Question : Les résultats que vous avez obtenus en Géorgie sont largement reconnus dans le monde. Comment voyez-vous le développement des relations entre la Russie et la Géorgie ?

I.S.Ivanov : Malheureusement, la crise en Géorgie avait mûri depuis longtemps. Ce n’est pas la crise d’un jour ou d’une semaine. C’est le résultat des erreurs système des autorités précédentes tant dans la politique intérieure qu’étrangère, à la suite de quoi le mécontentement s’était accumulée au sein de la société. L’économie était en plein débâcle, les principes démocratiques absents. La croissance de ce mécontentement a mis le pays au bord de la crise qu’il affronte. La mission dont m’a chargé V.V.Poutine, Président de la Fédération de Russie, consistait à éviter la transformation de ce mécontentement en violence et chercher à régler la crise dans le cadre de la constitution et du droit. A cette étape-là, j’ai su contribuer à la reprise du dialogue entre E.A.Chévardnadzé et l’opposition. Ils sont arrivés à un accord. Malheureusement, cette décision ne résout pas les problèmes profonds qu’affronte la Géorgie. Nous croyons important que les leaders politiques de la Géorgie fassent, dans le cadre de la constitution, des élections ouvertes, transparentes des organes du pouvoir légitimes, qui puissent se charger de la responsabilité pour le règlement des problèmes importantissimes qu’affronte aujourd’hui la Géorgie.

Concernant la Russie, elle n’est jamais intervenue dans les affaires intérieures de la Géorgie. La Russie a toujours reconnu et reconnaît l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Géorgie. Nos pays sont intéressés au développement des relations les plus étroites, de bon voisinage, d’amitié avec la Géorgie. Les peuples de nos pays ont des liens historiques, culturels, et nous sommes intéressés à les maintenir toujours. Pour notre part, certes, nous allons prêter toute l’assistance nécessaire aux autorités légitimes de la Géorgie pour surmonter la crise.

Question : Entre la Russie et la Géorgie, les différends sont apparus auparavant également. Selon vous, est-ce que la nouvelle administration de la Géorgie va réagir aux préoccupations de la Russie ?

I.S.Ivanov : Nous avons eu des différends avec l’ancienne administration de la Géorgie sur certains problèmes, avant tout liés à la lutte contre le terrorisme. Malheureusement, ce n’est qu’au bout de plusieurs années que l’administration de la Géorgie et la communauté internationale ont reconnu que depuis le territoire de la Géorgie, les terroristes s’infiltraient sur le territoire de la Russie. Nous en avons parlé avant. On n’a pas écouté notre voix, croyant que c’étaient des tentatives de la pression sur la Géorgie. Ce n’est qu’après, où les faits sont devenus évidents, que tous ont été forcés de reconnaître que nous avons dit vrai. Il y a eu d’autres différends à propos du règlement du problème abkhaze, etc. Malgré ces différends, quand la crise est apparue, nous en sommes restés du côté des autorités légitimes, nous reconnaissions E.A.Chévardnadzé et sommes fermement intervenus pour observer la constitution et la légitimité.

Cependant, je veux dire que dans l’aggravation de cette crise, et ces faits deviennent tous plus évidents, certains états ont joué leur rôle. Même l’ex-Président E.A.Chévardnadzé a dit qu’il avait lui-même subi la pression, tout comme certaines forces politiques. Et c’était fait par les pays qui, publiquement, se sont proclamés les meilleurs amis d’E.A.Chévardnadzé. C’est pourquoi la question se pose - quelle est donc cette amitié ?

Question : Quand on a envoyé en Géorgie des experts américains, cela a provoqué la préoccupation de la Russie. Vous avez dit que la Géorgie aurait dû prévenir la Russie. Pensez-vous que la Géorgie avait commis une erreur de se tourner vers l’Occident sans avoir consulté au préalable la Russie ?

I.S.Ivanov : La Géorgie est un état souverain, indépendant et est elle-même en droit de choisir l’orientation de sa politique extérieure. La Géorgie n’est obligée d’en informer personne ou de recevoir des sanctions de personne. C’est pourquoi nous respectons le choix de politique étrangère de la Géorgie. Il ne s’agit pas du choix que fait la Géorgie. L’essentiel est que la menace à la sécurité de la Russie ne parte pas du territoire de la Géorgie. Voilà l’unique et l’essentielle condition que nous posons.

Question : Ne voyez-vous pas un danger à ce que certains pays de la CEI peuvent suivre l’exemple de la Géorgie, en se servant des manifestations de masse ?

I.S.Ivanov : Formellement, E.A.Chévardnadzé a démissionné de lui-même. La constitution le prévoit. Cependant, nous ne pouvons pas ignorer les conditions, dans lesquelles il a démissionné. Le Président de la Géorgie a été contraint à faire ce pas, cela dit, la pression avait été tant intérieure qu’étrangère. Du point de vue de la forme, les normes constitutionnelles ont été respectées, mais en pratique, on serait à peine satisfait de la forme, dans laquelle cela a eu lieu.

Maintenant en ce qui concerne les autres pays de la CEI. Malheureusement, les méthodes qui ont été utilisés en Géorgie, et notamment les méthodes de la pression et les tentatives de l’ingérence dans les affaires intérieures, sont utilisées aussi dans d’autres pays. On en a aussi des preuves. Dans la déclaration conjointe des ministres des affaires étrangères des états de la CEI, adoptée à Kiev il y a quelques jours, nous avons noté que nous prônions le respect des principes démocratique, des droits de l’homme et allions strictement suivre ces principes, mais nous sommes formellement contre les tentatives de faire pression sur nos pays, ou, d’autant plus, contre les tentatives d’intervenir dans les affaires intérieures.

Question : Vis-à-vis de l’Irak, vous parlez souvent de ce qui s’y passe comme des pas unilatéraux. Comment voyez-vous la coopération avec les USA dans le rétablissement de l’Irak ? Comment la Russie peut-elle contribuer au règlement de la crise irakienne ?

I.S.Ivanov : Je crois que, compte tenu de la situation qui se forme actuellement en Irak, il ne s’agit pas que de l’aide à l’Irak, mais de ce que la communauté internationale aide elle-même. Aujourd’hui, tous se trouvent dans une situation difficile, non seulement l’Irak. Certes, avant tout, c’est le peuple de l’Irak qui souffre. Mais la situation difficile concerne aussi les voisins de l’Irak et les forces de la coalition, qui, chaque jour, subissent des pertes. La communauté internationale se trouve aussi en difficulté, elle voit que l’Irak, si la situation évolue comme elle le fait aujourd’hui, peut se transformer en un nouveau centre du terrorisme international. C’est pourquoi nous devons penser, comment aider l’Irak, la communauté internationale à sortir de la crise. La Russie, et non seulement elle, mais la majorité d’autres pays, est prête à la coopération, mais sur certains principes que nous avons clairement énoncés au Conseil de Sécurité de l’ONU.

Nous croyons que le processus du règlement politique doit se faire sous l’égide de l’ONU. Je crois que cela ne lèse les intérêts de personne, mais, au contraire, permettra d’unir les efforts de la communauté internationale. Il faut tenir une conférence internationale représentative avec la participation des forces politiques et religieuses dominantes de l’Irak, ainsi que des états voisins et des pays leaders du monde, membres permanents du CS de l’ONU. A cette conférence, il faudra approuver le plan des actions concrètes et, avant tout, le plan du transfert de la souveraineté aux représentants du peuple irakien. Puis, ce plan, mis au point à la conférence internationale, devra être approuvé par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Si l’on agit d’après ce schéma, le peuple irakien verra que l’occupation est finie et qu’une nouvelle page du règlement politique commence. Alors, le peuple irakien croira que ce règlement politique est vraiment réel. Parallèlement, il faudra définir le mandat des forces multinationales de sécurité, qui devra être concerté avec le calendrier du règlement politique.

La Russie a plusieurs fois énoncé ces initiatives tant au Conseil de Sécurité de l’ONU qu’au niveau bilatéral à nos partenaires. Nous voyons que dans une certaine mesure, elles reçoivent leur développement, en particulier, Washington a pris la décision d’accélérer le transfert du pouvoir aux représentants du peuple irakien. Cependant, nous le croyons insuffisant. Ce sont des demi-pas qui ne donneront pas l’effet escompté. Si Washington comprend qu’il faut transmettre le processus du règlement sous l’égide de l’ONU, y faire inclure la large opinion internationale, et la Russie est prête à participer à ce processus, je pense que tous ne feront qu’y gagner : et le peuple irakien, et les USA, puisque personne ne veut que la crise en Irak continue, que des gens meurent, y compris les citoyens des USA et des autres pays.

Question : Selon vous, est-ce que la coopération dans la lutte contre le terrorisme international continue de manière satisfaisante ? Ne pensez-vous pas que les états occidentaux n’aident pas suffisamment la Russie ?

I.S.Ivanov : Je crois qu’après le 11 septembre 2001, le monde a subi la révision sérieuse du problème de la lutte contre le terrorisme. Le monde a vu que c’est précisément le terrorisme qui s’est transformé en menace principale, contre laquelle il faut lutter en commun. Durant cette période, nous avons fait un très long chemin dans l’extension de la coopération, et, surtout, dans l’extension de la confiance réciproque de la lutte contre l’ennemi commun. Néanmoins, nous avons encore beaucoup à faire, puisque, malheureusement, nous n’avons pas encore abandonné les stéréotypes du passé, les doubles normes. Ici, nous devrons ensemble déployer pas mal d’efforts pour que la lutte vraiment antiterroriste devienne l’élément fondamental du partenariat du XXIe siècle. Pour cela, je répète, il faut abandonner les stéréotypes de "la guerre froide", rejeter les doubles normes. A parler des doubles normes, malheureusement, nous en retrouvons des exemples en Grande-Bretagne également : le procès contre A.Zakaïev, et, surtout, la décision du Ministère de l’intérieur de la Grande-Bretagne de lui octroyer l’asile politique. Nous le considérons comme la profanation de nombreuses victimes, tombées de la main des terroristes sur le territoire de la République Tchétchène et dans les autres villes de la Fédération de Russie. Nous exprimons notre profond regret que le Ministère de l’intérieur de la Grande-Bretagne n’ait pas entendu l’opinion de la Russie et ait pris cette décision.

Question : Croyez-vous que cette décision puisse nuire à la future coopération entre la Russie et la Grande-Bretagne dans la lutte contre le terrorisme ?

I.S.Ivanov : J’espère que cette décision ne sera pas un précédent, mais plutôt la dernière décision de ce genre, où l’on accorde à un terroriste l’asile politique. Si cette piste reçoit son développement ultérieur, cela aggravera, bien sûr, notre lutte conjointe contre le terrorisme international, puisque tout terroriste cherchera à se faire passer pour une victime politique et éviter ainsi la punition méritée pour les crimes qu’il a perpétrés.

Question : Que pensez-vous de la campagne dite antirusse contre la Tchétchénie, en particulier, contre les personnes qui ont quitté le pays, comme Goussinski, Bérésovski, etc. Est-ce qu’ils se servent du problème de la Tchétchénie dans leur jeu contre la Russie ?

I.S.Ivanov : Malheureusement, périodiquement en Europe Occidentale se lève la vague de la critique contre la Russie à propos de l’évolution des événements en Tchétchénie. Les acteurs des rassemblements organisés à ce propos sont ces 10-15 personnes, qui voyagent de pays en pays. Cela dit, sans tenir compte de ce qui se passe réellement en République Tchétchène. Les films que l’on projette à ces rassemblements sont ceux du passé. Oui, les événements montrés dans ces films, ont eu lieu, mais c’était il y a plusieurs années. Pendant ce temps, la situation en Tchétchénie a radicalement changé. Et ils continuent d’utiliser les vieilles prises pour compromettre ce qui est fait aujourd’hui. Personne ne parle du référendum passé en Tchétchénie, de la Constitution, des élections du Président, de ce qu’on n’y fait plus la guerre, que l’économie se rétablit, les enfants vont à l’école, l’université fonctionne, etc. On tait tout le positif qui est fait en ces dernières années. Je crois que l’opinion en Europe devra considérer avec plus d’esprit critique ce genre de spectacles qui essaient de ternir nos rapports. Derrière cela, se cachent les gens qui ne sont pas intéressés au rapprochement entre l’Europe Occidentale et la Russie que l’on voit ces dernières années. Nous ne devons pas laisser ce genre de campagnes empêcher le choix historique de nos pays de construire en commun la Grande Europe, sure, démocratique, prospère.

Question : Voyez-vous les voies du règlement du conflit israélo-palestinien ? Comment là Russie peut-elle contribuer au règlement ?

I.S.Ivanov : Le Quatuor des médiateurs internationaux a joué un rôle positif et continue de le jouer. Je crois que son rôle n’est pas encore achevé. La "feuille de route", préparée par le Quatuor, est approuvée par le Conseil de Sécurité de l’ONU à l’unanimité. Cela dit que ce document a reçu un fort soutien de la part de l’ONU et de la communauté internationale. Parallèlement, en IsraÑ|l et en Palestine croît le mouvement des partisans de la recherche du compromis. Nous connaissons l’initiative avancée dite "de Genève". Il est évident qu’en Israël aussi, se renforcent les positions de ceux qui comprennent qu’on a besoin du règlement pacifique, politique, et non pas militaire. La même chose se passe en Palestine. Je crois que nous approchons maintenant d’une étape très importante, où il faut intensifier encore plus le rôle du Quatuor. Il ne faut pas séparer le rôle des USA, de la Russie, de l’Europe. Notre force est bien là où l’on agit ensemble et de manière coordonnée. La Russie va continuer de contribuer à ce que le Quatuor conserve son rôle actif dans le règlement proche-oriental. Bien que la situation reste extrêmement compliquée, ces dernières semaines sont apparus les indices de ce que le capital positif, qui réside, en particulier, dans la "feuille de route", commence à porter ses fruits. Dans l’opinion publique d’Israël et de Palestine se consolident les positions des partisans du règlement politique.