La Bolivie possède la plus grande réserve de gaz naturel d’Amérique latine. Cette ressource provoque la convoitise de ses grands voisins, au premier rang desquels les États-Unis et le Chili. La privatisation du gaz naturel n’est pas récente. Entre 1992 et 1996, des lois et décrets furent adoptés, en partie par Sanchez de Lozada, qui permettaient son appropriation progressive par les grandes entreprises du pétrole. N’était l’opposition populaire, la Bolivie serait un véritable paradis pour l’exploitation des hydrocarbures par les entreprises multinationales (l’entreprise Transredes en particulier, dont Shell est l’actionnaire majoritaire exploite dès à présent le pétrole bolivien). La main d’œuvre est très peu chère, les coûts de production sont plus de quatre fois moindre qu’au Venezuela ou au Mexique, les royalties à régler au gouvernement ne représentent selon les accords signés que 18% des revenus effectivement réalisés. Idéal.

On sait ce qu’il en coûte au Venezuela de nationaliser le pétrole : une mise au banc des nations, et des intrigues commanditées depuis Washington allant jusqu’à la fomentation de coups d’État. Les conditions sont claires, pour reprendre la déclaration de George W. Bush : « Vous êtes soit avec nous soit contre nous ». Or du point de vue gouvernemental, la Bolivie ne s’enorgueillit pas de l’équivalent d’un Chavez à sa tête, au contraire, Sanchez de Lozada a répondu docilement aux injonctions impériales et il est peu probable que le traitement du problème soit très différent sous la présidence de Carlos Mesa. Tout est fait pour que la Bolivie n’industrialise pas elle-même le gaz et ne devienne pas souveraine en matière énergétique. Après le Venezuela, ce serait le deuxième pays d’Amérique latine à se soustraire à la main mise des États-Unis, ceci n’est pas envisageable. Ils ne peuvent le tolérer.

Le pillage des ressources boliviennes est une vieille histoire, ce pays a en effet une longue expérience d’exportation de matières premières ne lui ayant jamais profité : l’argent de la fameuse mine de Potosi, l’étain, le caoutchouc, l’or. Leur exportation n’a pas bénéficié au pays, au contraire. On imagine que la répétition de ce scénario est d’autant plus exaspérante pour la population, surtout depuis les dernières élections qui ont vu un parti comme le Movimiento al socialismo (MAS) arriver en deuxième position à moins d’un point d’écart du président sortant, et la prise de conscience politique que cela implique. La contestation des politiques néolibérales est à son comble.

Le nouveau président est finalement dans la même situation que son prédécesseur, pris en étau entre les pression du Fond monétaire international (FMI) et une population qui réclame justice et ne semble pas disposée à se soumettre au diktat des injonctions impérialistes. La Banque mondiale (BM) réclame ainsi à la Bolivie qu’elle paye sa dette extérieure (la Bolivie appartient au groupe des pays les plus endettés), cette épée de Damoclès lui permettant de justifier la vente du gaz. Selon elle, un pays dont la majorité de la population vis sous le seuil de pauvreté est le meilleur candidat au bradage de ses ressources naturelles. N’en a t-il pas les moyens ! Ironie du sort : les Boliviens eux-mêmes n’ont pas accès au gaz naturel. Depuis sa nommination, le président Carlos Mesa semble vouloir gagner du temps, il essaye ainsi de convaincre les deux parties en conflit qu’elles seront gagnantes. Or ceci est peu probable. Dire aux transnationales que leurs intérêts seront préservés et au peuple qu’il bénéficiera des retombés économiques de la vente du gaz ne laisse pas présager d’un comportement responsable face aux enjeux à affronter. Ce que l’on attend de lui est un positionnement clair contre le pillage des ressources par des intérêts étrangers. Remplacer Sanchez de Lozada par son clone ne semble alors pas à la mesure des mobilisations et de l’affirmation qu’elles ont exprimée. C’est changer pour que rien ne change.