« Un "État juif" est devenu un anachronisme »

’Jewish State’ Has Become an Anachronism
Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEUR] Historien britannique spécialiste de l’histoire des idées politiques, Tony Judt est directeur du Remarque Institute de la New York University.

[RESUME] A l’aube du XXème siècle, l’Europe a vu la fin des empires continentaux et l’avènement des États-nations après la Première Guerre mondiale. La première chose que firent les États nouvellement créés fut de favoriser l’ « ethnie » dominante dans leur pays au détriment des autres groupes, relégués à un statut de seconde classe. Le mouvement sioniste dû attendre 1948 pour avoir son État et, influencé par ses prédécesseurs, il adopta la même attitude face à ses « étrangers » internes.
Israël est une enclave européenne au Proche-Orient, mais il s’agit également d’une enclave idéologique séparatiste issue de la fin du XIXème siècle dans un monde fondé sur les droits individuels, les frontières ouvertes et la loi internationale. L’idée d’un « État juif » d’où les citoyens non-juifs seraient exclus est un anachronisme. Toutefois, à la différence des micro-États nés de l’effondrement des empires, Israël est une démocratie. Cependant, la conquête de territoires en 1967 le place face à trois choix :
 Revenir aux frontières antérieures et rester une démocratie et un État juif.
 Continuer à occuper les territoires, avoir une majorité d’Arabes sur son sol d’ici cinq à huit ans et choisir entre rester un État juif et une démocratie.
 Conserver les territoires, mais en expulser tous les Palestiniens, restant ainsi un État juif et une démocratie, nominalement, bien qu’ayant le nettoyage ethnique comme projet d’État.
Pendant deux décennies, les libéraux israéliens et les Palestiniens modérés ont prôné la première solution pour résoudre le problème et c’est là-dessus que se sont fondé les accords d’Oslo. Je pense pourtant qu’il est trop tard pour séparer les deux entités car il y a désormais trop de colons. Aujourd’hui, nous n’avons plus le choix qu’entre un grand Israël fruit d’un nettoyage ethnique ou la constitution d’un seul État binational.
La plupart de ceux qui liront ce texte vivent dans un État multiculturel et multiethnique, ce qui est également le cas d’Israël à la différence qu’il se fonde sur un critère ethno-religieux pour classer ses citoyens. Pendant longtemps, imaginer une autre configuration pour le Proche-Orient qu’une région avec Israël était considéré comme un génocide. Ce n’est plus le cas car les juifs n’ont plus besoin d’Israël et qu’aujourd’hui c’est cet État qui prend les juifs non-israéliens en otage en suscitant une poussée de l’antisémitisme.

« La Syrie et les jihadistes »

Syria and jihadists
Washington Times (États-Unis)

[AUTEUR] Américain d’origine libanaise, Walid Phares est professeur d’études moyen-orientales et analyste sur les questions de terrorisme pour MSNBC. Il est expert du cabinet Benador Associates et bénéficie d’une bourse de la Foundation for the Defense of Democracies, un think-tank créé par l’ex-patron de la CIA James Woolsey . Il préside la World Lebanese Organization qui milite pour la création d’un Liban exclusivement chrétien à côté d’un Israël exclusivement juif.

[RESUME] L’implication de la Syrie dans les attentats suicide contre Israël n’est pas un secret. Pendant des années, si ce n’est des décennies, le régime ba’asiste syrien a toujours rejeté tout processus de paix, condamnant les accords de Camp David de 1979, l’accord israélo-libanais de 1983, le processus d’Oslo, puis l’accord proposé aux Palestiniens avant l’Intifada. Dans ce domaine, Bashar El-Assad a poursuivi la politique de son père et il a condamné la « feuille de route » dès sa publication par George W. Bush, Ariel Sharon et Mahmoud Abbas au sommet de Sharm el-Sheikh. Suite à cette dénonciation, les attentats suicides ont immédiatement repris.
La Syrie est engagé stratégiquement dans une guerre contre toute possibilité d’accord avec Israël. En dépit des requêtes de Colin Powell, le Hamas, le Jihad islamique et des myriades d’autres groupes ont leur quartier général en Syrie. Les États-Unis ont offert à la Syrie des décennies de sursis, espérant que le processus de paix finirait par séduire le régime El-Assad, mais Washington en a eu assez quand Damas a soutenu les loyalistes à Saddam en Irak.
La Syrie ne va pas riposter à l’attaque israélienne, espérant obtenir une résolution de l’ONU en sa faveur, qui sera logiquement bloquée par les États-Unis. Elle va également tenter d’obtenir le soutien de la Ligue arabe, des Français et des Allemands, mais ces derniers viennent de placer au sein de l’Union européenne le Hamas dans la liste des organisations terroristes. Pendant des décennies, le régime syrien a manœuvré entre les puissances, mais depuis le 11 septembre, sa marge de manœuvre s’est réduite.
Bien que la Syrie ne fasse pas officiellement partie de l’Axe du Mal, elle en a le profil car toutes les routes du Jihad mènent à Damas.

« Incorrigible Maroc ! »

Incorrigible Maroc !
Le Monde (France)

[AUTEUR] Ali Lmrabet est journaliste franco-marocain et directeur des journaux satiriques Demain Magazine et Doumane, sa version arabe. Il vient d’être condamné à 3 ans de prison pour « outrage à la personne du roi (...) ; atteinte au régime monarchique (...) et à l’intégrité territoriale du royaume ».

[RESUME] Juste avant la visite de Jacques Chirac, Les Marocains ont eu droit à la sempiternelle litanie sur la différence marocaine et aux déclarations sur les choix « démocratiques », « modernistes » et « irréversibles » des actuels dirigeants du royaume. Si l’on n’avait pas condamné à mort après des procès expéditifs de jeunes islamistes plus fanatiques et braillards que terroristes, condamnés à 20 ou 30 ans de prison des prédicateurs écervelés pour avoir critiqué l’Amérique de Bush, torturé et violé dans un commissariat un militant des Droits de l’homme et condamné à de la prison ferme des journalistes indépendants, on aurait pu s’extasier sur ces discours.
Où sont les pratiques démocratiques alors qu’on assiste à un retour de la torture ? Les journaux marocains sont pleins d’histoires de tortures, mais le ministère des Droits de l’homme et la justice marocaine ne font rien. Aujourd’hui, quatre journalistes sont emprisonnés à Salé, une prison que Jacques Chirac ne manquera pas de voir en descendant d’avion.
Le régime marocain prétend organiser des élections transparentes, mais il n’a jamais donné le nombre exact de voix reçues par chaque parti lors des élections législatives de 2002. En réalité, le pouvoir ne s’embarrasse pas des résultats pour nommer qui bon lui semble et fait tout pour éviter la victoire des islamistes bien que ceux-ci aient décidé de passer par le biais des institutions.
C’est à ce Maroc officiellement démocratique, royaume du dilemme face à la marée verte qui approche, que le chef de l’État français rend visite.

« Sida : de l’urgence d’un afropragmatisme »

Sida : de l’urgence d’un afropragmatisme
Le Figaro (France)

[AUTEUR] Stéphane Mantion est secrétaire général de l’[Organisation panafricaine de lutte contre le sida (Opals) et ancien conseiller du professeur Marc Gentilini.

[RESUME] Dans la lutte contre le SIDA, un fonds mondial se met péniblement, mais réellement en place. L’accord entre l’ONU et cinq laboratoires producteurs d’antirétroviraux visant à réduire drastiquement leur coût de la prise en charge du Sud est appliqué. L’OMC a accepté l’importation de génériques dans les pays pauvres. Pourtant, l’heure n’est pas au triomphalisme.
Le vrai défi de la lutte contre le SIDA en Afrique réside dans les carences des infrastructures de santé. Peu de pays africains ont élevé leur budget de santé à 15 % contrairement à ce que prévoyaient les accords d’Abuja. En Afrique seuls 6 % des malades ont accès au dépistage et 1 % aux dispositifs de prévention de la transmission mère-enfant. Le continent souffre en outre d’un manque de professionnels de santé.
Des solutions pragmatiques et fiables existent. En 1989, Marc Gentilini lançait les centres de traitement ambulatoire. Ces structures s’intègrent parfaitement aux réseaux de santé et communautaire pré-éxistants et ont fait leurs preuves. Elles attestent que le SIDA n’est pas un fatalité. A l’afropessimisme, il faut faire succéder l’afropragmatisme, mais ce n’est pas le chemin que prend l’administration américaine qui fera, à n’en pas douter, gérer par la CIA une partie des 15 milliards de dollars promis pour la lutte contre le SIDA. Dans ce combat contre le SIDA, la France doit devenir un acteur majeur.

« Maintenant la Chine envoie un homme dans l’espace. pourquoi ? »

Now China is sending a man into space. Why ?
International Herald Tribune (États-Unis)

[AUTEUR] Joan Johnson Freese est présidente du National Security Decision Making Department de l’U.S. Naval War College.

[RESUME] Le 15 octobre, la Chine devrait envoyer son premier homme dans l’espace à bord de la capsule Shenzhou V, même s’il reste des doutes sur la date. Cet événement ferait de la Chine le troisième pays à disposer de la capacité de lancer des vols habités, rejoignant ainsi dans ce club les États-Unis et la Russie.
La Chine prétend que ses activités spatiales font partie intégrante de sa politique de développement, mais certains analystes américains considèrent que ce programme est un cheval de Troie pour ses activités militaires. Il s’agit pourtant plus sûrement pour la Chine d’un moyen d’acquérir du prestige au niveau international tout en développant ses technologies. Les analystes états-uniens considèrent que les Chinois ont dépensé 2,2 milliards de dollars dans leurs programmes, mais on ne peut pas les comparer avec les 15 milliards de dollars de budget annuel de la NASA car les systèmes économiques sont trop différents et les taux de conversions entre monnaies délicats à effectuer. On sait simplement que la Chine y a mis beaucoup de ses ressources disponibles et a une volonté politique de développer des stations spatiales, des bases lunaires, et même des missions vers Mars. Militairement, ce lancement démontrera que les Chinois sont parvenus à maîtriser des techniques de missiles très élaborées.
Il est difficile de savoir comment les citoyens états-uniens réagiront à l’annonce de ce lancement dont peu ont entendu parler. Toutefois, cela pourrait pousser les politiques à réinvestir dans le domaine spatial.