Mme Françoise Raffini55, membre du bureau fédéral de la FERC-CGT, a rappelé que l’une des missions essentielles de l’école. « est d’instituer l’élève en citoyen au cours d’un long apprentissage, ce qui exige la confrontation à autrui, à d’autres modes de vie ou de comportement que les siens. En ce sens, l’enseignement du fait religieux participerait à l’instauration de ce « vivre ensemble ». Nous sommes convaincus de la nécessité du dialogue entre les représentants de l’institution, les élèves et leur famille ».

Beaucoup d’enseignants déplorent, par ailleurs, que l’enseignement de l’éducation civique juridique et sociale ait été déconnecté, notamment, de l’enseignement de l’histoire, et ne soit pas enraciné dans le socle de connaissances de base.

1.- L’école doit développer l’esprit critique sans heurter aucune croyance

Mme Elisabeth Roudinesco56, psychanalyste, directrice de recherche au département d’histoire de l’université Paris VII a réfuté devant la mission un argument, utilisé par les signataires d’une pétition en faveur de la liberté du port du voile à l’école, selon lequel « ces jeunes filles sont studieuses ». Elle a ajouté : « je me méfie de cet argument parce que je ne sais pas ce que l’on peut retirer de l’enseignement lorsqu’on se borne à apprendre comme un automate studieux. Développe-t-on vraiment la pensée critique sous un voile en ingurgitant un savoir sur lequel on n’a pas de recul critique ?(...) La mission de l’école est aussi de faire naître chez l’élève, dans certaines limites bien sûr, un esprit critique sur ce qu’on lui enseigne, voire un esprit de rébellion par la parole. En tout cas, la mission de l’école n’est certainement pas de confiner l’élève dans un silence voilé ».

La mission a noté que pour beaucoup d’acteurs du secteur éducatif, l’école ne doit pas s’éloigner des valeurs constitutives de la République et de la démocratie et notamment de la laïcité et de l’égalité des droits, qu’elle doit appliquer et transmettre. Cela nécessite, comme l’a mentionné M. Hubert Duchscher57, secrétaire national du Syndicat national unitaire des professeurs d’école (SNUIPP), « d’assurer l’éducation et la formation, en dehors des religions ou de tout autre groupe de pression. C’est une qualité qui ne se vérifie pas toujours dans d’autres pays européens aux yeux desquels il est parfois difficile de faire valoir notre spécificité en la matière ».

La crainte d’un recul de la démocratie a été évoquée - d’ailleurs le plus souvent à travers l’augmentation de l’abstentionnisme aux élections - et une réelle attente est exprimée pour que l’école joue pleinement son rôle dans la réconciliation des citoyens et de leurs institutions.

L’école républicaine est universelle, d’une part parce qu’elle est destinée à tous les enfants et d’autre part, parce qu’elle dispense à tous un enseignement identique, fondé sur la raison.

Dans un pays, comme la France, historiquement très marqué par l’influence d’une religion, le processus d’affranchissement des règles de la vie commune, de toute confession religieuse, a permis non seulement un accès aux principes fondamentaux de liberté et d’égalité mais a également favorisé le respect de toutes les religions.

Organiser la liberté religieuse et former les consciences et les intelligences au principe de laïcité passe donc par la nécessité, à l’école avant tout, d’interdire qu’un ou plusieurs cultes envahissent visiblement l’espace public. Il serait paradoxal de retourner contre la laïcité sa tradition conciliatrice en transformant son respect de toutes les religions en droits spécifiques propres à chacune.

La laïcité n’est pas uniquement un mode de régulation des relations entre l’Etat et ses institutions d’une part et les religions d’autre part. Elle a ses valeurs propres qui ont contribué à façonner la démocratie. Elle associe la liberté fondée sur l’autonomie de jugement, le souci de l’universel qui relativise les appartenances, sans les nier, et l’égalité des droits indépendamment des origines et des convictions.

L’apprentissage de ces valeurs à l’école passe obligatoirement par la capacité de l’institution à imposer le respect de toutes les convictions, sans permettre leur affirmation péremptoire.

Il ne s’agit certainement pas de « profiler » des futurs citoyens uniformisés et de faire prévaloir une sorte de consensus d’opinions affadies, mais de constituer un socle commun d’appartenance et de valeurs. Il s’agit également, face à de jeunes élèves en construction, le plus souvent mineurs, de les protéger de toutes formes de pressions, afin que l’accès au savoir devienne pour eux, le moyen privilégié de développement de leur identité et de leur autonomie.

Ce rappel des missions de l’école et des droits et obligations des élèves constituait l’objet principal des circulaires ministérielles du 12 décembre 1989 et du 20 septembre 1994. Malheureusement, force est de constater que ces textes n’ont pas eu l’impact escompté, tant sur le plan de la compréhension du sens de la laïcité que sur la disparition des perturbations liées aux revendications d’appartenance religieuse ou identitaire.

C’est ce qu’a rappelé, devant la mission, M. Hubert Raguin58, secrétaire fédéral de Force Ouvrière enseignement. Il considère qu’il faut rétablir les règles traditionnelles et restaurer les principes, à savoir le respect de la stricte neutralité religieuse de l’enseignement public. Les dérives constatées, notamment en ce qui concerne les facilités reconnues aux communautés, remonteraient à la loi du 10 juillet 1989 qui a accordé la liberté d’expression aux élèves. « Pour Force Ouvrière, la laïcité ne peut pas être à géométrie variable, d’un établissement ou d’une école à l’autre. Il n’appartient pas à chaque établissement, ni a fortiori à chacun des professeurs, d’interpréter ce qui est conforme, ou non, au respect de la laïcité ». Pourtant, ce syndicat est opposé à l’adoption d’une loi.

M. Patrick Gonthier1, de l’UNSA-Education, a également constaté que la circulaire du 12 décembre 1989 s’était bien assigné, à terme, l’objectif du retrait du port de signes religieux. Malheureusement, selon lui, quatorze années après, « les faits ont confirmé nos inquiétudes. La gestion purement disciplinaire, inscrite dans les règlements des établissements, montre ses limites. Le vide juridique perdure, les contentieux pourraient se multiplier ». Il constate pourtant que « une solution politique est devenue nécessaire ».

Si l’éducation est un processus qui doit conduire à l’autonomie du jugement, ce processus ne peut commencer par l’affichage d’une allégeance ou de certitudes prédéterminées. Arborer un signe ou une tenue révélant une appartenance c’est affirmer par avance ce qu’il faut croire et se fermer à toute connaissance nouvelle qui pourrait en faire douter.

L’enseignement laïque transmet les œuvres et les conquêtes de l’esprit humain, il doit relater les visions du monde, religieuse ou autre, qui ont leur place dans ce panorama, sans qu’aucune forme de pression ou d’autocensure ne conduise à les invalider, à les valoriser ou à les censurer.

L’école ne doit pas devenir un supermarché de la connaissance où s’échangeraient une offre d’apprentissage et une demande sélective de savoirs. Elle a parmi ses missions celle de contribuer à la formation d’esprits libres et aptes au jugement critique. Pour cela les enseignants, astreints à une stricte neutralité dans leur démarche intellectuelle et leur comportement, doivent privilégier l’universel sur le particulier et aider les élèves à se distancier de l’emprise familiale, religieuse et culturelle.

Il ne faut toutefois pas confondre approche universelle des connaissances, c’est-à-dire ce qui est commun à l’humanité, et nivellement total des savoirs.

Un détour par l’expérience individuelle de chacun peut constituer un outil pédagogique utile dans des classes où se côtoient des origines très diverses, mais cette démarche doit valoriser, à travers la tolérance, la curiosité et l’ouverture à la diversité, ce qui rapproche les élèves et faire reculer ce qui enferme et ce qui sépare.

Pour cette raison la mission estime qu’il faut tenir compte des propos de M. Hubert Duchscher59, du SNUIPP, lorsqu’il dit « il faut considérer que l’école est source d’émancipation, de tolérance, d’éducation ouverte à la citoyenneté pour tous les jeunes. En ce sens, si les enseignants se voient contraints de procéder à l’exclusion d’un élève, c’est qu’ils ont échoué dans leur mission, ce qui est un constat toujours très douloureux et très mal vécu ». Il est bien certain que tout doit être fait pour faire conduire tous les élèves à adhérer aux principes de fonctionnement de l’enseignement, afin d’éviter au maximum les solutions radicales.

Cette haute idée de la mission éducative, indispensable à la formation d’une conscience collective et à la découverte de la citoyenneté passe par l’instauration de règles, au sein des établissements, qui doivent favoriser l’apprentissage du « vivre ensemble » et inculquer aux élèves une perception claire de la limite de leurs droits et de leurs devoirs envers l’école et les autres membres de la communauté éducative.

C’est pourquoi l’école a besoin de distance par rapport aux conflits et aux problèmes qui traversent la société et le monde, même si elle ne peut évidemment les ignorer. Les symboles vestimentaires ou les signes d’appartenance visibles remettent en cause la neutralité nécessaire à la mission de l’école parce qu’ils sont source de discrimination, voire de conflits.

L’école doit garantir à chacun la possibilité de se mettre à distance des appartenances et des croyances des autres mais aussi des siennes propres. C’est le seul moyen de permettre sans arrière-pensée de domination, des échanges et de la fluidité entre les croyances individuelles. C’est la vraie garantie de la liberté de conscience des élèves.

Enfin, la relation égalitaire entre les garçons et les filles se construit à l’école. La mission est convaincue que si, par exemple, une élève porte le voile elle s’inscrit dans une forme de différentiation qui peut sous-entendre que le respect des filles par les garçons est subordonné à une tenue spéciale. C’est le sens de la remarque de Mme Elisabeth Roudinesco60, psychanaliste, à propos de : « l’idée, souvent invoquée par les jeunes filles elles-mêmes, que celles qui ne se voilent pas sont impudiques et impures ».

2.- Les conflits et les revendications communautaires n’ont pas leur place à l’école

M. Patrick Gonthier61, de l’UNSA-Education, a attiré l’attention de la mission sur le problème de la revendication de droits spécifiques à l’école en fonction d’appartenance religieuse ou autre en estimant que : « La manifestation d’expression des convictions ne peut être fondée sur une différence de droits, laissée à l’appréciation des établissements ».

Votre Président considère utile de rappeler que le principe constitutionnel d’égalité devant la loi, sans distinction d’origine, de race ou de religion et celui selon lequel les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune, excluent tout différentialisme juridique fondé sur la religion, la coutume ou la tradition familiale.

Les revendications dans le cadre scolaire, de droits de dispenses ou d’avantages, en référence à ces spécificités religieuses ou traditionnelles, non seulement sont contraires aux principes fondamentaux de la République, mais tendent à faire de l’école un champ clos d’affrontements reproduisant ceux des adultes, comme cela a été plusieurs fois rappelé devant la mission.

M. Hubert Tison62, membre de l’association des professeurs d’histoire et de géographie, a fait état de « tentatives d’ingérence soit d’organisations, soit de personnalités religieuses ou politiques, [qui] se font jour dans les contenus d’enseignement ou dans la formation des maîtres Beaucoup de professeurs font face à ces incidents, d’autres craquent ou passent vite sur les faits controversés pour ne pas susciter de conflits internes ».

Ceux ou celles qui croient ainsi affirmer leur liberté religieuse ou leur liberté d’expression mettent gravement en péril la laïcité dont ils se revendiquent en livrant l’école à toutes sortes de pressions communautaristes dont ils pourraient devenir les victimes. Une telle juxtaposition de droits et de situations spécifiques réduirait la laïcité à une simple laïcité d’accueil.

L’égalité de tous à travers l’interdiction de toute forme visible d’affichage d’une croyance religieuse ou politique est la véritable garantie de la liberté de conscience.

De surcroît, les partisans de ce communautarisme feignent de penser qu’un croyant est nécessairement rattaché et soumis à une communauté constituée. Or de nombreuses études sociologiques démontrent exactement le contraire. Pour toutes les religions, y compris l’islam, les pratiques religieuses en Europe sont fortement individualisées et les croyants sont davantage dispersés qu’organisés, au sein de la société. La démarche communautariste qui vise à enfermer des individus dans un fonctionnement univoque au nom d’une religion n’est en fait qu’un moyen d’exercer un pouvoir politique et moral sur ces individus. Il ne faut jamais perdre de vue, comme cela a été rappelé par plusieurs observateurs devant la mission, que face aux poussées de l’intégrisme religieux, le nombre de pratiquants musulmans en France est minime, sans doute moins de 12 % de la communauté musulmane, selon un article de René Rémond paru dans le journal « La Croix » le 23 juin dernier.

Ces chiffres coïncident avec ceux de M. Yves Bertrand63, directeur central des renseignements généraux, lorsqu’il dit que sur les 1 534 mosquées présentes en France, 1 147 accueillent moins de cent fidèles et 12 seulement dépassent le seuil des mille pratiquants.

En réalité, les revendications de type communautariste ne reposent actuellement en France sur aucune réalité sociologique et sont un facteur d’agitation politique utilisé par un petit nombre d’individus.

A l’inverse, l’individualisation de la conscience qui veut penser par elle-même est une conquête de la pensée européenne en faveur de la liberté individuelle et de la formation d’une réelle identité personnelle.

L’effet de contagion des revendications d’un traitement particulier, pour des motifs religieux, ne pourrait qu’aboutir à la disparition de la communauté scolaire au profit de plusieurs petites communautés aux intérêts et aux rythmes divergents. Autoriser le simple port de signes d’appartenance spécifique est, en raison de leur forte valeur symbolique, le point de départ de dérives qui, à terme, mettront à mal le lien social.

Il faut donc éviter que les établissements scolaires perdent leur identité principale qui est d’être un lieu d’études et de savoir en devenant des terrains d’expérimentation de revendications identitaires et, occasionnellement, d’affrontements liés à un sentiment d’appartenance communautaire occultant toute réflexion. De même, la violence raciste constatée trop souvent à l’école est une forme de communautarisme. C’est en redonnant à l’école tout son poids et tout son rôle dans la diffusion d’un savoir neutre et supplantant les croyances et les préjugés que l’on fera reculer la détestation de l’autre.

L’école publique est aujourd’hui parfois considérée comme un lieu dangereux par certaines familles et il faut impérativement renverser cette tendance.


Source : Assemblée nationale française