Question : Le coup d’état en Géorgie, inspiré par une puissance étrangère. Le rejet par la Moldavie, sous la pression occidentale, du plan russe du règlement en Transnistrie. Ne croyez-vous pas que la Russie ait perdu son rôle leader dans l’espace post-soviétique ?

Réponse : J’en tirerais plutôt une conclusion contraire. Il ne s’agit pas de la perte des positions de la Russie, mais de l’inquiétude de certaines forces ou certains états de nos nouvelles possibilités dans l’espace de la CEI. A mesure que la Russie a commencé à se consolider économiquement et politiquement, elle a retrouvé la possibilité d’élargir plus efficacement la coopération avec ses partenaires de la CEI. Cela a commencé à préoccuper certains. Ils ont eu des craintes que la Russie se manifeste de nouveau dans ces pays, plus par voie de l’expansion, mais bien par voie du renforcement de sa présence politique et économique. Je pense que cette présence répond pleinement aux intérêts des états de la CEI.

Voyez, par exemple, ce qui s’est passé dans nos rapports avec les pays de l’Europe de l’Est dans les années 90. Après avoir proclamé l’orientation euratlantique, ils ont commencé à réduire leurs rapports avec la Russie. Maintenant, ils reconnaissent eux-mêmes avoir perdu 10 ans, et nous devons par les efforts conjoints rattraper le temps perdu. Ce sujet est d’autant plus actuel pour les pays de la CEI. Il ne faut plus espérer l’aide d’un bon Samaritain. Nous devons nous-mêmes résoudre les problèmes du développement socioéconomique. Et les possibilités pour cela deviennent maintenant plus nombreuses.

Question : Néanmoins, ce sont bien les forces qui n’ont pas aimé la participation de la Russie qui contrôlent aujourd’hui la situation. Car nos initiatives en Moldavie ont échoué...

Réponse : Je ne dirais pas que les initiatives russes aient échoué. Aujourd’hui, l’initiative n’a pas passé, demain elle passera. Car elle réside sur une solide base de droit, qui tient compte des intérêts de toutes les parties. Beaucoup, certes, va dépendre des politiques dans ce pays, de leur capacité de subir la pression intérieure et extérieure dans intérêt de l’avenir de leur état.

Voyez, est-ce qu’on ne cherche pas à faire pression sur l’administration de la Russie ? Bien qu’on le fasse de manière cachée, compte tenu du rôle et du poids de la Russie, mais ces tentatives ont bien lieu ! Nous l’avons vu ces derniers temps. Je pense qu’avec le temps, la résistance des politiques de la CEI à ce genre d’ingérence extérieure va croître.

Question : On pense que les ambassades russes dans les pays de la CEI n’ont souvent pas les meilleurs effectifs. Car pas besoin de connaître des langues étrangères, et c’est pourquoi nos missions diplomatiques se transforment en déchets des effectifs diplomatiques...

Réponse : Je ne saurai convenir de cette évaluation, non pas que je veuille défendre l’honneur de l’uniforme. Je dirai franchement : au début, le processus de la création des ambassades russes en CEI avançait difficilement, y compris vu le moment psychologique. Car avant, tous ces territoires faisaient partie d’un seul pays. L’autre difficulté consistait en ce que nous ne nous y sommes jamais préparés. Nous n’avions pas d’experts pour ces régions qui connaissent la langue du pays de séjour. Mais la langue russe reste celle de la communication dans les pays de la CEI. C’est pourquoi l’ignorance de la langue n’est pas la plus grande difficulté à l’étape actuelle. Bien que, quand vient un ambassadeur et commence, sous peu, à parler la langue du pays de séjour, comme, par exemple, en Ouzbékistan, cela suscite tout de suite un grand respect.

Question : Pardon, mais notre ambassadeur à Tachkent Monsieur Moukhametchine est Tatar. Que lui vaut-il d’apprendre la langue ouzbèque soeur ?

Réponse : Voire. Ce n’est pas si facile que ça. En général, nous déployons maintenant un maximum d’efforts pour augmenter le prestige du travail dans les pays de la CEI. Certes, cela exige du temps. Mais, malgré toute la difficulté, ce processus avance. Par exemple, aujourd’hui à l’IEREM et en stage du MAE, on apprend toutes les langues des pays de la CEI.

Question : Est-ce que les autorités de la Russie possèdent une nette compréhension, en quoi consistent précisément les intérêts nationaux, ou le processus de leur compréhension continue toujours ?

Réponse : Le processus de la compréhension ne doit jamais s’arrêter. Le monde d’aujourd’hui se développe si dynamiquement qu’apparaissent beaucoup de facteurs qui exigent leur prise en compte en politique étrangère. Mais les principes de base sont définis et ne seront pas changés. Premièrement, nous devons faire obéir tous nos pas aux intérêts de la sécurité nationale. Deuxièmement, nous devons parler du renforcement de nos positions économiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Troisièmement, la défense des intérêts de nos citoyens. Des contacts que j’ai eus, je tire la conclusion que maintenant, les citoyens russes se sentent plus protégés qu’avant.

Question : Mais pas, par exemple, au Turkménistan...

Réponse : Il y a des problèmes qui sont résolus rapidement, il y en a d’autres qui sont résolus plus longtemps. La Turkménie est un état souverain qui a ses propres lois. Nous pouvons les aimer ou pas, mais il s’agit d’un état souverain. Certes, nous devons exiger et exigeons le respect des droits de nos citoyens. Mais ils vivent dans un pays étranger. Malheureusement, on ne le refait pas à notre mesure. Les représentants des autres ethnies y subissent les mêmes difficultés. Nous cherchons à lever l’acuité du problème qui est causée par les actions unilatérales des autorités turkmènes. Les pourparlers sont compliqués. Mais nous allons continuer de travailler activement non seulement au niveau bilatéral, mais par l’intermédiaire de l’ONU, de l’OSCE, des autres organisations internationales.

Question : Ceux qui connaissent la région ont une opinion stable que notre ambassade à Achkhabad ne travaille pas en fait pour la Russie, mais pour Turkmenbachi...

Réponse : Il m’est difficile de dire ce qui sert de base à ces conclusions

Question : En pleine crise, le site d’une des agences turkmènes avait publié l’interview de l’ambassadeur par intérim de la Russie A.F.Molotchkov, où il a dit qu’aucun problème n’existait, que personne ne persécutait les citoyens russes en Turkménie, et que tout cela était la calomnie des médias...

Réponse : Concernant les propos d’A.F.Molotchkov, peut-être, fallait-il à cette étape-là faire une déclaration plus prudente, plus pondérée Le problème est que les ambassades ne peuvent toujours pas posséder toute l’information, surtout là où les contacts avec nos concitoyens sont difficiles. Cependant, il serait incorrect de donner le destin des citoyens russes, en particulier en Turkménie, en ferme à l’ambassade. C’est notre commune affaire d’état. C’est pourquoi à Achkhabad est partie une délégation représentative russe pour discuter tous les aspects de la situation de nos citoyens en Turkménie. On a auditionné cela à la Douma d’Etat, et nous sommes reconnaissants pour ses recommandations. Il faut ensemble chercher la solution du problème.

Question : L’édification de la digue dans le détroit de Kertch a-t-elle commencé par décision des autorités locales, ou était-ce la décision du centre fédéral ?

Réponse : Initialement, c’était la décision des autorités locales. Le gouverneur du territoire de Krasnodar l’a déclaré lui-même. Quand la situation est sortie au niveau des relations interétatiques, les autorités fédérales y ont aussi participé. Actuellement, les pourparlers suivent une voie constructive, et on espère que dans les délais raisonnables, nous pourrons aboutir aux accords. J’espère que, le problème du bassin Azov-Kertch résolu, nous résoudrons aussi celui de Touzla.

Question : Et quelle solution du problème arrangerait la Russie ? Quel est notre programme maximum ?

Réponse : Le but est simple. La mer d’Azov est notre mer intérieure, où la Russie et l’Ukraine doivent coopérer. Le détroit de Kertch doit devenir celui de l’utilisation conjointe, pour que les bateaux de la Russie et de l’Ukraine puissent aller et venir librement en mer d’Azov. La solution de cette tâche peut connaître des approches différentes. Nous, par exemple, nous croyons que le bassin Azov-Kertch doit être la zone de l’utilisation conjointe. L’utilisation en commun des sous-sols, la pêche, la solution en commun des problèmes écologiques, etc. Nos amis ukrainiens reconnaissent aussi la mer d’Azov comme leur mer intérieure. Mais en même temps, ils veulent délimiter les frontières. Là, il faut chercher des mécanismes juridiques appropriés. Je pense que nous les trouverons.

Question : Mais ne croyez-vous pas qu’en prenant une décision autonome du début de l’édification de la digue, les autorités locales aient commis une faute ?

Réponse : Il n’y avait eu aucune violation, et la parties ukrainienne le reconnaît. Peut-être, du point de vue des relations de partenariat, aurait-on pu discuter ce problème en ami au niveau des régions frontalières avant le début de l’édification.

Question : Y a-t-il des indices de ce que l’Amérique est prête à abandonner la politique étrangère unilatérale ?

Réponse : Je crois qu’à Washington continue une opposition intérieure compliquée de ceux qui prônent la politique étrangère unilatérale et ceux qui comprennent que dans le monde actuel, même un état comme les USA, qui peut se permettre de dépenser à des fins militaires plus de 400 milliards d’USD par an, n’est pas capable de résoudre seul les problèmes qui apparaissent. Nous en avons eu la preuve en Irak. C’est l’exemple le plus parlant. Je crois que les partisans des actions unilatérales suivent la philosophie de "la guerre froide". En résultat de cette politique, aujourd’hui les USA ont de fait aggravé leurs rapports même avec ses proches alliés. Finalement, Washington devra comprendre que cette politique ne répond pas à leurs propres intérêts. C’est, certes, un processus compliqué. Mais nous devons faire savoir à Washington à travers un dialogue franc que la politique des mécanismes multipartites ne lèse jamais les intérêts des USA. Elle n’a rien d’antiaméricain.

Question : Est-ce que, selon vous, les USA ont tiré une leçon de la guerre en Irak ?

Réponse : Je suppose que la dernière décision de l’administration des USA d’accélérer le transfert du pouvoir aux représentants du peuple irakien parle d’elle-même. Cependant, malheureusement, la compréhension avance lentement. Plus le processus du règlement traîne, plus il sera difficile de régler ce problème. Si la situation qui existe en Irak est maintenue, le pays peut se transformer en un foyer du terrorisme international, comme l’Afghanistan en son temps. Alors, il nous sera à tous bien plus difficile d’éradiquer ce mal. C’est pourquoi nous sommes intéressés à régler la situation en commun. Mais pour cela, nous devons avoir la compréhension réciproque de la part de l’Amérique. Je suis persuadé que non seulement la Russie, mais les autres pays seraient prêts à participer plus activement au règlement, s’ils recevaient des signes clairs de Washington.

Question : Combien sont sérieux les appels des sénateurs américains d’exclure la Russie du G8 ?

Réponse : Ce genre d’initiatives n’est pas nouveau. Il m’est difficile de qualifier les gens qui les avancent. On a le sentiment qu’ils sont complètement détachés de la réalité. On ne pourrait, peut-être, pas exclure l’apparition de pareilles initiatives dans l’avenir. La société possède plusieurs facettes, elle comprend des personnes différentes. Mais je crois que cela n’ira pas plus loin que la propagande.

Question : Mon expérience des voyages étrangers ces derniers temps indique que "l’affaire YOUKOS", qu’invoquent les sénateurs, a porté un coup terrible à l’image internationale de la Russie. Comment est-il prévu de régler ce problème ?

Réponse : Ma désignation en tant que ministre a coïncidé avec le scandale autour de la "Bank of New York". J’avais dû alors aussi expliquer qu’il faut d’abord y voir clair, puis tirer des conclusions. Je ne connais pas les documents de l’enquête de "l’affaire YOUKOS", mais je peux maintenant répéter la même chose. Certains représentants en Russie et à l’étranger ont essayé d’emblée de présenter l’arrestation de Khodorkovski comme un acte politique. Mais, peut-être serait-il plus correct d’attendre la présentation des documents appropriés, les résultats de l’enquête et seulement après tirer des conclusions. Certes, il est très important que l’enquête soit transparente au maximum. Alors, tous pourront évaluer objectivement les accusations portées par l’enquête. Seul l’ouverture totale à ce procès nous permettra de faire porter l’image réelle à l’opinion chez nous et à l’Occident.

Question : Est-ce qu’il y a en Russie une vision claire des futures relations avec l’Union Européenne ? Par exemple, voulons-nous dans un avenir éloigné devenir membres de l’UE ?

Réponse : La question n’est pas ainsi posée pour plusieurs raisons objectives. La Russie est trop grande. Maintenant déjà, l’UE connaît de sérieuses difficultés du fait de l’adhésion de dix nouveaux membres. On peut s’imaginer ce que ferait la demande de la Russie d’examiner son adhésion à l’Union Européenne ! En parlant de l’Europe unie, nous avons en vue la création d’un espace économique unique, où seraient en vigueur les normes unies ou proches.

Question : Peut-on parler de l’augmentation du prestige international de la Russie, le blocus de visas autour de notre pays devenant plus dense ?

Réponse : Sûrement, de pareilles tendances nous préoccupent. D’une part, nous étendons les liaisons commerciales, scientifiques, culturelles avec l’Europe. D’autre part - le régime de visas s’aggrave. Pour résoudre ces différends, on s’est entendu, au cours du sommet Russie-UE à Saint-Pétersbourg, de mener des pourparlers pour aboutir dans l’avenir au régime sans visas. Certes, cela ne sera pas facile. Nous suivrons d’abord la voie de la simplification du régime de visas pour certaines catégories de citoyens, de l’établissement des visas gratuits ou multiples. Parallèlement, on va mener des pourparlers sur l’instauration, au bout de quelques années, du régime sans visas.

Question : Mais est-ce réel ? Car l’Europe a clairement fait comprendre : avant les améliorations radicales de la situation dans notre économie et le renforcement de nos frontières sud, il ne pourra s’agir d’aucun régime sans visas...

Réponse : Nous ne renforçons pas du tout nos frontières pour recevoir le régime sans visas pour les voyages en Europe. La Russie le fait, avant tout, dans l’intérêt de sa propre sécurité. Nous ne voulons pas que notre pays serve de transit pour les immigrés clandestins vers l’Europe et vice-versa. Maintenant, nous faisons démarquer nos frontières, qui, après la désintégration de l’URSS, n’existaient pas sur de grands espaces. Nous instaurons les normes migrationnelles appropriées. Mais pour terminer ce processus, il nous faudra un certain temps encore.

Question : Récemment Moscou a pour la première fois dans l’histoire été visitée par le gouverneur de fait de l’Arabie Saoudite. Est-ce que ce pays est prêt à abandonner le financement des organisations extrémistes dans notre Caucase du Nord ?

Réponse : Au cours des pourparlers du Prince Héritier de l’Arabie Saoudite avec le Président de la Russie, il s’agissait de la mise au point des bases de la coopération. A parler franchement, nous y partons de fait à zéro. La coopération comme telle entre nos deux pays n’existait pas. En Arabie Saoudite ont existé des milieux (je ne parle pas de l’administration du pays) qui soutenaient des organisations religieuses extrémistes non seulement au Caucase du Nord, mais dans les autres pays, par exemple en Afghanistan. Finalement, ils étaient sûrement impliqués aux événements du 11 septembre, surtout compte tenu de ce que la plus grande partie des exécuteurs des attentats étaient des ressortissants de l’Arabie Saoudite. Ces milieux essayaient d’exporter l’extrémisme, croyant se protéger ainsi du terrorisme. Quand ce boomerang leur est revenu et qu’ils ont vu que c’est une menace réelle à la propre stabilité et la sécurité de l’Arabie Saoudite, l’administration du pays a commencé à voir d’un oeil nouveau ce problème.

Question : Comment dresseriez-vous le bilan de politique extérieure du séjour de V.V.Poutine au pouvoir ?

Réponse : Aujourd’hui, il est tout à fait évident que la position de la Russie dans le monde s’est sensiblement renforcée. La Russie a fait lever plusieurs problèmes aigus. Nous avons su, par une solution aussi hors normes que la création du Conseil Russie-OTAN, passer la limite de l’extension de l’OTAN. Bine que nous croyions toujours que cela ne répond pas aux intérêts de la sécurité européenne. En ces années, nos relations n’ont détérioré avec aucun pays. Au contraire, nous avons sérieusement rectifié nos rapports avec plusieurs états, par exemple en Europe de l’Est.

Un autre facteur important - nous avons réussi à avoir le soutien du cap de politique étrangère du président pratiquement par toutes les forces politiques intérieures du pays. Certes, il existe une certaine critique, mais les principales pistes sont soutenues. Aux diverses étapes de l’histoire, souvent chez nous la politique étrangère résolvait non seulement les tâches extérieures, mais servait de facteur stabilisateur à l’intérieur du pays. Je crois qu’actuellement, nous avons précisément cette situation.

Si vous me demandez en tant que ministre, quelles sont les pistes où je me sens le moins satisfait, je citerai la CEI.

Question : Et d’où vient aujourd’hui la principale menace à la Russie ?

Réponse : Pour la plupart des états démocratiques, les menaces aujourd’hui sont universelles : ce sont le terrorisme, le danger de la prolifération d’armes d’extermination massive et son arrivée aux mains des terroristes, toutes les formes de l’extrémisme, du séparatisme, du crime organisé, le trafic de drogue. Tous ces problèmes ont un caractère transfrontalier, et il faut lutter contre eux ensemble, tous ensemble.