Prendre le risque de la paix au Proche-Orient

Dix ans après la signature par Yasser Arafat et Itzhak Rabin de la Déclaration de Washington, le conflit israélo-palestinien connaît la situation sans doute la pire depuis 1967. La violence est quotidienne. La seconde Intifada entre dans sa quatrième année avec près de 3500 morts. La feuille de route du Quartet est en panne. Palestiniens et Israéliens, qui s’étaient rapprochés grâce au processus d’Oslo, sont aujourd’hui séparés par une hostilité profonde.

Sommes-nous donc dans une spirale irréversible de la violence ? Pouvons-nous laisser ces deux peuples sans autre perspective que davantage de souffrance et de morts ? La communauté internationale, qui a su résoudre des conflits complexes, en Afrique du Sud, dans les Balkans, est-elle incapable d’apporter justice, sécurité et espoir aux Israéliens et aux Palestiniens ?

Nous devons nous mobiliser pour agir et encourager tous ceux qui veulent avancer vers la paix.

Le processus de la Feuille de route lancé à Aqaba en juin s’est interrompu au bout de quatre mois. C’est d’autant plus frappant que les deux parties l’ont accepté et qu’il est soutenu par les Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie et l’ONU.

Nous pouvons sortir de l’impasse actuelle si les parties, avec la communauté internationale, respectent certains principes essentiels.

Premier principe : prendre le risque de la paix, faire le choix de la volonté contre le chaos. Sinon, aucun plan n’aboutira. L’incertitude ouvrira la voie à davantage de violence et d’enlisement économique.

Les deux peuples continuent de vouloir la paix et d’accepter les sacrifices qu’elle impliquera. Tous les sondages le montrent. A leurs dirigeants d’écouter cette volonté tout en prenant en compte chez l’autre ce qui nourrit les peurs, les frustrations, les incompréhensions.

Deuxième principe : écarter les ambiguïtés. La méfiance entre Israéliens et Palestiniens impose plus que jamais la clarté, en tout premier lieu sur l’objectif du processus de négociation. La Feuille de route indique le but à atteindre : deux Etats vivant côte à côte et en sécurité, la fin de l’occupation commencée en 1967, la reconnaissance d’Israël par ses voisins et, d’abord, par les Palestiniens. Palestiniens et Israéliens doivent dire clairement que l’autre peuple à le droit d’exister dans des frontières internationalement reconnues.

Ce qui paraissait acquis après des années d’efforts semble aujourd’hui remis en cause. La reconnaissance mutuelle issue de Madrid et d’Oslo est moins évidente. L’engagement sur les frontières de 1967 apparaît lui-même fragile. Or, il ne peut y avoir progrès que si chacun admet les droits de l’autre, et d’abord ses droits territoriaux.

La légalité internationale s’impose à tous : les Palestiniens ne peuvent pas se prévaloir des résolutions qui fondent leurs revendications en oubliant que c’est aussi une résolution des Nations Unies qui a créé Israël. Les Israéliens ne peuvent arguer des droits irréfragables qu’ils tiennent des décisions de l’ONU et ne pas prendre en compte celles qui affirment les droits des Palestiniens.

Troisième principe : Mettre un terme à la logique des préalables, qui est une recette pour l’échec.

Exiger des gestes de l’autre partie sans en faire soi-même gèle tout mouvement. A l’inverse, les décisions des uns entraînent celles des autres. Les Israéliens ont besoin d’être convaincus de la détermination palestinienne à arrêter les violences par des actions concrètes : arrestations et jugements des terroristes ; suppression des installations de groupes terroristes ; collecte des armes ; assèchement des circuits financiers. Les Palestiniens ne peuvent progresser que si Israël prend des décisions sur le démantèlement des colonies, les prisonniers, le couvre-feu, la libre circulation dans les Territoires, manifestant concrètement sa volonté de progresser.

La cristallisation sur la personne du Président Arafat n’est justifiée ni par la logique ni par les principes : rien de significatif ne pourra être scellé entre Israéliens et Palestiniens sans son accord ; surtout, comment plaider pour une Palestine démocratique si l’on récuse celui que les Palestiniens ont élu ?

Comme l’ensemble de la communauté internationale, la France et l’Europe rejettent les menaces d’expulsion de Yasser Arafat, décision dont le Président Chirac a dit que, si elles étaient mises en œuvre, ce serait une " grave erreur ".

Le préalable sécuritaire, on l’a vu ces dernières semaines, ne mène à rien. Il a empêché que les négociations s’engagent, sans apporter davantage de sécurité aux Israéliens. Il a donné aux terroristes la maîtrise du calendrier. Il s’appuie sur l’idée fausse que l’élimination d’un nombre défini d’activistes pourrait " dégager le terrain " de ses éléments les plus hostiles à la paix, alors qu’au contraire ces actions injustifiables suscitent de nouvelles vocations.

La France ne transige pas avec le terrorisme. Elle a accepté l’inscription du Hamas sur la liste européenne des organisations terroristes après que ce mouvement a revendiqué l’attentat qui a tué 22 Israéliens le 19 août à Jérusalem. Mais notre pays a indiqué dans le même temps que cette décision est naturellement réversible dès lors que le Hamas renoncerait à la violence et au terrorisme pour se consacrer à l’action politique.

La France ne pouvait rester sans réaction après un acte aussi grave, même si elle sait que les responsabilités sont partagées dans l’échec de la trêve. Elle a toutefois demandé que l’Union européenne souligne dans une déclaration forte, le 11 septembre, les obligations politiques des deux parties pour que la Feuille de route puisse être appliquée.

Quatrième principe : aller vite. Le calendrier de la Feuille de route est déjà dépassé. Nous devons rattraper notre retard. Ce plan par étapes s’impose à tous. Il faut en franchir rapidement les étapes afin d’enclencher une dynamique positive. L’élément déterminant pour que les populations adhèrent au processus est que des résultats concrets apparaissent très vite.

C’est la condition pour que les partisans de la violence perdent du terrain chez les Palestiniens et pour que les Israéliens retrouvent à la fois plus de sécurité et les conditions pour la reprise de leur économie : la crise politique entretient la crise économique ; la paix permet la prospérité.

Cinquième principe : agir collectivement. C’était l’un des aspects les plus prometteurs du travail du Quartet. Parce que tous les avis comptent, parce que la somme des expériences des uns et des autres renforce nos chances de succès.

Il n’y aura pas de solution durable sans unité de la communauté internationale. L’absence de trois membres du Quartet à Aqaba est, de ce point de vue, regrettable.

L’Europe doit jouer son rôle dans la résolution de ce conflit. Premier partenaire commercial d’Israël, premier bailleur de fonds des Palestiniens, elle a élaboré la plupart des principes désormais admis comme base de règlement du conflit. L’Europe ne cherche pas d’avantage stratégique ou économique dans son action pour la paix. Mais elle ne peut se limiter à demeurer une " boîte à idées " ou, a fortiori, un " carnet de chèques " utilisé pour alléger les effets de l’occupation des Territoires Palestiniens.

L’Europe doit retrouver toute sa place dans les efforts de paix. C’est pourquoi le Quartet doit, comme le prévoit la Feuille de route, " se réunir régulièrement à niveau ministériel pour évaluer la manière dont les parties mettent en œuvre le plan ".

Sur la base de ces cinq principes, nous avons un devoir collectif d’action.

Parier sur l’éclatement du pouvoir chez les Palestiniens est un calcul de court terme. Il faut au contraire aider le Premier ministre Ahmed Qorei à réussir, l’aider à montrer aux Palestiniens qu’on obtient plus de résultats par la négociation que par la violence. La France s’y emploiera.

Les évènements dramatiques des dernières semaines ont pu sembler remettre en cause les grands principes qui présidèrent à l’élaboration de la Feuille de route et son calendrier. Nous pensons au contraire qu’il faut s’en tenir à ce plan de paix, accélérer sa mise en œuvre et le rendre irréversible. Sur quelle base ? L’affirmation claire, ici comme en Iraq, du principe de souveraineté. Il constitue en effet le préalable indispensable à la responsabilité de chacun. Comment traduire ce principe dans les faits ? Par la reconnaissance d’un Etat palestinien, vivant aux côtés de l’Etat d’Israël, par l’appui de la communauté internationale, mais aussi par la voie démocratique : pourquoi ne pas envisager un referendum où chaque peuple pourrait se prononcer en faveur de la paix ?

Ce sont ces perspectives qui devraient être au cœur de la conférence internationale prévue par la Feuille de route. Elle doit constituer une étape majeure en marquant l’engagement du monde dans la résolution de ce conflit, à travers un processus de paix dont il faut rappeler le caractère global indispensable : les volets syrien et libanais sont un élément indispensable d’un règlement durable.

Dans le même temps, examinons très vite les modalités d’une présence internationale sur le terrain, civile et militaire.

Les Israéliens ont besoin de sécurité ; c’est là un droit imprescriptible. Ni la répression ni le mur qui se construit ne la leur apporteront. Les Palestiniens ont besoin de voir partir l’armée qui les occupe et qui étouffe leur économie. Ils ont aussi besoin d’une assistance technique forte pour recréer des services publics. Car la paralysie de l’administration palestinienne a créé des effets de substitution vers les groupes radicaux.

La communauté internationale n’est pas démunie pour traiter ces questions. Ailleurs, elle a déployé des forces qui ont rétabli le calme. Ailleurs, elle a remis sur pied des administrations détruites par un conflit. Nous sommes conscients des risques d’une telle mission. Ce sont les risques de la paix.

A l’évidence, une telle présence internationale n’est possible qu’avec l’accord des parties. Mais qui aurait à y perdre ? Sûrement pas les Israéliens, dont la sécurité serait garantie par la présence de soldats venus des principales puissances du monde. Sûrement pas les Palestiniens, qui verraient partir l’armée israélienne, se déployer une force internationale temporaire et recevraient une assistance importante pour édifier leur Etat. Sûrement pas la communauté internationale, qui pourrait enfin envisager la fin de ce conflit.

Encore une fois, il faut agir vite. Le Moyen-Orient est déchiré. Les crises l’empêchent de se développer, de se moderniser, de s’intégrer dans l’économie internationale. Notre devoir et notre intérêt sont de l’aider à sortir de ce marasme, à retrouver confiance. Le choc subi en Iraq, l’aggravation du conflit israélo-palestinien sont autant de coups supplémentaires pour une région partagée entre rage et résignation. Un sentiment d’injustice, de " deux poids, deux mesures ", relie ces deux crises et crée une défiance dangereuse à l’égard du reste du monde.

Les Etats arabes ont admis l’existence d’Israël, comme l’a montré la courageuse initiative du Prince Abdallah d’Arabie Saoudite, endossée par le sommet arabe de mars 2002. Le peuple israélien, dans sa grande majorité, admet le droit des Palestiniens à un Etat. Ce sont là des évolutions majeures.

Les concessions seront inévitables, les remises en question douloureuses. Mais il faut tirer les conséquences de l’impasse d’aujourd’hui en mobilisant toutes les énergies et en accélérant le mouvement dans tous les domaines. Ensemble, avec toutes les parties et les pays de la région, prenons nos responsabilités ; utilisons la force de la paix pour créer demain l’Etat palestinien, seule vraie garantie de sécurité pour Israël. Telle est l’ambition que nous devons nous fixer et que nous avons le devoir de porter avec lucidité, responsabilité et détermination./.

Source : ministère français des Affaires étrangères