J’aurais aimé me joindre à vous à l’occasion de cet important sommet. Malheureusement, les graves problèmes auxquels se heurte une région qui vous tient à cœur m’en ont empêché. Je le regrette d’autant plus que je me réjouissais à la perspective de me rendre en Malaisie, un pays qui a réalisé des progrès si remarquables sur le plan économique et social, et dans lequel des groupes ethniques, des cultures et des cultes différents cohabitent en paix.

Le monde islamique est en effet une mosaïque, et non un monolithe. Il s’étend de l’Indonésie au Maroc, et de l’Europe centrale à l’Afrique australe, et ses ramifications vont jusqu’en Europe occidentale, aux Amériques et en Australasie. Il est composé d’hommes et de femmes souvent divisés par la race, la culture ou la langue, mais pourtant unis par le lien puissant de l’islam.

Né sur la terre du prophète Mahomet, l’islam, au fil de plus d’un millénaire, a gagné de nombreux pays d’Europe, d’Afrique et d’Asie. Ses érudits ont multiplié les réussites éblouissantes dans des disciplines telles que la théologie, la philosophie, l’histoire, la littérature, l’architecture, l’art, l’astronomie, les mathématiques, la médecine et d’autres sciences encore.

Ce riche passé prouve que la situation déplorable dans laquelle se trouve aujourd’hui une partie si importante du monde islamique n’est ni naturelle, ni inévitable.

Les musulmans sont capables de bien davantage, et ils le savent.

Je ne suis pas musulman. Mais, comme vous tous, je suis un fils d’Abraham. Je partage la même foi que vous en notre Dieu tout-puissant et je m’intéresse de près au destin du peuple musulman. Et si je souhaite m’adresser à vous avec le plus grand respect, je veux aussi le faire de façon directe, avec le cœur, comme je m’adresse aux autres peuples, notamment sur le continent africain, où j’ai vu le jour.

Excellences, en tant que dirigeants, nous avons pour devoir d’affronter la réalité. Et la réalité, je le dis avec la plus grande humilité et la plus profonde tristesse, c’est que, dans un monde qui évolue rapidement, la plupart des sociétés islamiques ont pris beaucoup de retard.

La plupart de mes amis musulmans, à dire vrai la plupart d’entre vous, déplorent la faiblesse des systèmes en place dans les pays islamiques et l’érosion de l’influence de l’islam sur le devenir du monde.

Bien des musulmans se plaignent aussi d’être beaucoup trop souvent empêchés de contribuer comme ils le devraient au choix des grandes orientations qui sont imprimées à leurs pays respectifs. Ils regrettent que nombre d’entre eux, en particulier des femmes, soient spoliés de leurs droits fondamentaux, qui non seulement sont inscrits dans la Charte des Nations Unies, mais découlent clairement du principe islamique de l’égalité de tous les êtres humains devant Dieu.

Les dogmes extrémistes gagnent du terrain, or ils entravent les progrès de la Oumma dans son ensemble et constituent une menace pour la sécurité des peuples du monde entier.

Ces maux contemporains et bien d’autres facteurs - dont l’héritage du colonialisme et le système injuste qui régit les échanges commerciaux internationaux - constituent un frein pour les sociétés islamiques.

En outre, le monde islamique est traumatisé par les souffrances qu’endurent les musulmans dans de nombreuses régions, en particulier ces dernières années.

Ces souffrances ne sont nulle part plus aiguës qu’en Palestine, où des milliers d’entre eux ont été tués. Les musulmans, tout comme leurs frères et soeurs chrétiens, souffrent sous le joug d’une occupation très dure et prolongée, qui associe les punitions collectives, l’usage d’une force militaire disproportionnée, la destruction de maisons et de récoltes, les expropriations et les bouclages iniques, et les colonies de peuplement illégales. Vient s’y ajouter un mur construit sur des terres qui n’appartiennent pas aux maçons.

Nul ne peut être surpris que les Palestiniens ressentent humiliation, colère et désespoir, sentiments qui sont partagés par les musulmans du monde entier.

Cependant, les attentats-suicide à la bombe, dans lesquels des centaines de civils israéliens sont tués de façon aveugle, sont inacceptables. Ces actes de terrorisme, honnis et rejetés par vous tous, profanent une cause légitime et nuisent à sa défense. Ils doivent être condamnés et il faut y mettre un terme.

Les actes de terrorisme ne font que repousser le jour où les Palestiniens pourront vivre en paix à l’intérieur de leur propre Etat. De même, lorsque Israël prend des mesures extrêmes et injustifiées, je pense notamment à l’attaque déplorable qu’il a menée récemment contre la Syrie, le jour recule où les Israéliens pourront vivre en toute sécurité.

À l’heure actuelle, seule la Feuille de route conçue par le Quatuor contient une promesse de liberté pour les Palestiniens, de sécurité pour les Israéliens. Elle seule peut conduire à l’émergence de deux Etats, Israël et la Palestine, vivant côte à côte en paix, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues.

Pourtant, l’application de la Feuille de route se heurte à des obstacles majeurs. Elle a besoin de l’appui de l’ensemble de la communauté internationale - y compris de ceux d’entre vous qui exercent une influence directe dans la région. Si elle échoue, je crains que la région ne s’enfonce encore plus avant dans la violence et la détresse.

J’ai des craintes similaires au sujet de la transition en Iraq.

La situation sur place nous trouble tous profondément. Mais quel que soit le point de vue que nous avons porté sur la guerre, nous avons tous intérêt à ce qu’il en résulte un Iraq stable et démocratique, en paix avec lui-même et avec ses voisins, et notre devoir commun est d’aider la population iraquienne à y parvenir.

Certains membres du personnel de l’ONU ont payé de leur vie la défense de cette cause. Et en dépit de la menace qui continue de peser sur le personnel - tant national qu’international - de l’Organisation, une petite équipe de l’ONU demeure en Iraq pour aider à satisfaire aux besoins humanitaires urgents de la population iraquienne.

Je crois que les Iraquiens ont besoin d’un processus politique inclusif, qui suscite l’appui et l’engagement le plus large possible, tant dans le pays qu’à l’étranger - de la part des pays voisins, du monde arabe et islamique et de l’ensemble de la communauté internationale.

Un processus de cette nature, en dépit de hauts et de bas, est allé de l’avant en Afghanistan, au terme de longues années durant lesquelles les souffrances de la population afghane n’avaient reçu que peu d’attention.

Maintenant que l’Afghanistan est en période de transition, la communauté internationale, y compris le monde islamique, doit rester pleinement engagée dans son soutien au gouvernement du Président Karzai. Nous devons nous efforcer d’assurer le succès du processus de Bonn et la stabilité de l’Afghanistan par la suite.

Il en va de même des transitions opérées en Bosnie et au Kosovo - deux régions où les populations, notamment musulmanes, ont terriblement souffert mais ont finalement été sauvées par la communauté internationale, au premier rang de laquelle se trouvaient les Etats occidentaux. Un fait, parmi tant d’autres, qui prouve que les sociétés islamiques et l’Ouest ne sont pas antagonistes par définition.

Les exemples abondent, même, de l’enrichissement mutuel des communautés occidentales et islamiques, qui à certains égards sont imbriquées l’une dans l’autre.

J’espère qu’il me sera bientôt donné de voir de nouveaux exemples de réconciliation entre chrétiens et musulmans - au Soudan, par exemple, et peut-être à Chypre, où un règlement faciliterait de surcroît les efforts entrepris par la Turquie pour se joindre à l’Union européenne.

Pourtant, on assiste dans bien des endroits à une montée de l’hostilité entre l’islam et l’Occident. C’est odieux, dangereux et condamnable.

Nous devons unir nos efforts pour faire face à l’extrémisme qui ne cesse, hélas, de gagner du terrain, non seulement au sein de l’islam mais au coeur d’autres religions.

La violence n’a de place dans aucun des grands cultes du monde.

En conséquence, tous les gouvernements doivent encourager la poursuite du dialogue entre les civilisations, un dialogue qui repose sur l’idée que la diversité est un don précieux et non une menace, car elle est l’expression de la sagesse de Dieu.

Mais le dialogue ne suffira pas à lui seul. Il faut prendre des mesures concrètes pour améliorer la compréhension entre les sociétés musulmane et occidentale.

Les principaux gouvernements occidentaux doivent agir avec une plus grande détermination pour contribuer à réparer les injustices subies par les musulmans, en Palestine et ailleurs.

Leurs discours sur le respect de la liberté doivent s’accompagner de mesures propres à promouvoir le développement, notamment un système d’échanges commerciaux libre et équitable.

Mais vous aussi, vous avez un rôle à jouer.

Les musulmans sont consternés par l’incapacité apparente des États islamiques à parvenir peu ou prou à régler les problèmes que je viens d’évoquer.

Nous le savons pourtant, le monde islamique ne sera en mesure d’influencer positivement le devenir du monde que le jour où les musulmans jouiront pleinement de leurs droits et libertés fondamentaux, où l’on comprendra que le Coran prescrit l’éducation de tous, où le talent créatif de tant de musulmans, en particulier les femmes, sera mis à profit pour le développement des communautés musulmanes.

Excellences, la voie de la réforme politique, de l’éducation et du développement est la seule qui offre un réel espoir d’un présent plus prospère et d’un avenir glorieux.

Vous seuls pouvez engager vos peuples sur cette voie, et vous le devez. Ainsi que le dit le Coran : « Dieu ne modifie rien en un peuple, avant que celui-ci ne change ce qui est en lui » (XIII, 11).

Je vous remercie.

Source : ONU
Référence : SG/SM/8944