Question de David Denny : Si on se base sur les critères classiques, la lutte
mondiale contre le terrorisme se déroule de façon satisfaisante. Des
dirigeants d’Al-Qaïda ont été faits prisonniers ou tués, la sécurité
intérieure a été renforcée et aucune attaque importante n’a eu lieu
sur le sol américain au cours des deux années qui ont suivi les
attentats terroristes du 11 septembre. Où en sommes-nous et
qu’avons-nous accompli ?

Réponse de l’ambassadeur Cofer Black : Sous la direction du président Bush, les Etats-Unis ont mis au
point, depuis le 11 septembre, un programme antiterroriste efficace et
focalisé, fondé sur des contacts et une collaboration étroits avec nos
partenaires étrangers. Nous entretenons des relations suivies avec la
police, les services de sécurité et tous les organes officiels qui
contribuent à la lutte mondiale contre le terrorisme. Ce partenariat
s’est révélé très efficace sur une base internationale pour exercer de
fortes pressions sur les terroristes si bien que leur capacité de
planifier et de lancer des attaques a été considérablement réduite. Je
pense qu’il s’agit là, du point de vue américain, d’une réalisation
remarquable des forces antiterroristes internationales.

Aucune attaque n’a été perpétrée sur le sol américain par Al-Qaïda
depuis le 11 septembre 2001, mais nous autres Américains considérons
le terrorisme comme un problème mondial. Nous coopérons avec nos
partenaires étrangers pour protéger tous les habitants de la planète.
Et, dans cette entreprise, plus des deux tiers des cadres d’Al-Qaïda
de l’époque du 11 septembre ont été arrêtés, sont détenus ou ont cessé
de poser une menace pour des hommes, femmes et enfants innocents et
plus de 3.000 membres ou adeptes d’Al-Qaïda ont été appréhendés et
sont en détention.

Les indices de la lutte antiterroriste sont tous très positifs et
c’est au personnel des différents services d’ordre et de sécurité et
des services diplomatiques étrangers, qui communiquent entre eux et
coopèrent, que nous devons ce résultat. Il suffit de se reporter au 11
septembre 2001 pour constater les effets d’une attaque aussi
catastrophique. Par moments, la perspective très réelle de nouvelles
attaques était imminente et grâce au travail acharné de tous à travers
le monde, cela ne s’est pas produit, ce dont, en tant que
fonctionnaire américain, je suis très reconnaissant.

DAVID DENNY : La menace posée par Al-Qaïda est-elle toujours très réelle ?

COFER BLACK : Elle est très réelle en effet. Al-Qaïda fait peser une menace très
réelle et permanente sur les Etats-Unis et sur leurs intérêts de même
que sur tous les autres peuples épris de liberté. Al-Qaïda a tué des
hommes, femmes et enfants innocents - et prépare actuellement des
opérations dans le même but. Et nous nous unissons tous pour
identifier ses agents et les menaces qu’ils essaient de mettre à
exécution. Je juge significatif le fait que cette haine idéologique
qui semble animer Al-Qaïda a été déjouée par le travail acharné et la
coopération de la communauté internationale.

La lutte n’est pas finie, comme l’a souligné le président des
Etats-Unis. Il est probable que sa durée restera indéterminée. Nous
avons fait d’énormes progrès. Tout en demeurant une réelle menace,
Al-Qaïda est en fuite, il passe de plus en plus de temps sur la
défensive, à se défendre au lieu de s’offrir le luxe d’un sanctuaire
pour lancer ses attaques. Je pense qu’il pose toujours une menace.
Jusqu’à présent, cette menace a été efficacement déjouée grâce
notamment à la création du ministère de la sécurité intérieure et au
rôle clé qu’il joue dans la défense de notre pays. J’estime donc que
les indices sont positifs ; les résultats sont édifiants. Et comme l’a
affirmé le Président, nous allons mettre aux abois ces gens dont le
seul but est d’infliger du mal à des hommes, femmes et enfants
innocents.

DAVID DENNY : Al-Qaïda se révèle-t-elle être une organisation hautement
adaptable ?

COFER BLACK : Les pressions antiterroristes intenses exercées sur elle par les
divers pays ont eu pour résultat direct de contraindre l’organisation,
telle qu’elle existait le 11 septembre 2001, à modifier son
comportement et son modus operandi parce que la poursuite de ses
méthodes anciennes aurait assuré sa défaite totale. C’est une
organisation qui apprend à s’adapteCofer Black : ses membres tentent de tirer
des leçons de leurs pertes et de les appliquer. Ils s’emploient
activement - ceux du 11 septembre qui ont survécu - à trouver des
moyens nouveaux d’opérer et de lancer des attaques compte tenu de
l’assaut des forces antiterroristes internationales.

L’avantage et l’initiative appartiennent à ceux qui poursuivent
Al-Qaïda et le traquent. Cela vient du fait qu’Al-Qaïda doit être de
plus en plus sur la défensive pour protéger la sécurité de ses membres
et de ses cellules. Ce faisant, ils n’ont pas autant de temps pour
préparer leurs opérations et les objectifs des opérations qu’ils
voudraient lancer deviennent plus difficiles à atteindre et sont plus
sécurisés en raison des efforts que déploient les gouvernements, à
travers le monde, pour se protéger contre ce fléau.

DAVID DENNY : La portée d’Al-Qaïda est-elle plus grande qu’on ne le pensait ?

COFER BLACK : Al-Qaïda a étendu sa portée de la péninsule d’Arabie saoudite à
d’autres zones d’opération. Ses membres considèrent les Etats-Unis
comme le principal allié des régimes conservateurs du Proche-Orient,
c’est pourquoi ils les attaquent. En tant qu’organisation
internationale, Al-Qaïda s’efforce d’attaquer les intérêts américains
là où ils sont le plus vulnérables et il accorde davantage de valeur
aux attaques dirigées contre les Etats-Unis. Je dirai donc que c’est
une organisation qui, dans l’affectation de ses ressources, s’est
davantage internationalisée. Je pense qu’au cours de ces dernières
années, ses efforts pour établir des contacts parmi les groupes
autochtones locaux se sont accrus de façon spectaculaire et
représentent une menace qui a été clairement identifiée, une menace
qui a été et continuera à être activement combattue.

DAVID DENNY : Al-Qaïda, qui est un mouvement sunnite, coopère-t-il maintenant
avec Hezbollah, mouvement chiite ?

COFER BLACK : C’est là une question très intéressante. Je pense que l’important
est la notion de coopération. Je pense que ces groupes ont l’habitude
d’avoir des contacts et une interaction, certains productifs, d’autres
moins. Leur instinct, au niveau local, opérationnel, comporte certains
éléments de soutien mutuel, en réponse directe aux efforts croissants
que déploient les forces antiterroristes pour les identifier et
veiller à ce qu’ils ne nuisent pas à des personnes innocentes.

DAVID DENNY : Commençons-nous à discerner une certaine convergence entre les
groupes terroristes sous la direction d’Al-Qaïda ?

COFER BLACK : Je ne sais pas si j’utiliserais le terme de convergence. On
discerne chez eux des efforts croissants pour internationaliser leur
mission. Al-Qaïda s’efforce d’établir des relations efficaces et
productives, grâce auxquelles il peut utiliser à ses fins des groupes
autochtones locaux.

DAVID DENNY : Est-ce un phénomène relativement récent, qui a fait son
apparition, disons, ces deux dernières années ?

COFER BLACK : Je pense qu’il s’est certainement intensifié ces deux dernières
années.

DAVID DENNY : Quand le rapport de 2002 sur les "Tendances du terrorisme
international" a été publié, au début de cette année, le nombre
d’incidents terroristes avait diminué de façon frappante. Quelle
combinaison de facteurs a aidé ce changement spectaculaire et
avez-vous l’impression que cette tendance se poursuit ?

COFER BLACK : Je dirai en effet que cette tendance se poursuit nettement. Si
vous examinez l’année 2002, le nombre d’attaques terroristes
internationales avait été de 199. Cette année, de janvier à juin, nous
avons eu 105 attaques. De même, en 2002, le nombre d’attaques dirigées
contre les Etats-Unis avait été de 77, et on en a enregistré 38 de
janvier à juin 2003. Il s’agit d’un résultat direct des efforts
antiterroristes concertés, incessants, sans relâche, des divers pays.
La gravité de cette menace est certainement reconnue, elle est évaluée
et la réponse des gouvernements a consisté à passer à l’action. Pour
citer le président des Etats-Unis, la communauté internationale traque
les agents d’Al-Qaida dans le but de protéger des innocents.

DAVID DENNY : La presse signale un accroissement de l’activité dans la zone des
trois frontières d’Amérique latine. On craint de voir les terroristes
tenter d’exploiter la richesse générée par le monde de la drogue en
tant que source fiable de nouveaux fonds pour les activités
terroristes, des activités clandestines. Est-ce une source de
préoccupation croissante pour la communauté antiterroriste et les
Etats-Unis suivent-ils attentivement ce qui se passe dans cette région
 ?

COFER BLACK : Les Etats-Unis s’intéressent en effet à la zone des trois
frontières et ils continueront à le faire. Le premier voyage que j’ai
effectué, après la confirmation de ma nomination en tant que
coordinateur de la lutte antiterroriste, a eu lieu dans la région des
trois frontières où j’ai rencontré mes homologues et confrères
d’Argentine, du Brésil et du Paraguay et l’objectif était de mettre
l’accent sur la zone des trois frontières, ce que nous avons fait, ce
que nous faisons de façon croissante et continuerons à faire.

Essentiellement, nous avons identifié les rapports qui existent entre
cette zone des trois frontières et le financement du terrorisme. Nous
cherchons à couper ces liens. Nous cherchons également à mettre en
place une présence antiterroriste pour réagir à tout mouvement futur
des terroristes dans la région. S’ils décident de venir, les pays de
la région et les Etats-Unis les attendront de pied ferme.

DAVID DENNY : S’agit-il d’une préoccupation croissante et les Etats-Unis
observent-ils sérieusement la situation ?

COFER BLACK : Oui. Je viens de parler de la zone des trois frontières. Vous
m’interrogez sur la préoccupation que nous causent cette zone et ses
rapports avec le financement du terrorisme international. C’est l’une
des principales priorités du gouvernement Bush. Nous entretenons des
relations actives avec les responsables économiques des pays étrangers
 ; nous leur fournissons des programmes de formation ; nous les aidons
à étudier des recommandations en faveur d’un changement de la
réglementation, des lois et de la législation, dans le but de
faciliter l’interdiction de l’accès des terroristes aux fonds. A ce
jour, plus de 136 millions de dollars de fonds destinés aux
terroristes ont été gelés. Cette initiative est en cours, elle se
poursuivra car, comme l’a dit un expert, nous cherchons à "assécher le
marécage", de façon à empêcher les terroristes d’avoir accès aux
fonds.

DAVID DENNY : Ce chiffre de 136 millions de dollars se rapproche beaucoup du
montant total qui avait été annoncé quelques mois après le 11
septembre. En d’autres termes, nous avons fait tout ce que nous
pouvions très rapidement, dans le système bancaire, et maintenant, les
terroristes se tournent vers le système non bancaire et on n’entend
plus parler de tous les progrès que nous faisons pour couper les
fonds. Ils ont tiré une leçon, il se sont fait échauder et ont perdu
les avoirs qu’ils avaient dans le système bancaire. Y a-t-il un moyen
de donner des détails non confidentiels sur les succès que nous avons
obtenus à l’encontre des autres méthodes qu’ils utilisent pour tenter
d’acheminer des fonds et dans ce genre d’activité ? Quelqu’un les
dénombre-t-il ?

COFER BLACK : Comme je l’ai dit précédemment, plus de 172 pays ont pris des
mesures pour bloquer plus de 136 millions de dollars d’avoirs liés aux
terroristes. Plus de 290 entités ou groupes terroristes ont été
classés en tant que tels en vertu du décret présidentiel 1332 qui
permet de geler leurs avoirs ; 685 comptes liés aux terroristes ont
été bloqués à travers le monde, dont 106 aux Etats-Unis. Plus de 180
pays ont adopté une législation se rapportant aux terroristes et 84
ont établi des services de renseignements financiers.

Les terroristes ont beaucoup plus de difficulté, à l’heure actuelle, à
collecter des fonds et à les acheminer. Ils doivent désormais être sur
leurs gardes en se demandant s’ils peuvent sans crainte mobiliser et
déplacer des fonds, planifier des opérations et les exécuter.

DAVID DENNY : Les Etats-Unis continuent-ils à collaborer avec les organisations
régionales et internationales pour mettre au point des approches
communes dans la campagne mondiale contre le terrorisme ? Dans
l’affirmative, quelles sont certaines de ces approches ?

COFER BLACK : Nous agissons évidemment sur les plans bilatéral, multilatéral et
régional pour accroître notre lutte mondiale contre le terrorisme en
tant que pièce maîtresse de cette campagne. Ainsi, tout dernièrement,
au sommet du G8 tenu à Evian en 2003, les dirigeants ont établi un
Groupe d’action contre le terrorisme, ou GACT, composé de pays
donateurs, pour accroître et coordonner la formation et l’assistance
aux pays qui désirent combattre le terrorisme mais ne possèdent pas le
savoir-faire nécessaire, nous concentrant sur des domaines cruciaux
tels que le financement du terrorisme, la douane et l’immigration, le
trafic illicite des armes, la police et l’application des lois. De
même, le programme de financement militaire du département d’Etat, qui
se concentre sur le professionnalisme militaire et l’équipement de
forces armées étrangères souvent débordées, fournit un apport direct
de ressources dont celles-ci ont grandement besoin pour combattre le
terrorisme.

DAVID DENNY : Ceci comprend-il la formation, en plus de l’équipement ?

COFER BLACK : Oui.

DAVID DENNY : Enfin, les Etats-Unis ont commencé à proposer une formation
supplémentaire et des consultations aux autres pays qui désirent
développer ou améliorer leurs mesures contre le terrorisme.
Pouvez-vous me donner des exemples de la façon dont cela se passe ?

COFER BLACK : Je pense l’avoir fait. Je citerai comme exemple le fait que, le 11
septembre, seuls deux pays avaient adhéré aux douze conventions et
protocoles internationaux contre le terrorisme. Or actuellement, plus
de 30 pays ont adhéré à toutes ces conventions et bien d’autres sont
devenues parties à la plupart de ces conventions et protocoles et ont
adopté la législation assurant leur application.

Source : départment d’État.

Note du Réseau Voltaire : le Washington File est une publication du département d’État. Dans cet entretien, le journaliste est donc un employé de l’ambassadeur qu’il interroge.