du Cabinet Ernst & Young

(procès-verbal de la séance du mercredi 8 octobre 2003)

Le président Pascal CLÉMENT : J’ai le plaisir d’accueillir MM. Didier Hoff et Jean-Pascal Amoros, respectivement expert en rémunérations chez Ernst & Young Law et avocat associé dans ce même cabinet, ainsi que M. Philippe Reigné, agrégé des facultés de droit.

Vous êtes, comme notre précédent intervenant, des praticiens des rémunérations mais votre action se situe en dehors de l’entreprise, comme conseils. Nous avons souhaité vous entendre afin que soient clairement posés les termes du débat. La publication des rémunérations des dirigeants sociaux, que la loi de sécurité financière a limitée aux sociétés cotées, représente en effet un progrès. Je crois cependant que cette réforme importante ne s’est pas accompagnée de la pédagogie nécessaire : des montants, souvent élevés, ont été mis sur la place publique, sans que l’on comprenne toujours bien quelle réalité ils recouvraient. Notre mission a, je crois, le devoir de bien distinguer entre les rémunérations normales - vous nous direz si l’on peut tenter d’en donner une définition - et les rémunérations excessives.

Vous avez, dans cet esprit de pédagogie, préparé un document et je vous en remercie. Je vais vous demander de le présenter puis nous vous poserons des questions.

M. Jean-Pascal AMOROS : Nous représentons, au sein du cabinet d’avocats, une petite cellule qui s’intéresse aux systèmes de rémunération, à la fois sous l’angle juridique, analytique - quelle est la structure des rémunérations ? - et comparatif, puisque nous fonctionnons aussi comme une observatoire des pratiques qui influencent les conseils que nous pouvons rendre à nos clients. C’est par ce panorama que nous débuterons notre présentation avec Didier Hoff. Philippe Reigné abordera ensuite les aspects juridiques de la transparence. Pour ma part, je conclurai en présentant les mécanismes de rémunération pratiqués au sein des entreprises.

M. Didier HOFF : Avant de vous présenter la structure de rémunération dans quatre pays - États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne et France - , je voudrais rappeler les principaux étages qui constituent la rémunération totale des cadres dirigeants. Ils sont au nombre de six :

  le salaire de base, censé rémunérer les compétences ;

  la partie variable à court terme, mesurant la performance annuelle ;

  la partie variable à moyen terme, reflet de la performance de l’entreprise à un horizon de trois à quatre ans ;

  la partie variable à long terme, censée rétribuer la création de valeur durable dans un laps de temps supérieur à quatre ans ;

  les mécanismes de retraite, qui permettent d’avoir une rémunération différée et de compléter les retraites de base des régimes légaux ;

  enfin, les indemnités de départ, les fameux golden parachutes, qui ont une double fonction : compenser la perte d’emploi ou réparer un préjudice.

En France, il existe un mécanisme de salaire de base, à savoir le salaire fixe, défini par un contrat de travail - ou par un contrat de droit civil pour les mandataires sociaux - et des mécanismes de bonus numéraires versés annuellement, qui représentent la rémunération variable de court terme. Si l’on retrouve également ces deux étages aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, il existe cependant aussi, dans ces trois pays, plusieurs mécanismes de rémunération variable à moyen terme. Ainsi, aux États-Unis, par exemple, la rémunération variable à moyen terme - c’est-à-dire à un horizon de trois ou quatre ans - est composée, en premier lieu, de stock options, nombre de plans prévoyant une acquisition des droits par part de tranche de 25 % par an. Elle est constituée, en deuxième lieu, par des actions gratuites, et enfin, par les sars (Stock Appreciation Rights), ces Phantom Stocks, qui permettent de recevoir, en année n + 3 ou n + 4, une somme en cash égale à l’augmentation de la valeur de l’action sous-jacente en année n. Dans les quatre pays cités, la variable de long terme est constituée par les stock options. Viennent ensuite les retraites, principalement à prestations définies, seul mécanisme permettant de compenser les systèmes à cotisations définies, inadaptés pour les cadres dirigeants. Le dernier étage est constitué par les indemnités de séparation.

Première conclusion intéressante : la France ne connaît pas de mécanisme de rémunération à moyen terme.

J’aborderai ensuite la question de la répartition entre ces différents outils au sein de la rémunération totale, à partir d’une reconstitution des éléments de rémunération basés sur la médiane des indices boursiers des pays respectifs : cac 40 pour la France, FTSE 50 pour la Grande-Bretagne, DAX 30 pour l’Allemagne et S&P 500 pour les États-Unis.

Aux États-Unis, il existe cinq étages de rémunération : le salaire de base (environ 12 % de la rémunération totale), le bonus annuel (11 %), les sars (17 %), les actions gratuites (15 %) et les stocks options (45 %).

Au Royaume-Uni, on en compte également cinq : le salaire de base (près de 40 %), le bonus annuel (17 %), le bonus moyen terme (13 %), les actions gratuites (8 %) et les stocks options (22 %).

En Allemagne, la rémunération est divisée en quatre parties : le salaire de base (33 %), le bonus annuel (24 %), les sars (7 %) et les stock options (36 %).

En France, la structure de rémunération des dirigeants se décompose en trois parties : le salaire de base (16 %), le bonus annuel (14 %) et les stocks options (70 %).

La surpondération des stock options en France est particulièrement frappante : elle s’explique par le manque d’outil à moyen terme, les options ayant, en France, une double finalité : rémunérer la performance à moyen et long terme.

Si l’on s’intéresse ensuite aux niveaux de rémunération, il est intéressant de comparer le salaire de base et le bonus annuel dans les quatre pays. Il faut savoir que, par rapport aux salaires médians de ces différents indices, il y a très peu d’écart, puisqu’en France, il se situe aux alentours de 1,6 million d’euros, en Allemagne de 1,8 million d’euros, au Royaume-Uni de 1,5 million d’euros et aux États-Unis de 1,6 million d’euros. Par conséquent, la rémunération fixe augmentée du bonus annuel est à peu près équivalente dans ces quatre pays. Le décalage qui peut exister est lié aux autres éléments de rémunération. À cet égard, la question qui se pose en France concerne le rôle des stock options. Le fait d’avoir mis en place un mécanisme qui comblait le vide ne permet pas pour autant de répondre à la définition d’une structure de rémunérations qui permette de mesurer réellement la performance des cadres dirigeants. Alors que les stock options sont, à la base, un outil servant à récompenser la création de valeur durable, c’est-à-dire au-delà de cinq ans, elles sont aujourd’hui utilisées comme un mécanisme hybride destiné à combler un vide, qui ne joue pas son rôle de garantie d’un alignement de la rémunération des cadres dirigeants sur l’intérêt des actionnaires à long terme.

La fiscalité fournit un facteur d’explication à ce dévoiement du rôle des options. Ainsi, le régime fiscal français des stock options conduit les entreprises à mettre en place des plans dont les titres ne peuvent être levés avant quatre ans puisque, dans l’hypothèse d’une levée de cession avant quatre ans, c’est la fiscalité des salaires qui s’applique, ce qui suppose une imposition sur le taux marginal aujourd’hui à 49,08 %, majorée des cotisations sociales. Au-delà de quatre ans, les taux spécifiques sont de 40 et 50 % (au-delà de 152 500 euros), avec une possibilité de garder les titres pendant deux ans, ce qui diminue les taux, qui s’établissent alors à 26 et 40 %. En conséquence, pour favoriser l’émergence d’un élément de moyen terme de la rémunération, il faudrait adopter des mesures fiscales spécifiques. Par exemple, à la suite de l’annonce faite par Microsoft, on pourrait étudier l’éventualité de mettre en place des mécanismes d’actions gratuites qui présenteraient deux intérêts :

  mesurer la performance de l’entreprise sur une durée de trois à quatre ans, soit en valeur absolue, soit par rapport à un panier de concurrents ;

  mettre en place un élément de rémunération déconnecté de l’augmentation du cours de bourse.

M. Philippe REIGNÉ : J’aborderai maintenant l’analyse juridique des rémunérations. Tout d’abord, je rappellerai quelques faits historiques, dans la mesure où, lorsque l’on évoque la transparence des rémunérations, il faut tout d’abord considérer la situation de départ. Avant 1966, sous l’empire de la loi de 1867 sur les sociétés par actions, les rémunérations qui étaient attribuées, à l’époque, au président-directeur général et aux directeurs généraux adjoints relevaient de la procédure des conventions réglementées. C’est ce que décidait la jurisprudence sous l’empire de la loi de 1867.

Après 1966, le législateur a souhaité mettre fin à cette jurisprudence et y est d’ailleurs parvenu. Il a prévu, d’une part, que la rémunération du président du conseil d’administration serait fixée par le conseil d’administration. Il a donc, en quelque sorte, écarté la procédure de contrôle des conventions réglementées. D’autre part, il a prévu une information globale portant sur la somme des rémunérations versées aux cinq ou dix personnes les mieux rémunérées dans l’entreprise. En 1980, la jurisprudence a entériné cette évolution législative et a considéré que les rémunérations ne relevaient plus de la procédure de contrôle des conventions réglementées.

La loi sur les nouvelles régulations économiques (nre) du 15 mai 2001 a introduit deux nouveautés. En premier, lieu, elle prévoit un rapport spécial extrêmement détaillé sur les options ; certes, un rapport était déjà prévu par la législation de 1970, mais son contenu n’était pas nominatif. En second lieu, elle impose la publicité, via le rapport de gestion, du montant de la rémunération de chaque mandataire social, ainsi que les avantages de toutes natures dont il bénéficie. Rédigés un peu trop précipitamment, ces textes ont suscité très rapidement, dans la pratique, des difficultés considérables d’interprétation puisqu’ils se sont traduits par des rapports extrêmement hétérogènes, en sorte qu’il est impossible ou très difficile de faire des comparaisons entre les rapports de diverses sociétés. Par ailleurs - et c’est là un point essentiel -, les rapports de gestion ne comportent aucune information sur les structures de rémunération : ne figure aucune explication entre les différentes composantes de la rémunération des dirigeants, tout étant globalisé et seul le montant total apparaissant. Même si certaines sociétés fournissent des informations plus ou moins détaillées, le texte tel qu’il est rédigé permet à peu près toutes les pratiques. Tout au contraire, aux États-Unis, la sec a élaboré un formulaire très précis, le DEF14A, qui impose aux sociétés cotées de communiquer :

  le détail de la rémunération poste par poste,

  la politique et les pratiques de la société en matière de rémunération ;

  le rôle du comité de rémunération ;

  une présentation des engagements de retraite pris par la société au profit de ses dirigeants ;

  une explication détaillée de chaque mécanisme de rémunération, qui peut être assez complexe, notamment s’agissant des composantes variables.

Au total, si, indéniablement, la France a fait un progrès notable en matière de transparence des rémunérations, en revanche, l’application qui est faite des textes doit encore être améliorée. Peut-être conviendrait-il de s’inspirer de la pratique des États-Unis et de confier à la cob aujourd’hui et à l’amf demain, le soin de définir plus précisément le contenu du rapport sur les rémunérations qui doit être soumis par les sociétés cotées.

M. Jean-Pascal AMOROS : Pour ma part, je ferai un point sur les mécanismes de détermination et d’autorisation des rémunérations. La rémunération des dirigeants qui ont des mandats de direction - président-directeur général quand il y a cumul de ces deux mandats, directeur général ou membre du directoire - est fixée par le conseil d’administration, ou par le conseil de surveillance dans les sociétés anonymes de type dual. S’agissant des mandats d’administrateur, leur rémunération est fixée par l’assemblée générale sous forme de jetons de présence. S’agissant des directeurs techniques, elle est fixée sur proposition de la direction générale et, le cas échéant, après instruction par des comités ad hoc.

L’importance du sujet, notamment au regard de sa médiatisation croissante, confère au conseil d’administration ou au conseil de surveillance un rôle majeur dans la vérification de la proportionnalité, de la nature et de la structure de la rémunération des dirigeants. En pratique, le conseil d’administration ne pourra jouer ce rôle que pour autant qu’il puisse s’appuyer sur des comités techniques ad hoc et, tout particulièrement, sur le comité des rémunérations dont on sait qu’il n’est pas obligatoire, même s’il est de plus en plus pratiqué par les groupes d’une certaine taille et fortement recommandé par tous les rapports sur le gouvernement d’entreprise qui ont pu être émis tant en Angleterre - le rapport Cadbury - qu’en France, notamment avec les rapports Viénot et Bouton.

Le comité des rémunérations est, en effet, déterminant du fait de sa capacité d’éclairer les décisions du conseil. Il serait, à cet égard, bon de porter à la connaissance de l’actionnaire le mécanisme de son fonctionnement : ce comité se réunit-il une ou plusieurs fois par an, quels en sont les membres, comment ces membres apportent-ils une valeur ajoutée collective à l’instruction des dossiers et, notamment, un éclairage comparatif sur les pratiques des places ? En effet, en matière de rémunération des dirigeants, il est de plus en plus important d’avoir une vision internationale, le marché des cadres dirigeants étant très largement un marché qui s’est internationalisé au cours des dernières années. Dans la mesure où l’existence d’un comité des rémunérations qui fonctionne de la manière la plus régulière possible, en s’appuyant sur des expertises et des comparaisons internationales, représente probablement la meilleure garantie, pour les conseils d’administration, de disposer d’un pouvoir de contrôle effectif, une meilleure connaissance de ces comités est souhaitable.

Que ce soit au sein de ce comité ou, plus largement, au sein du conseil, le rôle de l’administrateur est déterminant. Il a des responsabilités croissantes, notamment depuis la loi nre, et il est le gardien des grandes orientations stratégiques. Or, en termes de rémunérations, aujourd’hui, l’administrateur est très mal loti : il est payé par le système des jetons de présence, soumis à un régime fiscal peu attractif dans la mesure où leur déductibilité n’est autorisée que pour autant qu’ils ne représentent pas plus de 5 % de la moyenne des rémunérations les plus élevées de la société. C’est donc une quantité négligeable. Il y a là un paradoxe, à l’heure où le rôle de l’administrateur est croissant et déterminant quant au contrôle : sa rémunération est tout à fait obsolète par rapport à ses nouvelles prérogatives. Je souhaiterais donc conclure en soulignant que, lorsque l’on parle de la rémunération des dirigeants, il convient de ne pas omettre la rémunération de ceux qui sont, en fait, les acteurs du contrôle de cette rémunération, c’est-à-dire les administrateurs. Si l’on veut valoriser leur action, il serait probablement souhaitable de moderniser leur système de rémunération.

Je rappelle à cet égard qu’en France, les administrateurs sont exclus du mécanisme des stock options. Dès lors qu’ils concourent de manière durable à la bonne gestion de la société, il est légitime de s’interroger sur cette inéligibilité. Il faut également repenser le mécanisme des jetons de présence très pénalisant d’un point de vue fiscal et archaïque dans ses modalités de fonctionnement. En effet, c’est l’assemblée qui, collectivement, attribue une masse, laquelle est répartie entre les administrateurs par le conseil. Dans la pratique, on s’aperçoit que cela ne correspond pas nécessairement à la valeur ajoutée que ce conseil d’administration est supposé rendre dans l’exercice de contrôle et de détermination des rémunérations.

Le président Pascal CLÉMENT : Cela ne correspond pas, en moins ou en plus ?

M. Jean-Pascal AMOROS : Probablement en moins. Il existe un déficit négatif dans la rémunération de l’administrateur par rapport à sa responsabilité qui, elle, est croissante, alors que sa rémunération est constante et relativement basse.

Le président Pascal CLÉMENT : Il pourrait être intéressant que vous nous indiquiez le montant des rémunérations des administrateurs en France. Par ailleurs, je souhaiterais revenir à la question du recrutement des chefs d’entreprise. Nous aimerions savoir si tous les éléments de la rémunération figurent, ab initio, dans le contrat de travail du dirigeant et dans des conventions réglementées et s’il existe une période d’essai et une clause de révision annuelle. En effet, des affaires récentes ont pu donner le sentiment, à tort ou à raison, que les indemnités de départ avaient été fixées au moment du départ du dirigeant, presque à la sauvette. Est-ce la pratique ou l’exception ?

Dans vos fonctions de conseil, qui sont vos interlocuteurs ? Sont-ce les conseils d’administration, les comités des rémunérations ? Vous est-il demandé, par exemple, combien il en coûte de se débarrasser du pdg ? Êtes-vous, d’autre part, en relation avec des investisseurs institutionnels, les associations de fonds de pensions ou les assureurs ? Pour en revenir aux stock options, pensez-vous que la décision de Microsoft peut faire jurisprudence ? Faut-il en condamner le principe ? Pouvez-vous développer votre propos sur la surpondération des stock options dans les structures de rémunération des dirigeants français ?

Existe-t-il un marché international des dirigeants sociaux ou bien est-il segmenté par pays et par secteurs ? J’entends répondre par les pdg français auxquels on demande pourquoi ils sont tant payés, que le marché est si étroit qu’ils sont des valeurs rares. Or, la plupart des sociétés du cac 40 sont internationales.

Enfin, confirmez-vous les propos de M. Claude Bébéar, selon lesquels les dirigeants français, qui étaient dans une situation relative de sous-rémunération, sont maintenant en position quasi prééminente en Europe en matière de rémunération ?

M. Jean-Pascal AMOROS : Le départ d’un dirigeant est-il organisé dès son recrutement ? Deux techniques juridiques coexistent. La première consiste à prévoir dans le contrat de travail, donc ab initio, des clauses de séparation en cas de perte d’emploi. Ces clauses sont généralement négociées à l’occasion de l’embauche des cadres dirigeants et ont vocation à se déclencher au moment de la séparation. C’est une situation relativement répandue pour certains profils de cadre dirigeant.

La seconde technique consiste à négocier le montant des indemnités à l’occasion du départ. Par construction et par finalité, ce montant est supposé compenser un préjudice. Il s’agit là, juridiquement, de l’appréciation du juste motif et de l’indemnisation d’un préjudice lié à l’absence de juste motif. En pratique, à l’occasion de ces départs, on voit se développer des négociations transactionnelles autour de l’existence d’un litige sur le juste motif, qui se dénouent généralement par le versement d’une indemnité. Le conseil d’administration a un rôle prépondérant à jouer, s’agissant des dirigeants sociaux dans la conduite de la négociation et l’arbitrage du montant de l’indemnité.

Les deux cas de figure coexistent et s’inscrivent dans des logiques très différentes. La première est une garantie en cas de perte d’emploi pour des cadres d’un certain niveau, cadres qui sont relativement vulnérables par leur statut de dirigeant, du fait de la révocabilité ad nutum qui peut leur être imposée. Dès lors qu’ils sont en situation de combiner ce statut de dirigeant social avec un contrat de travail, ce qui suppose qu’un certain nombre de conditions juridiques soient réunies, le contrat de travail peut être une protection. La seconde se situe dans la logique de conflit et vise au versement d’indemnités pour réparation de préjudice subi.

Ces deux systèmes ne sont pas exclusifs l’un de l’autre : on peut tout à fait se situer dans un cas de figure où, nonobstant l’existence d’un golden parachute contractuel, la situation de départ occasionne un débat complémentaire, sachant que le golden parachute lui-même, en cas de conflit, peut être arbitré par le juge puisqu’il est assimilé à une clause pénale qui, dans certaines circonstances, peut être révisée à la baisse.

Je répondrai par l’affirmative à votre question sur l’existence d’un marché international des cadres dirigeants, même si cela n’est pas vrai dans tous les secteurs. En effet, dans certains secteurs d’activité, et typiquement dans un secteur comme les technologies de l’information, le marché des cadres dirigeants est très certainement mondial. À l’inverse, dans d’autres secteurs, la territorialité du cadre dirigeant est beaucoup plus circonscrite. De surcroît, le régime juridique français du cadre dirigeant, avec un fort dosage de responsabilités notamment pénales, peut entraîner une certaine nationalisation de cette fonction. Par exemple, la responsabilité pénale en matière sociale n’existe pas dans certaines juridictions étrangères.

Le président Pascal CLÉMENT : Mais est-elle souvent déclenchée ?

M. Jean-Pascal AMOROS : Non, mais là n’est pas tout à fait la question : quelle que soit la pratique, cette question fait partie des trois éléments envisagés d’un point de vue théorique par un cadre dirigeant auquel un poste est proposé. En effet, si la démarche comparative existe - comparaison du niveau et de la structure de la rémunération entre les sociétés d’un même secteur et comparaison du contexte économique global d’un pays à l’autre -, le troisième critère de choix réside dans la marge de manœuvre et la responsabilité qu’encourt un dirigeant. Même si le risque est théorique pour le dirigeant auquel on le décrit, cela peut être un élément dissuasif.

M. Didier HOFF : Pour répondre à votre question sur le niveau relatif de rémunération en France, je rappellerai, en premier lieu, que, s’agissant du salaire de base et du bonus, les principales sociétés françaises, allemandes, américaines et britanniques se situent dans la même fourchette.

Pour comparer les rémunérations totales, la difficulté vient de la méthode de valorisation de la rémunération. En effet, toutes les études menées par les cabinets de conseil en rémunération s’attachent à valoriser la rémunération au jour de l’octroi des éléments de rémunération. Par exemple, en France, pour calculer la rémunération d’un dirigeant en 2003, il faut se référer au salaire de base reçu en 2003, au bonus touché en 2003 au titre de l’exercice 2002 et aux options attribuées en 2003. Or les options attribuées en 2003 ne seront pas, pour les raisons précitées, exerçables avant quatre ans. Il convient donc de déterminer une méthode de valorisation de ce droit. En la matière, on a recours à la très célèbre formule Black-Scholes, développée en 1973 par deux financiers, qui estime le gain potentiel par rapport à des probabilités. Aujourd’hui, cet outil permet de valoriser les options qui sont négociées sur les marchés, selon la méthode suivante : l’attribution d’options d’une valeur faciale de 100 000 euros est considérée comme un avantage de 33 000 euros pour le cadre dirigeant. Avec cette méthode de valorisation, on s’aperçoit que, depuis quelques années, la France se situe à un montant global de rémunération supérieur à l’Allemagne et au Royaume-Uni. J’exclus les États-Unis qui ont toujours des pratiques de marché supérieures.

À cet égard, il est intéressant d’examiner les discussions qui ont eu lieu récemment sur les modifications des normes comptables, aux États-Unis, avec l’application de la norme FAS123 et, en Europe, avec les nouvelles normes comptables pour les comptes consolidés IFRS. Aujourd’hui, on observe que la méthode Black-Scholes n’est pas appropriée pour les options attribuées aux salariés, puisqu’une condition de présence est imposée pour pouvoir bénéficier des actions lors de la levée. Le pourcentage actuellement utilisé par les consultants de rémunérations, mais de manière très officieuse, est de 20 %. Cela supposerait donc que, pendant une année, les options ont perdu environ un tiers de leur valeur. Si l’on modifiait les valorisations existantes faites sur Black-Scholes et que l’on substituait une valorisation des options à 20 %, on constaterait que l’Angleterre, l’Allemagne et la France ont un montant global de rémunération quasi équivalent. Cependant, il faut garder présent à l’esprit que la variable provenant, en France, essentiellement des options, il s’agit d’un droit sur un gain aléatoire, tandis qu’aux États-Unis ou en Angleterre, les attributions d’actions gratuites garantissent un gain positif.

Le président Pascal CLÉMENT : La fiscalité est-elle le seul facteur expliquant la différence de structure des rémunérations ou s’agit-il d’un phénomène culturel ?

M. Didier HOFF : L’environnement comptable et fiscal est un élément très important, qui explique d’ailleurs la décision de Microsoft. En effet, les normes comptables américaines permettent aux sociétés d’attribuer des options sans prendre aucune charge comptable. En revanche, existe un mécanisme assez simple en droit fiscal aux États-Unis, que j’appellerai l’effet miroir, qui permet de comptabiliser comme une charge déductible pour la société tout élément de rémunération imposable pour le salarié. De ce fait, les options attribuées par Microsoft constituaient, lors de la levée des options, un revenu imposable pour le bénéficiaire et une charge déductible pour la société, en contrepartie d’aucune charge comptable. Ainsi, plus Microsoft attribue d’options, plus son résultat net par action augmente. Or, actuellement, se tient un débat international sur la valorisation des actions, à travers un comité de réflexion commun entre les organisations américaines et le comité européen. Nous nous dirigeons, d’une manière quasi certaine, vers une valorisation des options d’attribution comme une charge de personnel. Par ailleurs, la possibilité d’avoir une optimisation fiscale par l’attribution d’options va disparaître aux États-Unis. Une société comme Microsoft, avec la nouvelle norme comptable, aurait dû valoriser les options selon la méthode Black-Scholes. Microsoft ayant un titre très volatil, la charge comptable aurait été phénoménale. Qui plus est, l’année dernière, un projet de loi a été introduit, qui prévoyait la suppression de la possibilité de déduire la plus-value d’acquisition engendrée par le bénéficiaire au niveau de la société. Ainsi, Microsoft risquait de se trouver dans une situation dans laquelle la déduction fiscale n’était plus possible et la charge comptable énorme. On voit bien ici que l’environnement fiscal et comptable modifie les modes de rémunération : c’est en vertu de ces considérations que Microsoft souhaite aujourd’hui se détourner des stock options pour favoriser les actions gratuites. Les deux mécanismes vont continuer de coexister quelque temps.

Le président Pascal CLÉMENT : Je précise ma question relative à la dimension culturelle du problème. En France, les questions liées aux rémunérations sont toujours plus ou moins teintées d’hypocrisie, ce qui est beaucoup moins vrai dans les pays anglo-saxons. Cette dimension vous paraît-elle importante ?

M. Didier HOFF : Peut-être cet aspect joue-t-il dans la mise en œuvre de la transparence au niveau des rémunérations. Alors qu’aux États-Unis et en Grande-Bretagne, on connaît la rémunération poste par poste, en France, les données sont globales, ce qui ne permet pas de vérifier si les éléments variables de la rémunération sont liés à une performance et, le cas échéant, à quelle performance.

Le président Pascal CLÉMENT : Certains chefs d’entreprise couvriraient le risque lié aux stock options. Avez-vous connaissance de cette pratique ?

M. Didier HOFF : Oui, c’est un mécanisme qui est mis en avant par de nombreuses banques sur la place de Paris, mais il est purement privé, indépendant de l’entreprise. Il est souscrit, à titre personnel, par les bénéficiaires d’options. C’est un échange de montants de plus-value d’acquisition contre un montant garanti de gains.

Le président Pascal CLÉMENT : Pour définir un système où l’acceptabilité sociale serait plus grande, quelles seraient vos recommandations en matière de structure de la rémunération des chefs d’entreprise ?

M. Jean-Pascal AMOROS : Avoir un meilleur adossement sur la performance me paraît être un élément qui pourrait être favorablement accueilli, notamment par l’actionnaire minoritaire intéressé par la juste répartition d’une création de valeur. Cela impliquerait de mettre en place, d’une part, des stock options qui soient davantage conditionnées par la performance et, d’autre part, des mécanismes d’attribution d’actions gratuites. Ceux-ci ont cependant longtemps été défavorablement accueillis par la cob, qui considère que, dès lors qu’existent des plans d’épargne et des stock options, régimes particuliers liés à l’intéressement des salariés au capital, tout régime de droit commun est suspect. La deuxième raison tient à la prise de risque. La cob a, toutefois, très récemment, légèrement évolué dans ses positions et, par deux fois, a accepté des mécanismes un peu originaux qui s’inspirent du droit commun, pour autant qu’il y ait une prise de risque de la part du bénéficiaire. C’est le cas pour les bons de souscription d’actions (bsa) et pour les actions gratuites, dans le cadre de programmes de rachat d’actions, pour autant que le bénéficiaire achète des titres donc prenne un risque sur les titres qu’il a achetés : dans ce cas, la cob accepte que, proportionnellement aux titres achetés, il se voit attribuer des actions gratuites en nombre et à échéance, si la performance est au rendez-vous. Si ce mécanisme, qui s’inspire des mécanismes de restituted stocks ou de performance shares en Angleterre et aux États-Unis et représente l’élément de moyen terme qui manque à ce jour en France, était élargi par voie législative, cela permettrait certainement d’avoir un système équilibré, permettant un gain assuré si la performance est au rendez-vous, quand bien même les marchés sont momentanément en baisse. C’est aujourd’hui cet instrument et cette flexibilité qui manquent, en France, dans la palette des outils actuellement disponibles pour rémunérer la performance.


Source : Assemblée nationale française