la création d’officiers référents « jeunes » dans chaque direction départementale de la sécurité publique associés, dans chaque circonscription de la sécurité publique -il peut y avoir plusieurs circonscriptions au niveau d’un département- à un correspondant « jeunes ».

Ce triptyque référent départemental-brigade des mineurs-correspondant local vise à avoir, dans chaque direction départementale de la sécurité publique et dans chaque circonscription, de véritables spécialistes de la délinquance des mineurs, marginaux ou délinquants.

Ces spécialistes jouent un triple rôle : ils assurent, d’abord, le traitement de la délinquance ; ils constituent, ensuite, une interface, en tant qu’interlocuteurs bien identifiés, avec l’ensemble des partenaires, tels que les administrations, les différents services, au premier rang desquels bien sûr la justice, ou les structures partenariales avec lesquelles les policiers sont amenés à travailler ; enfin, ils développent des actions permettant de nouer un dialogue positif entre les jeunes et la police.

Leur rôle, en tant qu’interlocuteurs de l’Education nationale et de la justice, dans le suivi des mineurs délinquants, est fondamental. Il en est de même de la part qu’ils ont prise dans l’élaboration des contrats locaux de sécurité au côté des commissaires de police et des chefs de circonscription.

S’agissant des mesures de fond, la nécessité d’éloigner les mineurs délinquants réitérants, voire multirécidivistes, de leurs quartiers et de développer à cet effet des centres de placement immédiat et des centres éducatifs renforcés répond à une préconisation du monde policier et à une grande attente de la population concernée par ces phénomènes.

Il est parfaitement clair, tant pour les policiers que pour nombre de nos partenaires, que le maintien de certains mineurs délinquants, au seul bénéfice d’une mesure éducative, dans le quartier où ils commettent leurs méfaits et ont un rôle de leadership nuit au travail préventif, éducatif et d’encadrement réalisé par ailleurs. Il conforte un sentiment d’impunité chez les plus jeunes et constitue en quelque sorte un contre-exemple qui entraîne une escalade dans l’échelle de la délinquance.

Partant de là, la multiplication de ce type de structures d’accueil permettant une mise à l’écart pour un temps déterminé paraît une solution nécessaire. Ces structures constituent aujourd’hui, en dehors de la détention provisoire étroitement encadrée par l’ordonnance de 1945, la seule véritable possibilité de placement en urgence de mineurs nécessitant un encadrement hors de leur localité ou de leur territoire, comme ils disent, d’origine.

Il existe, à ce jour, trente-trois centres de placement immédiat pouvant accueillir chacun dix mineurs et quarante-quatre centres éducatifs renforcés pouvant prendre en charge chacun six à sept mineurs. Cet effort ne peut qu’être poursuivi et accéléré.

S’agissant des mesures opérationnelles, une collaboration de plus en plus étroite a été instaurée avec les services de l’Education nationale et a fait l’objet de plusieurs circulaires interministérielles. Cette relation repose sur un diagnostic précis pour chaque établissement scolaire rencontrant des problèmes de violence et sur l’élaboration d’un véritable plan de lutte contre la violence associant les responsables de l’établissement et les services locaux de police. Une liaison permanente est établie avec un correspondant scolaire qui est souvent le correspondant « jeunes ».

Enfin, cette relation se traduit par le signalement à l’autorité judiciaire, aux autorités académiques et aux services de police des mineurs ayant commis des actes de violence au sein de l’établissement ou aux abords de celui-ci.

Ce travail en profondeur permet de prendre en compte à la fois les besoins généraux de l’établissement en matière de sécurité, tels qu’une patrouille ou une présence policière aux heures de sortie, et, en liaison avec le Parquet, les besoins individuels ou familiaux des mineurs dont le comportement est potentiellement dangereux.

Par ailleurs, la politique de lutte contre la violence a été étendue au sport dans vingt-six départements. Cette action est partie d’un constat, à savoir le développement de la violence dans les stades ou aux abords de ceux-ci tant comme défoulement collectif qu’en tant que prolongement de rivalités apparues entre groupes de jeunes de quartiers ou de communes différents.

Des officiers de prévention de la violence dans le sport ont ainsi été désignés pour assurer une liaison constante avec les responsables des clubs et analyser les risques des compétitions à venir comme des incidents déjà survenus afin de déterminer les moyens à mettre en oeuvre pour en prévenir le renouvellement.

Cette politique de sécurité autour de l’activité sportive, notamment du football, commence à porter ses fruits. Nous avons notamment de bons exemples en ce sens en Seine-Saint-Denis. Ces correspondants « jeunes » sont les conseillers naturels des élus, des responsables des clubs sportifs et, lorsque des infractions sont commises, des victimes.

Mon propos serait incomplet si je ne citais pas deux autres types de mesures particulièrement importantes dans la lutte contre la délinquance des mineurs. La première mesure est la mise en place de la police de proximité qui est présente dans les quartiers et dont les acteurs sont bien identifiés : il s’agit d’un groupe de policiers qui est affecté à un secteur défini et qui est en contact permanent avec la population.

Le policier de proximité a en effet un rôle primordial à l’égard des mineurs à la fois par le dialogue qu’il doit entretenir avec eux, par le contact qu’il doit nouer et par le suivi des mineurs délinquants qu’il assure dans son secteur. Il renseigne l’officier correspondant « jeunes » ou la brigade des mineurs de la circonscription, rencontre les familles et les éducateurs et s’interpose, en cas de nécessité, entre les délinquants et les victimes de leurs agissements. Il dresse, enfin, les procédures judiciaires chaque fois qu’il le faut. Il est, en quelque sorte, par sa présence et son action, un rappel permanent de l’autorité et de la règle dont ont effectivement besoin les jeunes mineurs délinquants.

La seconde mesure importante concerne les contrats locaux de sécurité. Ils sont fondés sur un diagnostic desproblèmes de sécurité et de leurs causes avec les élus des communes signataires et l’ensemble des partenaires concernés, au premier rang desquels la police et la justice. Il s’agit, à partir de ce diagnostic, de définir des objectifs et des moyens propres à remédier aux situations et aux difficultés rencontrées.

La délinquance et la violence des mineurs doivent être au premier rang de ces préoccupations. Les contrats locaux de sécurité permettent, dans ce domaine, de mettre en oeuvre des actions ponctuelles ou permanentes, dont l’efficacité tient au partenariat, comme la prise en compte éducative des primo- délinquants.

De telles expériences ont été tentées non sans résultat dans plusieurs communes. Elles ouvrent la voie à une collaboration intéressante des collectivités locales sous l’égide d’un magistrat en mission de la protection judiciaire de la jeunesse mais elles devraient certainement être étendues. Un ralliement sans réserve des magistrats des enfants comme des fonctionnaires de la PJJ est nécessaire pour aboutir.

Je conclurai mon propos liminaire en évoquant quelques actions préventives menées par les services de la police nationale, notamment ceux de la sécurité publique, qui encadrent déjà depuis de nombreuses années des mineurs des quartiers sensibles dans ce que nous appelons les « centres de loisirs de jeunes ». En 2001, 54 CLJ sur 59 sites ont été créés dans 37 départements, mobilisant plus de 300 policiers et 167 adjoints de sécurité, et ont ainsi contribué à l’intégration citoyenne des jeunes en leur offrant des activités à la fois sportives, éducatives ou simplement ludiques.

Des opérations ponctuelles sont également développées pendant la période estivale. Ce dispositif a concerné près de 82 000 jeunes pendant l’été 2001. Il est en outre complété par des missions d’information notamment sur l’usage des stupéfiants et ses dangers. Cette mission est assurée par 300 fonctionnaires spécialisés qui traitent aussi de la violence, du racket scolaire et des conduites à risque. En 2001, plus de 10.000 actions de ce type ont été menées par les services de police et ont concerné plus de 320.000 personnes, jeunes ou parents.

La police nationale, vous le voyez, développe donc, depuis de nombreuses années, une politique globale, multiforme et adaptée faisant appel à un large partenariat pour lutter contre la délinquance des mineurs ou y contribuer.

Les efforts consentis en ce domaine ont commencé à porter leurs fruits même s’il faut être très prudent en la matière. En 2001, le nombre de mineurs délinquants a ainsi diminué de près de 2 % par rapport à 2000. Ces résultats doivent cependant nous conduire à renforcer encore notre action afin de diminuer les actes de violence commis par les mineurs réitérants. Ils ne seront d’ailleurs significatifs que s’ils trouvent leur prolongement, éducatif ou répressif, dans un traitement judiciaire efficace.

A ce titre, outre le regroupement des procédures concernant un même mineur délinquant, la comparution immédiate devrait être possible pour les multiréitérants dont la situation familiale et sociale est connue et ne nécessite donc pas d’enquêtes complémentaires.

A leur égard, la rapidité de la réaction sociale, l’éloignement immédiat de leur territoire ainsi que l’exécution des décisions de condamnation ont une véritable valeur éducative et, pour ceux qu’ils entraînent, une réelle valeur d’exemple. A cet effet, ces actions de mise à l’écart des quartiers pour une durée déterminée doivent être à l’avenir plus nombreuses qu’elles ne le sont aujourd’hui.

La protection judiciaire de la jeunesse dispose des centres de placement immédiat et des centres éducatifs renforcés qui permettent de placer quelques centaines de jeunes. Mais les besoins sont bien plus importants. Pour le seul département de la Seine-Saint-Denis, les experts, quels qu’ils soient, estiment qu’il faudrait 1.000 à 1.500 places.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Vous avez souligné l’augmentation du nombre des délits et de la violence ainsi qu’un rajeunissement des jeunes qui commettent ces actes. M. Roché estime que 15 % environ des délits sont connus de la police. Ce taux vous paraît-il réaliste ?

M. Patrice Bergougnoux - Cette observation renvoie à une question plus générale qui est celle de la statistique de la délinquance. Les services de police et de gendarmerie comptabilisent les faits qui sont portés à leur connaissance ou qu’ils relèvent à travers leurs activités quotidiennes et qui font l’objet d’une procédure judiciaire, c’est-à-dire d’une transmission à l’autorité judiciaire. C’est ce que nous appelons l’état statistique « 4001 ».

Ces statistiques n’ont bien entendu jamais eu la prétention de comptabiliser l’ensemble des actes de délinquance commis sur le territoire national. Une partie de la délinquance n’est pas connue. Elle n’est donc pas comptabilisée parce qu’elle n’a pas été signalée à la police ou n’a pas été relevée par elle. C’est ce que nous appelons plus simplement le « chiffre noir » de la délinquance.

Des initiatives se sont développées pour essayer d’analyser ce que représente cette part -cela vaut tant pour la délinquance des mineurs que pour la délinquance en général -à travers des outils complémentaires, comme les enquêtes de victimation. Mais celles-ci doivent être aussi manipulées avec une certaine précaution car elles sont le reflet non pas de la délinquance mais du sentiment ressenti par la population, c’est-à-dire non pas par les victimes mais par ceux qui répondent aux questions posées. Ces chiffres n’ont rien de commun avec les statistiques rappelées à l’instant ou celles que vous avez évoquées.

En tout état de cause, la part des mis en cause mineurs dans la délinquance générale n’a pas cessé d’augmenter depuis une dizaine d’années. Les statistiques montrent certes une légère diminution de 1,80 % en 2001 mais elle n’est pas significative. Il faut regarder la tendance.

M. le président - Je voudrais être certain d’avoir bien compris. Une personne se fait arracher son sac par un individu qui roule en scooter. Elle a le sentiment que c’est quelqu’un de jeune. Elle va déposer plainte ou inscrit cette agression sur une main courante. L’agresseur n’est pas retrouvé car il était casqué. Dans quelle catégorie entre cette agression ?

M. Patrice Bergougnoux - Si la personne dépose plainte, cette agression est enregistrée comme un délit qui fera l’objet d’une procédure judiciaire. Puis, la police fera des investigations pour rechercher l’auteur. Une fois celui-ci retrouvé, on pourra dire s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur.

M. le président - A partir de quel moment cette agression figure-t-elle dans les statistiques ?

M. Patrice Bergougnoux - Elle figure dès le dépôt de plainte, c’est-à-dire dès l’enregistrement des faits par les services de police. Par exemple, un fait délictuel ou présumé tel est enregistré et instruit par un service de police puis transmis à l’autorité judiciaire. Si celle-ci classe cette affaire, elle reste dans les statistiques de la police comme un fait constaté. Il n’y a pas de retour. C’est d’ailleurs l’une des préoccupations des services de police.

Pour être plus proches des victimes et leur apporter un meilleur service public, nous estimons qu’il serait intéressant d’avoir un retour des suites judiciaires données à l’enquête de la police afin d’en informer les victimes. Cela permettrait de contribuer à notre objectif de lutte contre le sentiment d’insécurité. Il est également important pour la victime de savoir quelle suite a en définitive été donnée à sa plainte. Nous nous efforçons de parvenir à ce résultat mais le dispositif existant ne nous le permet pas encore de façon généralisée.

M. Bernard Plasait - Quand vous dites que vous constatez une baisse de 1,80 % en 2001, s’agit-il d’une baisse de la délinquance des mineurs ou de la part de cette délinquance dans la délinquance générale ?

M. Patrice Bergougnoux - Il s’agit de la baisse de la part des mis en cause mineurs dans la délinquance générale.

M. Jean-François Humbert - L’absence de retour des suites données par l’institution judiciaire aux services de police a-t-elle une influence sur le comportement de nos concitoyens dans leur décision de déposer plainte ?

M. Patrice Bergougnoux - Il est utile d’informer les citoyens et la victime des suites données à l’affaire que cette dernière a soumise au service public de police ou de gendarmerie. Il serait nécessaire d’avoir non seulement une statistique de la délinquance établie par la police mais aussi une statistique judiciaire permettant à la fois d’informer individuellement les victimes et de donner à l’opinion les renseignements concernant les suites judiciaires données aux affaires en général. L’idéal serait bien sûr d’informer chaque victime.

M. Jean-François Humbert - J’ai été victime une première fois, voilà une vingtaine d’années, d’un « casse » de ma voiture. Quelques mois après le dépôt de ma plainte, j’ai reçu un courrier du procureur de la République m’informant du classement sans suite de celle-ci. Plus récemment -sans doute est-ce la loi des séries ?- j’ai subi trois autres « casses » en deux ans et demi. J’attends toujours des informations des services de police ou de justice sur les suites données à mes plaintes.

Les statistiques que vous nous donnez ne doivent pas encourager les victimes à déposer plainte de manière systématique. Il est vrai que, en ce qui me concerne, je ne me suis pas rendu au commissariat la troisième fois. N’ayant toujours pas de nouvelles des deux premières plaintes, je n’ai pas jugé utile de me déplacer une nouvelle fois.

A-t-on une idée précise de l’influence sur les statistiques du comportement de ceux qui en ont un peu marre de perdre leur temps à déposer des plaintes qui sont ensuite classées purement et simplement sans qu’ils en soient informés ? Certains nous dissuadent même parfois dans les commissariats de déposer plainte.

M. Patrice Bergougnoux - Il est difficile, par définition, de répondre à votre question. Cela dit, l’action conduite au cours des dernières années a justement consisté à faciliter les dépôts de plainte. Une disposition législative de 2000, par exemple, autorise ce dépôt dans n’importe quel commissariat ou brigade de gendarmerie, quel que soit le lieu où l’infraction a été commise, ce qui n’était pas possible auparavant.

De même, le déploiement de la police de proximité avec la mise en place à travers le pays de 900 implantations immobilières nouvelles facilite le dépôt de plainte. Un ensemble de dispositions sont donc prises pour aller dans le sens que vous souhaitez.

En fait, deux problèmes se posent : d’une part, la possibilité offerte aux citoyens de déposer plainte et, d’autre part, l’élucidation de l’affaire soumise par ceux-ci à la police. En la matière, il est vrai que, s’agissant de la délinquance en général, le taux d’élucidation se situe entre 22 % et 23 %. Une part importante des affaires n’est donc pas résolue, les auteurs n’étant pas identifiés.

Si l’on entre dans le détail, on s’aperçoit que ce taux est beaucoup plus élevé pour les affaires criminelles graves, notamment pour les crimes où 65 % à 70 % des affaires sont élucidées, que pour les faits de petite et moyenne délinquance.

M. Christian Decharrière - Nous ne disposons pas d’enquêtes mesurant le taux de non-dépôt de plaintes pour des faits qualifiés pénalement de crimes ou de délits. En revanche, par certaines enquêtes de victimation, nous savons que près de 40 % des faits perçus comme délictuels par nos concitoyens ne donnent pas lieu à dépôt de plainte.

Cela dit, il faut être très prudent : on a tendance à faire des comparaisons entre les enquêtes de victimation et l’état statistique « 4001 ». Or, ils ne mesurent pas les mêmes choses. Les enquêtes de victimation intègrent notamment les menaces. Elles ne se préoccupent pas de savoir si les faits perçus comme étant une agression sont de nature délictuelle, criminelle ou contraventionnelle, voire non qualifiables pénalement. C’est très important. Il existe des distorsions fondamentales.

A travers les enquêtes d’opinion autour des enquêtes de victimation, nous savons que la première des raisons qui justifie l’absence de dépôt de plainte est que l’intéressé n’a pas estimé les faits suffisamment graves. Le fait que l’auteur ne sera pas retrouvé et l’absence de suites judiciaires ne vient qu’après.

M. le rapporteur s’est interrogé sur l’évaluation de M. Roché. Je me suis livré à un petit calcul. Si 15 % seulement des crimes et délits sont déclarés, cela signifie, compte tenu du fait que nous en avons enregistré environ 4 millions en 2001, qu’un peu plus 26 millions sont commis en France. Voilà qui dépasse très largement les conclusions de toutes les enquêtes de victimation réalisées jusqu’à présent, d’où l’intérêt d’affiner les chiffres.

M. le président - Il ne s’agissait que des mineurs.

M. Christian Decharrière - Je ne l’avais pas compris ainsi.

M. le rapporteur - Lors de nos différents déplacements tant en France qu’à l’étranger, nous avons été surpris par la grande imagination dont font preuve les délinquants pour contrecarrer, voire anticiper l’organisation de la police, s’agissant tant des horaires que des méthodes de détection et d’investigation. Qu’en pensez-vous ?

Toujours selon M. Roché, l’un des premiers facteurs qui déclenche le passage à l’acte pour un mineur est le sentiment de réussir, du « pas vu, pas pris ». L’organisation qui est la vôtre sur l’ensemble du territoire vous paraît-elle suffisante ? L’emplacement des commissariats, notamment, est-il bien adapté ?

M. Patrice Bergougnoux - Vous évoquez une question aussi vieille que l’humanité, à savoir l’adaptation de ceux qui commettent des actes de délinquance au dispositif de ceux qui sont chargés de faire respecter la loi. Il y a une course permanente. C’est vrai tout particulièrement pour la criminalité organisée mais aussi pour la petite et moyenne délinquance qui perturbe le plus la vie de nos concitoyens et qui est finalement le plus mal ressentie par eux.

Notre dispositif est-il idéal ? Il serait présomptueux de ma part de vous répondre par l’affirmative. Vous ne me croiriez d’ailleurs pas. Nous avons tenté, à travers le déploiement de la police de proximité, de mieux répondre à cette nécessité d’occuper le terrain et d’être présent notamment dans les plages horaires où les besoins de sécurité ressentis sont les plus grands, c’est-à-dire notamment en soirée.

Par ailleurs, un nombre important mais probablement encore insuffisant de structures immobilières de police ont été mises en place pour servir de points d’appui aux équipes de policiers de proximité. J’évoquais tout à l’heure le chiffre de 900 implantations immobilières nouvelles de la police nationale au cours des deux dernières années.

Le souci d’adapter le dispositif de la police nationale aux différentes formes de délinquance rencontrées sur notre territoire est réel. Il faut bien évidemment prolonger cet effort et améliorer probablement encore les moyens tant matériels qu’humains mis à la disposition de la police de proximité afin de mieux répondre à ces besoins de sécurité, notamment dans les secteurs urbains sensibles.

M. Christian Decharrière - Effectivement, ont été créées ou sont en voie de l’être dans les 462 circonscriptions de sécurité publique 900 implantations décentralisées par rapport aux commissariats centraux, ce qui portera leur nombre à 1 700 lorsque tous ces projets seront concrétisés.

M. Patrice Bergougnoux - Il est vrai que la délinquance s’adapte au dispositif mis en place par la police et la gendarmerie. Je prendrai un exemple quelque peu éloigné des problèmes de sécurité au quotidien mais qui illustre bien cet aspect. Nous avons mis en oeuvre un plan lourd de sécurité pour permettre le bon déroulement de la mise en place de l’euro à travers un système de sécurisation des dispositifs de transport de fonds, des agences bancaires, des bureaux de poste et des caisses d’épargne. Durant cette période, les malfrats ont changé d’objectifs.

Nous avons vu baisser très sensiblement le nombre d’attaques de banques, de caisses d’épargne et de véhicules de transport de fonds alors que, dans la période précédant immédiatement la mise en place de l’euro, nous avions connu une certaine recrudescence de ce dernier type d’agressions. Le monde délinquant et criminel s’adapte donc effectivement aux moyens mis en oeuvre. Cela vaut aussi certainement pour les dispositifs de police de proximité au quotidien. C’est une course permanente entre les autorités, les services de sécurité et les délinquants.

M. le rapporteur - Le développement de la police de proximité, qui est souhaitable et même nécessaire, ne s’est-il pas fait au détriment de la police judiciaire ou d’investigation ? En un mot, n’a-t-on pas déshabillé Paul pour habiller Pierre ?

M. Patrice Bergougnoux - Les effectifs des Renseignements généraux, de la police judiciaire et de la DST ont été maintenus, voire renforcés depuis un an, notamment après les terribles événements du mois de septembre.

Nous avons enregistré 7 000 créations nettes d’emplois de policiers, qui ont permis, à hauteur de 5 000 environ, de renforcer les services de la sécurité publique afin d’assurer le déploiement de la police de proximité. Je ne dis pas que c’est suffisant. Le Gouvernement m’avait demandé d’établir une démarche stratégique pour la police nationale. Dans cette démarche, s’expriment des besoins nouveaux tant en effectifs qu’en moyens de tous ordres pour mener à son terme dans de bonnes conditions le déploiement de la police de proximité.

M. le président - Quelle action devrait être entreprise en priorité ? Nous entendons régulièrement toutes les statistiques et tous les éléments que vous nous donnez. Lorsque j’étais rapporteur du projet de loi relatif à la sécurité quotidienne, le ministre de l’intérieur les a, à son tour, repris.

Cependant, en tant que maire d’une commune de banlieue, j’entends très souvent dire que des citoyens qui ont appelé le commissariat se sont vu répondre qu’il ne pouvait pas intervenir faute d’effectifs. Il y a là quelque chose qui ne va pas. Ces effectifs que vous annoncez sont évidemment sincères -je ne suppose pas un instant qu’ils ne le soient pas- ...

M. Patrice Bergougnoux - Regardez la loi de finances !

M. le président - Mais où passent-ils ? Quel est votre sentiment en tant que praticien ? Pensez-vous vraiment que nos effectifs sont employés comme il le faudrait ?

Par ailleurs, j’avais cru comprendre que, par rapport aux pays comparables au nôtre, nos effectifs de police étaient les plus nombreux.

M. Patrice Bergougnoux - Cette affirmation est totalement fausse.

M. le président - Vous me rassurez d’une certaine manière !

M. Patrice Bergougnoux - Je vous donnerai quelques indications approximatives car je n’ai pas les chiffres précis en tête. Nos effectifs ne sont pas les plus nombreux. Si nous additionnons ceux de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la police municipale, nous sommes très en deçà de ceux de l’Espagne, de l’Italie, de l’Allemagne et nous nous situons au milieu du tableau des quinze pays de l’Union.

Certains Etats ont majoritairement des polices locales, comme l’Allemagne. D’autres ont des polices ou des gendarmeries nationales, comme la France, l’Espagne et l’Italie. A cet égard, je tiens d’ailleurs à votre disposition une étude réalisée à mon initiative par le service de coopération de la police nationale qui a fait le tour des pays européens et qui corrobore mes propos.

M. Bernard Plasait - L’une de vos réponses me surprend beaucoup. Je voudrais être certain de l’avoir bien comprise. La police de proximité, avez-vous dit, a été créée sans retirer d’effectifs aux services de la police judiciaire. A Paris, par exemple...

M. Patrice Bergougnoux - La situation dans la capitale est quelque peu différente. Il a été en effet procédé à une profonde réorganisation des services de la préfecture de police. Ainsi, ont été regroupés dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « direction de la police urbaine de proximité » les commissariats d’arrondissement et les commissariats de quartier. Ces derniers, dans l’ancienne organisation, relevaient de la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police.

Aujourd’hui, ils ne relèvent donc plus de cette dernière mais de la DPUP, la direction de la police urbaine de proximité. Pour autant, il ne s’agit pas là de suppression de moyens : ses missions sont toujours remplies, mais c’est désormais la police urbaine de proximité qui en assure une partie.

M. Bernard Plasait - Une partie des missions de la police judiciaire a donc été dévolue à la police de proximité ?

M. Patrice Bergougnoux - Absolument. Ainsi, les points dans lesquels les Parisiens ou les Franciliens qui viennent travailler à Paris et qui sont victimes de la délinquance peuvent déposer une plainte se sont considérablement multipliés.

Auparavant, les plaintes ne pouvaient être déposées que dans les commissariats de quartier. Désormais, elles pourront l’être également dans les commissariats d’arrondissement ou dans les bureaux de police de l’ex-sécurité publique.

M. Bernard Plasait - Dans ces conditions, si les policiers recueillent davantage de plaintes plus facilement, ils sont moins présents sur le terrain pour faire des investigations.

M. Patrice Bergougnoux - Non, car la police urbaine de proximité recueille les plaintes et mène aussi les investigations, bien évidemment.

M. Bernard Plasait - Chaque policier a-t-il alors davantage d’heures de travail ?

M. Patrice Bergougnoux - Mais non ! C’est l’organisation qui est différente.

M. Bernard Plasait - Pourtant, si à effectifs constants, la police de proximité est plus souvent sur le terrain pour recueillir des plaintes, elle est forcément moins disponible pour les investigations ; ou alors chaque policier travaille davantage.

M. Patrice Bergougnoux - Non, les policiers ne travaillent pas davantage ; ils travaillent différemment. A Paris, la répartition des tâches entre la police judiciaire et la police urbaine de proximité permet de répondre aux besoins de nos concitoyens. Cette nouvelle organisation de la préfecture de police a entraîné un travail différent pour les policiers. Elle a d’ailleurs été difficile à mettre en oeuvre parce que la préfecture de police avait le même fonctionnement depuis le début de son existence.

M. Bernard Plasait - C’est une longue histoire !

M. Patrice Bergougnoux - Néanmoins, tout s’est passé, je crois, dans de bonnes conditions.

M. Bernard Plasait - C’est ce qui importe. De votre point de vue, est-ce une réussite ?

M. Patrice Bergougnoux - Il ne m’appartient pas d’en juger. Il me semble que cette nouvelle organisation permet de mieux répondre aux besoins des Parisiens. Vous avez certainement en tête comme moi l’exemple de victimes se présentant dans un commissariat et renvoyées dans un autre qui ne les convoquait que le lendemain, voire le surlendemain, parce que le premier n’avait pas la compétence pour recueillir leurs plaintes.

Aujourd’hui, avec la mise en place de la police urbaine de proximité, il est possible de s’adresser à n’importe quel commissariat d’arrondissement ou de quartier pour déposer une plainte. Il s’agit donc d’une amélioration du service public « Police » : les gens peuvent désormais obtenir une réponse à leurs problèmes là où ils se présentent.

M. Bernard Plasait - Sans doute.

M. Jean-Jacques Hyest - Monsieur le directeur général, je suis un peu surpris de vos affirmations concernant les comparaisons européennes en matière d’effectifs de police.

M. Patrice Bergougnoux - Je vous transmettrai le document.

M. Jean-Jacques Hyest - J’ai eu l’occasion d’écrire un rapport fondé sur des éléments sérieux fournis par le ministère de l’intérieur ; si vos affirmations sont avérées, c’est que les chiffres du ministère de l’intérieur ont beaucoup changé ! La France se situe effectivement au-dessous de l’Espagne et de l’Italie -mais de très peu- mais ce n’est pas le cas par rapport à la Grande-Bretagne.

Par ailleurs, comme vous l’avez d’ailleurs dit d’une certaine manière, monsieur le directeur général, il est évident que la mise en place de la police de proximité implique que les délinquants qui sont désormais plus surveillés dans certains endroits vont faire leurs bêtises ailleurs. Or, les zones périurbaines situées en zones de gendarmerie n’ont pas bénéficié d’une augmentation des effectifs à due concurrence de la mise en place de la police de proximité en d’autres lieux.

En Seine-et-Marne par exemple, les statistiques concernant les zones de police pour 2001 sont comparables à la moyenne nationale. En revanche, on constate une « explosion » des chiffres dans les zones de gendarmerie proches des zones de police : il doit bien y avoir un rapport entre les deux. Il est donc extrêmement dangereux de ne prévoir la police de proximité que dans certains endroits et non partout.

Bien entendu, au-delà des comparaisons avec d’autres pays, la question qui demeure porte sur l’évolution des effectifs de police et de leur répartition en fonction non seulement des modifications de populations, mais aussi de certains éléments objectifs relatifs à la délinquance. De votre point de vue, y a-t-il des évolutions significatives du paysage entre les zones de la police et celles de la gendarmerie ? Les effectifs ont-ils augmenté plus particulièrement dans les vingt-six départements qui avaient été jugés les plus sensibles, ou ont-ils augmenté partout pour faire plaisir à tout le monde ?

M. Patrice Bergougnoux - Monsieur le sénateur, 75 % des faits de délinquance et de criminalité sont commis en zones de police et 25 % en zones de gendarmerie. Ce rapport est à peu près stable malgré les évolutions récentes que vous évoquez. Ces dernières ont d’ailleurs eu tendance à s’atténuer dans les zones de gendarmerie au cours du dernier trimestre 2001 et du début de l’année 2002, quoique de façon moins forte il est vrai que dans les zones de police, où la situation au début de cette année 2002 est en nette amélioration, sur le plan statistique bien sûr.

S’agissant de l’évolution des effectifs de la police nationale sous l’angle de la sécurité publique, on peut dire que la mise en place de la police de proximité a permis d’augmenter les moyens humains des circonscriptions concernées -lors de la première, de la deuxième ou de la troisième phase qui se déroule actuellement- de 8 % à 10 % par rapport au 1er janvier 1999.

Une fois ce renforcement des moyens de la sécurité publique achevé, il faudra évidemment en faire une évaluation et ajuster les effectifs par rapport au fonctionnement des circonscriptions de sécurité publique, pour permettre l’exercice dans de bonnes conditions de la police de proximité. Dans certaines circonscriptions en effet, afin de ne pas démultiplier les moyens humains, deux secteurs seulement ont été ouverts alors qu’il en faudrait trois pour être plus proche de la population. De ce point de vue, de nouveaux moyens seront probablement à déployer pour permettre une occupation du terrain qui soit encore plus satisfaisante qu’aujourd’hui.

En vous disant tout cela, monsieur le sénateur, je ne réponds pas à votre question concernant la situation des zones de gendarmerie, mais vous savez que ce n’est pas de ma compétence directe.

M. Jean-Jacques Hyest - Il devrait y avoir une coopération obligatoire entre la police et la gendarmerie pour aboutir à des solutions équilibrées.

M. Patrice Bergougnoux - Absolument.

M. le rapporteur - Quant aux brigades des mineurs, outre leur vocation à s’occuper des victimes, elles s’occupent aussi des délinquants. Est-ce vrai sur l’ensemble du territoire ?

M. Christian Decharrière - On dénombre 109 brigades des mineurs sur l’ensemble du territoire couvert par la sécurité publique. Il y a donc un certain nombre de circonscriptions où il n’y en a pas ; mais alors certains personnels, au sein des services d’investigation et de recherche, sont plus spécialisés en matière de traitement des problèmes relatifs aux mineurs.

Par ailleurs, il faut préciser que, parmi les 109 brigades, sept d’entre elles, sur la couronne parisienne, sont rattachées à la sûreté départementale et couvrent l’ensemble des circonscriptions du département.

Il ne faut donc pas rapporter strictement le nombre de brigades des mineurs aux 462 circonscriptions de sécurité publique puisque, d’une part, de nombreuses circonscriptions sont situées dans la couronne parisienne et que, d’autre part, sans créer de brigade des mineurs, on spécialise certains personnels sur ce type de questions.

M. Jean-François Humbert - Je crois avoir entendu voilà quelques semaines, à la fin du mois de mars ou au tout début du mois d’avril, un certain nombre d’informations indiquant une baisse de la criminalité en France. Si c’est bien le cas, une part importante de cette baisse est-elle due à la baisse de la criminalité des mineurs, et, si oui, laquelle ?

M. Patrice Bergougnoux - Comme je l’ai dit tout à l’heure, il y a eu, en 2001, une légère réduction de la part des mises en cause de mineurs dans la délinquance générale de l’ordre de 2 %. Cela dit, cette réduction n’est pas la cause de l’amélioration des statistiques de la délinquance au cours du deuxième semestre 2001, notamment du dernier trimestre, et de ce début d’année 2002.

A cet égard, la délinquance des mineurs « réitérants » ou multirécidivistes reste un problème entier et lourd pour la sécurité publique dans les années qui viennent. Il est nécessaire, de ce point de vue, de renforcer les moyens permettant -je l’ai évoqué assez lourdement tout à l’heure- d’éloigner temporairement du territoire sur lequel ils sévissent les jeunes connus comme multirécidivistes. Cela doit servir d’exemple pour les autres mais aussi pour eux-mêmes. C’est l’une des voies indispensables à suivre pour apporter de meilleures réponses aux problèmes de la délinquance dans les quartiers sensibles.

M. Bernard Plasait - Est-ce le fameux agrégat plutôt contesté « violences urbaines », qui regroupe à la fois les violences contre les personnes, les vols de voitures et les cambriolages, qui a tendance à diminuer ?

M. Patrice Bergougnoux - Il n’existe pas d’agrégat « violences urbaines » dans l’état statistique « 4001 » de la police. Le phénomène qu’on appelle « violences urbaines » ne correspond pas à une qualification pénale mais recouvre un ensemble de délits qui, eux, sont qualifiés pénalement. Ces « violences urbaines », telles qu’on les entend, représentent une part infime de la délinquance générale.

En ce qui concerne les faits de violence contre les personnes et qui, eux, constituent l’un des agrégats figurant à l’état statistique « 4001 » et correspondent à des qualifications pénales, on observe depuis plus de vingt ans une augmentation annuelle : c’est une tendance lourde. Cet agrégat, qui ne cesse de croître, représente aujourd’hui quelque 300.000 faits constatés, à rapporter à la délinquance générale, qui représente un peu plus de 4 millions de faits constatés. Il faut observer et lutter contre ce phénomène d’augmentation permanente, constaté depuis plus de vingt ans, quasiment depuis la création de la statistique de la police en 1972. A l’époque, le niveau de l’agrégat « violences contre les personnes » était de l’ordre de 120.000 faits constatés.

Voilà quelques observations à la fois sur les violences urbaines et sur les violences contre les personnes qui représentent le défi majeur pour nos services de sécurité dans les années qui viennent.

M. Laurent Béteille - On a beaucoup parlé des moyens en personnels ; en ce qui concerne le matériel -les véhicules et l’informatique par exemple-, estimez-vous être au niveau souhaité ou y a-t-il encore beaucoup de choses à faire ?

M. Patrice Bergougnoux - Il reste beaucoup à faire. Nous sommes en train de moderniser et de rénover le système de transmission et de communication de la police nationale : c’est en effet un système analogique obsolète, qui n’est pas crypté et donc pas protégé ; tout le monde peut, en se dotant de quelques moyens achetés « au coin de la rue », capter et écouter les communications de la police, celles d’un commissariat en Seine-et-Marne comme celles des forces de gendarmerie mobile ou de CRS qui viennent en renfort dans tel ou tel endroit.

M. Jean-Jacques Hyest - Parfois, le système ne fonctionne même plus !

M. Patrice Bergougnoux - Effectivement ! Le projet « ACROPOL » prévoit ainsi la mise en oeuvre d’un système de communication et de transmission numérique crypté, protégé, qui va permettre de donner à la police nationale des moyens de transmission sûrs et efficaces dans les années qui viennent. Nous allons procéder, à raison de douze départements par an, au déploiement de ce dispositif à travers le territoire. Celui-ci a commencé dans une douzaine de départements, notamment en région parisienne ; Paris est ainsi couvert depuis le 1er avril dernier. Le programme de couverture de l’ensemble du territoire national devrait s’achever vers 2007-2008. C’est un projet extrêmement coûteux : 450 millions de francs sont ainsi prévus dans le budget 2002 pour la mise en place du système.

S’agissant des moyens plus classiques de fonctionnement de la police nationale, il existe un besoin important de renouvellement et de renforcement des moyens automobiles. Les véhicules des policiers sont utilisés de façon très intensive et s’usent beaucoup plus rapidement que les véhicules utilisés dans d’autres métiers -sauf peut-être pour les VRP- ou par les particuliers. A cet égard, lors de la mise en place de la police de proximité, nous avons augmenté de façon importante -un millier de véhicules- le parc automobile de la police de sécurité publique.


Source : Sénat français