La commission considère que le principe de laïcité, fruit de l’histoire et d’un apprentissage centenaire, a permis à la France, terre de diversités culturelles et spirituelles, de parvenir à un équilibre qu’il serait inutile, voire dangereux de vouloir briser. La loi de 1905 doit rester un socle du vivre ensemble en France. La laïcité doit continuer à faire respecter la liberté de conscience et l’égalité de toutes et de tous. C’est pourquoi l’émergence de nouvelles pratiques religieuses nécessite une application du principe de laïcité renouvelée.

1 Promouvoir la laïcité et lutter contre les discriminations

La laïcité n’est pas une notion familière pour nombre de nos concitoyens. S’il est nécessaire de promouvoir la laïcité, celle-ci ne retrouvera sa légitimité que si les pouvoirs publics et l’ensemble de la société luttent contre les pratiques discriminatoires et mènent une politique en faveur l’égalité des chances.

1.1 Réaffirmer et réapprendre la notion de laïcité

1.1.1 Réaffirmer la laïcité

La loi du 9 décembre 1905 n’a pas à être remise en chantier : le cadre qu’elle a défini et qui reste le nôtre aujourd’hui constitue un ajout majeur qui suscite l’intérêt de nombreux pays, confrontés aux mêmes défis que la France.

La commission propose l’adoption d’une " Charte de la laïcité ", définissant les droits et les obligations de chacun. Elle pourrait reprendre l’ensemble des principes énumérés dans le présent rapport. Cette Charte, dépourvue de valeur normative, prendrait la forme d’un guide qui serait remis à différentes occasions : la remise de la carte d’électeur, la formation initiale des agents du service public, la rentrée des classes, l’accueil des migrants - qu’un contrat d’accueil et d’intégration soit signé ou non - ou l’acquisition de la nationalité. La commission préconise qu’elle soit aussi affichée dans les lieux publics concernés.

L’adoption d’un code de la laïcité, qui rassemblerait l’ensemble des textes relatifs à la laïcité, a été évoquée. Cette proposition ne paraît pas adaptée, car les textes concernés sont trop peu nombreux pour donner lieu à codification.

La commission estime que la réaffirmation de la laïcité ne conduit pas à remettre en cause le statut particulier de l’Alsace-Moselle, auquel est particulièrement attachée la population de ces trois départements. Un aménagement lui paraît cependant nécessaire. Doit être envisagée toute mesure permettant d’affirmer l’égalité des croyants, des athées et des agnostiques. La pratique actuelle, qui oblige les parents à effectuer une demande spécifique pour que leurs enfants soient dispensés de l’enseignement religieux, pourrait être modifiée. Il suffirait qu’un formulaire soit remis en début d’année scolaire aux parents, afin qu’ils répondent positivement ou négativement à cette offre de cours. De même, la commission estime que l’enseignement de la religion musulmane doit être proposé aux élèves, au même titre que celui des autres religions.

La commission note que pour les départements et territoires d’outre-mer aucune proposition de modification des statuts particuliers ne lui a été soumise.

1.1.2 Réapprendre la laïcité

Le premier lieu d’apprentissage des valeurs républicaines est et doit rester l’école : enseignants comme élèves gagneront à approfondir le principe de laïcité. La commission se félicite de la création, dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), de deux modules d’enseignement, l’un sur la philosophie de la laïcité et les valeurs de la République, l’autre sur l’enseignement du fait religieux et la déontologie laïque. Ces modules doivent être généralisés. La commission reprend à son compte la proposition formulée par certaines personnes auditionnées : faire signer une " charte de la laïcité " aux enseignants, lors de leur entrée à l’IUFM ou lors de leur première prise de fonction.

En tant que principe fondateur de l’école, la laïcité est un thème majeur de l’éducation civique. Aujourd’hui, la laïcité ne peut être conçue sans lien direct avec le principe d’égalité entre les sexes. La commission propose que la laïcité, intégrant l’égalité entre l’homme et la femme, fasse l’objet d’un temps fort d’étude et de débats, par exemple au cours d’une " journée de Marianne " qui pourrait être instituée pendant la semaine internationale de lutte contre le racisme.

Tout nouvel établissement scolaire doit comporter sur son fronton le triptyque républicain, et cette exigence doit figurer dans le cahier des charges de sa construction. Pour les établissements existants, un programme pluriannuel d’apposition de ce triptyque doit être mis en œuvre et soumis aux conseils d’administration des établissements scolaires.

Pour de nombreux jeunes gens, le service national était l’occasion de sortir de leur environnement familial et social et d’être confrontés à l’autorité. Le brassage social, l’apprentissage du vivre ensemble, le respect des différences culturelles et spirituelles dans un cadre laïque : l’école ne peut à elle seule assurer l’ensemble de ces missions. Un service civil pourrait être instauré pour favoriser le brassage social. A défaut, la laïcité doit être réaffirmée lors des journées d’appel à la préparation de la défense, qui ont le mérite de rassembler tous les jeunes d’une même classe d’âge.

1.2 Lutter contre les discriminations sociales

C’est sur le terreau du mal vivre que se développent les extrémismes communautaristes : la laïcité n’a de sens et de légitimité que si l’égalité des chances est assurée en tout point du territoire, les diverses histoires qui fondent notre communauté nationale reconnues et les identités multiples respectées.

1.2.1 Combattre les discriminations sociales et urbaines

Le terme de cité, à l’origine de la citoyenneté, est aujourd’hui devenu l’incarnation de la perte de sens du citoyen : les ghettos existent désormais sur le sol français. La commission prend acte de la création d’une agence nationale chargée de réhabiliter les zones de relégation sociale et de la hausse très significative des crédits qui l’accompagne. Elle souhaite que la politique de lutte contre les discriminations urbaines soit une priorité nationale.

La future haute autorité indépendante qui sera compétente à l’égard de toutes les formes de discriminations devra modifier les pratiques et faire évoluer les comportements en matière notamment de racisme direct ou indirect et d’intolérance religieuse. Les premières victimes sont les jeunes qui cumulent plusieurs formes de discrimination en raison de leur appartenance ethnique, religieuse, ou de leur lieu de domicile.

1.2.2 Supprimer les discriminations induites par les politiques publiques

Paradoxalement, l’Etat n’a pas encore respecté toutes ses obligations en matière d’accès au service public de l’éducation. Le préambule de la Constitution de 1946 a pourtant consacré le principe selon lequel " l’organisation de l’enseignement public, gratuit et obligatoire à tous les degrés est un devoir de l’Etat ". Or force est de constater que cette obligation constitutionnelle n’est pas totalement respectée. Dans certaines communes rurales, les familles sont contraintes de scolariser leurs enfants dans des établissements privés sous contrat d’association, du fait de l’absence d’école publique. Il s’agit là d’une situation résiduelle qui n’a plus lieu d’être.

A partir des années 1970, à une époque où la venue de populations immigrées était considérée comme temporaire, la France a signé avec l’Algérie, l’Espagne, l’Italie, le Maroc, le Portugal, la Serbie-Monténégro, la Tunisie et la Turquie des accords bilatéraux pour proposer un enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO) aux enfants de l’immigration. Les accords auxquels s’adossent ces ELCO sont depuis régulièrement reconduits. Or, la commission constate que sur fond de droit à la différence, on a glissé vers le devoir d’appartenance. Cet enseignement relève d’une logique communautariste. Il est assuré par des enseignants étrangers, rémunérés par le pays d’origine pour des jeunes, qui, eux, sont souvent de nationalité française et ont vocation à vivre en France définitivement.

Ce dispositif va souvent à l’encontre de l’intégration des jeunes issus de l’immigration, de la promotion de la langue française, et de la valorisation de l’enseignement de l’arabe, du turc et d’autres langues. La commission recommande la suppression progressive des ELCO au fur et à mesure de leur remplacement par un enseignement de langues vivantes de droit commun. Dans le primaire, cet enseignement pourrait être confié, en cas de besoin, à des associations agréées par l’Etat. La situation actuelle, où l’enseignement de l’arabe est assuré très majoritairement dans le cadre d’écoles coraniques, n’est pas satisfaisante. L’Education nationale doit réfléchir aux moyens de promouvoir cet enseignement à l’école, en valorisant notamment ces cours de langues. Par ailleurs, la commission préconise l’introduction de l’enseignement de langues étrangères non étatiques (le berbère et le kurde par exemple), à l’instar des langues régionales : 2000 élèves s’inscrivent chaque année à l’épreuve facultative de berbère au baccalauréat.

La société française ne peut accepter des atteintes à l’égalité des sexes et à la mixité. Le recul de cette mixité dans les lieux publics, notamment dans l’accès aux équipements publics sportifs, porte une atteinte grave à l’égalité. Y faire droit serait entrer dans une logique inacceptable. L’ouverture au public de ces équipements ne peut en aucun cas être fondée sur des critères discriminatoires liés au sexe, mais aussi à la religion, et une disposition législative pourrait rappeler l’exigence de mixité. Les associations participant au service public du sport doivent être soumises aux mêmes règles.

Mais la commission insiste sur la nécessité d’éviter toute confusion entre le fait communautaire et le communautarisme, ainsi qu’entre le culturel et le cultuel. A cet égard, la commission souligne le risque qu’il y aurait à enfermer les populations dans la seule référence religieuse, et à limiter le partenariat aux associations confessionnelles, alors que les associations à vocation culturelle peuvent faciliter le dialogue au sein de la société française. La République n’a pas vocation à légitimer l’existence de communautés, mais elle peut prendre en considération des associations culturelles qui jouent un rôle décisif comme relais de la laïcité.

L’Etat et ses partenaires, associations ou collectivités locales, gagneraient à préciser les critères d’attribution des aides à des structures communautaires : oui au financement de celles qui favorisent les échanges, les rencontres, l’ouverture sur la cité ; non à l’aide aux associations qui refusent le dialogue avec le reste de la société. La priorité doit aujourd’hui être donnée aux équipements favorisant le brassage social de l’ensemble de la population d’une même ville, plutôt qu’aux équipements de quartier au bilan mitigé.

Enfin, il est nécessaire de dénoncer les conventions internationales qui reconnaissent la polygamie ou la répudiation. En matière de statut personnel, la France, comme le font déjà certains de ses partenaires européens, doit faire primer le droit du pays de domicile sur le droit du pays d’origine.

1.2.3 Respecter la diversité

"A la mosquée, au moins, j’existe !" : cette exclamation en forme d’avertissement, entendue par la commission, sonne comme un véritable échec de la politique d’intégration des vingt dernières années.

Il faut combattre la méconnaissance et les préjugés sur les différentes composantes de l’histoire française et sur le fait migratoire. L’enseignement de l’histoire de l’esclavage est absent des programmes, et celui de l’histoire de la colonisation, de la décolonisation, mais aussi de l’immigration occupe une place insuffisante. Ces enseignements devraient tenir toute leur place au collège et au lycée, en métropole et dans les départements et territoires d’outre-mer. Le futur Centre de mémoire de l’immigration est pour sa part destiné à devenir un lieu de formation, de recherches et de débats sur le fait migratoire.

2 Faire vivre les principes de la République

Le débat public s’est engagé dans la polémique sur le port du voile islamique à l’école. Les auditions de la commission ont permis de mesurer la logique réductrice et stigmatisante de cette approche, limitée à un signe et dans le seul cadre scolaire :
 Au-delà de l’école, c’est l’ensemble du service public qui est confronté à des difficultés dans l’application du principe de laïcité (santé, justice, défense) ;
 depuis l’expression ostentatoire et prosélyte jusqu’à l’atteinte aux droits de la personne et aux libertés publiques, les menaces ébranlent l’ensemble de notre édifice juridique.

Réaffirmer des règles claires pour tous est indispensable dans les services publics.

2.1 Réaffirmer la stricte neutralité qui s’impose aux agents publics

Depuis le début du XXème siècle, la jurisprudence constante du Conseil d’Etat impose aux agents publics la plus stricte neutralité. Elle n’a jusqu’à présent jamais fait l’objet d’une consécration législative. La commission estime qu’il serait opportun de transcrire dans le statut général des trois fonctions publiques le respect de la neutralité du service auquel sont tenus les fonctionnaires et les agents non titulaires de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Sans préjudice de l’exercice de leur droit syndical, ils ne peuvent exprimer en service leurs idées et convictions politiques, religieuses ou philosophiques. En contrepartie de cette obligation, la commission considère que le statut des agents publics devrait leur offrir la garantie qu’aucune récusation ou mise en cause à leur égard n’est possible sur le fondement de leurs convictions personnelles ou de leur appartenance, réelle ou supposée, à un groupe religieux, politique ou philosophique.

Ces obligations de neutralité devraient être mentionnées dans les contrats conclus avec les entreprises délégataires de service public ou celles concourant au service public.

2.2 Défendre les services publics

2.2.1 L’école

La question de la laïcité est réapparue en 1989 là où elle est née au XIXème siècle : à l’école. Sa mission est essentielle dans la République. Elle transmet les connaissances, forme à l’esprit critique, assure l’autonomie, l’ouverture à la diversité des cultures, et l’épanouissement de la personne, la formation des citoyens autant qu’un avenir professionnel. Elle prépare ainsi les citoyens de demain amenés à vivre ensemble au sein de la République. Une telle mission suppose des règles communes clairement fixées. Premier lieu de socialisation et parfois seul lieu d’intégration et d’ascension sociale, l’école influe très largement sur les comportements individuels et collectifs. A l’école de la République sont accueillis non de simples usagers, mais des élèves destinés à devenir des citoyens éclairés. L’école est ainsi une institution fondamentale de la République, accueillant pour l’essentiel des mineurs soumis à l’obligation scolaire, appelés à vivre ensemble au-delà de leurs différences. Il s’agit d’un espace spécifique, soumis à des règles spécifiques, afin que soit assurée la transmission du savoir dans la sérénité. L’école ne doit pas être à l’abri du monde, mais les élèves doivent être protégés de la " fureur du monde" : certes elle n’est pas un sanctuaire, mais elle doit favoriser une mise à distance par rapport au monde réel pour en permettre l’apprentissage. Or dans de trop nombreuses écoles, les témoignages ont montré que les conflits identitaires peuvent devenir un facteur de violences, entraîner des atteintes aux libertés individuelles et provoquer des troubles à l’ordre public.

Le débat public s’est centré sur le port du voile islamique par de jeunes filles et plus largement sur le port de signes religieux et politiques à l’école. La commission a souhaité retracer les différentes prises de position exprimées par les personnes auditionnées :
 Pour celles qui le portent, le voile peut revêtir différentes significations. Ce peut être un choix personnel ou au contraire une contrainte, particulièrement intolérable pour les plus jeunes. Le port du voile à l’école est un phénomène récent. Affirmé dans le monde musulman dans la décennie 1970 avec l’émergence de mouvements politico-religieux radicaux, il ne se manifeste en France qu’à partir de la fin des années 1980.
 Pour celles qui ne le portent pas, la signification du voile islamique stigmatise "la jeune fille pubère ou la femme comme seule responsable du désir de l’homme", vision qui contrevient fondamentalement au principe d’égalité entre les hommes et les femmes.
 Pour l’ensemble de la communauté scolaire, le port du voile est trop souvent source de conflits, de divisions et même de souffrances. Le caractère visible d’un signe religieux est ressenti par beaucoup comme contraire à la mission de l’école qui doit être un espace de neutralité et un lieu d’éveil de la conscience critique. C’est aussi une atteinte aux principes et aux valeurs que l’école doit enseigner, notamment l’égalité entre les hommes et les femmes.

La commission a entendu les représentants des grandes religions ainsi que des dirigeants d’associations de défense des droits de l’homme qui ont fait part de leurs objections vis-à-vis d’une loi interdisant le port de signes religieux. Les motifs invoqués sont les suivants : stigmatisation des musulmans, exacerbation du sentiment anti-religieux, image à l’étranger d’une France " liberticide ", encouragement à la déscolarisation et développement d’écoles confessionnelles musulmanes. Les difficultés d’application auxquelles se heurterait une loi ont été soulignées. La jurisprudence du Conseil d’Etat a abouti à un équilibre auquel elles sont attachées et qu’une loi risquerait de mettre à mal.

D’autres -la quasi totalité des chefs d’établissements et de très nombreux professeurs- sont convaincus qu’il faut légiférer. La commission a été particulièrement sensible à leur désarroi. Insuffisamment outillés, ils se sentent bien seuls devant l’hétérogénéité de ces situations et la pression exercée par les rapports de force locaux. Ils contestent des chiffres officiels qui minimisent les difficultés rencontrées sur le terrain. Ils ont souligné les tensions suscitées par les revendications identitaires et religieuses, la formation de clans, par exemple, des regroupements communautaristes dans les cours de récréation, ou les cantines scolaires. Ils expriment tous le besoin d’un cadre clair, d’une norme formulée au niveau national, prise et assumée par le pouvoir politique et donc précédée par un débat de la représentation nationale. La demande exprimée est celle d’une loi interdisant tout port de signe visible, pour que le chef d’établissement ne soit pas confronté seul à la question de déterminer s’il se trouve face à un signe ostentatoire, ou non.

La commission a par ailleurs auditionné des responsables politiques ainsi que bon nombre de dirigeants d’associations locales. Aux côtés des enseignants, ils relaient souvent l’appel au secours de très nombreuses jeunes filles et femmes issues de l’immigration habitant dans les cités. Présentées comme la " majorité silencieuse ", victimes de pressions exercées dans le cadre familial ou dans le quartier, ces jeunes femmes ont besoin d’être protégées et qu’à cette fin, des signes forts soient adressés par les pouvoirs publics aux groupes islamistes.

La commission, après avoir entendu les positions des uns et des autres, estime qu’aujourd’hui la question n’est plus la liberté de conscience, mais l’ordre public. Le contexte a changé en quelques années. Les tensions et les affrontements dans les établissements autour de questions religieuses sont devenus trop fréquents. Le déroulement normal des enseignements ne peut plus être assuré. Des pressions s’exercent sur des jeunes filles mineures, pour les contraindre à porter un signe religieux. L’environnement familial et social leur impose parfois des choix qui ne sont pas les leurs. La République ne peut rester sourde au cri de détresse de ces jeunes filles. L’espace scolaire doit rester pour elles un lieu de liberté et d’émancipation.

C’est pourquoi la commission propose d’insérer dans un texte de loi portant sur la laïcité la disposition suivante : "Dans le respect de la liberté de conscience et du caractère propre des établissements privés sous contrat, sont interdits dans les écoles, collèges et lycées les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique. Toute sanction est proportionnée et prise après que l’élève a été invité à se conformer à ses obligations".

Cette disposition serait inséparable de l’exposé des motifs suivant :" Les tenues et signes religieux interdits sont les signes ostensibles, tels que grande croix, voile ou kippa. Ne sont pas regardés comme des signes manifestant une appartenance religieuse les signes discrets que sont par exemple médailles, petites croix, étoiles de David, mains de Fatimah, ou petits Coran."

Cette proposition a été adoptée par la commission à l’unanimité des présents moins une abstention.

Elle doit se comprendre comme une chance donnée à l’intégration. Il ne s’agit pas de poser un interdit mais de fixer une règle de vie en commun. Cette nouvelle règle sera explicitée et déclinée par le biais des règlements intérieurs et des cours d’éducation civique. La sanction ne doit intervenir qu’en dernier recours. Les procédures actuelles de médiation et les efforts d’accompagnement doivent être maintenus, voire développés, vis-à-vis des élèves concernés et de leurs familles.

L’obstacle juridique de l’incompatibilité d’une loi avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui était fréquemment avancé peut, à l’issue des travaux de la commission, être écarté. La Cour européenne de Strasbourg protège la laïcité quand elle est une valeur fondamentale de l’Etat. Elle admet que soient apportées des limites à la liberté d’expression dans les services publics, surtout lorsqu’il s’agit de protéger des mineurs contre des pressions extérieures. Quant au juge constitutionnel français, il admet que la loi pose des règles spécifiques pour les mineurs afin d’assurer leur protection. Ce même juge fait de la nécessité de préserver l’ordre public et de sauvegarder les droits et les principes à valeur constitutionnelle un objectif qui est lui-même à valeur constitutionnelle. La loi que la commission propose en ce domaine répond exactement à ces impératifs.

L’argument selon lequel la loi pourrait favoriser le recours à l’enseignement privé n’est plus dirimant. Certains parents musulmans préfèrent déjà recourir à l’enseignement catholique pour que leurs enfants y bénéficient d’un enseignement des valeurs religieuses. En revanche, d’autres parents qui ont retiré leurs enfants de l’école publique parce qu’ils y subissaient des pressions communautaristes pourront les y réinscrire. D’ailleurs, il faut souligner que les établissements privés pourront adopter, s’ils le souhaitent, des règles équivalentes à celles des établissements d’enseignement public, par le biais de règlements intérieurs conformes à leur caractère propre.

Sur un autre plan, la commission considère qu’il n’est pas admissible que des élèves se soustraient à l’obligation d’assiduité, refusent d’assister à certains cours, d’étudier des auteurs du programme ou d’être interrogés par un professeur de sexe opposé. Des élèves se peuvent être systématiquement dispensés d’aller en cours un jour donné. La commission a noté que, de l’avis de tous les intervenants, les dispenses de cours pour éviter d’aller à la piscine ou au gymnase sont trop souvent accordées indûment. Pour mettre fin à ces certificats de complaisance, il faudrait réserver à la médecine scolaire, ou à défaut, à des médecins agréés par l’Etat, la possibilité de délivrer les dispenses médicales.

Enfin, la commission s’alarme du développement de la déscolarisation. La loi devrait réaffirmer les règles en matière d’obligation scolaire. La commission souhaite que l’éducation nationale rappelle fermement à ses services que l’inscription par correspondance n’est de droit que dans des circonstances exceptionnelles. Compte tenu de la déscolarisation de certaines jeunes filles après leur seizième année, elle juge opportun que les élèves puissent, à partir de 16 ans, choisir sans le consentement de leurs parents de poursuivre leur scolarité au-delà de l’âge légal, au même titre qu’un jeune peut choisir d’être Français sans le consentement de ses parents à partir de 16 ans. A cet égard, la commission propose que soient diffusées à l’école les informations relatives à la possibilité d’acquérir la nationalité française à partir de 16 ans.

2.2.2 Dans les universités

La situation de l’université, bien que faisant partie intégrante du service public de l’éducation, est tout à fait différente de celle de l’école. Y étudient des personnes majeures. L’université doit être ouverte sur le monde. Il n’est donc pas question d’empêcher que les étudiants puissent y exprimer leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques. En revanche, ces manifestations ne doivent pas conduire à transgresser les règles d’organisation de l’institution universitaire. Il n’est pas admissible que des enseignants soient récusés en fonction de leur sexe ou de leur religion supposée, ou que des enseignements soient entravés par principe. La commission estime souhaitable que les établissements d’enseignement supérieur prennent un règlement intérieur en ce sens.

2.2.3 Dans les hôpitaux

A l’hôpital, les patients se voient garantir la libre pratique de leur culte et la manifestation de leurs convictions religieuses. Le modèle de Charte du patient, proposé par le ministère comme modèle aux établissements de santé indique ainsi qu’" un patient doit pouvoir suivre dans la mesure du possible les préceptes de sa religion ". En revanche, il ne peut, par son comportement, remettre en cause le fonctionnement du service. Refuser de se faire soigner par un médecin de l’autre sexe, ou de respecter les règles d’hygiène et de santé publique, n’est pas acceptable. Le législateur a, en mars 2002, consacré les droits des malades au sein du système de soins hospitalier. Il faut éviter que cette avancée législative ne favorise en même temps le développement d’attitudes exclusivement consuméristes. Elle pourrait se doubler d’une traduction dans une loi des obligations que les patients doivent respecter. Seraient précisés le respect des obligations sanitaires, des règles indispensables au bon fonctionnement du service public, et l’interdiction de récuser un agent.

Des établissements hospitaliers rencontrent des difficultés face à des associations d’usagers qui se comportent comme des groupes de pression politico-religieux. La commission ne peut qu’approuver la volonté du ministre de la santé de préciser les conditions dans lesquelles les associations des usagers du système de santé seront dorénavant agréées.

2.2.4 Dans les prisons

Dans les prisons, chaque détenu doit pouvoir profiter d’une assistance spirituelle. La liberté de culte, conformément à la loi 1905, y est particulièrement protégée : les pratiques religieuses y sont prises en compte dans la mesure du possible et la présence d’aumôniers indemnisés et agréés y joue un rôle non négligeable. La commission, inquiète des pressions, voire des actes de prosélytisme, tant vis-à-vis des détenus que de leurs familles, considère qu’il est essentiel que les espaces collectifs soient préservés de toute appropriation communautaire. Elle forme le souhait que soient recrutés des aumôniers musulmans.

2.3 Dans les entreprises

Le code du travail protège les droits personnels et les libertés individuelles des salariés. Les restrictions aux libertés autorisées doivent être justifiées par la nature de la tâche et proportionnées au but recherché. Au regard des difficultés que rencontrent certaines entreprises, la commission recommande qu’une disposition législative, prise après concertation avec les partenaires sociaux, permette au chef d’entreprise de réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux, pour des impératifs tenant à la sécurité, aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale interne.

2.4 Sanctionner fermement les comportements racistes et antisémites

La commission, particulièrement indignée par les nombreux témoignages de comportements et propos à caractère raciste ou antisémite, considère que les pouvoirs publics doivent adopter la plus grande fermeté dans ce domaine. Certaines insultes deviennent si courantes que les responsables d’établissement ne les comptabilisent même plus au titre du recensement des " injures à caractère raciste ". La banalisation du racisme et de l’antisémitisme au quotidien n’est pas une fatalité. Une circulaire du ministre de l’éducation nationale doit inviter les recteurs, les corps d’inspection, les personnels de direction, et tous les personnels à en faire une priorité.

De même, la commission appelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel à la vigilance à l’égard des propos tenus sur certaines chaînes radiophoniques ou audiovisuelles.

3 Respecter pleinement la diversité spirituelle

La laïcité constitue le cadre français dans lequel est pleinement garantie la liberté de culte et d’expression de toutes les options spirituelles. Aujourd’hui, la France est caractérisée par le pluralisme spirituel et religieux. Les pouvoirs publics doivent en tirer toutes les conséquences pour faciliter l’exercice des différents cultes, sans pour autant remettre en cause la place historique que tiennent la culture et les confessions chrétiennes dans la société.

3.1 Enseigner le fait religieux à l’école

L’enseignement des religions, ailleurs que dans les départements concordataires, n’a pas à être proposé dans le cadre du service public laïque de l’éducation. En revanche, de nombreuses raisons militent en faveur d’une approche raisonnée des religions comme faits de civilisation, comme ont pu le développer le recteur Joutard dès 1989 et le philosophe Régis Debray très récemment. Une meilleure compréhension mutuelle des différentes cultures et traditions de pensées religieuses est aujourd’hui essentielle. Les programmes scolaires ont été revus ces dernières années, afin de mieux intégrer l’étude du fait religieux dans les enseignements de français et d’histoire, ce dont la commission se félicite. Elle ne croit pas en l’hypothèse d’une nouvelle matière à part entière, mais parie sur le développement d’une approche transversale des phénomènes religieux, au moyen notamment des nouvelles pédagogies interdisciplinaires. L’occasion d’affirmer une laïcité active développant la connaissance raisonnée et l’approche critique des textes doit être saisie.

3.2 Développer les études supérieures sur l’Islam

Il est proposé de créer une Ecole nationale d’études islamiques. Cette école aurait plusieurs vocations : développer les recherches scientifiques sur les sociétés, la pensée et la culture liées au modèle "islamique" de production des sociétés ; offrir un espace d’expression scientifique critique de l’Islam comme religion, tradition de pensée et cultures variées à travers le monde ; contribuer à la formation des maîtres appelés à enseigner le fait religieux à tous les niveaux de l’enseignement public ; créer un centre de lecture, de documentation et d’échange à tous les citoyens désireux d’acquérir des informations scientifiques sur tout ce qui touche à l’insertion de l’Islam et des musulmans dans les grands courants de la pensée critique contemporaine et de construction d’un espace laïque de la citoyenneté ; tisser des relations avec les chercheurs et les enseignants dans le monde musulman contemporain ; mettre en place des structures d’accueil aux nombreux étudiants francophones qui viennent du Maghreb, de l’Afrique et du Proche-Orient.

3.3 Mettre en œuvre les textes existants en ce qui concerne les aumôneries

La commission déplore que tous les cultes ne bénéficient pas, dans les faits, des avantages que leur accorde la loi en matière d’aumôneries. Il a déjà été fait mention du manque d’aumôniers musulmans dans plusieurs services publics comme les hôpitaux ou les prisons. Il n’existe pas d’aumônier général dans les armées, et les militaires de confession musulmane sont parfois pris en charge par les rabbins. La commission propose qu’un aumônier général musulman soit nommé dans les mêmes conditions que les aumôniers généraux des autres religions.

3.4 Assurer un plein respect de toutes les convictions

3.4.1 Reconnaître la libre pensée et les humanismes rationalistes comme option spirituelle à part entière

Les grandes religions bénéficient d’une retransmission télévisée régulière. Il paraît opportun de proposer au courant libre penseur un créneau horaire équivalent, à l’instar de la pratique courante en Belgique. De même, il serait souhaitable que ce courant soit représenté dans les différents comités d’éthique.

Plus généralement, il faut veiller à ce que soient traitées de manière égale toutes les familles spirituelles, notamment sur le plan fiscal.

3.4.2 Prendre en compte les exigences religieuses en matière alimentaire

Des substituts au porc et le poisson le vendredi doivent être proposés dans le cadre de la restauration collective (établissements scolaires, pénitentiaires, hospitaliers, d’entreprise). Cependant, la prise en compte des exigences religieuses doit être compatible avec le bon fonctionnement du service, selon le principe que les Québécois appellent " l’accommodement raisonnable ".

3.4.3 Prendre en compte les exigences religieuses en matière funéraire

La laïcité ne peut servir d’alibi aux autorités municipales pour refuser que des tombes soient orientées dans les cimetières. Il est souhaitable que le ministère de l’intérieur invite au respect des convictions religieuses, notamment à l’occasion de l’expiration des concessions funéraires. En liaison avec les responsables religieux, la récupération des concessions doit se faire dans des conditions respectueuses des exigences confessionnelles, avec un aménagement des ossuaires adapté. Les collectivités pourraient se doter de comités d’éthique afin de permettre un dialogue avec les différentes communautés religieuses, et de régler les difficultés susceptibles de se poser.

4 Prendre en considération les fêtes les plus solennelles des religions les plus représentées.

Il n’est pas question de remettre en cause le calendrier conçu principalement autour des fêtes catholiques (quatre des onze jours fériés, les lundis de Pentecôte et de Pâques ayant en fait une origine laïque). Mais il convient de prendre en considération que le paysage spirituel français a changé en un siècle. La République s’honorerait donc en reconnaissant les jours les plus sacrés des deux autres grandes religions monothéistes présentes en France, les bouddhistes organisant leur fête annuelle principale un dimanche de mai. Ainsi à l’école, l’ensemble des élèves ne travailleraient pas les jours de Kippour et de l’Aïd-el-kébir. Ces deux jours fériés supplémentaires devraient être compensés. La République marquerait ainsi avec force son respect de la pluralité des options spirituelles et philosophiques et sa volonté que ce respect soit partagé par tous les enfants de France.

Dans le monde de l’entreprise, le Kippour, l’Aïd-el-kébir, le Noël orthodoxe ou des chrétiens orientaux seraient reconnus comme jours fériés. Ils seraient substituables à un autre jour férié à la discrétion du salarié. Cette proposition serait définie après concertation avec les partenaires sociaux, et en tenant compte des spécificités des petites et moyennes entreprises. Cette pratique du crédit du jour férié est déjà courante dans certains pays ou organisations internationales comme l’Organisation des Nations Unies.

Source : Présidence de la République française