(procès-verbal de la séance du mercredi 15 octobre 2003)

Le président Pascal CLÉMENT : En préalable à l’audition de M. Jean-Marie Messier, je souhaite rappeler que la mission d’information que je préside n’est pas chargée d’enquêter sur les revenus des dirigeants de société français. Lorsque le sujet est arrivé sur le devant de la scène, mes collègues Alain Marsaud et Michel Voisin ont émis le souhait que, dans le cadre de nos travaux sur la gouvernance des sociétés, nous réfléchissions à ce problème. Notre point de vue est double : d’une part, nous nous penchons sur la corrélation entre rémunération et performance de l’entreprise ; d’autre part, nous souhaitons replacer cette question dans la perspective de son acceptabilité sociale. À cet égard, le Parlement est pleinement dans son rôle dès lors que divers scandales ont pu ébranler la confiance de l’actionnariat français. Nous nous situons donc dans une problématique de transparence de la part d’entreprises qui, faisant appel public à l’épargne, ont une obligation absolue en la matière. Elles forment en effet le socle de la confiance nécessaire au fonctionnement de l’économie de marché dans laquelle nous avons choisi de vivre.

Autant dire qu’il ne s’agit en rien de faire le procès de M. Jean-Marie Messier ou d’autres, ce qui ne signifie pas que nous n’ayons pas de questions à poser à M. Messier, qui ne sont ni celles d’un procureur ni celles d’un journaliste. Tel est le cadre dans lequel se déroule l’audition de ce jour.

M. Alain MARSAUD : Je tenais, pour ma part, à préciser que c’est vous, M. Messier, qui avez pris l’initiative de demander à être entendu par notre mission et qui m’avez contacté, ainsi que Michel Voisin, à cette fin. D’autres dirigeants de société ont fait cette démarche, dans le simple but d’éclairer cette commission, dont M. Thierry Desmarest, président de Total sa. C’est pour nous le signe que les travaux de notre mission, même s’ils dérangent certains, sont aussi le moyen d’informer le Parlement et l’opinion et de réfléchir à des solutions. Je me félicite donc de n’avoir, à la différence de ce qui s’est passé pour l’audition de la semaine dernière, reçu cette semaine aucune menace de quiconque ou de conseils éclairés d’amis qui me voudraient du bien, me recommandant de modérer mon questionnement. M. Messier, vous êtes un sujet de controverse permanent. Cette position vous a sans doute amené à réfléchir et à élaborer des propositions. Nous sommes prêts à les écouter.

M. Jean-Marie MESSIER : Messieurs les députés, mesdames, messieurs, cela doit faire un an, jour pour jour, que je ne me suis pas exprimé publiquement, depuis la sortie de mon livre, après l’aventure Vivendi Universal (VU) et mon départ de cette entreprise. Si j’ai souhaité le faire devant votre commission, c’est, bien entendu, compte tenu de la nature des sujets que vous abordez, mais c’est aussi, de ma part, une reconnaissance légitime de l’importance du Parlement. C’est pourquoi je suis heureux de m’exprimer, un an après les événements, devant l’Assemblée nationale.

L’objet principal de cette audition est de me livrer à vos questions. Je tiens cependant à préciser qu’au cours de cette année de silence total, j’ai essayé de reconstruire pas à pas ma vie professionnelle, de repartir de zéro en constituant une équipe, en surmontant le vide lié à l’arrêt brutal de mes fonctions antérieures et en surmontant également le déferlement des jugements et des critiques, qu’il ait été médiatique ou, en partie, judiciaire. Je l’ai fait et continuerai à le faire de la manière la plus discrète - voire la plus secrète possible. C’est en bonne voie grâce à mon équipe et à la confiance d’un certain nombre de clients. J’ai retrouvé l’envie de bâtir et de réussir. Avec le recul, je suis également en mesure d’exprimer un certain nombre de choses de manière plus simple et plus nette.

Je tiens à dire que j’assume un certain nombre d’erreurs à la tête de VU.

Ma première erreur est d’avoir succombé à la tentation médiatique. Il n’est pas nécessaire d’insister là-dessus. Vous y êtes en partie pour quelque chose, mesdames et messieurs les journalistes, mais j’assume, j’admets cette erreur de la tentation médiatique.

Ma deuxième erreur est l’oubli de la France. J’étais tellement concentré sur la réussite de l’intégration américaine de VU que je me suis éloigné d’un certain nombre de réalités françaises. Cela m’a conduit à commettre des maladresses, parfois des erreurs, telle que l’incompréhension de la phrase sur l’exception culturelle, alors que la France est mon pays.

Je reconnais aussi l’erreur de tempo : sans doute ai-je été trop rapide dans ma politique d’acquisition et, surtout, pas suffisamment pour un certain nombre de cessions. Lorsque j’ai voulu séparer de la société, au début de l’année 2002, les métiers de l’environnement, je me suis heurté, ayant trop tardé, à des résistances nombreuses, notamment politiques. Ceux-là mêmes qui étaient opposés à cette cession l’ont d’ailleurs réalisée, neuf mois après, à moitié prix.

J’admets enfin avoir sous-estimé certaines difficultés. Je croyais tellement à ce projet, à cette ambition française que j’ai certainement sous-estimé les conséquences du 11 septembre 2001, de la panique des marchés et d’un certain nombre de haines, créées ou accumulées. Qui pouvait, d’ailleurs, imaginer ce degré de haine ? Cela a conduit à l’accumulation de tensions, même si, contrairement à ce qui a pu être dit et écrit, elles n’ont jamais mis en péril l’entreprise VU. C’est cet ensemble de facteurs qui a conduit à mon départ. Je reconnais, j’admets, j’assume ces erreurs.

Mais je revendique aussi, et je continue à revendiquer haut et fort, un sauvetage, à la fin de l’année 1994 : celui de la Générale des Eaux. Je revendique une ambition, une vraie ambition industrielle pour la France, dans le secteur clef qu’est celui de la communication. Cette ambition est bonne pour la France. Je ne crois pas à la fatalité d’une France condamnée à n’exercer aux États-Unis que des strapontins. Je revendique aussi une vision, celle de l’apport des technologies haut débit aux domaines des loisirs et de la culture. Cette vision demeure juste. Après un trou d’air de trois ans, le développement d’un certain nombre de services en prouve toute la pertinence. Je revendique une création, celle de Cegetel, en 1996, à partir d’un embryon. C’est aujourd’hui un groupe de télécommunications moderne qui compte 15 000 clients. Je ne l’oublie pas. J’ai créé avec mon équipe, grâce à Cegetel, 8 000 emplois en France. Je suis fier de Cegetel. Je revendique enfin une équipe, souvent jeune, de qualité, avec des talents formidables, de Philippe Germon à Agnès Touraine. Je suis convaincu du succès qui les attend.

Aujourd’hui, dix-huit mois après mon départ, je suis résolument tourné vers le futur. Le mien n’est plus vu, mais je me battrai pour que l’excuse d’une liquidation qui ne dit pas son nom ne fasse pas oublier ces réussites. Je me battrai pour que l’enthousiasme des équipes qui ont porté ce projet et qui allait bien au-delà de vu, notamment en ce qui concerne les jeunes Français, n’ait pas été totalement vain.

Je sais que vous avez beaucoup de questions, y compris personnelles. Je vais tenter d’y répondre, sans pudeur excessive, mais également sans concession. Parce que l’acharnement sur un homme à terre, bel acte de courage, sur le thème « Messier symbole des malheurs de la France », sert aujourd’hui aussi de paravent commode à certains pour éviter les vraies questions. Je ne me priverai pas de le souligner au cours de cette audition. Au-delà des questions de nature plus personnelle, je suis évidemment prêt à aborder les thèmes légitimes de votre mission, qui touchent à la gouvernance d’entreprise. Je le dis d’emblée : oui, la transparence est une bonne réponse aux questions de gouvernance d’entreprise. Mais toute la transparence.

Enfin, alors que je m’exprime devant la représentation nationale, je tiens à dire ma conviction, comme ancien chef d’entreprise, que la France n’est pas un sanctuaire. Aujourd’hui, tous les patrons français vivent dans un monde globalisé dont ils sont partie prenante. Il convient, dans tous les aspects du sujet traité, de garder présent à l’esprit que, pour importants que soient les travaux de votre mission, ils doivent prendre en considération le fait que la France n’est pas et ne peut pas être un sanctuaire. Tel est, M. le Président, l’état d’esprit dans lequel j’aborde cette audition dont je me réjouis et dont je vous remercie à nouveau.

Le président Pascal CLÉMENT : Après ces propos liminaires, je vous poserai un certain nombre de questions plus précises, qui portent certes sur votre expérience personnelle, mais au-delà, sur la gouvernance. Quand vous avez suggéré à Alain Marsaud de venir nous rencontrer, j’ai d’autant plus accepté que vous êtes aujourd’hui l’emblème de la période d’emballement des hautes rémunérations, qui a vu gonfler cette bulle dans les proportions que l’on connaît.

En premier lieu, êtes-vous d’accord sur ce mot d’emballement ? Jugez-vous, vous aussi, déraisonnable, voire choquant, que la rémunération de dirigeants de société ait progressé alors même que les résultats des sociétés dont ils avaient la charge étaient en chute libre ?

Pour parler plus précisément en ce qui vous concerne, nous avons pu lire que votre rémunération était indexée sur l’ebitda (Earning Before Interest Tax Depreciation and Amortization). Partagez-vous les analyses selon lesquelles indexer la partie variable de la rémunération du chef d’entreprise sur la croissance du résultat net est, d’une certaine manière, un pousse-au-crime vers le « toujours plus » en matière d’acquisitions ? De la même manière, indexer le variable d’un dirigeant sur le désendettement, alors qu’il a été nommé dans ce but, ne constitue-t-il pas aussi un pousse-au-crime ?

Dans votre livre, Mon vrai journal, faisant allusion au départ d’Edgar Bronfman, vous dites : « J’ai été réglo avec lui s’agissant des conditions de son départ, en gentleman de part et d’autre. » ? Qu’est-ce qu’un départ négocié entre gentlemen ?

Je cite encore un passage d’un autre de vos livres, J6M.com : « L’éventualité d’être viré par ses actionnaires lors d’une OPA ou pour tout autre raison, fait partie des risques normaux du métier de patron. On est payé pour cela, et bien payé. Les indemnités spéciales, ces golden parachutes, ne se justifient pas, selon moi, pour des mandataires sociaux. Mon contrat n’en prévoit pas et je m’engage vis-à-vis de mon conseil à ne jamais en négocier. » Pourquoi avez-vous changé de position ?

Avez-vous contracté un prêt pour l’achat de stock options pendant l’exercice de votre mandat chez VU et de quel montant ?

Quelles ont été les conditions de votre départ ? Avez-vous refusé que l’accord sur vos indemnités soit soumis au vote du conseil, formalité pourtant prévue par la loi française ? Auquel cas, pourquoi ?

Vous parlez également, dans votre livre, d’un « capitalisme d’influence ». Visez-vous la sociologie des conseils d’administration français, essentiellement composés d’anciens hauts fonctionnaires issus des grands corps ? Je rappelle que vous êtes vous-même issu de l’inspection des Finances. De ce point de vue, le capitalisme américain, même s’il est brutal, n’est-il pas plus sain ?

Enfin, n’avez-vous pas le sentiment qu’en abusant du système des stock options, les dirigeants ont quelque peu décrédibilisé, auprès du grand public, un outil pourtant utile et intelligent ? Je rappelle qu’en 2001, votre propre rémunération était, en fixe, de 5,2 millions d’euros - votre salaire fixe était le deuxième le plus élevé en France après celui de Lindsay Owen-Jones -, votre salaire variable atteignant plus de 31 millions d’euros. Le deuxième était également celui de M. Lindsay Owen-Jones, mais loin derrière, à 15 millions d’euros.

En conclusion, les Français ne sont pas choqués quand un patron qui, après trente ou quarante ans de vie active, après avoir créé son entreprise, pris des risques, dirigé jour et nuit cette entreprise, fait fortune. Mais les Français sont, pour le coup, choqués de voir qu’en l’espace de quelques années, grâce à un golden parachute ou des stock options considérables, l’on puisse faire une fortune supérieure à celles des véritables créateurs d’entreprise. Est en question, in fine, l’acceptabilité par la société française des hautes rémunérations des dirigeants d’entreprise.

M. Jean-Marie MESSIER : Étais-je trop payé comme patron de VU ? Je rappelle que j’avais la responsabilité de 350 000 salariés ; je travaillais dix-huit heures sur vingt-quatre et j’essayais de constituer un grand groupe français, avec, en arrière-plan, une vraie ambition industrielle française. Aurais-je été moins payé qu’on aurait néanmoins continué à dire que j’étais trop payé.

En réalité, ce qui choque le plus - et c’est, je crois, l’objet véritable de votre réflexion - c’est le fait que des patrons s’enrichissent sur le dos de leurs actionnaires, sans lien avec la réalité de la vie de ceux-ci. Ces patrons sont gagnants quand les marchés montent et ne perdent rien quand les marchés baissent.

En ce qui concerne le montant de la rémunération que je touchais comme président de VU, vous pouvez en penser ce que vous voulez. Les faits sont là : je croyais au projet de vu et, comme tout entrepreneur qui crée son entreprise et croit à son projet, j’y ai mis l’ensemble de mon épargne. Car, oui, j’ai fait un prêt pour acheter des titres de VU, que j’ai gardés. Et cette démarche fait toute la différence.

J’ai lu, dans le compte rendu que la presse a fait de l’audition de la semaine dernière, qu’à la question de savoir si les patrons sont trop payés, mon prédécesseur devant cette commission avait souligné, à propos de son successeur à la présidence d’axa, qu’avec deux millions d’euros, il était le 61e salaire d’axa. Cela m’a fait rêver parce qu’en regardant à l’intérieur de vu, je n’ai pas été en mesure de me souvenir de soixante salariés qui auraient pu toucher plus de deux millions d’euros. Pourtant, vu intervenait dans les domaines de la musique et du cinéma. Je me suis dit que, s’agissant de patrons ou de salariés trop payés, contrairement aux idées reçues, il semblerait que l’assurance paie mieux qu’Hollywood...

Votre deuxième question porte sur les critères de rémunération d’un dirigeant. En ce qui me concerne, sur l’année 2001, première année de fusion de VU, les résultats d’exploitation résultaient spécifiquement des synergies créées par la fusion des deux sociétés. Il est normal que les dirigeants soient rémunérés sur la valeur ajoutée qu’ils sont capables de créer en rapprochant deux entreprises plutôt qu’en les laissant séparées. Il est vrai qu’en 2002, le conseil d’administration y a ajouté une référence à la dette.

Quel que soit l’intérêt des réflexions que l’on peut faire à cet égard, il appartient au conseil d’administration et à son comité de rémunération de déterminer, avec l’aide de conseils extérieurs, quels sont les bons critères de rémunération, en fonction de la mission confiée au président par le conseil d’administration. Il ne peut donc pas y avoir de règles, les critères de la rémunération devant être fondés sur la mission confiée au président, qui, par définition, varie selon les cas d’espèce.

Dans ces conditions, le point essentiel concerne la transparence. Les critères de la rémunération des dirigeants sociaux doivent être rendus publics, accessibles et compréhensibles : le comment et le pourquoi doivent en être clairs. J’ajouterai que la transparence, ce ne sont ni des déclarations ni des intentions, mais une réalité et des actes.

S’agissant du départ en gentleman d’Edgar Bronfman Jr., la politesse qui est la mienne ne saurait m’empêcher de rappeler la réalité telle qu’elle était. Edgar Bronfman a bénéficié, au moment de la fusion entre VU et Seagream, non pas d’un golden parachute, mais d’un golden hello, un parachute de bienvenue, à l’image, d’ailleurs, de ce dont a bénéficié mon successeur qui, quelques mois après son arrivée, a reçu un million de stock options. Sur le fond, je crois qu’il y a quelque chose de plus condamnable et de plus difficile à appréhender dans ces golden hello que dans des négociations ultérieures. De fait, quand un conseil d’administration prend la décision d’attribuer des indemnités de départ après l’exercice d’une fonction, il peut la baser sur son appréciation des résultats et de la situation. Le golden hello est plus artificiel. Cela avait le cas pour Edgar Bronfman ; ce fut le cas pour mon successeur.

En ce qui me concerne, je n’avais pas négocié d’indemnités de départ avant l’été 2002. Jamais je n’avais posé mes conditions au conseil en disant : « si je pars, cela coûte tant. » Ce qui s’est passé à la fin du mois de juin 2002, c’est qu’à la suite de divergences à l’intérieur du conseil d’administration, de chantage à la démission et au départ et de la divulgation, par certains administrateurs américains, des divisions existant au sein du conseil d’administration, certains administrateurs français de VU ont changé d’avis à mon égard : après avoir apporté leur soutien au président que j’étais à l’époque, ils ont souhaité mon départ, mais non pas ma révocation. C’est la libre décision d’un conseil de révoquer son président ; or, tous les administrateurs français, qui ont eu l’occasion de déposer sous serment depuis un an sur ce qui s’est passé, l’ont dit : ils ne souhaitaient pas ma révocation, considérant qu’elle aurait été néfaste pour VU. Ces administrateurs ont souhaité un départ adossé sur une négociation, qu’ils ont proposée et menée. Ce n’était pas mon choix. Mon choix, que j’ai exprimé à ces administrateurs, était d’aller devant l’assemblée générale des actionnaires, qui devait avoir lieu quelques mois après, et de m’expliquer, projet contre projet. Quand je vois ce qu’il est advenu de vu, que son cours, dix-huit mois après, est de 30 % inférieur au niveau qu’il avait atteint au moment où j’ai pris la décision de quitter vu, je me dis qu’après tout, aller devant l’assemblée générale des actionnaires pour s’expliquer projet contre projet aurait été la seule bonne solution pour préserver cette ambition française. Cela étant, pour un patron, la seule chose inacceptable, c’est que sa personne soit considérée, à un moment donné, comme un handicap pour la société. C’est cet argument qui m’a décidé à partir. Je ne voulais pas que ma personne puisse être perçue comme un handicap pour la société, même si j’étais convaincu que la bonne solution pour vu était d’aller devant ses actionnaires.

C’est dans ce cadre que j’ai accepté la négociation qui était proposée et conduite par les administrateurs français et un représentant des administrateurs américains.

Pour répondre à l’une de vos questions, je n’ai pas refusé que cet accord soit présenté au conseil d’administration. Avant de signer cet accord, j’ai convoqué un conseil d’administration qui avait mis, dans son ordre du jour, l’examen de cet accord de départ. Je suis parti la veille de ce conseil d’administration auquel, de ce fait, je n’ai pas assisté. La décision a été prise ensuite, au sein du conseil, de ne pas suivre l’ordre du jour prévu et de ne pas se prononcer sur cet accord de départ. Cela n’a jamais été fait par la suite. Mais je tenais à rectifier ce point parce que, pour moi, il est fondamental : avant de signer mon accord de départ, j’ai convoqué une réunion du conseil, qui avait, à son ordre du jour transmis par le secrétaire général du conseil, la nomination de mon successeur et l’examen de cet accord. En conséquence, si la question de mes indemnités se pose encore dix-huit mois après, c’est parce que ce processus a été conduit par VU - je le dis, non pas comme je le pense, mais comme les faits le montrent - avec mauvaise foi et dans le mensonge, à plusieurs reprises, que ce soit au marché, aux actionnaires ou aux médias.

Vous m’avez demandé si j’avais emprunté de l’argent pour souscrire des plans d’options : oui, en décembre 2001, j’ai emprunté 5,3 millions d’euros auprès de la Société générale.

Le président Pascal CLÉMENT : Et aujourd’hui, êtes-vous en situation de pouvoir rembourser cette somme ?

M. Jean-Marie MESSIER : Permettez-moi, avant de répondre à votre question, d’en terminer avec la question de mes indemnités de départ. Si je me bats et vais continuer à me battre aujourd’hui pour ces indemnités, c’est parce qu’elles sont légitimes. Elles sont le fruit d’un contrat de travail, d’un accord négocié à l’initiative et par les administrateurs de vu à l’époque.

La deuxième raison pour laquelle je poursuis mon combat et n’entends pas abandonner ces indemnités, c’est parce que le respect de la signature représente le principe le plus élémentaire de la vie des affaires. Sans respect de la signature, il n’y a pas de vie des affaires. Lorsqu’en septembre dernier, VU a décidé, après en avoir débattu à son conseil, de s’engager dans une procédure d’arbitrage, j’ai pris le risque de cette procédure dans laquelle les arbitres m’ont donné unanimement raison. Ils auraient pu me donner unanimement tort. J’ai pris de bonne foi ce risque. VU a, de mauvaise foi, immédiatement renié sa signature. Il n’y a pas de vie des affaires, il n’y a pas de vie économique sans respect de la signature. C’est la deuxième raison pour laquelle je poursuis cette affaire des indemnités.

Quant à la troisième raison, oui, j’en ai besoin. J’ai quitté VU endetté. Je n’ai pas de ressources personnelles autres que la petite société que j’ai créée, je n’ai pas d’épargne restante. VU n’a honoré aucun des engagements qu’il avait vis-à-vis de moi, qu’il s’agisse du contrat de travail lui-même ou de cet accord de départ. Pour payer les frais d’avocat - notamment ceux des avocats américains - dans cette procédure d’arbitrage dans laquelle je me suis engagé de bonne foi, j’ai hypothéqué ma maison à Paris. Je ne le dis pas pour être plaint. Mais il y a une chose que j’ai appris quand j’étais enfant, que j’espère transmettre à mes enfants, et que je garde très présente à l’esprit, c’est la loi de l’effort, et non pas celle de l’argent. Par conséquent, je ne le dis pas pour me faire plaindre, mais parce que c’est la simple vérité : oui, j’en ai besoin.

Le seul enseignement que je tire de cette situation, sur le plan personnel et sur le plan financier, c’est qu’elle me donne le droit d’être un peu plus critique vis-à-vis des donneurs de leçons. À cet égard, je voudrais vous faire part d’une anecdote qui n’est pas sans lien avec l’audition de la semaine dernière. En 1998, la Générale des Eaux a pris le contrôle d’Havas, que ses résultats moyens, sur dix ans, plaçaient en avant-dernière position dans la liste des sociétés du cac 40. La situation de cet ancien groupe public n’avait donc rien de très brillant. Je me souviens néanmoins qu’à l’époque, un administrateur, Claude Bébéar, s’est gentiment proposé de négocier pour moi les indemnités de départ du président d’Havas, M. Pierre Dauzier. Il m’a demandé, au bout de douze heures, de faire un chèque de plus de 50 millions de francs, dans des conditions fiscales avantageuses. Il est bon de rappeler ce genre de choses.

Je répondrai sans concession et sans pudeur excessive. Sur le montant de ces indemnités, les différentes instances judiciaires qui ont été entamées ont confirmé l’ensemble de mes droits sur ces indemnités. Mais je comprends qu’elles puissent choquer dans un contexte français, car elles ont été fixées dans un cadre et selon des références très largement américaines. Je suis Français, attaché à ce pays et, dans ce cadre-là et en dépit du fait que mes droits aient été pleinement confirmés, si un jour une médiation est proposée en France, j’y participerai afin de mettre un terme à cette gabegie de frais d’avocat dans des procédures multiples, d’arrêter le déballage public auquel cela donne lieu, qui n’est bon ni pour Vivendi ni pour la place de Paris.

Telles sont les raisons qui expliquent à la fois ma fermeté sans faille sur le principe de ces indemnités - qui sont d’ailleurs plus que des indemnités de départ - et mon esprit d’ouverture à toute démarche de médiation.

Vous m’avez également interrogé, M. le Président, sur l’influence dans les conseils d’administration. vu est une bonne illustration d’influences qui ne passaient pas uniquement par le conseil d’administration et lui étaient extérieures. Le capitalisme américain a un caractère sain en ce sens que, quand on veut prendre le contrôle d’une société, une offre est faite à l’ensemble des actionnaires. Ce qui s’est passé pour VU est malsain dans la mesure où, en dépit de l’existence d’une forme de prise de contrôle, aucune offre n’a été faite à l’ensemble des actionnaires.

Vous avez ensuite abordé le thème des stock options, en soulignant qu’il s’agissait d’un principe sain, dont on avait cependant abusé. À la vérité, je ne suis pas totalement certain que le principe des stock options soit tellement sain. En effet, les stock options présentent un défaut majeur, dans la mesure où c’est un jackpot qui peut être énorme sans que le dirigeant ait joué un grand rôle pour ce faire. En effet, même si la performance de l’entreprise est modeste, il suffit que le marché monte. Et, à l’inverse, quand les marchés s’effondrent, même si un patron a été très performant par rapport à ses concurrents dans la gestion de son entreprise en lui faisant traverser la crise sans dégâts, ses stock options, du jour au lendemain, ne valent plus rien. C’est la raison pour laquelle j’ai quelques hésitations à faire des stock options l’instrument idéal pour la rémunération d’un chef d’entreprise. En revanche, il pourrait être intéressant d’introduire, en plus des options - voire de leur substituer - des plans valeurs, c’est-à-dire des rémunérations qui seraient basées sur les performances relatives des dirigeants par rapport à celles de leurs concurrents. En effet, si un dirigeant est dépourvu de leviers d’action sur les mouvements des marchés, que ce soit à la hausse ou à la baisse, c’est, en revanche, à lui qu’il revient de faire mieux ou moins bien que ses concurrents. Par conséquent, tout ce qui pourra être envisagé - et l’imagination financière est large - pour substituer ces plans valeurs aux stock options sera le bienvenu, avec toujours la même règle : oui à la transparence, mais à toute la transparence, c’est-à-dire appliquée à la publicité des montants, mais aussi à celle des critères d’attribution. Par exemple, il se trouve que je suis un petit actionnaire d’axa - je possède dix actions - et que celles-ci ont beaucoup perdu de leur valeur depuis que je les ai achetées. Dans le même temps, j’ai vu le nombre de stock options attribuées au président d’axa : pourquoi chaque année ? Pourquoi autant ? Leur nombre, je le rappelle, s’est élevé à 800 000 l’an dernier. Peut-être y a-t-il de bonnes raisons, mais je voudrais savoir, en tant qu’actionnaire, s’il y a eu des débats au sein du conseil d’administration sur ces attributions. Car, s’il faut laisser un maximum de responsabilités au conseil d’administration en la matière - c’est son rôle - en tant qu’actionnaire, je suis aussi en droit d’attendre la transparence, toute la transparence. La transparence des critères d’attribution est aussi importante que la transparence des montants.

M. Michel VOISIN : Je souhaite saluer la démarche qui a été la vôtre en demandant vous-même à être auditionné par la mission d’information. Je voudrais vous interroger en particulier sur les stock options qui ont été offertes à votre successeur, comme vous l’avez-vous-même rappelé. Le 26 septembre 2002, ce dernier, auditionné par la commission des Finances de l’Assemblée, a déclaré « qu’il exerçait ses fonctions de manière bénévole », ajoutant même qu’il s’était dévoué « comme l’un des sept mercenaires ». À la même époque, il lui a été attribué - je n’oserais pas dire qu’il se faisait attribuer - ce que je qualifierais de prime d’arrivée, à savoir un million d’actions VU sous forme de stock options, au cours de 12,10 euros, après seulement quelques semaines d’exercice. Si vous calculez la plus-value latente à ce jour, compte tenu de la valeur du titre, elle est de 5 millions d’euros. Dans le même temps, votre conseil d’administration, je le rappelle, négociait votre indemnité de départ. À ce moment, votre successeur mettait en place un plan de licenciement de 150 salariés.

Je vous rejoins sur le fait que le patron, c’est-à-dire celui qui prend des responsabilités, qui engage son patrimoine et qui passe son temps au service de son entreprise, doit recevoir des rémunérations élevées. Cela ne me choque en rien que ces rémunérations soient proportionnelles à la croissance de l’entreprise, tant en ce qui concerne ses résultats que sa cotation au marché ou de l’évolution de son chiffre d’affaires. En revanche, en tant que parlementaires, nous avons à nous préoccuper de ce que l’on appelle l’épargne publique. Il me semble qu’il y a un manque d’éthique, lorsque l’on voit des rémunérations multipliées par deux, trois ou quatre, voire 300 %, au moment même où les résultats de la société et son cours de bourse s’effondrent. Dès lors que l’intervention du législateur est peu envisageable dans une économie mondialisée, doit-on élaborer un code d’éthique du dirigeant ?

M. Xavier de ROUX : Le coeur du débat qui est le nôtre, au sein de cette commission, est de mettre en lumière les règles de gouvernance qu’il convient d’améliorer. Nous connaissons le constat : un certain nombre de rémunérations, qui sont élaborées dans l’opacité - du moins en donnent-elles l’impression - ne sont plus en ligne avec les résultats de l’entreprise. C’est cette déconnexion, entre des rémunérations de dirigeants qui continuent d’augmenter et des résultats ou un cours de bourse en baisse, qui est infiniment choquante. Vous indiquiez tout à l’heure que le cours de bourse n’était pas nécessairement lié à l’efficacité de l’entreprise. Certes, mais il existe tout de même un lien entre la bonne marche de l’entreprise et la façon dont le marché financier la perçoit. L’effondrement du cours de bourse ne tombe pas du ciel !

Par conséquent, si l’on veut que les Français continuent à placer une partie de leur épargne sur le marché financier, qu’une fusion, d’un point de vue social, ne soit pas source de licenciements, massifs quelquefois, puis donne lieu à une augmentation du cours de bourse, en bref, si l’on veut restaurer la confiance dans le marché, il me semble indispensable d’avoir des règles clairement énoncées dans la définition des critères déterminant la partie variable de la rémunération des dirigeants. Quelles sont les règles objectives qu’il conviendrait d’inclure dans la partie variable du salaire des dirigeants, de façon que le système soit transparent et clair ? Par ailleurs, ne serait-il pas préférable que ce soit l’assemblée générale des actionnaires qui décide du salaire des dirigeants plutôt que les membres du conseil d’administration ?

M. Christophe CARESCHE : Je voudrais rassurer M. Messier : je ne le considère absolument pas comme le bouc émissaire du capitalisme français. Selon quelques auditions que nous avons eues, j’ai bien compris que certains le verraient bien dans ce rôle, qui tentent de nous faire croire qu’au fond, s’il y a quelques moutons noirs, le système est, globalement, vertueux et peut continuer à fonctionner à l’identique. Nous ne tomberons pas dans ce piège, même si, M. Messier, vous avez, aussi, des responsabilités personnelles dont vous devez vous expliquer.

Je voudrais rassurer M. Messier sur un autre point. Je pense que cette mission d’information ne débouchera sur rien, puisque son président a expliqué qu’il ne fallait pas légiférer. Ainsi, j’ai remarqué, comme beaucoup ici, que l’amendement de M. Rudy Salles, présenté hier en commission des Finances et qui me paraissait être un amendement de bon sens - il supprimait l’exonération fiscale dont bénéficient partiellement les indemnités de départ -, a été rejeté. Ainsi, le seul acte législatif accompli à ce jour par cette mandature aura été le vote de la proposition de loi présentée par M. Philippe Houillon, pour revenir sur la limitation du cumul des mandats prévue dans la loi nre. J’espère me tromper mais j’ai le sentiment que nos auditions sont un peu vaines.

Je voudrais revenir sur plusieurs points qui vous concernent directement. Le premier porte sur le rôle du conseil d’administration de Vivendi, durant toute la période pendant laquelle vous avez dirigé cette entreprise. Nous avons le sentiment d’un conseil d’administration qui, durant des mois, vous a laissé carte blanche. Les administrateurs se sont comportés très docilement, avant de changer de stratégie au dernier moment, alors que la situation devenait véritablement catastrophique. Certes, vous avez sauvé une entreprise qui était dans une situation périlleuse, la Générale des Eaux, mais, à mes yeux, vous avez contribué à en couler une autre, Vivendi, entreprise aujourd’hui vendue par appartement. En tant que dirigeant de cette entreprise, ne regrettez-vous pas, avec le recul d’une année qui vous a permis de revenir sur tous ces événements, la faiblesse du contrôle exercé, sous votre présidence, par le conseil d’administration ? Ainsi, sur un certain nombre de décisions, qui, peut-être, ont paru bonnes à l’époque et sur lesquelles vous exprimez aujourd’hui des regrets, ne pensez-vous pas avoir manqué, à vos côtés, d’un conseil d’administration vigilant, rigoureux, qui fasse son travail et vous permette d’éviter un certain nombre de problèmes ultérieurs ?

Ma deuxième série de questions touche à vos indemnités. S’il est vrai que des procédures judiciaires sont en cours et que nous ne sommes ni des juges ni des procureurs, toutefois, votre situation est emblématique en ce qu’elle concentre toutes les dérives en la matière. La première d’entre elles concerne le montant de votre indemnité de départ. Je voudrais savoir précisément sur quelles bases elle a été négociée, notamment au regard des résultats de l’entreprise qui se trouvait, à l’époque, dans une situation très difficile. Je rappelle, en effet, que si tous les actionnaires de Vivendi n’ont pas hypothéqué leur maison, ils se retrouvent néanmoins dans des situations très difficiles. Ils ont vu leur épargne réduite dans des proportions importantes et peuvent légitimement s’interroger sur les raisons qui vous permettraient de percevoir 20 millions d’euros, ce qui est une somme considérable. Cette question, ils se la poseront, y compris sur le plan pénal, puisqu’un certain nombre de ces actionnaires ont clairement annoncé que, en cas de versement de l’indemnité, ils poursuivraient tous les protagonistes de cette affaire pour abus de bien social.

En second lieu, je dois dire que nous avons le sentiment, malgré vos explications, que cette transaction était destinée à rester secrète. Manifestement, les personnes qui vous ont proposé cette transaction pensaient qu’elle le resterait et qu’elles-mêmes n’auraient pas à en rendre compte. Il est intéressant, à cet égard, de se reporter aux arguments avancés sur ce point, notamment devant la cour arbitrale, par les administrateurs de vu : il ressort de leur témoignage que le montant de la transaction était tellement spectaculaire qu’il ne pouvait être divulgué. Telle est la véritable raison pour laquelle il aurait été décidé de ne pas l’inscrire au conseil d’administration. Les administrateurs avaient, ensuite, présents à l’esprit le fait qu’ils risquaient d’être attaqués pour abus de bien social. Ces arguments prouvent que chacun avait conscience de la dimension excessive de ce qui avait été convenu et de ses éventuelles conséquences juridiques. Pourriez-vous nous donner quelques explications sur ces points ?

M. Pierre Bilger, l’ancien président d’Alstom, que nous auditionnerons la semaine prochaine, a renoncé à son indemnité de départ. Ne considérez-vous pas qu’une telle attitude n’est pas exempte de dignité et qu’elle serait plus raisonnable, en tous les cas, mieux comprise des actionnaires de Vivendi ?

Le président Pascal CLÉMENT : Je souhaite préciser que les travaux de la mission ne sont pas terminés et qu’il est encore trop tôt pour déterminer les éléments sur lesquels nous légiférerons. Ce qui est certain, c’est qu’il est illusoire d’encadrer par la loi le niveau des rémunérations des dirigeants sociaux. Notre objectif n’est pas de voir les sièges sociaux quitter notre territoire pour le Luxembourg ou la City.

M. Jean-Marie MESSIER : Je ne me prononcerai pas sur ce point, si ce n’est pour répéter ma conviction selon laquelle la France ne peut être un sanctuaire par rapport au reste du monde.

Concernant la prime d’arrivée de M. Jean-René Fourtou, je ne pense qu’il soit un « mercenaire ». Il est pour moi un chef d’entreprise et vous ne m’entendrez jamais dire un mot contre sa personne. Reste que ma surprise fut grande en entendant la déclaration qu’il a faite devant la commission des Finances de l’Assemblée, s’agissant de son action de « bénévolat ». Par ailleurs, j’ai lu, dans une interview récente qu’il a donnée, qu’il comprenait la hargne des petits actionnaires qui ont perdu beaucoup d’argent, face au montant des indemnités de M. Messier. À cet égard, je vous rappelle que VU n’a pas été le seul titre, durant ces deux dernières années, à subir l’effondrement de l’ensemble des valeurs de technologie, de médias et de télécommunication. Rien qu’en France, les titres France Telecom, Alcatel, Cap Gemini Sogeti, stm Microélectronics ont tous été traités peu ou prou à la même aune. Je ne peux donc que voir dans une telle attitude un réflexe poujadiste auquel j’ai du mal à adhérer. Par ailleurs, de tels propos confortent la réserve que doivent susciter les primes d’arrivée. Lorsque l’actuel président de vu parle de pertes subies par les petits actionnaires, c’est quelque chose qui ne peut pas lui arriver. En effet, avec une prime d’arrivée de un million de stock options à un cours de 12 euros, il ne risque pas de perdre. Je ne ferai pas davantage de commentaire sur ce point.

Que faut-il faire en termes de gouvernance ? Pratiquement tous les groupes, de la même manière que VU le faisait avec le cabinet Towers Perrin, travaillent aujourd’hui avec des consultants extérieurs en matière de rémunération, afin de disposer de données comparatives et de déterminer des critères de définition de la rémunération. Ces critères doivent, je le répète, faire l’objet d’une publicité totale : au-delà du seul montant, il faut également divulguer les méthodes permettant de parvenir à ce montant. C’est en ayant connaissance de ces critères que l’actionnaire peut se former un jugement éclairé sur la pertinence des paramètres à partir desquels le président est jugé et rémunéré, notamment en regard de la vision qu’il a en tant qu’actionnaire de la société.

De la même manière, il peut être intéressant, pour un actionnaire, de savoir si un chef d’entreprise investit ou non dans sa société, s’il conserve ses actions ou bien se contente d’exercer ces stock options et d’empocher les plus-values en revendant immédiatement ses actions. Cette transparence sur le montant, non seulement de la plus-value réalisée une année, mais des plus-values accumulées grâce à l’exercice des stock options tout au long du mandat de président, ainsi que la transparence sur le nombre d’actions conservé dans l’entreprise, donne à l’actionnaire une bonne idée du comportement du chef d’entreprise. Cela témoigne de la foi qu’il accorde à son action et à son projet.

La loi n’est pas une réponse adaptée. Les principes de bonne gouvernance sont connus : appliquons-les, en allant jusqu’au bout de ce qu’est la transparence et en publiant, non seulement les montants, mais aussi les critères de fixation de la rémunération.

M. Alain MARSAUD : Je ne vois pas comment on peut, sans une loi, rendre obligatoire l’application de tels critères, auxquels nous adhérons tous.

M. Jean-Marie MESSIER : Il est sans doute possible soit d’aménager la loi sur les nouvelles régulations économiques, soit de confier à la future amf la mission d’émettre un certain nombre de recommandations.

Je voudrais revenir plus précisément aux questions posées par M. Caresche, notamment celles concernant mes indemnités et les raisons pour lesquelles il n’est pas dans mes intentions de suivre l’attitude de M. Pierre Bilger. Je comprends le débat actuel sur le montant de ces indemnités et je n’y suis pas insensible. J’ajoute que, sur ce point, il n’y a pas de débat à l’extérieur de la France.

La raison pour laquelle je ne veux pas renoncer à ces indemnités est qu’elles sont légitimes : elles sont issues d’un contrat de travail initial et d’un contrat négocié au moment de mon départ, à l’initiative des administrateurs et par eux. En effet, selon mon contrat de travail, qui n’a pas non plus été respecté, il aurait dû, au moment du départ, m’être versé ce qui m’était dû au titre de la période passée dans l’entreprise.

Le deuxième élément qui fonde ma détermination réside dans mon attachement à ce principe simple : le respect de la signature constitue la base de la vie des affaires. Il n’y a pas de vie économique possible si, dans un État de droit, n’est pas reconnu le respect absolu de la signature. Face à VU, je me suis engagé de bonne foi dans une négociation à l’issue de laquelle VU a renié sa signature. Je continuerai de me battre pour le respect de ce droit élémentaire qu’est le respect du contrat et de la signature, plus encore lorsque est en cause le droit d’un individu en face d’une personne morale. Par ailleurs, comme je l’indiquais tout à l’heure, j’ai besoin de ces indemnités.

Enfin, vu n’est pas Alstom. Quand vous observez l’évolution, dans la durée, du cours de bourse de la Générale des Eaux puis de VU, l’action a, certes, connu des hauts et des bas, mais ce n’est pas Alstom. Il n’y a pas d’intervention du contribuable, il n’y a pas d’abandon de créances. Il y a un groupe riche de ses actifs et de ses métiers et qui, de ce fait, pour répondre à une autre de vos autres interrogations, M. Caresche, n’était pas dans un état « catastrophique ». Il est faux de dire aujourd’hui que, s’il faut vendre une partie des actifs, c’est à la suite de la gestion Messier. Ce n’est pas vrai. Un seul exemple pour appuyer mes propos : en décembre 2002, VU a pris la décision de faire un chèque de 4 milliards d’euros à British Telecom pour augmenter sa participation dans Cegetel et d’en refuser un de Vodaphone de 7 milliards d’euros. Pour un groupe censé avoir été dans une situation « catastrophique » - je reprends votre qualificatif, que je ne fais certainement pas mien - c’était une décision à 11 milliards d’euros cash ! Excusez du peu ! La situation actuelle de vu est donc bien l’héritière de ces décisions prises après mon départ et, comme il est tout à fait normal, c’est l’équipe en place qui porte la responsabilité de cette gestion et de ses résultats, y compris en matière boursière.

Je reviens sur le montant de ces indemnités. Aujourd’hui, on assiste à un complet imbroglio juridique. Quatre procédures sont en cours : le tribunal de grande instance et le tribunal de commerce de Paris, la cour suprême de l’État de New York et un juge fédéral aux États-Unis. Les frais d’honoraires des avocats sont multipliés par quatre. Les séquestres sont au nombre de quatre, c’est-à-dire que l’on bloque quatre fois la même somme, faute de parvenir à traiter le problème. De plus, se profile depuis quelques semaines, notamment dans la presse qui commence à percevoir que la situation n’est peut-être pas aussi simple que celle qui avait été décrite initialement, un début de grand déballage public. Cela me paraît contraire, non seulement aux intérêts de vu et de ses actionnaires, mais aussi aux intérêts de la place de Paris.

Pour moi, cette situation relève du non-sens absolu. Une proposition de médiation a pourtant été faite, intéressante dans son fondement dans la mesure où elle émane de l’appac, l’association des petits actionnaires actifs, qui regroupe notamment des actionnaires de VU, proposition reprise par le président du tribunal de commerce de Paris. C’est sous l’égide de ce dernier qu’aurait lieu la médiation, à laquelle participeraient les représentants des actionnaires de VU. Je l’ai laissé entendre tout à l’heure, je suis prêt à participer à cette médiation, sous l’autorité du président du tribunal de commerce de Paris, avec l’appac et avec VU, tous mes droits étant naturellement réservés. J’y suis prêt parce qu’elle relève du bon sens et qu’il est temps que cette situation cesse ; j’y suis prêt parce que je l’ai proposée à vu avant, pendant et après l’arbitrage ; j’y suis prêt parce qu’aujourd’hui, mes droits ayant été reconnus, je me sens prêt à aborder cette médiation. J’y suis prêt surtout parce que je reconnais que ces indemnités sont très américaines dans leur montant et qu’elles peuvent choquer en France. Comme je l’ai rappelé en préambule, au nombre des erreurs que j’ai reconnues, figure ma fascination, peut-être excessive, par les États-Unis. S’il y a une médiation en France, je suis donc prêt à y participer et, bien qu’ayant gagné l’ensemble des contentieux sur la réalité des droits de ces indemnités, à faire les pas constructifs permettant de trouver une solution.

C’est le bon sens car c’est l’intérêt des actionnaires de VU, la fin de la gabegie des frais d’avocat et le meilleur moyen d’éviter un grand déballage public. Et la réduction du montant de ces indemnités pouvait aller vers les actionnaires de vu, notamment les salariés actionnaires qui ont porté ce projet pendant des années, j’en serai personnellement extrêmement heureux. Oui, je suis prêt à cette médiation et telles sont les raisons pour lesquelles j’y suis prêt.

Sur le plan pénal, je ne commenterai pas plus avant. Je préciserai simplement que le fait que la médiation soit proposée par les actionnaires de vu me parait particulièrement intéressant. Le message de M. Didier Cornadeau, président de l’appac, tel que je l’ai compris, est un message de bon sens. Même s’il ne souhaite pas voir une entreprise payer des indemnités de départ à un président, il considère comme étant encore plus inacceptable de voir une entreprise manquer à sa signature et jeter l’argent de ces actionnaires par les fenêtres dans de multiples procédures.

J’en arrive à la question du contrôle exercé par le conseil d’administration sur ma gestion lorsque j’étais à la tête de l’entreprise. Le conseil a approuvé chacune des étapes de la mise en place de la stratégie de VU. Le conseil d’administration était-il contestable dans sa composition ? Je vous rappellerai qu’en 2001, par exemple, il s’est réuni onze fois, ce qui est important. Il comprenait des administrateurs de cinq nationalités différentes. Je ne pense donc pas qu’existent des raisons objectives de mettre le conseil d’administration de VU à l’index. Il me paraissait même plus ouvert que bien d’autres conseils, puisque y siègent des Anglais, des Espagnols, des Canadiens, des Américains et des Français.

M. Philippe HOUILLON : Je voudrais revenir au sujet qui occupe notre mission. Tout d’abord, je pense qu’une législation sur la rémunération des dirigeants de société serait illusoire quant à ses effets, aucune solution franco-française n’ayant quelque pertinence que ce soit. C’est un peu comme si nous légiférions sur les indemnités des joueurs de football et réglementions le montant des transferts. En résumé, si nous devions légiférer sur cette question précise, cela ne pourrait être qu’à la marge, donc dans des domaines parfaitement limités. Pour autant, répondre par un code d’éthique constituerait une réponse quelque peu angélique, en tout cas insuffisante.

Cela étant, la question n’est pas de savoir si le montant des rémunérations est important, trop élevé ou pas assez. Le problème tient à leur acceptabilité. La semaine dernière, quand nous avons demandé à M. Bébéar ce qu’il préconisait pour renforcer l’acceptabilité sociale des rémunérations, il nous a répondu « la transparence ». Sur ce point au moins, vous n’êtes pas très éloignés l’un de l’autre, puisque telle est également votre réponse, à un petit amendement près, qui n’est pas négligeable, puisque vous demandez « toute la transparence ». Pour ma part, j’aurais tendance à répondre « responsabilité », qui est, à mes yeux, le corollaire de l’acceptabilité. Cette notion est tout à fait connue aux États-Unis où, si ne choque pas le montant des rémunérations, c’est aussi parce que la faute de gestion est sanctionnée. Les intéressés, en tout domaine, sont responsables, sur leurs deniers personnels le cas échéant.

Je voudrais dire à M. Caresche, pour son information, que la proposition de loi que j’avais déposée au mois de septembre 2002 sur le cumul des mandats sociaux, ensuite adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat, visait à rectifier des erreurs techniques issues de la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001. Sur le sujet qui nous occupe, vous vous souviendrez certainement que, dans le cadre de la loi sécurité financière, j’avais en tant que rapporteur déposé un amendement sur la responsabilité qui avait été adopté par l’Assemblée nationale et que le Sénat par la suite n’a pas retenu.

Estimez-vous qu’en cas de faute de gestion, il est réellement possible de mettre en cause la responsabilité des dirigeants sociaux ?

Le président Pascal CLÉMENT : La responsabilité civile en France est effectivement un parcours du combattant.

M. Michel HUNAULT : M. Messier, un mot est absent de votre bouche : celui d’éthique. Pensez-vous que l’éthique a sa place dans la vie des affaires ? Ne pensez-vous pas en avoir manqué par le passé ?

M. Richard MALLIE : Vous étiez un grand patron. Vous parlez de l’intérêt néfaste d’un déballage sur la place de Paris. Pour ma part, je me demande s’il ne serait pas bénéfique aujourd’hui. L’opacité n’est jamais bonne : j’en prendrai pour exemple les récents mouvements sur le titre Eurotunnel, avec 4 à 5 % de titres échangés dans la journée.

Vous avez rappelé qu’un patron était aussi un actionnaire. Certes, mais que représente la valeur patrimoniale de ses actions par rapport à la totalité du patrimoine social ? Au contraire, quand le patron d’une PME ou un petit commerçant investit ses économies dans son entreprise, c’est toute son épargne qui est absorbée.

S’agissant des membres des conseils d’administration, ne pensez-vous pas que la cooptation est encore trop forte et que - le mot est sans doute excessif - c’est la collusion qui prévaut ?

Quant aux assemblées générales de sociétés cotées, on peut légitimement avoir le sentiment que tout est joué d’avance.

Mon quatrième point concerne la place des petits actionnaires. Ces derniers, dont je suis, sont favorables à l’attribution une rémunération importante au dirigeant dans la mesure où les cours montent et où, par conséquent, leur patrimoine s’accroît. Afin de sensibiliser les patrons bénéficiaires de stock options à l’intérêt de long terme de l’actionnaire, ne pensez-vous pas qu’il faudrait renforcer les dispositions fiscales favorisant la détention d’actions issues de l’exercice d’un plan de stock options pendant une durée donnée ?

M. Alain VIDALIES : Je souhaiterais tout d’abord poursuivre sur la question de l’éthique. Vous nous avez parlé de la difficulté née de l’enrichissement des patrons quand dans le même temps, les actionnaires s’appauvrissent. Or, je remarque que, depuis une heure trente que dure l’audition, personne n’a prononcé le mot de « salariés ». Or, au regard de l’éthique, la réflexion que se font aujourd’hui les Français est simple. L’indemnité que vous réclamez correspond à 1 464 années de rémunération au SMIC. Je souhaiterais savoir si, dans vos réactions, vous prenez en compte cette disproportion qui choque, notamment les gens qui travaillent et dont le travail est tout aussi honorable.

Ma deuxième question portera sur la transparence. Qui pourrait refuser de souscrire à vos propos ? Toutefois le rapport de la COB sur VU mentionne que : « L’information financière donnée au public par le groupe en 2001 et 2002 n’a pas été exacte, précise et sincère, et n’a pas permis d’apprécier la réalité de la situation financière, l’évolution de celle-ci, et les perspectives qu’on pouvait réellement s’attendre du groupe, sans rentabilité ni richesse excessive, autrement que par la liquidation et la vente de ses actifs. La responsabilité de cette situation incombe principalement au dirigeant du groupe. » C’est exactement le contraire de la transparence ! De deux choses l’une, soit vous estimez avoir agi en toute transparence, auquel cas les règlements et lois de la République, que la COB vous oppose manifestement, doivent être mis en cause ; soit vous prenez acte des remarques de la COB et il conviendra, au-delà du changement culturel qu’appelle notre président, de légiférer à nouveau sur ces questions pour éviter de telles manœuvres.

Ma troisième question porte sur les conditions dans lesquelles a été prise la décision de vous verser une indemnité. J’ai bien compris que, selon vos propos, vous aviez pris la décision de partir et convoqué le conseil d’administration ; que, malheureusement, vous avez démissionné la veille de sa tenue et n’y avez donc pas participé ; et que, en conséquence, le principe et le montant de l’indemnité sur laquelle vous vous êtes entendu avec les administrateurs délégués par le conseil n’ont finalement pas été abordés, bien que figurant à l’ordre du jour. Or cette version, qui est tout à votre avantage, est exactement décrite en sens inverse par M. Edgar Bronfman, dont je lis la déclaration : « L’accord entre nous était que, s’il obtenait des indemnités de plus ou moins 20 millions d’euros, il partirait et convoquerait un conseil d’administration. C’était du chantage, mais il était de mon devoir de l’accepter. Mais, à la fin, il a voulu être trop intelligent et a dit qu’il ne voulait pas que l’accord soit soumis à l’approbation du conseil. » Dans ces conditions, on peut se demander si votre démission à la veille du conseil, sans que celui-ci ne se soit prononcé sur vos indemnités, n’était pas, en définitive, le résultat d’une démarche collectivement réfléchie, et non d’une quelconque accélération des événements, le but étant justement d’éviter la transparence sur ce sujet. Je souhaiterais savoir véritablement si cette troisième version n’est pas celle qui se rapproche le plus de la réalité.

M. Jean-Marie MESSIER : S’agissant de l’acceptabilité sociale des rémunérations, même si le salaire d’un dirigeant passait de 2 millions à 1,5 million d’euros, beaucoup continueraient d’estimer que c’est beaucoup, beaucoup trop. La seule règle, dès lors, c’est toute la transparence sur les critères d’attribution.

J’approuve totalement les propos de M. Houillon sur la responsabilité. Ne me faites pas dire que je suis favorable à ce que je ressens parfois comme étant des excès du système américain en matière de mise en cause de la responsabilité. Il n’est qu’à voir aujourd’hui, un certain nombre de procès en responsabilité civile aux États-Unis, qui ne sont rien d’autre que le fait d’une excessive judiciarisation de la vie économique et constituent un frein à la vie économique, tant les montants réclamés, voire obtenus, au titre de dommages et intérêts sont extravagants. Si je ne sous-estime donc pas combien il est difficile de trouver un équilibre, cependant, sur le principe, je suis très favorable à la dépénalisation de la vie des affaires, au profit de l’accroissement d’un traitement civil des comptes qui puisse permettre, notamment aux associations d’actionnaires, de mettre en cause la responsabilité civile des dirigeants de manière plus organisée et plus fréquente.

S’agissant de l’éthique, je vous répondrai très simplement : je suis capable de me regarder dans la glace tous les matins. En 1994, j’ai pris la responsabilité d’un groupe dont les caractéristiques, dans ce domaine, n’étaient pas absolument irréprochables et je me suis battu à la tête de cette entreprise pour continuer à pouvoir me regarder tous les matins dans la glace. Oui, pour moi, l’éthique est un élément essentiel de la responsabilité de patron. Et j’ajouterai que dans un certain nombre de cas, je l’ai appris à mes dépens, parce que mon sens de l’éthique m’a parfois conduit à être naïf.

Un grand déballage serait-il le bienvenu ? Ma réponse est non, parce qu’il se fera au détriment de l’économie française et de la France. Par conséquent, quel que soit le plaisir que puissent y trouver un certain nombre de personnes, j’y suis opposé.

Pour revenir au patron actionnaire, l’important n’est pas son poids dans le capital. Quand vous êtes président d’un grand groupe, vous ne pouvez pas être un actionnaire significatif, à moins d’en être le fondateur comme Bill Gates. L’élément significatif, c’est la part de patrimoine de votre entreprise que vous détenez en actions par rapport à votre patrimoine global. La preuve qu’un chef d’entreprise croit à son entreprise, c’est lorsqu’il a investi l’essentiel de son patrimoine dans ce projet, comme le fait bien souvent un petit entrepreneur. Cette démarche n’est en rien comparable avec celle du dirigeant qui se contente de passer à la caisse, en exerçant ses stock options au bout de cinq ans et en les revendant immédiatement pour encaisser la plus-value réalisée. Il serait essentiel que les actionnaires aient connaissance de l’attitude des dirigeants qui ont exercé leurs plans de stock options, afin d’être en mesure de savoir jusqu’à quel point ils croient à l’entreprise qu’ils dirigent et à son projet.

Sur la composition des conseils d’administration, sans être exemplaire, la France a connu, ces trois dernières années, nombre de progrès dans l’équilibre de celle-ci. Sans doute, ce processus n’est-il pas parvenu à son terme, mais il est réellement engagé. Sans compter qu’un pas décisif sera franchi dès lors que toutes les entreprises accepteront de jumeler l’internationalisation de leurs activités avec celle du conseil d’administration.

Quant au rôle de l’assemblée générale, j’estime que les petits actionnaires ont le pouvoir de s’exprimer et de voter et qu’il n’est donc pas nécessaire de modifier la loi. C’est une discussion que j’ai eue, en son temps, notamment avec Mme Colette Neuville. Elle peut être posée demain à M. Alain Cornardeau ou à d’autres. Il convient de ne pas occulter le fait que les actionnaires sont parfois réticents à exercer leur responsabilité, préférant rester en position réactive par rapport aux entreprises plutôt que de faire comme Mme Colette Neuville, qui avait accepté d’être administrateur de Paribas.

En la matière, c’est l’amélioration de la représentation des petits actionnaires et leur rassemblement en associations qu’il faut favoriser, afin de rétablir l’équilibre en leur faveur, l’information étant aujourd’hui, il est vrai, conçue davantage à destination de l’actionnaire institutionnel que du petit actionnaire.

Quant à comparer ma fiche de paie avec celle d’un ouvrier au SMIC, rien de nouveau dans ce raccourci, quelque peu démagogique, sur lequel je ne souhaite pas m’arrêter plus avant, sinon en introduisant un troisième terme dans l’équation : la responsabilité du dirigeant. Au-delà de ce débat, je ne crois pas que quiconque puisse me reprocher mon indifférence à l’égard des salariés : s’il y a un mot qui revient régulièrement dans mon discours, c’est bien celui de responsabilité du dirigeant vis-à-vis des salariés, principe que j’ai mis en acte. Il n’y a jamais eu un plan de licenciement massif chez VU. Tout au contraire, nous avons créé, au travers de Cegetel et du développement de nos activités en France, plus de 20 000 emplois nets sur le territoire national pendant ma présidence. Je ne pense que ce soit négligeable ! Qui plus est, j’avais mis en place un système d’intéressement qui permettait aux salariés de devenir actionnaires, sans courir aucun risque en cas d’effondrement du cours. Cent cinquante mille salariés de VU sont ainsi devenus actionnaires au travers de ce système et ont vu leur épargne protégée. Ce système favorisait la petite épargne - jusqu’à 4 000 euros -, laquelle a été épargnée par la chute des marchés.

Sur le rapport de la COB, je rappellerai deux choses. N’oubliez pas le début de son rapport, dont le préambule rappelle que, s’agissant des opérations de fusion, d’acquisition ou de cession réalisées sur les marchés par VU, aucun défaut d’information insuffisante du marché, aucune fraude n’ont été décelés. N’ont pas non plus été détectées ce que la COB appelle pudiquement des opérations avec intermédiaires. Au regard de ce qui se disait au moment du lancement des travaux de la COB, il y a dix-huit mois, il ne faut jamais oublier de faire cette lecture en creux... Sur certains points précis, la COB soulève des questions relatives à l’information financière. Cependant, dans ce domaine, les points critiqués par la COB, tels que la consolidation de Cegetel, ne sont pas nouveaux : au contraire, la COB fait preuve d’une très grande continuité, quels que soient le président, l’année et les commissaires aux comptes ; les personnes physiques sur lesquelles la COB a fait porter son enquête ont trois mois pour répondre de manière précise à l’ensemble de ces observations, ce qui sera fait.

Pour revenir sur le conseil d’administration du 3 juillet, je suis outré de la mauvaise foi et des mensonges qui entourent cette affaire des indemnités depuis un peu plus d’un an ! Fort heureusement, si les trois arbitres indépendants, dont un choisi par VU, qui, pendant six mois, ont examiné en détail les documents et écouté les témoignages des uns et des autres, ont, au terme de leurs travaux, rendu une décision unanime, dans le sens que vous savez, ce n’est pas uniquement dû au hasard.

Ce que j’aurais dû faire - c’est toujours plus facile avec le recul - c’était de convoquer et d’ouvrir le conseil, au lieu d’annoncer mon départ à la veille de sa tenue. J’aurais dû exercer mon mandat de président au lieu d’en confier la présidence à Edgar Bronfman Jr., régler ce problème d’accord initié et négocié par les administrateurs, puis en séance, céder mon siège à Jean-René Fourtou. Cela aurait évité bien des débats. Mais j’étais sensible aux arguments de ceux qui faisaient valoir que, dans l’intérêt de la société, il n’était pas souhaitable, étant donné la présence de centaines de journalistes devant le siège de VU, que mon successeur et moi-même puissions être photographiés le même jour au même endroit.

Ceci dit, les faits témoignent de ma bonne foi : j’ai convoqué par écrit ce conseil avant de signer l’accord sur mes indemnités et l’ordre du jour est à disposition, fourni par VU dans le cadre de la procédure d’arbitrage. D’ailleurs, après avoir reçu cette convocation, Edgar Bronfman et Marc Viénot ont donné instruction à Eric Licoys de signer cet accord. Peut-être un certain nombre de personnes ont-elles une mauvaise mémoire. Mais les documents restent et valent mieux que bien des souvenirs approximatifs ou des mémoires défaillantes.


Source : Assemblée nationale française