1.- La prise en compte du caractère propre des établissements privés sous contrat

La nécessaire clarification de l’application du principe de laïcité dans les établissements d’enseignement doit-elle s’appliquer aux établissements d’enseignement privés ayant passé avec l’Etat un contrat d’association ? Cette question a fait l’objet de nombreux débats au sein de la mission.

Il convient de souligner, en premier lieu, que la question ne se pose pas pour les établissements privés hors contrat qui ne font pas partie du service public de l’Education nationale : le dispositif législatif ne leur serait donc pas appliqué.

Plusieurs éléments militent en faveur de l’extension de l’interdiction du port, par les élèves, de signes religieux et politiques aux établissements privés sous contrat.

Ces établissements font partie du service public de l’enseignement et à ce titre sont soumis à des obligations de service public, tel que le respect des convictions personnelles des élèves.

Le second alinéa de l’article L.442-5 du code de l’Education précise, en effet, que, dans le cadre d’un contrat d’association l’enseignement est dispensé selon les règles et programmes de l’enseignement public. De plus, l’article L.442-1 du code de l’Education, introduit par la loi du 31 décembre 1959, dispose que l’établissement privé sous contrat, tout en conservant son caractère propre, doit dispenser l’enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Par ailleurs, l’article prescrit que tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances ont accès à ces établissements.

Se pose, dès lors, la portée juridique du « caractère propre » des établissements privés sous contrat.

Interrogé par la mission, M. Roger Errera63, conseiller d’État, a défini ainsi le caractère propre des établissements privés : « La loi ne définit pas le caractère propre, la jurisprudence non plus. On le discerne bien en distinguant ce qui est de l’éducation et ce qui relève de l’enseignement. Le caractère propre, c’est la « valeur différente » de l’enseignement privé, le style de l’éducation, l’encadrement, les activités post-scolaires, les formes de la vie pédagogique, les rapports avec les familles, avec les élèves, la disposition même des locaux, les valeurs au nom desquelles cet établissement a été créé... »

Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 23 novembre 197764, a indiqué que la sauvegarde du caractère propre d’un établissement lié à l’Etat par contrat n’est que la mise en œuvre du principe de la liberté d’enseignement. Dans la même décision, il est précisé que l’obligation imposée aux maîtres de respecter le caractère propre de l’établissement, si elle leur fait un devoir de réserve, ne saurait être interprétée comme permettant une atteinte à leur liberté de conscience.

Une seconde décision du Conseil constitutionnel, en date du 18 janvier 1985, confirme que la reconnaissance du caractère propre des établissements d’enseignement privés n’est que la mise en œuvre du principe de la liberté d’enseignement.

La mention du caractère propre ne semble donc pas avoir d’autre portée que de garantir la liberté d’enseignement et d’affirmer l’existence de deux types d’établissements, sans remettre en cause l’obligation de respecter l’intégralité des règles de fonctionnement du service public de l’enseignement.

Dans cette logique, le caractère propre n’ouvrirait aucun espace aux établissements privés sous contrat pour restreindre ou élargir les libertés publiques applicables au milieu scolaire. Le seul droit spécifique auquel s’attacherait le caractère propre serait celui de créer un établissement scolaire à caractère confessionnel dans le respect des obligations requises par la loi.

Le Conseil d’État a eu aussi à connaître à deux reprises65 du problème de la portée juridique du caractère propre d’un établissement privé, au regard des obligations qui en découlent pour le personnel enseignant.

Comme le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État considère que la liberté d’enseignement consacrée par le caractère propre d’un établissement ne permet ni d’évincer ni de limiter les autres libertés fondamentales au sein de l’établissement, telles qu’elles s’appliquent dans les établissements publics.

Au contraire, interrogés sur le caractère propre, des représentants de l’enseignement confessionnel ont tenté de définir la notion. Lors de son audition, M. Chamoux66, directeur du collège privé Saint-Mauront de Marseille a souligné « En fait, le caractère propre, selon moi, ne réside pas seulement dans ces temps, mais irrigue la vie de tous les jours. Quand on vit sa foi, forcément, l’on pose question aux autres. Est-ce ostentatoire ? Je ne le sais pas, mais forcément des personnes vivent différemment. (...) Le caractère propre, c’est la vie au quotidien. C’est la rencontre avec l’autre, la discussion avec l’autre, des temps d’échange : pourquoi je fais le ramadan, pourquoi, vous chrétiens, faites le carême ? Que faites-vous pendant le ramadan, pendant le carême ? Je situe le caractère propre dans la vie de tous les jours, davantage que dans les temps précis réservés aux catholiques. Il est dans le témoignage d’ouverture aux autres. »

C’est dans ce contexte incertain que l’extension de l’interdiction du port des signes religieux a fait l’objet de débats au sein de la mission.

Certains membres de la mission ont considéré que le caractère propre des établissements privés ne concerne que la garantie de la liberté d’enseignement et implique simplement l’existence de deux types d’établissements. Surtout, ils considèrent que les établissements privés sous contrat font partie du service public de l’enseignement, qu’à ce titre ils sont subventionnés et que, par conséquent, ils doivent garantir, comme les établissements publics, le principe de laïcité.

D’autres membres de la mission ont considéré, au contraire, que la notion de « caractère propre » des établissements privés sous contrat est au cœur de l’identité, de la spécificité des ces établissements et de la relation particulière qu’ils entretiennent avec les religions, comme en témoigne le fait que les enseignants peuvent être des religieux. Ils sont donc opposés à l’extension du dispositif à ces établissements scolaires.

Ayant constaté qu’un consensus n’a pu s’établir sur l’extension de l’interdiction de tout port visible de signes religieux et politiques aux établissements privés sous contrat en raison de leur caractère propre, votre Président vous propose de ne pas prendre de mesures dans ce domaine et, ainsi, de ne pas inclure les établissements privés sous contrat dans le champ d’application de la disposition législative envisagée.

2.- Un dispositif législatif qui ne remet pas en cause le régime spécifique de l’Alsace-Moselle

La majorité des membres de la mission a estimé nécessaire de prendre en compte la spécificité du droit local applicable dans ces départements.

En effet, le statut scolaire d’Alsace-Moselle est fortement marqué par la présence de la religion dans l’enseignement public et à l’école privée. Comme cela a été indiqué dans la première partie du présent rapport, le régime applicable en Alsace-Moselle est le résultat d’un héritage historique dont les effets sont aujourd’hui encore très présents.

Le principe de neutralité scolaire ne s’applique pas puisque les dispositions abrogées pour le reste de la France de la loi du 15 mars 1850 sur l’enseignement - dite « loi Falloux » - demeurent applicables en Alsace-Moselle. Cette situation emporte trois conséquences : les écoles sont confessionnelles ou interconfessionnelles, les communes peuvent employer des maîtres congréganistes et l’enseignement religieux est inscrit dans le programme obligatoire.

Actuellement, seuls sont assurés des cours de religion pour les quatre cultes reconnus : Eglise catholique (diocèse de Metz et archidiocèse de Strasbourg), Eglise de la confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine (luthérienne), l’Eglise réformée d’Alsace et de Lorraine (calviniste) et la communauté israélite. Les cultes non reconnus ne peuvent être enseignés à l’école publique. C’est le cas notamment du bouddhisme et du culte musulman.

Les écoles primaires peuvent être confessionnelles (relevant de l’un des quatre cultes reconnus) ou interconfessionnelles (mixtes). Dans le premier cas, les enseignements peuvent être assurés par des maîtres relevant d’une congrégation. Au sein des écoles interconfessionnelles, une lettre rectorale datant de 1962 précise qu’il doit y régner une ambiance favorable à toutes les religions. Selon l’instruction rectorale du 25 mai 1962, l’enseignement religieux est dispensé séparément aux enfants des différentes confessions. Si la prière reste obligatoire, elle doit être faite de manière à correspondre aux convictions religieuses de l’ensemble de la classe. Dans les faits, l’interconfessionnalité devient un mode de concrétisation d’une forme de neutralité scolaire.

L’article 23 de la loi du 15 mars 1850 sur l’enseignement prévoit que « l’enseignement primaire comprend l’instruction morale et religieuse ». Le décret du 10 octobre 1936 relatif à la sanction de l’obligation scolaire, applicable dans les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle prévoit que « les enfants dispensés de l’enseignement religieux réglementaire par la déclaration écrite ou verbale et contresignée, faite au directeur d’école, par leur représentant légal recevront, aux lieu et place de l’enseignement religieux, un complément d’enseignement moral. »

Le décret n° 74-763 du 3 septembre 1974 relatif à l’aménagement du statut scolaire local en vigueur dans les établissements du premier degré des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle fixe, dans son article 1er, la durée hebdomadaire de la scolarité des élèves dans les écoles élémentaires à 26 heures, dont, obligatoirement, une heure d’enseignement religieux. Cette durée peut même être portée à 2 heures, dans le cadre d’un enseignement hebdomadaire de 27 heures. L’article 2 de ce même décret ajoute que « l’enseignement religieux est assuré normalement par les personnels enseignants du premier degré qui se déclarent prêts à le donner ou, à défaut, par les ministres des cultes ou par des personnes qualifiées proposées par les autorités religieuses agréés par le recteur de l’académie. »

La liste des élèves suivant tel ou tel enseignement religieux permet de faire apparaître leur confession religieuse. C’est pourquoi le décret n° 95-1045 du 22 septembre 1995 portant application des dispositions de l’article 31, alinéa 3, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, au traitement automatisé d’informations nominatives concernant l’enseignement religieux dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle permet explicitement aux établissements publics d’enseignement de « collecter, conserver et traiter les informations nominatives relatives à l’organisation de l’enseignement religieux dispensé dans ces établissements qui, directement ou indirectement, font apparaître les opinions religieuses. »

Contrairement aux établissements de l’enseignement primaire, ceux de l’enseignement secondaire ne sont pas confessionnels. L’enseignement religieux est dispensé par des personnels appartenant à différentes catégories d’agents publics rémunérés par l’Etat. Ils sont proposés pour nomination à l’administration par l’autorité religieuse.

Le régime de l’enseignement privé comporte lui aussi un certain nombre de particularités en droit local. L’ouverture des écoles privées est soumise à une loi de 1873 qui place l’ensemble des établissements scolaires primaires et secondaires sous la surveillance de l’État. Les dispositions de la loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’Etat et les établissements d’enseignement privé s’appliquent dans les trois départements à l’exception des 1er et 3ème alinéa de l’article premier qui ont trait à la liberté de conscience, à la liberté des cultes et à l’instruction religieuse.

Cependant, en vertu de l’article 2 de la loi de 1886, les collectivités territoriales peuvent financer les dépenses d’investissement des écoles primaires privées sans limitation, contrairement au droit applicable sur le reste du territoire où les communes ne peuvent consentir, en matière d’investissement, aucune aide financière, sous quelque forme que ce soit, à des écoles primaires privées et ne peuvent qu’accorder leur garantie aux emprunts contractés par elles pour « financer la construction,l’acquisition et l’aménagement de locaux d’enseignement » (article 19 de la loi n° 86-972 du 19 août 1986).

En revanche, la règle posée par l’article 69 de la loi du 15 mars 1850 selon laquelle les collectivités territoriales, ne peuvent subvenir aux besoins des établissements du second degré au-delà du dixième des dépenses annuelles de l’établissement, s’applique, y compris aux écoles secondaires ecclésiastiques, c’est-à-dire aux petits séminaires. Ces derniers peuvent toutefois être autorisés à recevoir des subventions, sans que leur montant soit plafonné à raison de leur activité cultuelle.

Les membres de la mission ont pris acte des spécificités de l’enseignement et de l’absence de principe de neutralité scolaire en Alsace-Moselle pour ne pas remettre en cause le droit local applicable dans ces départements.

En conséquence, c’est l’article L 481-1 du code de l’Education nationale qui s’appliquera, selon lequel : « Les dispositions particulières régissant l’enseignement applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle y demeurent en vigueur. »

Il reviendra donc aux départements concernés de définir le droit applicable dans ce domaine, étant précisé, comme cela a été indiqué à la mission par le ministre de l’éducation nationale, qu’en l’état actuel du droit, il n’y a pas de règles spéciale à l’Alsace-Moselle concernant le port de signes religieux par les élèves.

3.- Un dispositif législatif qui ne remet pas en cause les régimes spécifiques de certaines collectivités d’outre-mer

Compte tenu des spécificités juridiques de Mayotte, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Wallis-et-Futuna, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie en matière d’enseignement, et de la compétence de certaines de ces collectivités en matière d’enseignement, la mission a également décidé de ne pas leur étendre ce dispositif législatif.


Source : Assemblée nationale française