(extrait du procès-verbal de la séance du 19 novembre 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président,
puis de M. Eric RAOULT, membre du Bureau

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur.

Monsieur Sarkozy, je ne vous poserai qu’une question : selon vous le dispositif juridique relatif au port des signes religieux à l’école, tel qu’il résulte de l’avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 1989, des circulaires et de la jurisprudence administrative est-il ou non satisfaisant ? S’il ne l’est pas, comment doit-il être amélioré ?

M. Nicolas SARKOZY : M. le Président, mesdames et messieurs les députés, ce sujet est un sujet extrêmement complexe, sur lequel les opinions sont tranchées. Pour ma part, j’ai tellement de convictions sur cette question, qu’il ne m’a pas semblé inutile de répondre, M. le Président, à votre invitation, malgré la publication anticipée des conclusions de votre mission.

M. le Président : Le rapport n’est pas encore déposé.

M. Nicolas SARKOZY : Je ne doute pas qu’il sera notoirement différent de ce qui a été publié...

J’ai le sentiment, à travers cette question du voile - et vous avez bien fait d’en faire un sujet de débat -, que les Français prennent subitement conscience de la présence de millions de compatriotes musulmans. Le voile n’est que la manifestation visible d’une réalité dont nous n’avons pas pris la mesure : la France est devenue multiple et les Français ne le savent pas. Le voile n’est que la partie visible d’un iceberg : 5 millions de musulmans français ou vivant en France. Que faisons-nous avec eux ? Que leur disons-nous ?

Certains intellectuels osent poser la question suivante : l’islam est-il compatible avec la République ? Cette question est irresponsable, car si l’on y répondait par la négative, l’autre question qui se poserait serait beaucoup plus grave : que faisons-nous des 5 millions de musulmans - qui ne sont pas tous croyants ? Devons-nous leur demander de se convertir au nom de la liberté de conscience ? Ou doit-on leur expliquer qu’il existe deux catégories de Français : ceux qui ont le droit de vivre leur religion et ceux qui n’en ont pas le droit ?

La religion est un sujet qui passionne nos compatriotes. Nous devons donc tous - et moi le premier - être très mesurés dans nos propos. Notre pays a été déchiré par des guerres de religions ; notre pays a mis un siècle pour trouver un équilibre : équilibre instable, avec bien des imprécisions, mais c’est pour cela qu’il a pu tenir.

Un équilibre qui veut dire que la République n’est pas l’ennemi des religions. Un homme ou une femme qui croit est un homme ou une femme qui espère. Or en quoi l’espérance est-elle contradictoire avec l’idéal républicain ? La République, non seulement n’est pas l’ennemie des religions, mais elle n’est pas indifférente aux religions. La loi de 1905 - citée sur tous les tons, mais dont personne n’a lu le contenu - le prévoit : la République garantit l’exercice du culte, de tous les cultes, sans en privilégier un seul. Or quand la République garantit un droit, c’est qu’elle considère que celui-ci est majeur ; pensez-vous que la République garantirait quelque chose d’accessoire, d’inutile, de factieux ?

Je rappellerai cette triste période, quand le maire du Kremlin-Bicêtre, en 1902, a pris un arrêté interdisant la circulation sur son territoire communal des curés en soutane ! Puis-je rappeler que nous sommes en 2003 ? !

M. le Président, vous m’avez posé une question précise : existe-t-il un dispositif juridique relatif au port de signes religieux et est-il suffisant ?

Eh bien oui, mesdames et messieurs les députés, il existe une règle. Devrais-je être totalement minoritaire, que je prendrais quand même la défense de l’école et des enseignants. On donne toujours une image de l’école et des enseignants frappée d’inefficience ; en l’occurrence, cela est totalement faux. Et je vais le démontrer.

En l’absence de statistiques fiables du ministère de l’éducation nationale, j’ai demandé à mes services le récapitulatif de tous les incidents, petits ou grands, qui se sont produits depuis la rentrée de septembre 2003. La Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) a relevé 1 256 cas de jeunes filles qui se sont présentées à l’école avec le voile ; en 1994, au moment de la circulaire Bayrou - une période de tension -, l’on en avait dénombré 1 123 ; enfin, en 1995 et 1996, deux années qui vous intéresse M. le Président, il n’y en avait plus que 400.

Plus intéressant encore, trois mois après la rentrée, il ne reste que 20 cas non résolus et quatre établissements seulement ont été contraints d’aller jusqu’à l’exclusion. Je vous rappelle que 12 millions de jeunes gens sont scolarisés. Alors, dire que l’école de la République ne peut pas faire face à ce phénomène est injuste à l’endroit des enseignants et de l’école de la République.

Bien entendu, M. le Président, l’on peut souhaiter qu’elle fasse mieux ou différemment. Mais dire que la République est en danger, de ce seul point de vue, est stupide. La concentration de nos compatriotes d’une même ethnie dans un quartier, l’existence d’une zone de non droit dans un quartier, oui, cela est dangereux.

J’aimerais qu’un hommage soit rendu par votre mission aux responsables de la communauté musulmane. Voilà des personnes qui, depuis des semaines, subissent un climat où l’islamophobie, comme la judéophobie, règnent en maître absolu. Je parle du climat médiatique : les articles de journaux sont, pour un certain nombre de nos compatriotes musulmans, insultants ! L’amalgame entre islam et terrorisme, musulmans et intégristes, est odieux ! Ils sont victimes d’une double incompréhension.

La communauté nationale dans son ensemble a peur des musulmans qu’elle voit et reçoit au travers du prisme d’une actualité internationale violente. Et la communauté musulmane de France se sent victime d’amalgames et d’une forme de racisme - comme l’a été une partie de la communauté juive. Rien ne ressemble plus à quelqu’un qui n’aime pas les juifs que quelqu’un qui n’aime pas les arabes !

La règle existe donc, elle résulte de l’avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 1989. Que dit cet avis ? Que l’on ne peut pas interdire, dans le cadre de la laïcité à la française, le port d’un signe religieux discret. Si une loi était votée, nous accepterions des élèves avec un piercing dans le nez ou ailleurs, alors que la médaille de baptême, la croix de David ou la main de Fatma serait choquante !

M. le Président, je souhaiterais que l’on ne touche pas à ce droit de manifester une appartenance religieuse ; c’est cela la laïcité à la française !

Le Conseil d’Etat précise ensuite les quatre cas pour lesquels un chef d’établissement peut interdire à une jeune fille de porter le voile à l’école. Premièrement, lorsqu’il entraîne un trouble à l’ordre public ; deuxièmement, lorsqu’il est porté de façon non discrète ; troisièmement, lorsque l’élève refuse de d’assister à certains cours ; enfin, quatrièmement, lorsque l’élève a un comportement prosélyte.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat rappelle que les chefs d’établissement ont un devoir de dialogue et de discussion et doivent traiter les affaires au cas par cas.

Nous sommes au cœur d’un débat passionnant, qui va bien au-delà du clivage gauche-droite et je vous demande de croire que pour moi, il ne s’agit pas d’une question de posture.

Première question que je me pose : peut-il exister, sur 12 millions d’élèves, un enfant unique ? Puis-je vous dire que je n’ai jamais cru au collège unique ; parce que je ne crois pas à l’enfant unique. J’ai moi-même cinq enfants et je sais que ce qui marche avec l’un ne marche pas forcément avec les autres. Je suis donc très réservé sur le vote d’une règle qui tomberait comme une guillotine : la règle couperet qui serait appliquée, quelle que soit la situation - familiale, régionale, etc.

Je sais bien qu’un certain nombre de fonctionnaires réclament cette règle, mais pour moi un chef d’établissement doit savoir dialoguer, comprendre car chaque cas est différent. Le voile, vécu comme une obligation, doit être dénoncé, combattu. A Orléans, l’équipe pédagogique a su dialoguer avec une jeune fille portant le voile et celle-ci a finalement, accepté de mettre un bandana dans ses cheveux.

L’avis du Conseil d’Etat, réclamant un dialogue, la prise en compte d’une règle, est positif ; il est nécessaire, au sein de la République, non pas de faire tomber la guillotine, mais de dialoguer.

Je voudrais attirer votre attention sur un mot qui peut nous rassembler, mais dont nous n’avons pas la même lecture : communautarisme.

Ici, tout le monde lutte contre le communautarisme. Mais, mesdames et messieurs, mesurons notre responsabilité ! Si demain, par une loi qui confondrait fermeté et brutalité, nous interdisions tout port d’un signe religieux, les familles les plus croyantes se sentiraient exclues de l’école de la République. Se développeraient alors, sur notre territoire national, des écoles confessionnelles.

Une telle loi radicaliserait le débat et enverrait les jeunes filles, qui n’auront plus la possibilité de vivre leur identité à l’école de la République, dans des écoles confessionnelles, où le voile ne sera pas une possibilité mais une obligation. Et le jour où chaque communauté aura son école, nous serons tombés dans le communautarisme le plus total.

Mais à l’inverse, soyons honnête, il est vrai que la laïcité ne se discute pas, ne se négocie pas. Et la République n’a pas à avoir de complexes. Mais si vous votez une loi, elle sera vécue, soit comme une loi d’humiliation pour les musulmans - on ne combat pas le radicalisme par la radicalité, ni l’extrémisme par l’extrémisme - soit comme une loi contre les religions qui reviendrait à faire subir aux juifs, aux catholiques, aux protestants - qui ne demandent rien et qui se comportent très bien depuis un siècle - les conséquences de l’attitude déviante d’une minorité de musulmans. Que vont vous répondre les juifs, les catholiques et les protestants : « Pourquoi ne pouvons-nous pas porter de signes religieux ? Quel mal a-t-on fait à la République depuis un siècle ? »

Des signes que l’on porte sous les vêtements ? J’ai un enfant de 6 ans qui, à peine sorti de sa chambre, est déjà débraillé. Dans la cour d’école, où tous les enfants de France s’amusent, des signes dépasseront des vêtements. Alors nous entendrons : « Ta croix est un signe distinctif ». L’on assistera à une multitude de procès, de remarques. Et nous aurons créé les conditions du développement des écoles confessionnelles dans notre pays.

Il est vrai, M. le Président, que j’ai, non pas apporté de solution, mais posé le problème. Je ne fais pas le procès aux partisans d’une loi de choisir la brutalité. Ne faites pas le procès de la lâcheté ou de la faiblesse à ceux qui, comme moi, sont partisans de la modération en la matière. Simplement nous devons, quelles que soient nos convictions, essayer de nous retrouver autour de la raison. Et la raison nous fera grandir tous.

Je suis certain qu’il existe des solutions, et si je suis interrogé sur ce sujet, je répondrai bien volontiers.

M. Lionnel LUCA : M. le ministre, nous sommes très impressionnés par votre force de conviction !

Vous avez fait état de cas, finalement peux nombreux et réglés pour l’essentiel, mais au cours de nos auditions - et j’ai encore tenu une réunion sur ce sujet samedi, dans ma circonscription -, nous avons entendu les chefs d’établissement demander un texte, une protection et une référence. Ce sont les responsables qui exercent la plus forte pression, et non pas les familles ou les enseignants.

Si les problèmes se règlent aussi bien que vous nous le dites, pourquoi les chefs d’établissement sont-ils si pressants en la matière ?

Enfin, si l’avis du Conseil d’Etat est satisfaisant, pourquoi sommes-nous là et pourquoi nous posons-nous ces questions ?

M. Nicolas SARKOZY : Nous sommes là parce que l’affaire du voile n’est qu’un élément d’un problème plus vaste. Je ne tiendrais pas le même discours, si nous débattions sur la capacité de la communauté musulmane à s’intégrer. Je ne suis pas venu présenter une situation idyllique. J’ai simplement répondu à la question du Président.

Quand les deux jeunes filles - dont le nom de famille est Lévy, un comble ! - ont fait de la provocation, utilisées, manipulées par l’avocat du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) devant toutes les télévisions de France, je dis simplement que cet incident me semble trop mineur pour modifier un siècle d’équilibre !

Par ailleurs, loin de moi l’idée de dire que les chefs d’établissement exercent un métier facile, bien au contraire ! Mais que demandent-ils réellement ? Comme certains ministres ou directeurs d’administration centrale, ils demandent à être couverts.

Enfin, je pense que même l’avis du Conseil d’Etat comporte des imperfections. Cependant, je préfère cet avis que la brutalité automatique d’un texte qui si, vous ne voulez pas qu’il ne tombe dans les mêmes travers que ceux du Conseil d’Etat, devra être automatique et brutal - afin de ne pas donner lieu à interprétation.

Nous n’avons qu’une alternative : soit nous gardons la jurisprudence du Conseil d’Etat, avec la souplesse qu’elle permet et donc ses difficultés d’interprétation, soit nous votons une loi qui sera brutale, avec un risque de radicalisation.

Je ne prétends pas avoir raison, mais entre ces deux solutions, je préfère, les risques de la souplesse plutôt que ceux de la rigidité, pour une question aussi sensible que la place des religions dans la République française.

M. Jean-Yves HUGON : M. le ministre, nous sommes une trentaine de députés à avoir participé à cette mission, et nous avons auditionné plus de 120 personnes. Nous avons certes tiré des conclusions, mais après de nombreuses interrogations et de nombreux doutes.

Les chiffres que vous nous avez cités proviennent de la DCRG ; il n’est donc pas question de les remettre en cause. Cependant, nous avons l’impression, après l’audition de nombreuses personnalités, que la grande majorité des affaires ne remonte pas.

Nous parlons des chefs d’établissement, mais il serait bon de parler aussi des inspecteurs d’académie et des recteurs. Car que nous disent les chefs d’établissement ? Qu’ils ne sont pas couverts par leur hiérarchie, laquelle leur demande de faire au mieux, sans vague. Il me semble que l’on ne peut pas ignorer les appels au secours des chefs d’établissement.

Nous avons auditionné un proviseur de Lille qui avait comptabilisé, dans son seul établissement, 58 jeunes filles voilées. Je me pose donc des questions sur l’exactitude des chiffres donnés par la DCRG.

Ne pensez-vous pas qu’une non réaction de notre part pourrait être interprétée par la grande majorité de nos concitoyens et par les organisations intégristes comme un signe de faiblesse ?

M. Nicolas SARKOZY : M. Hugon, je n’ai jamais pensé que ce débat était inutile, scandaleux ou irresponsable. Au contraire, nous aurions dû l’avoir avant. Vous avez parlé de doutes, d’interrogations, mais j’en ai aussi. Je vous fais part de mes convictions, mais il y a une partie de moi qui peut être séduite - peut-être mon tempérament - par le côté automatique d’une loi. Et je suis persuadé que mes propos ont ébranlé les convictions de certains d’entre vous. Et c’est très bien ! Car il ne s’agit pas d’un sujet simple !

Nous ne sommes pas le seul pays européen à être concerné par ce problème ; et j’en parle avec mes homologues. L’on compte 4 millions de musulmans en Allemagne, 3 millions en Grande-Bretagne, 2 millions en Espagne et 1 million en Italie. Tous ces pays réfléchissent à ce problème. Or aucune démocratie dans le monde n’a voté de loi de prohibition du port discret d’un signe religieux. Les deux seuls pays qui ont adopté une telle loi sont la Turquie et la Tunisie qui, jusqu’à présent, n’étaient pas des modèles en matière de démocratie.

M. le Président : Et qui n’ont pas la même conception que nous de la laïcité.

M. Nicolas SARKOZY : Tout à fait. Et il s’agit d’un argument en faveur de la thèse que je défends : car la laïcité à la française est la reconnaissance du droit à la religion. Pour les autres pays, le droit à la religion est défendu par la Convention européenne des droits de l’homme ; en France, ce droit existe depuis bien plus longtemps.

Au nom de quoi, la France, le pays de la laïcité à la « française » - reconnaissance du droit à la religion et à sa manifestation -, devrait être la première à voter une loi qui sera vécue comme une loi de prohibition.

En ce qui concerne les chiffres, je ne prétends pas qu’ils reflètent l’exacte réalité ; y a-t-il des cas qui ne sont pas comptabilisés ? Certainement. Mais, selon moi, si ces affaires ne remontent pas, c’est qu’elles ne sont pas très graves.

S’agissant des 58 jeunes filles voilées, présentes dans un seul établissement, nous devons les convaincre de rester à l’école publique tout en manifestant discrètement leur appartenance religieuse. Sinon, que vont-elles devenir ? Elles seront scolarisées dans une école confessionnelle ? Et que ferons-nous de la République quand il n’y aura plus que des écoles confessionnelles ?

Les musulmans sont là. Leurs enfants ont le droit d’être scolarisés, ils auront des mosquées, il y aura des imams, et certains d’entre eux auront envie de vivre leur foi de façon d’autant plus spectaculaire qu’ils auront le sentiment d’être bridés.

Vous me dites que les chefs d’établissement réclament de l’aide. C’est vrai. Que pouvons-nous faire pour eux - et c’est la question posée par le Président Debré. Je suis convaincu que l’on peut aller vers eux sans voter une loi.

La question de la nature du règlement intérieur est une question sur laquelle nous serions bien inspirés, les uns et les autres, de travailler. En effet, il présente l’avantage d’être lu par les parents et les élèves avant l’inscription ; ainsi, personne ne pourra prétendre qu’il ne savait pas que le voile n’est pas autorisé, ou alors ce sera de la mauvaise foi.

Par ailleurs, je souhaiterais que la mission réfléchisse non pas seulement au port du voile, mais aux tenues vestimentaires acceptables au sein de l’école. Sans vouloir choquer qui que ce soit, qui sont ces jeunes filles de 13 ans qui portent un string taille haute et un pantalon taille basse ! Il y a aujourd’hui des tenues, des attitudes, des coiffures qui sont beaucoup plus choquantes que le bandana qui a été la solution trouvée à Orléans !

Le règlement intérieur a donc un grand rôle à jouer sur ce sujet, et je pense que le ministre de l’éducation nationale pourrait utiliser les circulaires. Avec une circulaire et un règlement intérieur - auquel on donnera une valeur législative - on a me semble-t-il une voie que vous ne devriez pas écarter totalement. Elle peut être une réponse aux demandes des chefs d’établissement.

Enfin, vous me demandez, M. le député, si ne rien faire ne reviendrait pas à laisser les intégristes tout faire. Et un grand nombre d’entre vous pensent que si une loi peut avoir des dommages collatéraux, ils seront de toute façon moins importants que si rien n’est fait.

M. le Président : Nous pouvons effectivement nous poser la question.

M. Nicolas SARKOZY : Mais bien entendu, M. le Président, et je me la pose moi-même. J’en veux pour preuve mon discours au congrès de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), dans lequel j’ai été très clair en affirmant que je n’accepterai pas les têtes couvertes sur les papiers d’identité. Il en va de l’ordre public : nous devons pouvoir reconnaître les personnes porteuses de carte d’identité. Et bien j’ai refusé qu’une Egyptienne, chercheuse à Rennes, mère de trois enfants, fasse renouveler sa carte de résident avec une photo sur laquelle elle portait le voile.

La tradition française veut que l’on entre la tête découverte à l’école. Je suis contre le port du voile à l’école, mais pas au point d’interdire tous les signes religieux. Je vous demande donc d’écouter ceux qui, comme moi, sont plus prudents ; essayons de nous retrouver sur une position qui nous fera tous grandir.

Vous voulez adopter une loi, moi je vous dis qu’il y a quelque chose à faire avec le code de l’Education nationale, le règlement intérieur. Mais de grâce, n’allez pas jusqu’à une loi de prohibition du port discret des signes religieux.

M. le Président : Que répondez-vous à ceux qui nous disent : « Vous auriez dû avoir le courage de faire cette loi plus tôt. De renoncement en renoncement, de lâcheté en lâcheté, de doute en doute, vous avez fait le lit des extrémistes. Si, il y a six ou sept ans, vous aviez pris vos responsabilités, nous ne serions pas, aujourd’hui, confrontés à des situations impossibles ».

M. Nicolas SARKOZY : M. le Président, ce n’est pas parce que nous avons été lâches dans le passé, qu’il faut se rattraper en faisant une bêtise !

M. le Président : Certes, mais ce n’est pas une raison pour continuer à être lâches ! On peut continuer indéfiniment à être lâches, mais vous savez où cela conduit !

M. Nicolas SARKOZY : Je ne pense pas avoir déjà fait l’apologie d’une politique qui consiste à ne pas dire les choses et à être lâche ! Mais dans cette affaire, il convient de ne pas confondre la fermeté et la brutalité.

La lâcheté, c’est d’avoir laissé s’installer des ghettos, des zones de non droit. Et sous prétexte qu’il s’agissait de Maghrébins, de ne pas oser dire justement qu’ils étaient Maghrébins et de ne pas agir quand il fallait agir ! Mais qui dit que la lâcheté a consisté à accepter des voiles à l’école ?

Pardonnez-moi, mais vous voulez utiliser une bombe atomique pour régler le dernier des problèmes à régler. Et ce n’est pas parce qu’il y aura une loi qu’elle sera facilement applicable. Alors que répondrez-vous à ceux qui vous appellent à être courageux quand il y aura, dans chaque département de France, des écoles confessionnelles coraniques ? Vous ne pourrez pas interdire ces écoles, sinon c’est le problème des musulmans de France dans son ensemble qu’il faudra revoir !

Je comprends parfaitement qu’il faille être courageux, mais pourquoi l’être sur le dos des catholiques, des protestants et des juifs ? Ils ne demandent rien et vont voir s’abattre une réalité d’une brutalité invraisemblable !

Je suis favorable à une expulsion des imams, au contrôle des mosquées, comme la loi le prévoit, je suis même favorable à une participation aux financements, afin d’en finir avec l’argent provenant de l’étranger. Mais n’envoyez pas une bombe atomique sur les protestants, les catholiques et les juifs pour régler le problème d’une minorité !

D’ailleurs, tous les évêques de France, qui n’ont pas toujours brillé par leur volonté de prendre des positions abruptes, sont dans un état de braquage invraisemblable !

M. le Président : Ce sont les mêmes qui se sont braqués, en 1959, lorsqu’on leur a proposé une loi d’association pour l’école privée ! Ils ont manifesté sous prétexte que cette loi allait tuer l’enseignement privé ! Ce sont les mêmes ! Je tiens d’ailleurs à votre disposition les coupures de presse de 1959.

M. Nicolas SARKOZY : M. le Président, comprenez-moi bien, je veux simplement dire que le courage n’empêche pas la réflexion.

M. le Président : Même chez les évêques !

M. Nicolas SARKOZY : Bien entendu, mais si j’ai bien compris, ils ne sont pas nos adversaires. Je ne veux pas les défendre, mais en termes de stabilité de la République, que vous ont-ils fait ?

J’ai lu, M. le Président, que vous étiez même personnellement favorable à une interdiction du port de signes religieux visibles dans les écoles confessionnelles. Il s’agit là, M. le Président, d’un point de désaccord - rare mais total - entre nous. Cela voudrait dire que dans les écoles confessionnelles, il pourrait y avoir un crucifix dans les classes, mais que les enfants ne pourraient pas porter leur croix de baptême !

J’ai même entendu un responsable politique dire quelque chose qui m’a paru d’une redoutable sottise : « Un professeur ne doit pas savoir si un enfant est catholique, protestant, juif ou musulman ». Ce n’est pas l’enfant qui doit être laïque, mais l’école ! La lettre de Jules Ferry s’adressait non pas aux enfants mais aux enseignants !

Vous voulez demander à un petit enfant juif de renoncer à son identité de 8 heures à 16 h 45 ? Ce n’est pas cela le creuset républicain ; au contraire, chacun doit amener son identité et non la laisser dehors.

M. Jean-Pierre BLAZY : M. le ministre, je souhaiterais revenir sur l’aspect quantitatif, car les chiffres que vous avez cités tout à l’heure me semblent ne porter que sur la partie émergée de l’iceberg. En effet, nous sommes convaincus, après nos auditions, que la partie immergée est très importante.

Les chefs d’établissement et les enseignants - nous en avons tous rencontré dans nos circonscriptions - ont un sentiment d’abandon fort du politique et nous demandent de clarifier la situation.

S’agissant des chiffres, l’exemple de notre collègue M. Hugon, à Lille - 58 jeunes filles voilées dans un établissement -, est évocateur, et je voudrais vous citer un autre cas, à quelques kilomètres de cet établissement, où les jeunes filles arrivaient voilées, traversaient une sorte de no man’s land dans l’établissement, et se dévoilaient pour aller en cours.

M. Nicolas SARKOZY : Je trouve qu’il s’agit là d’une bonne solution.

M. Jean-Pierre BLAZY : Je ne sais pas s’il s’agit d’une bonne solution ! Ce que je veux vous dire, c’est que nous sommes convaincus que les cas sont plus nombreux que les chiffres que vous nous donnez. Et même s’ils ne donnent pas lieu à des incidents, sont-ils tolérables ?

Nous sommes tous ici convaincus que le voile ne doit pas être porté à l’école, tout comme les autres signes religieux ne doivent pas être ostentatoires. Car nous savons très bien quel en est le sens. Mais sachez que nous ne faisons pas d’amalgames : nous ne comptons, parmi nous, aucun islamophobe, aucun judéophobe... Nous souhaitons trouver une réponse au problème du port des signes religieux à l’école. L’avis du Conseil d’Etat de 1989 a tenté de trouver une solution à ce problème, or aujourd’hui elle ne nous paraît pas satisfaisante.

Je suis - comme la très grande majorité des membres de cette mission - favorable à un dispositif législatif. Et même si nous croyons à la force de la loi, nous n’avons pas la naïveté de penser qu’elle réglera tous les problèmes ; et sans être favorable à la brutalité, nous sommes partisans de la fermeté.

Notre société, vous l’avez rappelé, M. le ministre, est devenue multiculturelle, il convient donc de tenir compte des différentes identités, mais sans oublier l’identité, celle de la République. La laïcité doit permettre à chacun de se retrouver dans une identité qui doit être partagée dans ce pays. Or l’école est le lieu idéal pour forger cette identité.

Aujourd’hui, non seulement parce que les enseignants sont déboussolés, mais aussi parce que les élus sont en difficulté face à cette question, nous sommes tous confrontés à ce problème.

Vous mettez en avant le risque du développement des écoles confessionnelles. Personnellement, je fais le pari qu’en donnant un signe fort, nous répondrons aux attentes des enseignants, des musulmans qui sont avant tout citoyens français et des jeunes filles qui subissent la situation - car nous ne devons pas oublier de parler des droits de la femme.

Je suis surpris d’entendre la Ligue des droits de l’homme, la Ligue de l’enseignement et l’enseignement catholique dire qu’entre la laïcité et les droits de l’homme, ils choisissent les droits de l’homme ! Comme si la laïcité était le contraire des droits de l’homme ! C’est atterrant !

Pour revenir au sujet, je ne pense pas que le risque de développement des écoles confessionnelles soit aussi grand que cela. Nous devons donner un signe fort, et seule la loi peut le faire - avec, bien entendu, un dispositif d’accompagnement.

M. Sarkozy, vous qui allez avoir l’occasion de dialoguer avec M. Ramadan, ne pensez-vous pas que derrière toute la subtilité de son discours, il a davantage la volonté de développer le communautarisme plutôt que l’islam dans la République ? Je vous pose cette question, sachant que l’UOIF a des positions très fortes dans le Conseil français du culte musulman que vous avez installé.

Enfin, je vous fais observer que le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) est favorable à un dispositif législatif, ce que l’on peut comprendre, au vu du regain d’antisémitisme auquel nous assistons.

Je ne pense donc pas qu’en voulant adopter une loi nous soyons contre les religions ; nous sommes plutôt dans l’esprit de la loi de 1905.

M. Nicolas SARKOZY : M. Blazy, je ne vois pas le rapport entre le sujet que nous traitons et M. Ramadan !

Vous proposez une loi, c’est votre droit le plus absolu et certains arguments peuvent être valables. Mais je voudrais attirer l’attention de la mission sur un fait : vous proposez de modifier le concept de la laïcité à la française. Ce qui n’est pas rien ! Et je vous dis de faire attention, car la France est un pays de passions. Nous avons trouvé un équilibre et vous êtes en train de m’expliquer que pour mettre un terme aux agissements d’une minorité de musulmans, nous devons revenir sur cet acquis qui est la tolérance des religions dans la République.

Une loi de prohibition du port discret de signes religieux tournera le dos à un siècle de laïcité à la française. M. Blazy, vous avez tout à fait le droit de voter cette loi, mais vous n’avez pas le droit de dire que vous le faites au nom de la laïcité à la française - défendue par l’avis du Conseil d’Etat. Car ceux qui défendent cette laïcité, ce n’est pas vous, c’est nous !

Ne vous trompez pas : je suis, tout comme vous, opposé au port du voile, de la kippa. Je suis opposé à toute forme d’intégrisme. La question est de savoir comment arriver au résultat - à savoir que les jeunes filles ne portent pas le voile à l’école. Vous, vous proposez une loi qui revient sur le concept traditionnel de la laïcité à la française ; moi, je vous propose de réviser le règlement intérieur - la jurisprudence du Conseil d’Etat étant satisfaisante.

L’avantage de ma proposition, est que je ne prends pas le risque de voir se développer des écoles confessionnelles. Vous avez été honnête en me disant que vous ne croyez pas à ce risque, mais vous l’avez quand même évoqué, et vous avez raison. L’avantage de ma proposition donc, c’est que l’Etat pourra refuser les autorisations à ces établissements et que cela ne suscitera pas un débat sur leur financement public - débat que vous aurez obligatoirement en excluant les jeunes filles voilées de l’école publique. Telle est la réalité.

Nous sommes tous d’accord sur le fait que les jeunes filles ne doivent pas être voilées, ce n’est pas notre tradition, cela nous est donc facile de prendre cette position. De la même manière que les curés ne mettent plus de soutane ; il s’agit d’une question de temps pour nos compatriotes musulmans. Nous devons les faire évoluer dans le cadre des institutions de la République avec patience et détermination, et non pas en votant une loi d’exclusion, ou une loi qui revient sur la laïcité ! Il m’appartient, en tant que ministre de l’intérieur, d’attirer votre attention sur le fait que nous sommes en train de revoir l’un des principes fondateurs : la tolérance à l’endroit des signes religieux - discrets.

Si votre volonté est d’adopter une loi sur le port discret des signes religieux, sachez qu’il s’agit de reprendre la jurisprudence du Conseil d’Etat ! Vous rencontrerez alors les mêmes difficultés d’application qu’aujourd’hui. Si vous souhaitez adopter une loi de prohibition, vous devrez le faire avec brutalité et vous tournerez le dos à la laïcité à la française.

M. Christian BATAILLE : M. le ministre, je ferai tout d’abord un préalable : l’apparence vestimentaire est un débat totalement différent de celui concernant le port de signes religieux - il va du string au jean troué et peut concerner aussi bien les élèves que les enseignants.

Vous nous avez fait, dans vos propos, une démonstration que nous avons déjà entendue au cours de nos auditions ; nous-mêmes avons évolué, mais il ne sert à rien de se raconter des histoires et de dire que nous aurions dû être courageux il y a quatre ou cinq ans, accusant ainsi l’ancien gouvernement de ne pas avoir pris ses responsabilités.

M. le Président : Ce n’est pas ce que j’ai dit, M. Bataille.

M. Christian BATAILLE : Je vous parle en héritier des anti-Dreyfusards, de Jaurès, d’Aristide Briand, etc. J’appartiens à un parti qui a été traversé par ce débat - comme la droite d’ailleurs - et qui a, récemment, pris une position claire en faveur d’une loi. Nous n’avons donc pas, ici, à nous objecter des comportements partisans.

Vous nous dites, M. le ministre, que la France est multiple : mais ce n’est pas nouveau ! Fernand Braudel, l’historien, a parfaitement décrit cette situation, qui est aussi vieille que la France ! Mais que voulez-vous dire : qu’elle est multiple racialement, ethniquement... Tout cela n’est pas nouveau, les peuples de la Méditerranée, de l’Europe du Nord, se sont mélangés... et la diversité linguistique existe encore. Nous sommes également multiples religieusement. De quoi s’agit-il : d’une opposition entre les chrétiens et les autres, et notamment les musulmans ? Je ne le crois pas. Ce qui est nouveau, c’est cette tenue vestimentaire dans les services publics et à l’école.

Nous ne pouvons qu’être d’accord avec certaines de vos considérations générales et votre diagnostic est plus qu’habile...

M. Nicolas SARKOZY : Nous ne sommes pas obligés d’être malhabiles !

M. Christian BATAILLE : Vous permettez M. le ministre, vous ne l’avez pas toujours été dans votre démonstration ! D’ailleurs, je fais mienne l’intervention d’un responsable que vous avez citée : effectivement, dans une classe, le professeur n’a pas à connaître la religion des enfants.

M. Nicolas SARKOZY : Il est quand même difficile, lorsqu’on s’appelle David Lévy, de passer pour un chrétien !

M. Christian BATAILLE : Je voudrais quand même insister et vous dire que toutes les personnes de terrain, les chefs d’établissement, les professeurs, nous ont réclamé une loi qui les protégerait contre les recours et la judiciarisation de la société. Le raisonnement que vous nous présentez est tout à fait cohérent, et il est en général tenu par les inspecteurs d’académie et les responsables des ministères.

Nous sommes engagés dans une réflexion et il n’est pas imaginable que nous laissions cette question non résolue, que nous restions en l’état. Mais dès lors que le débat a été engagé, ce serait, me semble-t-il, un signe de faiblesse. C’est la raison pour laquelle une loi interdisant le port de signes religieux visibles me semble nécessaire.

M. Nicolas SARKOZY : M. Bataille, vous m’entendez à la fin de vos travaux ; si ma position - différente de celles des membres de la mission -, vous gêne à ce point, il faut me le dire, je me donnerai moins de mal !

Je vous le dis avec beaucoup de convictions. Il s’agit non pas de rien faire, mais d’éviter de faire une bêtise - et c’est ce qu’il y a de plus difficile dans notre pays -, à savoir de prendre une mesure si brutale qu’elle sera vécue comme un instrument de radicalisation. Et c’est le devoir d’un certain nombre de personnes raisonnables de le dire.

Notre pays est un pays de passions. Or le devoir des responsables politiques, des hommes d’Etat est de les apaiser. Avec une loi, nous allons les rouvrir gratuitement. Quand vous dites que nous n’avons le choix qu’entre une brutalité qui se retournera contre la République et ne rien faire, vous vous trompez. Il y a des tas de choses à faire.

Si vous pensez qu’une loi, qui sera vécue comme une loi de prohibition, règlera le problème, vous vous trompez. Il s’agit là d’une maladie bien française : dès que nous nous heurtons à un problème, nous adoptons une loi. Avec une telle loi, vous allez engager le pays, pendant des années, dans une nouvelle guerre de religions. Et tout cela parce que vous n’aurez pas osé dire que ce problème complexe demande une réponse qui ne soit pas brutale et simpliste.

J’ajoute, M. Bataille, que vous appartenez à une famille politique que je respecte profondément mais qui, dans l’histoire, a eu des rapports avec les religions qui sont différents de ceux que ma famille politique a eus. Je suis un passionné de la IIIème République, or je puis vous dire qu’une partie de la gauche a toujours fait de l’anticléricalisme, du laïcisme, du sectarisme laïque. Personnellement, je n’ai jamais appartenu à ce courant politique, c’est la raison pour laquelle je demande à mes amis politiques de ne pas faire l’inverse de ce qu’a été notre tradition politique. Les religions ont contribué à la stabilisation de la République, elles n’en ont jamais été l’ennemi ; ce ne sont pas les religions qui font les guerres, mais des extrémistes qui dévoient la religion.

La République ne peut pas répondre à toutes les questions de l’homme. Et savez-vous ce qui manque dans nos banlieues ? Des lieux de lumière, des lieux ou des hommes et des femmes différents puissent réfléchir au sens et au prix de la vie. Si vous pensez rétablir le calme dans les banlieues en construisant uniquement des terrains de football, c’est que vous ne connaissez pas la réalité de l’être humain. La question spirituelle est consubstantielle à celle de l’homme.

Je ne suis pas une grenouille de bénitier, je ne suis pas un catholique pratiquant, et pourtant je vous le dis : l’engagement religieux n’est pas un engagement suspect, il n’a rien à voir avec l’extrémisme. Voter une loi bannissant des écoles de la République le port discret d’un signe religieux, c’est aller contre l’histoire de notre pays, contre l’équilibre qui a été construit patiemment, et c’est faire revivre les sectaires laïques.

Voter la loi, et vous verrez dans quel état sera la société. Modifier le règlement intérieur, ayez une attitude ouverte, et vous apaiserez les tensions et répondrez à l’inquiétude des enseignants.

(M. Eric RAOULT remplace M. Jean-Louis DEBRÉ à la présidence.)

M. Hervé MARITON : Rien n’interdit, M. le ministre, d’imaginer des règlements intérieurs qui, prohibant des signes religieux - liberté du règlement intérieur -, amènent des enfants à choisir un établissement confessionnel.

Je comprends ce qui a été dit sur les tenues vestimentaires, les notions de politesse et de tenue correcte étant des dimensions importantes de la réforme de l’école dans notre pays.

Il est vrai que notre mission a déjà bien avancé dans ses travaux, et que nombre d’entre nous, qui n’étions pas très favorables une loi, avons petit à petit changé d’avis. Il me semble que l’on peut revoir, dans une loi, la distinction entre le visible et l’ostentatoire. Nous sommes pour l’instant favorables à une loi interdisant les signes visibles, mais nous pourrions peut-être imaginer une loi prohibant les signes ostentatoires, ce qui serait une position plus forte que la situation actuelle ; quoi qu’il en soit, un message est indispensable.

Vous nous dites, M. le ministre, que le débat qui a eu lieu ces derniers mois a libéré une parole islamophobe. Sûrement. Il a également déclenché un certain nombre de paroles qui décrivent la réalité sociale, telle qu’elle est. Un certain nombre de ces descriptions ne se faisaient pas avant, tout simplement parce qu’elles n’étaient pas politiquement correctes. Ce que nous avons entendu ici, édifiant quelquefois, fait aujourd’hui partie du débat public.

Certaines personnes auditionnées nous ont dit que le problème du voile était l’arbre qui cachait la forêt. J’ai rebondi sur cette observation, en répondant que pour s’occuper de la forêt il n’était pas inutile de commencer par s’occuper de l’arbre.

Quel est le problème ? Et ce n’est pas de l’islamophobie de le dire : le voile, il y a dix ans, était une expression assez cantonnée et ponctuelle ; aujourd’hui, il existe d’autres modes d’expression qui sont ceux d’une demande de République à la carte, de la part de citoyens français - citoyens qui ne sont pas répartis de manière totalement euristique - qui récusent certaines valeurs de la République.

La demande de récusation d’un juge à Paris, motivée par la supposée confession juive du magistrat, est l’expression extrême de cette République à la carte. Autre exemple, un jeune de ma commune est venu me dire que le drapeau que j’avais déployé ne lui plaisait pas, qu’il ne représentait pas son idée de la France. J’ai tenté de lui expliquer, mais je n’y suis pas parvenu car il avait envie de choisir ce qui lui convenait et de récuser ce qui ne lui convenait pas.

Une des expressions les plus fortes de cette République à la carte, c’est le voile islamique. Non pas en tant que signe religieux, mais comme affirmation politique. Tout comme la casquette d’un jeune, qu’il ne veut pas enlever en classe, exprime son opposition à la société et à l’éducation. Confrontés à cette situation, nous nous demandons par quel bout nous devons nous attaquer au problème.

Il nous est apparu que ce débat, en un lieu défini, à savoir l’école, pouvait trouver un élément de solution dans la loi, et que sans doute, même si nous ne réglions pas tout, il était utile de fixer une règle, avec autant d’intelligence que possible - je suis prêt à rouvrir le débat, s’agissant des termes « visible », « ostentatoire », etc. Cette règle doit démontrer que nous ne sommes pas partisans d’un espace public à la carte et qu’il existe des contraintes.

Je vous l’accorde, M. le ministre, nous ne faisons pas dans le compromis, nous affirmons que certains points ne sont pas discutables, mais c’est parce que nous ne voulons pas que le compromis aille jusqu’à la demande de récusation.

M. Nicolas SARKOZY : M. Mariton, votre exemple est parfait : vous parlez d’une demande de récusation particulièrement scandaleuse. Et si je reprends le raisonnement d’une partie des membres de la mission, je devrais en tirer la conclusion qu’il conviendrait de supprimer le droit de récusation - puisqu’une minorité en fait un mauvais usage ! Or ce n’est pas ce que vous proposez ! Une personne demande de récuser un magistrat parce qu’il est juif ; vous n’en tirez pas la conclusion qu’il faut supprimer le droit de récusation ! Vous dites au contraire que la demande est parfaitement scandaleuse et qu’il faut y répondre par la négative. Alors pourquoi faites-vous le contraire avec les signes religieux ?

En France, nous avons le droit de porter des signes religieux discrets - tels que la médaille de baptême - ce qui n’a jamais posé de problème depuis un siècle. Voilà qu’une minorité de minorité a un comportement provoquant et vous voulez revenir sur le droit de la laïcité à la française !

Par ailleurs, je n’ai jamais dit qu’il ne fallait rien faire ; je vous ai proposé de donner une force législative au règlement intérieur, à savoir reconnaître dans le code de l’Education nationale que les établissements scolaires ont le droit, dans le règlement intérieur, de prévoir des tenues vestimentaires adaptées. De prévoir également que les élèves doivent se présenter tête nue, c’est-à-dire sans casquette et sans voile. Et vous pouvez même, si vous le souhaitez, lui donner une valeur législative en l’inscrivant dans le code de l’Education nationale.

Mais je voudrais vous éviter de faire une bêtise, d’aller, avec les meilleurs arguments du monde, dans le mur, en créant les conditions d’une tension - d’ailleurs, vous le sentez bien, puisque vous êtes prêt à rouvrir le débat en ce qui concerne les termes « ostentatoire » et « visible ». Mais il s’agit déjà du débat sur la jurisprudence du Conseil d’Etat, vous aurez alors le même à l’Assemblée nationale. Et je sais comment vous en sortirez : en lambeaux. Avec une règle qui n’aura plus aucune signification.

Le vrai débat que nous devons avoir est le suivant : sommes-nous forts et courageux en adoptant une loi automatique et parfaitement lisible - dont je crains qu’elle n’entraîne une catastrophe - ou en choisissant une autre solution, ferme mais permettant de la souplesse, dans une société française de 61 millions d’habitants qui doit intégrer 5 millions de musulmans ? Car je pense que nous ne les intégrerons pas à la trique. Il ne s’agit pas de céder quoi que soit, mais je ne veux pas être complice d’une situation où il y aurait, d’un côté les religions, et, de l’autre, les adversaires des religions. Ce serait une catastrophe pour notre pays.

Je suis prêt à faire un bout de chemin vers vous - même en ce qui concerne une volonté législative -, mais de grâce ne vous laissez pas aller à des idées simplistes, telles qu’une loi de prohibition. On ne combat pas le terrorisme avec les méthodes du terrorisme, l’extrémisme avec les méthodes de l’extrémisme, l’intolérance avec l’intolérance ! La République n’est pas faite comme cela et pour cela. Nous avons mis un siècle à trouver cet équilibre, ne mettons pas tout par terre en quelques semaines.

M. Pierre-André PERISSOL : M. le ministre, les difficultés auxquelles nous sommes confrontés font que nous avons du mal à traiter différemment les deux aspects du voile. Il est, pour une faible partie de croyants, un signe religieux - sans qu’il soit un point majeur de l’islam. Il est, pour d’autres, un signe politique. La question est de savoir comment nous devons combattre l’introduction d’un signe politique dans l’école, tout en ne cassant pas l’équilibre de l’acceptation du signe religieux.

La jurisprudence du Conseil d’Etat pourrait, il est vrai, en partie, servir de levier, mais elle est difficile d’application.

Nous avons auditionné des chefs d’établissement et des enseignants chargés de gérer cette question. Ils nous demandent de légiférer, car ils n’ont pas les moyens d’agir. Selon eux, le voile est la voie d’entrée à un certain nombre d’autres problèmes, tels que l’assiduité aux cours ou le refus de passer un examen avec un homme.

Nous leur avons répondu que les textes étaient très clairs : tous les cours sont obligatoires sous peine de sanctions. « Certes - nous disent-il -, mais une jeune fille qui ne veut pas aller à la piscine obtiendra un certificat médical de complaisance sans problème ; or nous n’avons aucun moyen de demander une contre-expertise ou de contester ce certificat ». Par ailleurs, la procédure du conseil de discipline pour prononcer une sanction est tellement lourde qu’ils n’y parviennent pas - les élèves reviennent donc, narguant les professeurs. Telles sont les raisons pour lesquelles les enseignants nous demandent de légiférer.

En ne réglant pas cette question, nous créons une situation qui appelle des réactions brutales, simplistes. Si nous avions, dès 1989, donné à ceux qui sont sur le terrain les moyens d’agir, la pression serait beaucoup plus faible aujourd’hui pour l’adoption d’une loi.

M. le ministre, il ne me semble pas que le problème pourra être réglé par une simple circulaire. Je sais bien qu’il ne s’agit pas de votre domaine ministériel, mais il en va de la responsabilité du gouvernement de modifier un certain état d’esprit, des pratiques à l’intérieur du dispositif de l’Education nationale, afin de trouver, le cas échéant, une autre solution que la loi.

M. Nicolas SARKOZY : Je n’ai rien à ajouter, M. Périssol, je partage votre point de vue.

Mme Michèle TABAROT : M. le ministre, je serai brève, beaucoup de choses ont déjà été dites, notamment l’évolution de chacun au sein de cette mission et notre volonté d’agir.

Nous avons eu affaire à des enseignants, dont certains voulaient réagir et d’autres ne rien faire. Cela pose un problème, notamment lorsque le chef d’établissement décide d’agir et que l’inspecteur d’académie suspend le conseil de discipline en passe de prononcer une sanction. Il me semble que cet inspecteur, en agissant de la sorte, outrepasse ses fonctions et aurait dû laisser le conseil de discipline prendre sa décision.

Autre point, nous ne regardons pas avec suffisamment d’attention ce que nous demande ces jeunes filles. Bien entendu, certaines portent le voile comme signe religieux, mais d’autres le portent en signe de provocation politique. Enfin, il est également porté comme un voile de protection, notamment dans les banlieues - afin, par exemple, de ne pas faire l’objet d’une « tournante », ou par rapport à la famille.

Or ce sujet de la protection de la femme me pose problème. Vous avez cité 1 256 affaires depuis la rentrée scolaire, dont 20 non résolues ; qui fait l’effort de savoir si ces jeunes femmes portent le voile pour des raisons religieuses ou parce qu’elles subissent la pression de leur environnement ? Les enseignants ne m’ont pas donné de réponse à cette question ni de solution.

M. Nicolas SARKOZY : Mais je vais vous en donner une, Mme Tabarot. Le jour où ces jeunes filles seront exclues de l’école publique, qui parlera pour elle, qui les défendra ? Ne pensez pas une minute qu’une loi de prohibition des signes religieux va faire céder les plus extrémistes ! Au contraire, ces jeunes filles seront condamnées à aller à l’école confessionnelle. Je souhaite donc, en tolérant les signes discrets, que ces jeunes filles puissent être intégrées à l’école de la République, ce qui permettra à la communauté pédagogique de dialoguer avec elles.

Par ailleurs, qui contrôlera les écoles confessionnelles qui verront le jour dans tous les départements ? Car ces écoles, avec l’aide de financements étrangers, se construiront sur la loi de prohibition. C’est cela le communautarisme : chacun son école. Or nous devons préserver l’école de la République, où chacun amène son identité et accepte les règles générales.

Et si l’une de ces règles exige que l’on vienne à l’école tête nue, inscrivons là dans le règlement intérieur, et donnons lui une valeur législative. Mais nous ne devons pas exclure ces jeunes filles et prendre le risque de voir se développer les écoles confessionnelles. Vous qui parlez d’égalité entre les hommes et les femmes, vous savez très bien que dans une école confessionnelle, il n’y en aura pas.

M. Claude GOASGUEN : M. le ministre, je partage votre analyse, à une exception près : étant donné le nombre de musulmans vivant en France, il vaudrait mieux prévoir des contrats d’association pour des écoles musulmanes qui, quelle que soit la solution que l’on choisira pour résoudre ce problème, se développeront. Il conviendrait donc d’anticiper plutôt que de nous laisser prendre de vitesse.

Il me paraît évident que le problème du port du voile est, en réalité, un révélateur ; en ce sens, cette mission est utile et permet de prendre conscience d’un certain nombre de problèmes. D’abord, l’existence de la communauté musulmane, mais je n’y reviens pas, vous en avez parlé, M. le ministre. Ensuite, la neutralité du service public ; nous parlons du port du voile à l’école, mais le problème est beaucoup plus grave dans le cadre de la neutralité du service public. Or les atteintes à cette neutralité se multiplient, non seulement à l’école mais également dans les hôpitaux et ailleurs.

Enfin, j’ai enseigné pendant 25 ans - j’ai été professeur, doyen, recteur, inspecteur général - et si jamais personne ne s’est plaint du voile, tous se sont plaints de la dérive qui avait lieu au sein des écoles. Le voile n’est donc que l’expression d’une dégradation du climat au sein de l’école, avec des incidents qui sont beaucoup plus graves que le port du voile - insultes, absences, laisser-aller, tenues vestimentaires et coiffures folkloriques, etc.

Le véritable problème est donc de restituer à l’école un certain nombre de normes qui ont été oubliées et que le législateur vient de redécouvrir en lançant un débat sur le voile. Premièrement, l’autorité doit être rétablie dans l’école ; deuxièmement, l’école doit être le domaine de la citoyenneté. Or c’est à partir de ce champ plus général que nous pourrons inclure le problème des signes distinctifs en matière politique et religieuse ; et je parle de signes « ostentatoires », car le terme « visible » me semble absurde : allons-nous obliger une personne qui se sera fait tatouer une croix sur la main à mettre des gants - ou allons-nous lui couper la main ?

Le ministre de l’éducation nationale a eu raison de nous dire que la solution est certainement dans une loi d’orientation restituant l’autorité et la citoyenneté. En ce sens, notre mission aura été très utile ; ne tombons pas dans la guerre du laïcisme, de l’anti-laïcard, sinon nous allons déboucher sur un sujet que la France a mis un siècle à équilibrer.

M. Jacques MYARD : Pour une fois, je ne suis pas tout à fait d’accord avec M. le ministre, ce qui ne lui enlève rien !

La France a toujours été respectueuse des religions, et il ne s’agit pas de revenir sur ce droit ; la laïcité à la française, c’est l’avis du Conseil d’Etat qui a tout chamboulé. Avant, que ce soit en Algérie, lorsque nous étions colonisateurs, ou dans nos banlieues, la question ne se posait pas, les voiles étaient enlevés comme tous les signes ostentatoires. Tous les enfants qui fréquentaient une école française en Algérie s’y rendaient tête nue.

Cependant, il existe effectivement une dérive communautariste ; ce qui est en jeu, c’est non pas le voile, mais la loi personnelle, le dogme religieux qui veut modifier les lois de la République dans tous les domaines.

Vous craignez qu’une loi soit trop radicale, M. le ministre, mais nous avons vu ce que donnait la pratique des abattages. Je me suis battu pendant cinq ou six ans, et le ministère de l’intérieur - quel qu’il soit - m’a toujours répondu qu’il fallait respecter les libertés religieuses. Et aujourd’hui, on applique la fermeté : on abat dans les abattoirs, et on n’en parle plus. Je ne suis pas d’accord avec vous, M. le ministre, quand vous dites que la loi radicalise, elle peut mettre un terme à une dérive.

En ce qui concerne les écoles confessionnelles, celles que vous avez décrites sont contraires à l’ordre public français, il conviendra donc de les fermer ! Il n’y aura pas de « madrassage » chez nous !

Prenez conscience, M. le ministre, que ce qui est en cause aujourd’hui, c’est l’irruption du dogme religieux pour faire changer les lois civiles. C’est la raison pour laquelle nous devons agir vite.

M. René DOSIERE : M. le ministre, sans passion mais avec conviction, je souhaiterais vous faire part de deux ou trois observations.

Premièrement, je ne partage pas votre analyse lorsque vous parlez d’une loi brutale, d’une bombe atomique. La loi est tout simplement la loi.

Deuxièmement, pourquoi la mission, dans sa quasi unanimité, a-t-elle finalement conclu qu’un signe était nécessaire ? Pour deux motifs principaux. D’abord, nous avons bien compris qu’il y avait un problème - M. Myard vient de parler de dérive communautaire - et que la laïcité n’était plus comprise - et pas seulement par les musulmans. Notamment, pour certains, la volonté de vouloir imposer à la société civile une loi religieuse : ce qui était le cléricalisme de l’église catholique du XIXème siècle et qui a suscité l’anticléricalisme. Ce souci n’a pas entièrement disparu, du moins pas chez les musulmans...

M. Nicolas SARKOZY : On y est : c’est la faute de l’église !

M. René DOSIERE : ... ni dans les autres religions sur des points sans doute différents. Il n’est sans doute pas inutile donc, de se préoccuper, à nouveau, de la laïcité.

Ensuite, nous avons constaté que des responsables, des recteurs, des inspecteurs généraux, des responsables syndicaux, des parents d’élèves, des responsables de la franc-maçonnerie - bref tous ceux qui restent derrière leur bureau - nous ont tenu un discours intellectuel, nous affirmant que ces affaires pouvaient être réglées par l’application de la jurisprudence du Conseil d’Etat. En revanche, pour les chefs d’établissement, les enseignants, la situation actuelle n’est pas satisfaisante, car ils rencontrent de grandes difficultés. Eh bien pour ces derniers, nous pensons qu’il est nécessaire de faire un signe - et à quoi peuvent penser des parlementaires si ce n’est à une modification législative.

Nous avons bien conscience que ce signe, s’il est nécessaire, n’est pas suffisant et qu’il convient de ne pas oublier de prendre des dispositions de caractère réglementaire. D’ailleurs, la proposition de loi socialiste comporte un article 2 qui donne au règlement intérieur une valeur législative et maintient le préalable d’une médiation avant toute sanction.

M. Nicolas SARKOZY : Je partage l’avis de M. Goasguen, y compris sur ce qu’il a cru être un désaccord entre nous concernant les futures écoles confessionnelles. Je pense simplement que nous pourrons d’autant plus facilement leur imposer des règles que nous n’aurons pas été brutaux sur le reste ! Si nous voulons qu’ils respectent leurs devoirs, nous devons leur reconnaître des droits !

M. Myard, nous avons le même tempérament, mais qui ne nous conduit pas toujours aux mêmes conclusions. Votre position a le mérite de la franchise, de la cohérence et de la clarté. Elle est tellement claire qu’elle finit par ne plus être limpide ! Je crains que ceux qui ont été désignés aient bien compris de quoi il s’agissait : ceux qui ne respectent pas loi sont exclus de l’école, et si ça bouge dans les mosquées, on y va ! Je vous rappelle simplement que vous parlez d’un certain nombre de personnes qui sont nées en France : on ne peut pas leur dire de repartir avec tous leurs bagages !

M. Dosière, ce n’est pas la loi en elle-même qui est brutale, mais la loi de prohibition. D’ailleurs vous le savez très bien, puisqu’il y a eu de grands débats au parti socialiste, notamment avec le premier secrétaire. Et il vous a fallu avancer de bons arguments pour le convaincre, car, comme tous les dirigeants de parti, M. Hollande a beaucoup voyagé en France et a rencontré de nombreuses personnes. De ce fait, nous, les dirigeants, nous avons retiré des impressions et des sentiments sur la France qui font que sur ces questions - que l’on soit socialiste, UMP, UDF, etc. -, nous sommes prudents. C’est sans doute pour cette raison que M. Hollande a été si difficile à convaincre.

Par ailleurs, vous me dites qu’il convient d’éviter les dérives communautaires ; mais vous allez, avec une telle loi, encourager le développement des écoles confessionnelles ! C’est incroyable, je n’arrive pas à me faire comprendre !

Lorsque je me suis rendu dans cette école juive de Gagny, la directrice n’a pas voulu me serrer la main, non pas parce qu’elle ne m’aimait pas, mais parce que c’était shabbat et qu’elle n’avait pas le droit de serrer la main d’un homme. Devons-nous en conclure qu’il s’agit d’une extrémiste qu’il faut renvoyer de France ? Non, c’est la directrice d’une école confessionnelle juive.

Eh bien si ces petites musulmanes ne sont pas intégrées dans une école publique, elles iront dans une école confessionnelle musulmane - problème que vous ne pourrez plus gérer.

Enfin, M. Dosière, j’aimerais vous dire que l’ennemi n’est pas l’Eglise catholique ; je ne fais pas la différence entre la société civile, d’un côté, et les églises factieuses, de l’autre. Je trouve même très bien qu’un certain nombre d’autorités spirituelles donnent leur point de vue sur des débats de société. Le pape ou le cardinal Lustiger ont le droit à la parole au même titre que le groupe « Sniper »... Lorsqu’on voit, à la télévision, toutes ces banalités, toutes ces vulgarités, croyez-moi, l’équilibre de notre société n’est pas menacée parce qu’il y a des protestants organisés, des catholiques organisés, des juifs organisés ou des musulmans organisés.

Vous me dites que nous devons donner un signe. Je suis d’accord, mais lequel ?

M. Jacques MYARD : Une loi !

M. Nicolas SARKOZY : Non, pas de loi de prohibition qui tournerait le dos à la laïcité à la française. En revanche, je ne suis pas opposé à toutes les formes de signe législatif ; j’en ai moi-même proposé un - tout comme le parti socialiste dans son article 2 : donner, dans le cadre du code de l’Education nationale, une valeur législative au règlement intérieur. Prévoyez même d’aller plus loin, en exigeant une tenue correcte. Ou inspirez-vous, si vous tenez à adopter une loi, de la sagesse du Conseil d’Etat.

M. Eric RAOULT, Président : M. le ministre, je vous remercie.


Source : Assemblée nationale française