Au-delà de la "construction des nations"

L’opération Liberté en Irak ("Iraqi Freedom") n’avait pas 15 jours que
déjà, sur les ondes et dans la presse, on se faisait fort d’annoncer
l’échec du plan de guerre. Les Etats-Unis, disait-on, n’avaient pas
fait suffisamment pour obtenir un appui international, n’avaient pas
envisagé le niveau de résistance des Irakiens, et n’avaient pas envoyé
assez de soldats pour accomplir la tâche.

Puis les forces de la coalition ont pris Bagdad en 21 jours.
Aujourd’hui, le plan de guerre novateur et souple du général Tom
Franks, que beaucoup de gens estimaient voué à l’échec, est étudié par
les historiens et présenté dans les instituts militaires.

Or, un plan également novateur est actuellement mis en oeuvre en Irak
dans le cadre de nos efforts visant à gagner la paix. Comment
s’étonner qu’une fois de plus, on entende des gens dire que les
initiatives de l’après-guerre sont au bord de l’abîme ?

Il faudra bien plus de 21 jours, mais je suis persuadé que le plan
visant à remporter la paix en Irak sera couronné de succès, tout comme
le plan visant à remporter la guerre a réussi.

Pourquoi certains prédisaient-ils un échec, aux premières semaines de
la guerre ? L’une des raisons, je soupçonne, était que le plan du
général Franks était différent et inconnu, pas ce qu’on attendait en
somme. Et parce qu’il ne s’insérait pas dans le moule des attentes
générales, beaucoup de gens ont conclu dès le premier revers que la
stratégie fondamentale devait être défectueuse. Elle ne l’était pas.
On s’attendait à des revers, et la souplesse a été incorporée au plan
de façon que nos forces puissent réagir à l’inattendu. Les forces de
la coalition s’y sont extrêmement bien prises.

Je pense qu’il en sera de même des initiatives mises en oeuvre en Irak
à l’heure actuelle. Une fois de plus, ce que fait la coalition est
inhabituel et diffère des nombreuses initiatives visant la
construction d’une nation entreprises par le passé. En conséquence,
lorsque les forces de la coalition sont confrontées aux inévitables
surprises et revers, on en conclut que la stratégie fondamentale est
mauvaise. Je ne pense pas que ce soit le cas. Au contraire, en dépit
de véritables dangers, je pense que la nouvelle approche adoptée par
le général John Abizaid et l’ambassadeur Paul Bremer réussira et que
ce succès aura un profond impact, non seulement sur l’avenir de
l’Irak, mais aussi sur l’avenir des efforts internationaux visant à
aider les pays en difficulté à se relever de la guerre et à retrouver
leur autodétermination.

Aujourd’hui en Irak, ce qui nous guide, ce sont ces même principes qui
ont fait que nos efforts en Afghanistan ont été couronnés de succès :
L’Irak et l’Afghanistan appartiennent respectivement aux Irakiens et
aux Afghans. Les Etats-Unis n’aspirent pas à posséder ces pays ou à
les diriger.

Durant la guerre en Afghanistan, cette philosophie a aidé à façonner
la campagne militaire. Au lieu d’envoyer une force d’invasion massive,
nous avons gardé modeste l’empreinte de la coalition et adopté une
stratégie d’alliance avec les forces afghanes locales qui s’opposaient
aux talibans. Le recours à des armes guidées avec précision et la
fourniture immédiate d’aide humanitaire laissaient comprendre que
notre intervention était celle d’une force de libération. Et, une fois
les principales batailles terminées, nous n’avons pas inondé
l’Afghanistan d’Américains, mais plutôt travaillé avec les Afghans
afin d’établir un gouvernement temporaire et une armée nationale. En
Irak, l’enjeu militaire était tout à fait différent. Aucune force de
combattants irakiens n’aurait pu renverser le régime de Saddam Hussein
sans l’aide de nombreuses forces de la coalition, encore que dans le
Nord, les forces d’opérations spéciales et les combattants peshmerga
kurdes aient réussi à enserrer les unités du gouvernement de Saddam
Hussein et libéré Mossoul. Ce n’est pas pour autant que nous avons
inondé le pays avec un demi-million de soldats américains. Nous avons
gardé notre empreinte modeste, libérant l’Irak avec un peu plus de
cent mille soldats américains sur le terrain. L’utilisation d’armes de
précision nous a permis de sauver des innocents et d’indiquer
clairement que cette guerre était une guerre contre un régime et non
pas contre un peuple. Et, lorsque les principaux combats ont pris fin,
nous avons immédiatement commencé à nous assurer les services
d’Irakiens pour assumer la responsabilité de la gestion des affaires
gouvernementales et de la sécurité.

Nous avons fait de solides progrès : en deux mois de temps, toutes les
principales villes irakiennes et la plupart des municipalités avaient
des conseils municipaux - ce qui avait pris huit mois après la guerre
en Allemagne. Il a fallu quatre mois au Conseil de gouvernement pour
nommer un cabinet - ce qui avait demandé quatorze mois en Allemagne.
Une Banque centrale irakienne indépendante a été établie et une
nouvelle monnaie annoncée seulement deux mois plus tard - il avait
fallu trois ans à l’Allemagne pour ce faire après la guerre. Au bout
de deux mois, une nouvelle force de police irakienne effectuait des
patrouilles avec les forces de la coalition. Après trois mois, nous
avions commencé à former une nouvelle armée irakienne, et à l’heure
actuelle quelque 56.000 Irakiens participent à la défense de leur
pays. A l’opposé, il a fallu 14 mois pour établir une force de police
en Allemagne et dix ans pour commencer à former une nouvelle armée
allemande.

Pourquoi le recrutement d’Irakiens pour la sécurité et le gouvernement
est-il si important ?

Parce que c’est leur pays. Nous ne sommes pas en Irak pour
entreprendre la construction de cette nation ; notre mission est
d’aider les Irakiens à bâtir leur propre pays. C’est une distinction
importante.

Dans n’importe quel pays, une présence étrangère n’est pas naturelle.
C’est un peu comme un os cassé. S’il n’est pas remis en place comme il
le faut dès le début, les muscles et les tendons poussent autour de la
fracture et au bout du compte l’organisme finit par s’adapter à ces
conditions anormales. C’est ce qui s’est produit pour certaines des
tentatives de construction de nations passées. Des étrangers bien
intentionnés arrivent sur la scène, se penchent sur les problèmes et
disent : "Allons les résoudre pour eux." Malgré les bonnes intentions
et les efforts des employés des organes internationaux, les
conséquences peuvent être malheureuses. En effet, lorsque des
étrangers offrent des solutions à des problèmes locaux, cela peut
entraîner la dépendance. Les économies peuvent ne pas se réformer,
rester faussées et dépendantes. Dans certains cas, de jeunes gens
éduqués gagnent plus d’argent en tant que chauffeurs pour les
travailleurs étrangers qu’en tant que docteurs ou fonctionnaires.

Par exemple, le Timor oriental est l’un des pays les plus pauvres
d’Asie, et pourtant sa capitale est maintenant l’une des villes
asiatiques où le coût de la vie est le plus élevé. Les restaurants
sont inabordables pour la plupart des Timoriens et n’ont pour clients
que des travailleurs étrangers dont le salaire est deux cents fois
plus élevé que le salaire moyen du pays. Dans le principal supermarché
de la ville, les prix sont, selon certaines informations, à peu près
les mêmes que ceux de Londres ou de New York.

Prenons aussi l’exemple du Kosovo. Un chauffeur qui conduit des
travailleurs étrangers dans la capitale du pays gagne dix fois plus
qu’un professeur d’université, et l’ONU paye son personnel local de
quatre à dix fois plus que ce que gagnent les médecins et les
infirmières du pays. Quatre ans après la guerre, l’ONU dirige encore
le Kosovo par décret, émet des timbres-poste, délivre des passeports
et des permis de conduire. Les décisions prises par le Parlement dont
les membres ont été élus ne sont pas valides tant que l’administrateur
de l’ONU ne les a pas ratifiées. Aujourd’hui, encore, les ministres
kosovars sont sous la tutelle d’agents de l’ONU qui ont le pouvoir
d’approuver ou de rejeter leurs décisions.

Notre objectif n’est pas de créer la dépendance, mais d’encourager
l’indépendance de l’Irak, de donner aux Irakiens de plus en plus de
responsabilités au fil du temps en ce qui concerne la sécurité et le
gouvernement de leur pays, car la stabilité ne peut être durable que
si elle est assurée par des institutions locales qui fonctionnent bien
et non pas par la présence de forces étrangères. Plus vite les
Irakiens pourront assumer la responsabilité de leurs affaires, plus
vite les forces américaines pourront revenir aux Etats-Unis.

C’est pourquoi la coalition recrute des Irakiens pour contribuer à
défendre l’Irak, que des conseils municipaux existent maintenant dans
90 % des villes et villages du pays et que le Conseil irakien de
gouvernement s’occupe de préparer le budget pour 2004 et la rédaction
par des Irakiens d’une nouvelle Constitution, de sorte que le peuple
irakien puisse enfin choisir leurs dirigeants lors d’élections libres,
et que nous puissions réaliser dans l’ordre le transfert complet de la
souveraineté.

Les efforts de la coalition tant en Irak qu’en Afghanistan portent des
fruits.

L’Afghanistan est sur la voie de la stabilité et de l’autonomie. Après
avoir été l’asile des terroristes, il est maintenant un allié
important des Etats-Unis, non seulement dans la guerre contre le
terrorisme, mais aussi dans la lutte plus vaste en faveur de la
liberté et de la modération dans le monde musulman.

En Irak, l’ancien régime a disparu, et des Irakiens offrent leurs
services pour s’occuper des affaires de leur pays. Ils remplissent des
fonctions dans les institutions publiques locales, régionales et
nationales, s’inscrivent pour devenir policiers, gardes-frontières,
soldats et membres des forces de défense civile, montent des affaires,
créent des emplois et construisent un nouveau pays sur les décombres
de la tyrannie de Saddam Hussein.

Il ne s’agit pas de sous-estimer les problèmes de l’Irak à l’heure
actuelle. Les terroristes et les irréductbles de l’ancien régime
veulent détruire nos réalisations et empêcher le passage du peuple
irakien à la démocratie et à l’autodétermination. On peut s’attendre à
ce qu’ils continuent de s’attaquer pendant un certain temps à nos
réalisations et aux Irakiens courageux qui collaborent avec nous. Les
forces de la coalition font cependant face à cette menace, et la
situation s’améliore sur le plan de la sécurité.

En fait, il se peut que l’on découvre que la plus grande menace en
Irak ne provient pas des terroristes et des fidèles de l’ancien
régime, mais des effets physiques et psychologiques de trente ans
d’oppression de genre stalinien. L’Irak a cependant un certain nombre
d’avantages : des richesses pétrolières, de l’eau et un réseau
perfectionné de canaux d’irrigation, de vastes champs de blé et
d’orge, des sites archéologiques et des possibilités en matière de
tourisme ainsi qu’une population instruite et urbaine.

Néanmoins, pour aider les Irakiens à réussir, il nous faut agir avec
humilité. Les forces américaines peuvent accomplir de nombreuses
choses remarquables, mais elles ne peuvent pas fournir une stabilité
permanente ou créer une démocratie irakienne. C’est au peuple irakien
qu’il incombe de le faire.

Le travail en Irak est difficile, coûteux et dangereux. Il mérite
cependant que l’on prenne des risques et que l’on encoure des
dépenses, car si la coalition réussit, les Irakiens prendront les
rênes de leur pays, mettront en place les institutions politiques et
revendiqueront la place de leur pays en tant que membre responsable de
la communauté internationale. Si nous réussissons, nous porterons un
coup mortel au terrorisme, car un Irak démocratique en plein coeur du
Moyen-Orient constituera une défaite pour l’idéologie des terroristes
qui cherchent à s’emparer de cette partie du monde.

Il faudra de la patience, mais si nous faisons preuve de constance,
l’Irak peut devenir le modèle d’un passage réussi de la tyrannie à la
démocratie et à l’indépendance, ainsi qu’un ami et un allié des
Etats-Unis et des pays épris de liberté et de paix dans le monde. Il y
a quelques mois, ces paroles auraient pu paraître fantasques à maintes
personnes. A l’heure actuelle, c’est un objectif qui est à notre
portée, mais uniquement si nous aidons les Irakiens à reconstruire
leur pays, au lieu de tenter de le faire pour eux, et si nous avons la
sagesse de nous rendre compte de la différence.

Traduction officielle du département d’État