Le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA) a délivré un ultimatum à l’Iran, en septembre dernier, afin que Téhéran se mette en conformité avec les dispositions du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), avant le 31 octobre 2003. Depuis, l’Iran a communiqué des informations relatives à l’ensemble de son programme nucléaire, recensées dans un rapport du directeur général de l’AIEA, Mohammed el-Baradei. Ce document, qui sera discuté demain lors de la réunion du Conseil des gouverneurs, doit permettre de décider si l’Iran, par ses activités nucléaires, menace ou non la sécurité internationale. Les États-Unis et Israël militent pour que cette menace soit reconnue et le dossier iranien transmis au Conseil de sécurité de l’ONU pour un règlement agressif du contentieux. L’Union européenne, les pays d’Amérique latine et les non-alignés cherchent, eux, à élaborer les modalités d’une action diplomatique permettant la poursuite d’un programme nucléaire civil en Iran, tout en surveillant le développement de toute application militaire.

Le rapport du directeur-général de l’agence, Mohammed El-Baradei, ne permet pas, contrairement aux attentes états-uniennes, de conclure à la conduite par Téhéran d’un programme nucléaire militaire. Tout au plus met-il à jour toute une série de manquements de la République islamique d’Iran à ses obligations nées de l’adhésion au Traité de non-prolifération nucléaire. Ainsi l’Iran a-t-il dissimulé des pans entiers de son programme nucléaire : un programme d’enrichissement d’uranium (par centrifugeuse ou par laser), la construction d’usines produisant de l’eau lourde, l’acquisition d’uranium métal et la production de petites quantités de plutonium.

L’ambiguïté de ces découvertes, qui n’ont été rendues possibles que par la communication par l’Iran aux mois de septembre et octobre 2003 d’informations sur son programme nucléaire, renvoie à l’ambivalence des technologies nucléaires, qui sont toutes duales, c’est à dire d’un usage aussi bien civil que militaire. Ainsi le programme d’enrichissement d’uranium peut-il aussi bien servir à faire fonctionner un réacteur nucléaire, et donc à produire de l’électricité, qu’à fabriquer une quinzaine de bombes nucléaires par an d’ici deux ans. De même, l’utilisation de l’eau lourde est autant nécessaire au fonctionnement de centrales nucléaires à eau lourde qu’à la production de plutonium. Et le plutonium a lui-même à la fois des applications civiles, notamment dans les surgénérateurs nucléaires, et militaires, puisqu’il est un des composants possibles des bombes nucléaires. Le seul réel problème réside dans la détention par l’Iran d’uranium métal, qu’il ne peut aujourd’hui exploiter de manière civile, mais qui a par ailleurs une utilité militaire incontestable. Mais les quantités se révèlent insuffisantes pour permettre à l’Iran de se doter d’un arsenal nucléaire conséquent.

Les premiers compte-rendus du rapport confidentiel, qui a néanmoins fuité dès le 11 novembre, se sont focalisés exclusivement sur la découverte, par l’agence onusienne, de plutonium. Pourtant les quantités découvertes par l’AIEA, et mentionnées dans le rapport, sont de 7 kilogrammes, soit de quoi fabriquer à peine 2 à 3 bombes nucléaires. Trop peu pour justifier de l’existence d’un réel programme militaire. Mais officiellement, le plutonium fait l’objet d’une surveillance stricte de la part de la communauté internationale. Ainsi, lorsque Moscou a accepté de fournir du combustible nucléaire pour la centrale iranienne de Bushehr, le Kremlin a exigé qu’une fois utilisé, le produit de la combustion nucléaire soit rapatrié en Russie afin de s’assurer qu’il ne serve pas à fabriquer du plutonium.

Cependant, ces quelques mesures de précaution ne permettent pas de masquer ce principe : lorsqu’un pays acquiert une maîtrise des technologies nucléaires civiles, comme c’est le cas de l’Iran depuis le début des années 1970, il acquiert en même temps une maîtrise parallèle des technologies militaires. La prolifération du nucléaire proprement civil et la séparation d’avec ses applications militaires est un leurre. À moins d’interdire à certains pays de recourir à l’énergie nucléaire, il n’existe donc aucun moyen matériel de se prémunir contre la prolifération d’armes nucléaires.

La seule solution est diplomatique. L’Iran milite, comme la plupart des pays arabes, pour une dénucléarisation du Proche-Orient, mesure qui visait jusqu’ici directement et exclusivement Israël. Tel-Aviv a toujours refusé d’engager des négociations sur ce sujet, considérant, à juste titre, que, dans le contexte de son affrontement permanent avec ses voisins, sa supériorité nucléaire exclusive constitue un gage de survie. L’imminence de l’émergence, à échéance de trois, cinq ou dix ans, d’une ou plusieurs puissances nucléaires arabes doit immanquablement ouvrir le débat dont dépend la paix, voire la survie de la région. Un débat indissociable du règlement des injustices régionales, paticulièrement de la question palestinienne.

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