Le rapporteur spécial sur le logement convenable s’inquiète des expulsions forcées à Kaboul

En tant que Rapporteur spécial sur le logement convenable nommé par la Commission des droits de l’homme, actuellement en mission en Afghanistan sur invitation du Gouvernement, je suis profondément préoccupé par les expulsions forcées opérées dans la village de Shirpur, près de Wazir Akbar Khan, dans la province de Kaboul.

Selon la Commission indépendante des droits de l’homme d’Afghanistan et selon le Groupe de surveillance et d’enquête de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan, dans la matinée du 3 septembre 2003, une centaine d’officiers de police armés, apparemment menés par le Chef de la police de Kaboul et accompagnés de bulldozers et de camions, ont détruit les maisons de trente familles abritant 250 personnes au total, dont nombre de femmes et d’enfants. Les destructions de maisons ont été opérées sans avoir été immédiatement précédées d’aucun avertissement préalable et sans que les résidents n’aient donc eu la possibilité de sauver leurs effets personnels. Un certain nombre de résidents, essentiellement des femmes et des enfants, se trouvaient à l’intérieur des maisons au moment où les destructions ont commencé, et ont donc été blessés. Lorsque les gens ont essayé de s’opposer aux expulsions, la police a utilisé une force excessive, ce qui a encore accru le nombre de blessés. Je me suis personnellement rendu sur les lieux, ai parlé aux résidents et ai été témoin des destructions et blessures qui ont été infligées. J’ai également été informé que 260 familles supplémentaires dans le même secteur sont menacées d’expulsion dans un avenir proche.

Selon les informations que j’ai reçues, les terrains concernés appartiennent au Ministère de la défense et il est prévu d’y construire les maisons de hauts dignitaires du Gouvernement. Pourtant, les pauvres habitants du village de Shirpur vivent dans leurs maisons depuis de nombreuses années - depuis 25 ou 30 ans pour certaines familles - et la plupart sont des employés ou des anciens employés du Ministère de la défense. Mon sentiment, à l’issue des rencontres que j’ai eues avec plusieurs ministres durant ma visite, c’est que le Gouvernement transitoire afghan a décidé d’accorder la priorité à la réalisation des droits des segments les plus vulnérables de la population afghane. Or, cet objectif s’accommode fort mal du cas du village de Shirpur et de la situation qui prévaut ailleurs dans la province de Kaboul où il semble que la priorité, pour ce qui est de l’attribution des logements et des terres, aille aux personnes riches et influentes.

À l’issue de ma visite en Afghanistan, l’une de mes constatations préliminaires a trait au manque de clarté du système juridique et à l’incapacité du pouvoir judiciaire à traiter des droits en matière de logement, y compris lorsqu’il s’agit des différends liés à la terre et à la propriété. Le cas du village de Shirpur et d’autres cas similaires confirment ces constatations. Je recommande fermement que soit observé un moratoire sur toutes les expulsions jusqu’à ce que le Gouvernement ait adopté une politique nationale globale et claire en matière de logement et de terre et jusqu’à ce qu’il ait établi un système judiciaire effectif pour régler les différends dans ces domaines. Une telle politique devrait tout particulièrement prendre en considération les besoins et les droits des femmes et des groupes vulnérables, y compris les personnes de retour, les personnes déplacées internes, les pauvres, les personnes handicapées et les minorités.

En outre, (…) la manière dont les expulsions forcées des trente familles de Shirpur ont été opérées, y compris du point de vue de l’utilisation excessive de la force, équivaut à de graves violations des droits de l’homme énoncés dans les instruments internationaux de droits de l’homme que l’Afghanistan a ratifiés. Si des expulsions doivent être menées, cela doit être fait en conformité avec la loi, y compris avec le droit relatif aux droits de l’homme. Les résidents doivent en effet être pleinement consultés, se voir accorder un dédommagement et se voir garantir leur droit à un logement convenable dans un autre lieu, tout en étant assurés que leurs moyens d’existence ne seront pas menacés.

Je crois fermement qu’à un moment où l’Afghanistan est engagé dans un processus de reconstruction, après des décennies de conflit, les autorités gouvernementales ne devraient pas être impliquées dans un quelconque processus menant à une plus grande dépossession de la grande majorité du peuple d’Afghanistan, déjà vulnérable.

Source : Commission des droits de l’homme