La mission d’information parlementaire sur la question des signes religieux à l’école a été créée par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale le 27 mai 2003 et installée le 4 juin 2003.

Elle est la première illustration de la modification du Règlement de l’Assemblée nationale votée le 26 mars 2003 qui permet désormais au Président de l’Assemblée de prendre l’initiative de constituer des missions d’information sur des sujets intéressant l’ensemble de la nation, d’y réfléchir et de formuler des propositions dans un cadre plus solennel que celui des traditionnelles missions d’information des commissions.

La réflexion sur la question du port de signes religieux à l’école s’est imposée à la suite des difficultés récurrentes rencontrées par l’institution scolaire depuis 1989 qui semblent s’amplifier depuis quelques temps au point de susciter des interrogations sur une éventuelle mise en cause du principe de laïcité à l’école.

Parce que l’école est le lieu particulier où les élèves acquièrent à la fois le savoir, le goût de vivre ensemble et font l’apprentissage de la citoyenneté, il a paru nécessaire de donner à cette institution les moyens de surmonter une difficulté à laquelle elle est confrontée dans sa mission d’intégration et de formation des esprits.

Pour mener cette réflexion, la mission a souhaité entendre le plus grand nombre de personnes en privilégiant celles et ceux qui, quotidiennement, sont confrontés, sur le terrain, à des situations parfois difficiles, tout en recueillant également les opinions des administrations centrales et de leurs ministres, celles des juristes, des organisations représentatives, des représentants des cultes ainsi que des spécialistes des questions religieuses et des grands courants de pensées.

C’est ainsi qu’en 26 séances et 37 auditions et tables rondes, nous aurons entendu plus de 120 personnes.

Par ailleurs, le forum d’expression mis en ligne le mercredi 22 octobre sur le site internet de l’Assemblée nationale a recueilli en 6 semaines plus de 2 200 messages témoignant du véritable intérêt de la population pour cette question. Il faut aussi mentionner les nombreux courriers et contributions écrites adressés à la mission par lesquels nos concitoyens ont souhaité faire part de leur expérience et exprimer leur souhait de participer au débat.

De l’ensemble de ces messages, contributions écrites et courriers, et surtout des auditions auxquelles nous avons procédé et des échanges qui les ont accompagnés, il résulte un certain nombre de constats et une volonté d’agir unanimement partagés.

En premier lieu, les membres de la mission ont du constater que le principe de laïcité dans notre pays ne doit jamais être considéré comme définitivement acquis.

Ils partagent la conviction que c’est à l’école, lieu de formation des futurs citoyens, qu’il faut en priorité assurer l’équilibre consacré par la Constitution entre le caractère laïque de la République et la liberté de conscience.

Nous avons par ailleurs été frappés par le décalage entre les chiffres officiels fournis par les administrations concernées et la situation sur le terrain, telle que la vivent au quotidien les enseignants et les chefs d’établissement. Loin de se résorber, la question du port des signes religieux à l’école aurait, au contraire, tendance à gagner du terrain, comme l’actualité en témoigne.

Au-delà des chiffres, nous avons été surpris par l’ampleur du décalage entre le sentiment des administrations centrales qui pensent disposer des moyens adéquats pour circonscrire ou surmonter les difficultés et le désarroi de certains chefs d’établissement et de certains enseignants qui estiment être insuffisamment soutenus par leurs administrations et qui sont confrontés à la pression de parents, particulièrement bien conseillés, et de médias omniprésents.

Pour les membres de la mission le « voile », qui est au centre de la polémique, ne peut être réduit à un simple signe d’appartenance religieuse. Il véhicule souvent, si ce n’est toujours, une volonté politique d’affirmation d’une différence et, peut-être plus encore, une certaine idée de l’image et de la place des femmes dans la société. Rares, en effet, sont les jeunes filles qui le portent spontanément, en dehors de toute pression de la famille ou du milieu dans lequel elles vivent. A cet égard, certains témoignages sont édifiants.

Les auditions ont également démontré que cette question du « voile », n’est qu’un des aspects des difficultés que rencontre l’école du fait de pratiques religieuses problématiques, tels que l’absentéisme certains jours, le refus d’assister à certains types d’enseignements, quand ce n’est pas le refus de suivre les cours de certains professeurs ou la contestation très orientée du contenu des enseignements dispensés.

Il apparaît que l’école qui, jusqu’à ces dernières années était un milieu protégé, est maintenant un lieu où s’expriment de plus en plus les tensions et les difficultés de notre société : incivilités, violence, actes ou propos racistes et prosélytismes en tout genre...

Par ailleurs, la question de la laïcité apparaît, à l’évidence, dépasser le cadre de l’école. Si celle-ci est aujourd’hui en première ligne confrontée au problème de la laïcité, et si c’est là qu’il faut agir de façon symbolique, la question touche également d’autres secteurs, tels que les services publics, des administrations jusqu’à présent protégées, comme l’hôpital, mais également le monde des entreprises.

Toutefois, nous n’avons pas souhaité étendre notre réflexion au-delà du cadre fixé par la Conférence des présidents, tout en ayant le souci d’analyser l’ensemble des aspects de la problématique du port des signes religieux à l’école.

A l’issue des auditions, il me semble que tous les membres de la mission ont acquis la conviction qu’il est impératif d’agir sans tarder si l’on ne veut pas que la situation actuelle, fruit d’une évolution intervenue depuis la fin des années 80, ne se dégrade au point de devenir ingérable. Nombreux ont été les intervenants, y compris les représentants des confessions, à dire que si une réponse ferme avait été apportée dès 1989, la situation ne serait pas si difficile.

Et pourtant, la situation actuelle est tellement sensible et juridiquement complexe, que le législateur, celui-là même qui, sur une question aussi fondamentale que celle de la laïcité, s’est tout au long du XIXème siècle et du début du XXème siècle, montré extrêmement offensif, est aujourd’hui acculé à une position défensive ; certains d’entre nous hésitent à faire la loi, à dire le droit.

A titre tout à fait personnel, je considère que cette position est inquiétante. La République n’a pas à s’excuser d’être elle-même. Le Parlement n’a pas à se justifier de légiférer.

Aujourd’hui, la réponse au problème auquel nous sommes confrontés me semble être essentiellement politique.

La médiatisation de tous les incidents qui surviennent dans les établissements scolaires, les prises de position publiques des différentes parties prenantes obligent le législateur à prendre position et à agir. Faute de quoi, son silence, ses hésitations, ses divisions seront interprétés par une large part de l’opinion comme un aveu de faiblesse, un signe d’impuissance, qui ne fera qu’accentuer l’attractivité des thèses extrémistes et les dérives communautaristes.

Dans ce but, la mission propose d’introduire une disposition législative, brève, simple, claire, le moins possible sujette à interprétation, posant le principe de l’interdiction du port visible de tout signe religieux et politique dans l’enceinte des établissements publics d’éducation.

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Le présent rapport, dans sa première partie, situe le contexte dans lequel la réflexion de la mission sur la question précise du port des signes religieux devait s’effectuer en rappelant les fondements historiques et la spécificité de la laïcité « à la française », un modèle original à conforter où l’école a joué et doit continuer à jouer un rôle essentiel.

Sur la base des nombreux témoignages recueillis par la mission, la deuxième partie du rapport montre en quoi les manifestations d’appartenance religieuse - et politique - révèlent les difficultés de l’école dans sa mission d’intégration et en quoi celles-ci sont le reflet des tensions et des difficultés de notre société.

L’analyse du régime juridique du port des signes religieux à l’école, qui résulte de l’avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 1989, de sa jurisprudence et des circulaires ministérielles, et les conditions dans lesquelles il s’applique sur le terrain, telles qu’elles ont été rapportées à la mission est l’objet de la troisième partie.

Les conséquences des différents constats de la mission et l’analyse des moyens susceptibles de réaffirmer le principe de laïcité à l’école sont abordées dans la dernière partie. Il est suggéré d’introduire d’une disposition législative interdisant le port visible de tout signe religieux dans l’enceinte des établissements scolaires publics et de la compléter par des mesures d’accompagnement destinées à favoriser la compréhension et l’acceptation de cette interdiction.

Jean-Louis Debré.


Source : Assemblée nationale française