(extrait du procès-verbal de la séance du 8 octobre 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président,

Puis de M. Eric RAOULT, membre du Bureau

M. le Président : Messieurs, merci de nous consacrer quelque temps ; nous y sommes très sensibles.

Nous nous interrogeons sur tous les signes religieux à l’école et, sur ce point, nous aimerions vous poser un certain nombre de questions. La première est la suivante : le port du voile est-il une obligation du coran pour les femmes ?

M. Fouad ALAOUI : C’est une prescription religieuse.

M. le Président : Cela fait-il partie des cinq piliers de l’islam ?

M. Fouad ALAOUI : Non, le port du foulard n’est pas un pilier de l’islam.

M. le Président : Ce n’est donc pas un péché.

M. Fouad ALAOUI : Ne pas se conformer à cette prescription fait partie des péchés, mais il y a le fait de pécher et la liberté personnelle. Il revient à la personne elle-même, librement, de se conformer à la prescription religieuse.

M. le Président : Une musulmane peut donc se dispenser de porter un voile.

M. Fouad ALAOUI : C’est son libre choix.

M. le Président : Dans votre pratique de l’islam, êtes-vous favorable ou non à l’égalité entre l’homme et la femme ?

M. Fouad ALAOUI : Pour nous, musulmans, l’égalité est un principe religieux, un principe acquis : il n’existe nulle différence entre l’homme et la femme.

M. le Président : Toutefois, à partir du moment où une femme porte un voile, elle marque sa différence.

M. Fouad ALAOUI : C’est une particularité concernant la tenue vestimentaire des femmes, comme il existe des particularités concernant la tenue vestimentaire des hommes.

M. le Président : Vous considérez le voile comme un élément vestimentaire.

M. Fouad ALAOUI : De même qu’il existe pour l’homme des obligations vestimentaires.

M. le Président : Il ne s’agit donc pas d’un instrument religieux.

M. Fouad ALAOUI : Ce n’est pas pour moi un signe religieux. Les signes religieux concourent à un certain prosélytisme. A travers ces signes, on veut montrer que l’on est pratiquant, alors que dans la théologie musulmane, lorsque l’on pratique une prescription religieuse musulmane avec une volonté de prosélytisme, la prescription religieuse perd de son sens théologique.

M. le Président : Vous n’êtes donc pas favorable au port du voile ?

M. Fouad ALAOUI : Je suis pour le port du voile, à titre de liberté individuelle. La personne décide elle-même, en libre conscience, choisit ou non de le porter. Personne n’a le droit de stigmatiser les femmes, en l’occurrence musulmanes, qui décident librement de ne pas le porter. En effet, elles ne sont pas moins musulmanes que les autres.

M. le Président : Etes-vous favorable à l’école laïque ?

M. Fouad ALAOUI : Je suis un fervent défenseur de l’école laïque.

M. le Président : Par conséquent, vous n’êtes pas choqué si l’on interdit le port du voile dans une école publique ?

M. Fouad ALAOUI : Cela dépend de quelle laïcité on parle. La laïcité c’est la liberté de conscience, la liberté personnelle et religieuse. La laïcité garantit ces libertés.

M. le Président : Porter un signe religieux de manière visible ou ostentatoire, n’est-ce pas provoquer la personne qui ne pratique pas la même religion ?

M. Fouad ALAOUI : Tout signe, s’il est ostentatoire, provoque l’autre s’il n’est pas d’accord - tout signe, pas seulement religieux.

M. le Président : La laïcité est de faire en sorte que chacun puisse choisir et pratiquer la religion de son choix et ne pas provoquer l’autre en la pratiquant.

M. Fouad ALAOUI : J’en suis d’accord.

M. le Président : Donc, à l’école, au sein de l’établissement public où se mêlent des garçons et des filles juifs, musulmans, catholiques, protestants, il est préférable d’interdire tout port de signes visibles si l’on veut éviter les provocations comme les affrontements et si l’on veut faire respecter l’égalité entre garçons et filles.

M. Fouad ALAOUI : Si le postulat de départ est valable, la conclusion ne constitue pas, selon moi, la solution. Pour ce qui est de la tenue vestimentaire, y compris si elle a une portée religieuse, l’absence de prosélytisme doit être garantie et la tenue portée ne pas présenter un caractère ostentatoire.

Revenant aux prescriptions musulmanes sur la tenue vestimentaire, il appartient aux musulmans d’adapter leur tenue vestimentaire pour éviter ce caractère ostentatoire.

M. le Président : Ne considérez-vous pas que le voile porté par une jeune fille dans une classe de vingt-cinq enfants est ostentatoire ?

M. Fouad ALAOUI : Non.

M. le Président : Le fait ne peut-il générer des réactions ?

M. Fouad ALAOUI : Bien sûr, mais parle-t-on dans l’absolu ou de tel signe et de tel vêtement susceptibles de générer une réaction négative ? On ne peut jamais garantir totalement l’absence de réaction. Les réactions naissent d’une éducation. Au sein de la société, nous devons nous accepter, mutuellement, tel que nous sommes.

M. le Président : Le fait pour une jeune fille musulmane de porter le voile n’est-il pas ostentatoire vis-à-vis d’une autre jeune fille musulmane qui, elle, ne le porte pas ?

M. Fouad ALAOUI : Je ne le pense pas. C’est au comportement que le fait doit être jugé.

M. le Président : Que des garçons dans une classe portent la kippa vous gêne-t-il ?

M. Fouad ALAOUI : Absolument pas.

Mme Martine DAVID : Si le voile n’est pas un signe religieux, qu’est-ce donc ?

M. Fouad ALAOUI : C’est une prescription religieuse.

Mme Martine DAVID : Nous ne nous comprenons pas bien. Si le voile n’est pas un signe religieux, pourquoi les jeunes filles le portent-elles et que signifie-t-il ?

M. Fouad ALAOUI : C’est pourquoi la précision des termes est importante. Lorsque l’on parle de « signes religieux », cela signifie qu’on porte un signe pour montrer que l’on est de confession musulmane, catholique, athée ou d’une autre orientation philosophique.

Dans la question qui nous occupe, que l’on appelle « le foulard islamique »...

M. le Président : Nous ne traitons pas du seul foulard islamique, mais de tous les signes religieux.

M. Fouad ALAOUI : Il faut faire la différence entre une personne qui porte un signe religieux dans le but de faire du prosélytisme, c’est-à-dire pour montrer qu’elle appartient à telle confession religieuse...

M. le Président : La religion est une donnée personnelle, relève d’une démarche intérieure personnelle.

M. Fouad ALAOUI : Rien n’empêche qu’elle ait une visibilité.

M. le Président : La religion est une démarche intérieure ; on est croyant, on a la foi. Nous la portons en nous.

Dès lors que dans une classe, untel marque un signe à l’égard des autres, n’est-ce pas du prosélytisme ?

M. Fouad ALAOUI : Il ne s’agit pas de marquer son appartenance, mais de pratiquer sa religion.

M. le Président : Vous avez expliqué à Mme David que le port d’un voile n’était pas un signe religieux. Le fait de le porter c’est montrer que l’on veut provoquer l’autre.

M. Fouad ALAOUI : M. le Président, vous sollicitez notre avis.

M. le Président : J’essaye de comprendre.

M. Fouad ALAOUI : C’est un débat public. De ces questions, on entend parler jour et nuit.

Lorsque les musulmanes décident de pratiquer leur religion, de leur point de vue, elles ne se placent pas dans une démarche d’ostentation ni de prosélytisme, simplement de liberté religieuse. Il faut le comprendre ainsi.

Mme Martine DAVID : Admettez-vous que des enfants à l’école aient le droit de ne pas croire en une religion ?

M. Fouad ALAOUI : Bien sûr.

Mme Martine DAVID : Ces enfants ont-ils droit à leur liberté individuelle et à leur liberté de conscience, à ne pas être exposés à une cohabitation avec des personnes portant des signes religieux ? Il faut aussi inverser les choses et ne pas se situer sur le seul terrain d’une croyance, car la non-croyance aussi existe. Et la laïcité c’est d’abord cela ! Nous n’avons pas sur ce point la même interprétation des principes et surtout pas de la laïcité.

M. Fouad ALAOUI : Je vous retourne votre propos : comprendre la démarche de l’autre.

Mme Martine DAVID : Des règles existent à l’école !

M. Fouad ALAOUI : Si elles étaient tranchées, nous ne serions pas là en train d’en discuter et cette mission ne serait pas réunie pour entendre le point de vue des uns et des autres !

Mme Martine DAVID : Je veux me situer de tous les points de vue. Je ne vous entends pas dans cette démarche intellectuelle.

M. Fouad ALAOUI : Je respecte la liberté des autres ; je demande en conséquence que les autres respectent ma liberté. Avoir une visibilité religieuse ne signifie pas que j’interfère dans votre champ personnel. Sur ce point, je ne suis pas d’accord.

M. Jean-Pierre BRARD : Les règles n’ont-elles pas été tranchées ou bien sont-elles remises en cause ?

Vous semblez penser que pour interpréter la notion de liberté religieuse, chaque fidèle a qualité pour définir les modalités d’application. Telle n’est pas la loi de la République.

Pouvez-vous nous confirmer qu’en cas de prescription légale, les fidèles sont déliés de l’obligation de pratiquer, y compris de porter le voile dans le cas particulier, dans la mesure où, si je suis bien informé, le non-port du voile ne fait pas partie des 70 péchés ?

Si une loi est votée, quelle sera votre expression publique ? Serez-vous fidèle aux engagements que vous avez pris, c’est-à-dire soutiendrez-vous la décision du législateur et respecterez-vous l’usage républicain ou vous exprimerez-vous contre ?

M. Fouad ALAOUI : Vous posez la question de savoir si les règles sont tranchées ou en cours d’élaboration.

M. Jean-Pierre BRARD : Remises en cause.

M. Fouad ALAOUI : Le débat s’est installé au sein de la République. Il s’agit d’apporter des réponses, non de trancher dans tel ou tel sens. Il est de notre rôle à tous, hommes politiques, acteurs sociaux, organisations actives de la société civile, de nourrir ce débat et d’être attentifs aux propos de chacun. J’ai été très attentif à ceux de Mme David. Il faut l’écouter et y réfléchir sérieusement.

Si une loi devait au final trancher dans tel ou tel sens, chacun d’entre nous serait tenu de s’y conformer. La question pour moi ne se pose pas. Je n’ai pas de problème relatif à la loi, mais nous nous situons en cours d’élaboration de la loi. C’est un temps où je puis m’exprimer, où je dis ce que je pense.

M. le Président : Vous intervenez dans le processus d’élaboration de la loi pour livrer votre point de vue - et c’est tout à fait normal. Mai si une loi interdisait dans les établissements publics tout port visible de signes religieux, comme tout bon républicain ou tout bon laïc, vous respecteriez cette loi et vous n’appelleriez pas à s’opposer à cette loi ?

M. Fouad ALAOUI : Ma démarche républicaine s’inscrit dans le sens que vous indiquez, M. le Président, mais si une loi est adoptée, rien ne m’empêche de dire qu’elle est injuste avec moi. C’est une liberté.

M. le Président : En France, nous pratiquons une très grande liberté. La limite c’est d’aller à la désobéissance de la loi.

M. Fouad ALAOUI : Nous nous inscrivons dans le cadre d’un débat républicain démocratique. En attendant la législation éventuelle, je l’ai dit au cours de notre congrès du Parc des expositions du Bourget, je considère qu’il est obligatoire pour les musulmans de se conformer à la loi. C’est une obligation religieuse. Dans le même temps, il est du rôle du citoyen de confession musulmane de dire ce qu’il pense. Si une disposition législative ou juridique lui est défavorable, il est de son droit de dire aux hommes politiques, aux décideurs, au législateur, à la société civile que telle disposition est perçue par lui comme défavorable. Il utilise ainsi toutes les voies légales, sans pour autant recourir à la désobéissance civile.

M. Eric RAOULT : M. le secrétaire général, que pensez-vous de ce qui se passe actuellement à Aubervilliers, où deux jeunes filles ont souhaité porter le voile dans une configuration religieuse peu précise ? Quelle est la position de l’UOIF sur ce dossier ?

M. Fouad ALAOUI : Depuis 1989, nous considérons qu’il est de notre rôle de défendre ces jeunes filles après nous être assurés de trois garde-fous.

Premièrement, l’absence d’ostentation. Les jeunes filles ne doivent pas se proclamer musulmanes au sein des établissements scolaires pour ensuite essayer d’influer ouvertement sur les autres car cela relève de l’entrave à la liberté de conscience du voisin.

Deuxièmement, nous vérifions que ces jeunes filles ne font l’objet d’aucune contrainte, que ce soit de la part des parents, d’associations, de « frères » ou de « sœurs ». Elles doivent agir de leur libre initiative, en toute liberté.

Enfin, troisième garde-fou, il ne doit pas y avoir de troubles à l’ordre public, d’appel à manifestation dans les établissements scolaires ou autres lieux.

Dès lors que nous avons la garantie qu’il s’agit d’une démarche individuelle, désintéressée, nous intervenons pour défendre cette liberté que nous considérons comme personnelle et religieuse de la jeune fille.

M. le Président : Pensez-vous qu’une petite fille de 12 ans puisse avoir une démarche religieuse personnelle, libre, déconnectée de la pression de sa famille ou de l’environnement ?

M. Fouad ALAOUI : En général, les jeunes filles de 12 ans n’entrent pas dans le cadre de cette prescription religieuse.

M. le Président : A partir de quand est-on libre ?

M. Fouad ALAOUI : De la puberté.

Nous avons été très étonnés d’entendre parler de jeunes filles de 10, 11 ou 12 ans, portant le voile.

M. le Président : Etes-vous contre ?

M. Fouad ALAOUI : Cela fait partie des traditions, ce n’est pas un acte religieux.

Obliger une jeune fille à porter le voile n’est pas conforme à la religion musulmane, car il ne s’agit pas d’obliger. Par ailleurs, que ce soit à l’école primaire ou au cours des premières années du collège, les jeunes ne sont généralement pas concernés par la prescription religieuse.

M. le Président : Selon vous, avant la puberté, le port d’un voile ne peut en aucun cas être considéré comme l’expression d’un signe religieux ou d’une prescription religieuse.

M. Fouad ALAOUI : Je signe avec les deux mains !

Mme Patricia ADAM : Vous dites, M. Alaoui, que le voile est une prescription religieuse vestimentaire. J’aurais souhaité que vous en disiez plus. Que cela signifie-t-il ?

M. Fouad ALAOUI : Parmi les prescriptions religieuses de la religion musulmane, il en est une qui demande à la jeune femme pubère de couvrir ses cheveux par n’importe quel moyen, le foulard n’étant pas le seul. Une fois cela décrété, nous ne pouvons l’obliger à le faire. En tant que religieux, je ne peux pas parler au nom de la religion musulmane, je peux simplement donner l’avis de l’islam si elles le souhaitent.

Nous sommes convaincus que cette tenue vestimentaire ne peut en aucune manière empêcher l’émancipation de la femme, ni son action sociale, ni son intervention dans le champ social, politique ou autre.

M. le Président : Arrêtons l’hypocrisie ! Pensez-vous qu’inciter, favoriser, voire accepter, qu’une jeune fille porte le voile à l’école revient à favoriser son émancipation ?

M. Fouad ALAOUI : J’en suis convaincu.

M. le Président : Pensez-vous que c’est rendre service à une jeune fille de 15 ou 16 ans que de l’accepter dans un collège entièrement voilée parmi d’autres jeunes adolescents, que cela permette son épanouissement et son intégration ? N’est-ce pas un repli communautaire inacceptable ?

M. Fouad ALAOUI : Qu’entendez-vous par « entièrement voilée » ?

M. le Président : Etre différente des autres, porter un foulard alors que personne d’autre n’en porte, être identifiée par sa religion. Lorsqu’on regarde les garçons et les filles d’une classe, on ne peut déterminer, et je ne le souhaite pas, s’il ou elle est juif, catholique, protestant, athée, alors qu’en l’occurrence, on dit : « Tiens, elle est musulmane. » A partir du moment où certains ont cette démarche, ce n’est pas un service rendu à cette jeune fille.

M. Fouad ALAOUI : Je précise que les obligations dans la religion musulmane ne sont pas de même nature ni du même degré. Je ne peux mettre l’obligation de la tenue vestimentaire qu’est le voile sur le même pied que l’obligation de la prière. C’est entre le ciel et la terre !

Contrairement aux cinq piliers de l’islam, la tenue vestimentaire n’est pas un critère déterminant si la femme est ou non une bonne musulmane. Nous ne sommes pas dans la configuration des 70 péchés évoquée par M. Brard. D’ailleurs, j’aimerais que l’on me dise ce que sont les 70 péchés dans la théologie musulmane

Il est nécessaire de faire comprendre à tous, y compris à l’ensemble de la communauté musulmane en tant que communauté de foi, que ce n’est pas le fait de porter ou non cette tenue vestimentaire qui fait de la femme une bonne ou une mauvaise musulmane. Se pose toute la question du comportement, de l’attitude à avoir et de l’investissement social, qui est beaucoup plus important. Je voudrais que l’on respecte la liberté d’une jeune fille au moment où elle décide de s’appliquer une injonction religieuse. Sinon, cela reviendrait à remettre en cause le principe de la liberté religieuse institutionnellement reconnue.

M. Jean-Pierre BRARD : La liberté religieuse prime sur les autres libertés ?

M. Fouad ALAOUI : Non, elle ne prime pas, mais c’est une liberté.

Nous parlons de l’école, mais il est des dossiers qui s’appliquent à la fonction publique. Si on retire la liberté religieuse à une femme ou à un homme - car certaines prescriptions s’appliquent à l’homme -, ils demanderont pourquoi on leur parle de liberté religieuse au sein de la République.

M. Jean-Pierre BRARD : Il existe des lieux de culte.

M. Fouad ALAOUI : La liberté serait alors cantonnée à la sphère privée ? C’est une lecture, mais ce n’est pas « la » lecture.

M. Jean-Pierre BRARD : Ce n’est pas la vôtre.

M. Jacques MYARD : M. Alaoui, je n’ai pas compris la différence que vous faisiez entre « prescription religieuse » et « signe religieux ». Vous devez être très fort en casuistique jésuitique ! En effet, je ne saisis pas la différence entre « ce n’est pas un signe religieux » et « c’est une prescription religieuse ».

Qu’est-ce que pour vous un signe religieux ostentatoire ? Vous êtes d’accord sur le fait qu’il ne doit pas y en avoir. Vous avez lié cela aux troubles à l’ordre public.

Dans une société comme la société française, riche de son histoire, comme d’autres d’ailleurs, la loi religieuse doit-elle faire plier la loi civile ? C’est une interrogation fondamentale.

La question du voile se pose, mais d’autres questions nous interpellent dans l’école. Donnez-vous raison à un musulman qui n’a pas voulu que sa femme soit interrogée par un homme à une épreuve du baccalauréat ?

M. Fouad ALAOUI : Je comprends très bien que les députés se posent ce type d’interrogation car elles se posent dans la société et suscitent l’inquiétude. Elles font suite à des comportements que l’on tend à lier à la religion musulmane. A cela je réponds que beaucoup de comportements sont sans rapport avec la religion musulmane, mais finissent par se greffer à elle. Vous citez le cas d’une femme qui ne veut pas être interrogée par un homme. J’aimerais que l’on me dise sur quelles prescriptions religieuses se fonde un tel propos. Je ne trouve pas. Je pose la question à ceux qui disent « il faut ». Lorsque nous avons été sollicités sur ce point, nous avons répondu que l’on était en plein délire ! Nous n’avancerons jamais qu’une femme doit refuser d’être interrogée par un homme, sauf à décréter la non-mixité partout ! Aucune prescription religieuse dans l’islam n’interdit la mixité. Sur cette question, il ne subsiste aucune ambiguïté dans mon esprit.

Le signe religieux n’a pas un caractère obligatoire ; il traduit le souhait de se sentir plus musulman, plus catholique, plus juif. La croix, la main de fatma sont des signes, mais n’ont pas de consonance religieuse en terme de prescription. La prescription religieuse se réfère à des textes - en l’absence de texte évoquant la prescription religieuse, on ne peut décréter que c’est une prescription - alors qu’un signe religieux relève de la tradition, de l’histoire.

On a parlé des signes « ostentatoires », à l’instar du foulard mais les formes que peut revêtir l’ostentation sont diverses.

Il y a le nikab, qui cache totalement le visage. C’est là une interprétation des textes religieux à laquelle nous n’adhérons pas au sein de l’UOIF. Nous ne considérons pas comme nôtre cette lecture du texte sacré musulman, c’est-à-dire le coran et la tradition prophétique : le fait pour une femme de cacher son visage n’est pas une prescription religieuse. C’est une pratique en liaison avec le bagage culturel et l’histoire, qui, s’il peut être valable dans un autre contexte, ne l’est pas dans le nôtre.

La loi religieuse doit-elle faire plier la loi civile ? Cela ne me vient même pas à l’esprit, sinon je ne serais pas favorable à la laïcité. La laïcité, c’est la non-intervention du politique dans le religieux et la non-intervention du religieux dans le politique et ce n’est pas le religieux qui dicte la loi. Il n’en demeure pas moins que des débats s’instaurent dans la société.

M. Pierre-André PERISSOL : M. Alaoui, vous avez développé tous les arguments en faveur de la liberté de porter le voile si une jeune fille le souhaite. Allons un peu plus loin. L’école dispense des cours de gymnastique qui réclament une tenue spécifique, des cours de natation mixtes qui impliquent le port du maillot de bain ; enfin, l’école dispense des cours de sciences et vie de la terre. Des jeunes filles refusent d’assister à certains de ces cours. Face aux réactions manifestées à l’encontre de ces cours, que préconisez-vous ? De se mettre en maillot de bain, de se rendre à la piscine avec les garçons et d’assister à tous les cours de sciences et vie de la terre (SVT) ? Ou, au contraire, développez-vous les mêmes raisonnements sur le respect de la liberté et de son usage ? Vous indiquez que le port du voile n’est pas une prescription religieuse. Malgré tout, il y a un respect de la personne. Quelles réponses donnez-vous ?

M. Fouad ALAOUI : S’agissant des cours de gymnastique, les mesures de sécurité sont obligatoires pour tous. Je reste dans ma démarche intellectuelle de respect de la liberté religieuse au sein de l’école. Ce principe peut être adapté aux cours de gymnastique afin d’empêcher tout danger pour la fille ou le garçon qui exerce une liberté en termes vestimentaires. Je pense que c’est très possible.

M. Pierre-André PERISSOL : Comment cela se traduit-il concrètement ?

M. Fouad ALAOUI : Par une adaptation de l’habit. Le problème est celui de se couvrir les cheveux : il y a mille et une façons pour la femme de le faire sans que cela n’entrave son cours de gymnastique. Aucun autre problème ne se pose.

Pour les cours de piscine, je reste dans ma logique. Le problème d’ailleurs se pose aussi bien pour la jeune femme que pour le jeune homme musulman pratiquant. La jeune fille peut avancer ses convictions religieuses, sa liberté personnelle lui interdisant de montrer son corps. Etre obligée de se rendre à la piscine en maillot lui pose problème du point de vue de la pudeur, de sa liberté personnelle. Elle demande donc que l’on soit à l’écoute de son problème.

Mme Patricia DAVID : Ce n’est pas cela la laïcité !

M. Pierre-André PERISSOL : Quelle réponse faites-vous à une jeune fille qui vous dit qu’elle ne peut se mettre en maillot, car cela atteint à sa pudeur, à sa religion, à sa liberté ?

M. Fouad ALAOUI : Je lui dis d’exprimer son désarroi, son problème au corps enseignant et à l’institution scolaire.

M. Pierre-André PERISSOL : Vous ne l’enjoignez donc pas à assister à son cours de natation ?

M. Fouad ALAOUI : Je ne peux pas lui dire de ne pas y aller, car cela serait susceptible de porter préjudice à toute sa scolarité. Je ne peux pas remettre en cause sa scolarité pour un cours de piscine, mais je peux lui conseiller de faire part de son problème à l’institution scolaire.

Mme Patricia DAVID : Quelle est la solution ?

M. Fouad ALAOUI : Rien n’empêche que les cours de piscine soient optionnels.

M. Jean-Pierre BRARD : Les cours de SVT également ? Le darwinisme aussi est à option ?

M. Fouad ALAOUI : Ce n’est pas la même chose. J’ai suivi un cursus universitaire ; je connais les cours, cela ne nous a jamais posé problème. Je pense que les cours de SVT ne posent aucun problème aux musulmans de France. Ceux qui refusent d’assister à tel ou tel cours se fondent sur une interprétation personnelle qui n’a aucun fondement religieux. Il suffit de se référer à ce qui se passe dans les pays musulmans. Les cours de SVT y sont enseignés et jamais il n’y a eu de contestation sur cette question. Je le dis en toute clarté : s’agissant des programmes scolaires, aucun problème ne se pose du point de vue religieux, musulman.

Mme Patricia DAVID : Sauf la piscine.

M. Fouad ALAOUI : Je pense qu’il n’y a pas de mal à ce que les cours de piscine soient optionnels pour ceux qui le demandent.

M. Jean-Pierre BRARD : Ce n’est pas à vous de décider !

M. Fouad ALAOUI : Ai-je dit « je décide » ? Non, j’ai dit « je pense ».

M. Lionnel LUCA : Vous avez indiqué qu’il y avait des prescriptions pour les garçons. Quelles sont-elles ?

M. Fouad ALAOUI : Il leur est demandé de ne pas montrer l’espace qui sépare le nombril du genou.

M. Lionnel LUCA : Je reviens sur le terme d’identification. Vous avez indiqué que le voile était une prescription religieuse, non un signe religieux, que ce n’était pas ostentatoire, que ce n’était pas du prosélytisme. Mais, que vous le vouliez ou non, le voile est aujourd’hui identifié à la religion musulmane. C’est dire que celle qui porte le voile est clairement affichée dans ses convictions religieuses. Le fait de l’affichage n’est peut-être pas un élément de prosélytisme actif, mais à tout le moins passif, dans la mesure où on peut le voir, donc compter ceux qui adhèrent par rapport à ceux qui refusent le port d’un signe ou par rapport à d’autres personnes de diverses croyances. Dans la pratique, il y aura donc identification du fait de l’affichage. S’il n’est pas actif, il peut être passif. Comment considérez-vous cet aspect « actif-passif » ?

Enfin, séparez-vous la sphère privée de la sphère publique ? Rien n’interdit à une personne de pratiquer sa religion, d’avoir sa prescription religieuse dans sa sphère privée. Dès lors où nous sommes dans un lieu public, il n’appartient pas de s’afficher dans sa pratique vis-à-vis de ceux qui ne pratiquent pas ou qui sont d’une autre confession.

M. Fouad ALAOUI : Le voile est identifié à la religion musulmane, je n’y puis rien, comme toute prescription religieuse et pas seulement musulmane qui a une certaine visibilité. La croix, la kippa sont visibles.

M. Lionnel LUCA : Il est plus facile de camoufler une croix. J’en porte une aujourd’hui, mais personne ne la voit.

M. Fouad ALAOUI : Cela pour vous dire que je n’y puis rien.

Nous sommes placés devant un phénomène nouveau dans notre société qui est celle de la visibilité de la pratique religieuse musulmane. Il faudrait pouvoir réfléchir à cette visibilité, la travailler en commun afin d’aboutir à des adaptations nécessaires où le bon vivre ensemble prédomine.

J’en viens à la question du prosélytisme passif, en précisant une nouvelle fois que le prosélytisme est une démarche volontaire : « je fais pour... ». La prescription religieuse musulmane, si elle devait revêtir cet aspect volontaire, perdrait de son sens, puisqu’il s’agit d’une relation entre l’homme et Dieu.

Sur la notion du passif et de l’actif, je prendrai un exemple : le jeûne du mois de ramadan est une pratique religieuse, elle est personnelle. Dans le cadre social, elle a une visibilité. Pourtant, c’est passif. Il ne s’agit pas d’un appel. Les enfants, lorsqu’ils se côtoient à l’école, savent que les enfants musulmans font le jeûne du mois de ramadan. Dans la question du prosélytisme passif, ce qui compte c’est son impact sur le champ social. Nous devons y travailler et y réfléchir.

Au sujet de la sphère privée/sphère publique, il existe une différence d’appréciation sur la notion de sphère privée. D’aucuns considèrent que la sphère privée est un « chez soi », relève de l’intime. Je ne me place pas dans cette interprétation.

M. Jacques MYARD : Cela va-t-il jusqu’à dire qu’au milieu d’un cours d’anglais des enfants musulmans feront la prière, car il s’agit d’un pilier de l’islam ?

M. Fouad ALAOUI : Non.

M. Jacques MYARD : Vous voyez bien qu’il y a des limites.

M. Fouad ALAOUI : Notre temps étant limité, je vous remettrai un texte, dans lequel j’explique la notion de « l’islam de France ». Nous prévoyons une adaptation des pratiques dans le contexte non musulman. Il nous appartient de décider jusqu’à quel degré l’adaptation est possible.

M. Martine DAVID : C’est aux femmes de décider.

M. Fouad ALAOUI : Par « nous », j’entends les musulmans, hommes et femmes.

Des adaptations sont prévues qui facilitent aux musulmans leur pratique religieuse afin qu’ils ne soient pas confrontés à une situation de contrainte permanente au sein de la société. Je puis faire une dissertation sur le nombre d’adaptations que nous avons prévues. La plus importante, et non des moindres, est celle de la prière collective du vendredi, qui est obligatoire, comme l’est la messe du samedi ou celle du dimanche. Lorsque l’horaire d’été intervient, à partir de la fin du mois de mars jusqu’à la fin du mois d’octobre, la prière tombe vers 14 ou 15 heures, alors que les gens sont au travail. Nous avons adopté un avis théologique qui s’applique dans toutes les mosquées affiliées à l’UOIF sur l’ensemble du territoire français, aux termes duquel on peut avancer l’heure de la prière du vendredi, qui est obligatoire, à 13 heures, sur une plage horaire où l’on ne travaille pas. Cet avis a permis à l’ensemble des musulmans d’être en paix avec eux-mêmes. Notre souci est de permettre aux musulmans de pratiquer dignement leur religion en harmonie avec la société et de prévoir les aménagements possibles qui favorisent leur pleine insertion. C’est un travail qui ne se décrète pas ; on ne peut le faire du jour au lendemain. Nous essayons de l’entreprendre.

M. Eric RAOULT, Président : Messieurs, nous vous remercions.


Source : Assemblée nationale française