La France, comme toute la communauté internationale, est encore sous le choc du terrible attentat perpétré le 19 août contre les Nations Unies à Bagdad, qui a coûté la vie à Sergio Vieira de Mello et à nombre de ses collaborateurs et a blessé des dizaines d’autres. Dans ces conditions pénibles, alors que nous ne connaissons pas encore le sort de nombreuses personnes, notre réunion de ce jour, prévue de longue date pour entendre le rapport des autorités de la coalition, ne peut que s’en trouver profondément affectée. Nos pensées vont aux victimes, aux blessés, à leurs familles, au personnel onusien et humanitaire sur place. Il est sans doute trop tôt pour tirer des leçons définitives et prendre des décisions sur les implications politiques. Il faut se garder d’explications simplistes et manichéennes. Nous devons tous, ONU, membres du Conseil, Autorité de la coalition, rester humbles. Il faut prendre le temps de l’analyse et de la réflexion, en commençant par un examen de conscience et une analyse précise de la situation dans toute sa complexité. C’est le moment, croyons nous, de recenser les questions et de commencer à réfléchir sur les manières d’y répondre.

Dans cet esprit, je remercie les délégations américaine et britannique de l’exposé détaillé qu’elles viennent de présenter. Nous avons écouté avec la plus grande attention les indications qu’elles nous ont données au Conseil et nous les étudions attentivement. La plus grande transparence est nécessaire si nous voulons y voir clair et pouvoir agir efficacement pour un recouvrement rapide par l’Irak de son indépendance et de sa souveraineté.

Notre objectif pour l’Irak et les Irakiens, pays et peuple de haute et ancienne civilisation, n’a pas changé : il reste, plus que jamais, d’assurer une transition politique rapide conduisant à la fin de l’occupation du pays et permettant aux Irakiens de recouvrer leur souveraineté dans le cadre d’un régime respectueux des droits et libertés fondamentales de chacun.

1. La condition fondamentale, la condition sine qua non d’une reconstruction économique et politique réussie de l’Irak réside évidemment dans le retour de la sécurité et de l’ordre public. Dans l’attente de la pleine restauration de la souveraineté irakienne, cette responsabilité incombe en premier lieu aux puissances occupantes, conformément au droit international, en particulier le règlement de la Haye et les conventions de Genève, rappelés par les résolutions 1472 et 1483 du Conseil de sécurité. Ce qui s’est passé le mardi 19 août, et qui avait été précédé par d’autres attentats contre des cibles civiles, est odieux et les auteurs doivent être condamnés et passés en justice. Ce qui s’est passé montre néanmoins, de façon tragique, que l’insécurité reste le problème prioritaire en Irak et que la façon d’y répondre doit être profondément revue. L’Irak est devenu, malheureusement, un théâtre d’opérations pour les terroristes. Il y a bien entendu, plusieurs niveaux de réponse :

 On pense d’abord aux mesures et dispositifs de sécurité pour assurer la sûreté des personnes et des biens en Irak ; qu’il s’agisse de l’ONU, des Iraquiens ou des personnels étrangers, diplomatiques ou humanitaires. Les Nations Unies, en Irak comme ailleurs, ne peuvent pas accomplir le mandat que leur a confié le Conseil de sécurité sans que les conditions pour le remplir soient réunies, en particulier sur le plan de la sécurité. Nous allons devoir collectivement réfléchir à ce grave problème, qui concerne les missions de l’ONU partout dans le monde. S’agissant de l’Irak, je serais reconnaissant aux délégations américaine et britannique des précisions qu’elles pourraient apporter concernant le dispositif existant. Quel est le dispositif de transmission et d’échange de l’information entre l’Autorité, les Nations Unies, les missions étrangères en Irak ? Quel est le dispositif d’alerte ? Quelles sont les mesures concrètes de protection prises sur place ? Quelles mesures de renforcement sont prévues, au plan quantitatif et qualitatif ? Comment faire pour que les institutions et personnels civils et humanitaires soient protégés tout en respectant pleinement leur indépendance et en évitant qu’ils puissent d’une manière ou d’une autre être assimilés aux forces militaires d’occupation ?

 Il n’y a pas de réponse simple. La réponse au défi du terrorisme et de la violence ne peut pas être seulement sécuritaire et militaire. La solution est également et surtout politique. Pour sortir du piège tendu par les terroristes, qui est la stratégie du chaos et du vide, il faut redonner aux Irakiens leur responsabilité et leur souveraineté dans le cadre d’un calendrier accéléré et d’une séquence clairement définie. Le Secrétaire général l’avait indiqué dans son rapport du mois dernier. Sergio Vieira de Mello était venu au Conseil nous le dire lui-même. Je cite " il est urgent que soit définie clairement et précisément la séquence des événements qui déboucheront sur la fin de l’occupation militaire ". C’est la conviction de la France que cette transition politique aura d’autant plus de chances de réussir qu’elle sera pilotée par les irakiens eux-mêmes avec l’assistance non pas des forces d’occupation, mais de la communauté internationale dans son ensemble incarnée par les Nations Unies. Comme ma délégation l’avait indiqué le mois dernier, il nous semble en effet que seules les Nations Unies ont à la fois la légitimité, l’impartialité et l’expertise pour assurer l’efficacité du processus de restauration de l’état. Il est indispensable de préserver leur indépendance, gage de légitimité.

C’est également la conviction de la France que la stabilisation de l’Irak dépend de la capacité à traiter rapidement les crimes et les violations des droits de l’homme commis par le régime de Saddam Hussein et de la capacité à mettre en place un dispositif de réconciliation nationale, de justice de transition et de promotion du respect des droits de l’homme. Sur ces sujets, je serais également très reconnaissant aux délégations américaine et britannique de tous les éclaircissements supplémentaires qu’elles voudront bien nous donner.

 Enfin, dernier élément qu’il nous semble nécessaire d’évoquer en lien avec le problème de la sécurité, celui de la prolifération. Nous n’avons toujours aucun élément sur les armes de destruction massives que le régime de Saddam Hussein aurait détenues. Si celles-ci existaient bien, on ne peut que s’inquiéter de leur caractère introuvable dans un contexte d’actes terroristes. Sur ce sujet aussi, il nous semble indispensable que le Conseil de sécurité réexamine le mandat de l’UNMOVIC, comme il l’a promis et dans un délai raisonnable. La France reste persuadée que l’UNMOVIC doit jouer un rôle central dans la vérification et la certification du désarmement effectif de l’Irak.

2. La deuxième condition fondamentale d’une reconstruction économique et politique réussie de l’Irak est la mobilisation concertée de l’ensemble de la communauté internationale. Ceci n’est possible que si les autorités de la coalition reconnaissent qu’elles ne peuvent pas réussir seules et qu’elles jouent le jeu d’une parfaite transparence. Partager le fardeau et les responsabilités, dans un monde de nations égales et souveraines, cela signifie également partager l’information et l’autorité. La communauté internationale et les Nations Unies en particulier ne peuvent jouer de rôle central et efficace que pour autant que le processus de reconstruction entamé par les autorités de la coalition est transparent sur tous les plans, en particulier politique, économique et financier. Il doit y avoir également une claire répartition et distinction des rôles et des responsabilités. La reconstruction économique demande également l’établissement d’un échéancier. La conférence des donateurs prévue pour le mois d’octobre est une idée à laquelle nous souscrivons, pour autant que la communauté internationale soit tenue pleinement informée sur l’utilisation faite par l’autorité provisoire de la coalition des ressources financières et pétrolières iraquiennes. Or, à ce jour, aussi étonnant que cela puisse paraître, il manque toujours l’instrument clé prévu par la résolution 1483 pour assurer le contrôle international permanent sur l’utilisation des ressources irakiennes qui est le conseil international consultatif et de contrôle du fonds de développement pour l’Iraq, l’IAMB pour utiliser l’acronyme anglais mieux connu. Il nous semble indispensable qu’il puisse être établi sans tarder, avec toute l’autorité qui doit lui revenir en matière de capacité de contrôle effectif que les fonds soient utilisés conformément aux paragraphes 13 et 14 de la résolution 1483.

Monsieur le Président,

La France est extrêmement préoccupée par la situation actuelle en Irak. Elle condamne de façon la plus vigoureuse les actes de terrorisme. Une terrible question se pose à nous aujourd’hui. En serions-nous là si, dès le départ, avait été mis en place un vrai partenariat international et une approche globale des problèmes sécuritaires, politiques, économiques et sociaux, leur approche globale sous l’égide des Nations Unies ? Aujourd’hui, tout doit être fait pour éviter une instabilité prolongée et le développement du terrorisme en Irak, moralement répugnant et condamnable d’où qu’il vienne et mortel pour le peuple irakien. Ceci suppose de réviser profondément la stratégie suivie jusqu’à présent, afin de gagner la paix.

Je vous remercie.

Source : ministère français des Affaires étrangères