(procès-verbal de la séance du mercredi 29 octobre 2003)

Le président Pascal CLÉMENT : Nous avons décidé de consacrer le premier volet de nos travaux à la question de la gouvernance des entreprises, sujet que la crise de confiance qui a secoué, plusieurs mois durant, les marchés, a remis sur le devant de la scène. Le deuxième volet de nos travaux sera consacré au droit des entreprises en difficulté et le dernier au droit pénal des affaires. Mes collègues Alain Marsaud et Michel Voisin ont suggéré d’intégrer au premier volet de nos travaux les questions relatives à la rémunération des dirigeants des sociétés cotées.

Nous avons le sentiment que le capitalisme français se situe à une période charnière de son histoire. Nos auditions nous donnent en effet l’impression que l’une des conséquences positives de la globalisation aura été de remettre en cause le fonctionnement quelque peu confiné, voire opaque, des organes dirigeants des grandes sociétés françaises : un conseil d’administration moins frappé par cette consanguinité si typiquement française, des administrateurs plus autonomes, en bref, une prise de conscience progressive que la monarchie absolue dans les entreprises, c’est fini.

Certains estiment que les dirigeants français ont besoin d’un aiguillon. Dans un système libéral idéal, le marché constitue le meilleur aiguillon. Mais, dans le monde imparfait dans lequel nous vivons, ce stimulant est insuffisant. Nos travaux, que certains qualifieront de rappel à l’ordre, doivent plus sûrement constituer une incitation, qui pourrait devenir obligation si nous jugeons, sur certains points, qu’une intervention du législateur s’impose.

Le problème des rémunérations des dirigeants sociaux est l’un des exemples les plus emblématiques du caractère imparfait de notre système. Nous sortons d’une époque d’opacité. Vous avez été, M. le Président, l’un des premiers à faire connaître votre rémunération avant même que la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) ne le prévoie. Des progrès ont donc été réalisés, mais une forte opacité subsiste, puisque les éléments variables de la rémunération d’un dirigeant restent incompréhensibles pour un actionnaire, voire pour les membres du conseil d’administration. Il s’agit pour nous de comprendre les origines de l’emballement qu’ont connu les rémunérations de certains dirigeants d’entreprise, français ou étrangers, emballement qui a pu déboucher sur une déconnexion entre les performances et les rémunérations.

M. Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Le président du MEDEF que je suis se félicite de l’intérêt porté par l’Assemblée nationale aux problèmes de gouvernance des entreprises et, de manière plus générale, au fonctionnement de nos entreprises et à leur aptitude à contribuer à la croissance, à l’emploi et au rayonnement de notre pays. Le MEDEF a toujours parfaitement accueilli les progrès en matière de gouvernance. Les entrepreneurs ont toujours réagi de façon positive aux critiques relatives à la gouvernance des entreprises et ont mis en place des groupes de travail et des commissions afin de prendre en compte ces critiques et de faire des recommandations. Les entreprises françaises étant intégrées dans une économie mondialisée, leur gouvernance doit donc s’inspirer de ce qui est bien accueilli et recommandé dans les divers pays du monde. L’aspect international joue donc un très grand rôle pour ces questions.

Le MEDEF reconnaît le caractère inadapté de certaines pratiques de gouvernance et nous souhaitons contribuer à les corriger. Par ailleurs, nous souhaitons prendre en compte la sensibilité de l’opinion publique, parfois exagérée, parfois justifiée, à certaines affaires. Nous avons donc travaillé, en concertation avec l’AFEP, à l’élaboration d’une sorte de bible intitulée « le gouvernement d’entreprise des sociétés cotées ». Cette démarche démontre, ce n’est peut-être pas le cas de toutes les professions, notre bonne volonté pour essayer de contribuer à l’amélioration de nos pratiques.

Je voulais aussi souligner que, en tant que président du MEDEF, je représente, à travers 85 fédérations, 600 syndicats professionnels et 165 MEDEF territoriaux, près de 700 000 entreprises. Or, seules 1 000 d’entre elles sont cotées, dont à peine 40 au CAC 40. Les problèmes spécifiques des sociétés du CAC 40 sont loin de recouvrir les préoccupations de l’ensemble des entrepreneurs français, qui partagent souvent la sensibilité de l’opinion à l’égard des problèmes auxquels nous nous intéressons aujourd’hui. Mais, il faut se garder en la matière de tout parallélisme avec les États-Unis.

D’abord, nous n’avons pas connu en France de problème de gouvernance lié à un dysfonctionnement nourri d’illégalités. C’est en effet soit spontanément, soit du fait de la pression de l’opinion, soit du fait des travaux des parlementaires que les problèmes de gouvernance ont été traités en France, à la différence de ce qui s’est passé aux États-Unis ou même en Grande-Bretagne, où l’affaire « Maxwell » a constitué un facteur déclencheur. Ensuite, le droit français des sociétés prévoit un certain nombre de garde-fous spécifiques : les deux commissaires aux comptes jouent un rôle important dans l’audit et dans la surveillance de nos sociétés ; les salariés participent aux réunions du conseil d’administration ; les plans de stock options doivent être adoptés par l’assemblée générale ; les prêts aux mandataires sociaux sont interdits.

Je crois que la gouvernance des entreprises françaises a été mieux organisée qu’ailleurs. C’est la raison pour laquelle les réflexions que vous menez aujourd’hui ne sont pas nées de dysfonctionnements lourds ou d’illégalités, mais bien du souhait général de contribuer à une amélioration. Nous n’adoptons pas une attitude défensive ; nous souhaitons vivement apporter notre contribution à toute amélioration de la gouvernance des entreprises.

Le président Pascal CLÉMENT : Notre conviction est que l’assemblée générale fonctionne mal. Nous n’en sommes pas encore à la situation britannique où il semble que cet organe fasse de plus en plus entendre sa voix. J’ai lu dans la presse qu’un fonds de pension, Fidelity en l’occurrence, est en train de s’emparer de la question de la gouvernance des entreprises et de la rémunération des dirigeants. On peut se demander si les investisseurs institutionnels comme les fonds de pension ne devraient pas prendre exemple sur ce type de comportement.

La SEC américaine étudie une recommandation qui pourrait classer les résolutions soutenues par une majorité d’actionnaires mais ignorées par l’entreprise parmi les éléments susceptibles d’ouvrir la possibilité pour les actionnaires de présenter leurs propres candidats au conseil d’administration. Une piste alternative nous a été suggérée par M. Bébéar pour résoudre le problème du mauvais fonctionnement tant de l’assemblée générale des actionnaires que du conseil d’administration : il s’agirait de faire élire par l’assemblée générale des actionnaires un collège de censeurs qui seraient chargés de choisir les auditeurs et de fixer leur feuille de route. Pourrait-on, en systématisant cette piste de réflexion, imaginer que l’assemblée générale élise, à partir d’une liste constituée de personnes proposées par le président d’une part, par les associations d’actionnaires minoritaires d’autre part, ce collège, dont les fonctions ne se limiteraient pas à l’audit, mais consisteraient également à contrôler la politique de rémunérations et la clarté des informations fournies dans le rapport annuel à ce sujet ?

Dans le même souci de redonner du poids à l’assemblée générale, que pensez-vous de la prise de position de M. Bébéar en faveur d’une suppression du vote blanc ou du vote par procuration qui, par définition, font de l’assemblée générale des actionnaires un non-événement où tout est décidé a priori ? Faut-il obliger les investisseurs institutionnels à voter et, s’ils ne le font pas, à s’expliquer sur leur passivité, comme tendent à le préconiser les États-Unis ?

Que pensez-vous de l’importation dans notre système du contrat de dirigeant à l’allemande, dont la durée est limitée à cinq ans et à l’issue de laquelle le président doit être réélu, et contenant ab initio le montant du salaire fixe, les critères de détermination du bonus et les modalités d’attribution des stock options ?

Nous cherchons les solutions pour limiter la consanguinité au sein des conseils d’administration dans la mesure où nous ne croyons pas à l’administrateur indépendant. La loi française fixe à dix-huit le nombre maximum de membres du conseil d’administration, qui, en moyenne, en comptait quatorze en 2002. Afin de valoriser la compétence au détriment d’autres critères de choix des membres du conseil d’administration, ne serait-il pas souhaitable d’en limiter encore plus le nombre ? Dans le même esprit, avez-vous réfléchi à des modalités de réforme du système, archaïque, des jetons de présence ?

Je ne crois pas, tout comme d’autres membres de cette mission, à l’administrateur indépendant, mais la mise en jeu de la responsabilité civile des administrateurs, qui est difficile, car les expertises sont extrêmement coûteuses, et de leur responsabilité pénale est sans doute le meilleur moyen pour garantir leur indépendance. Lors de l’examen de la loi de sécurité financière, la commission des Lois s’était penchée sur la question de la responsabilité des dirigeants sociaux en cas de faute de gestion. Nous estimons anormal le fait que la jurisprudence ne reconnaisse pas l’existence d’un préjudice personnel de l’actionnaire, mais s’en tienne au préjudice social et indemnise la société quand la faute du dirigeant est établie. Notre collègue Philippe Houillon, rapporteur de la loi de sécurité financière avait déposé sur cette question un amendement qui a été adopté par la commission des lois puis par l’Assemblée, mais qui a disparu au cours de la CMP. Quelle est la position du MEDEF sur le sujet ?

Tous les dirigeants que nous avons auditionnés nous expliquent que, pour élaborer leur rémunération, les comités et le conseil d’administration s’appuient sur des comparaisons internationales. La comparaison avec les États-Unis notamment n’a-t-elle pas ses limites dans la mesure où le PIB par habitant y avoisine les 36 000 dollars contre 20 000 dollars en France ? Ne faudrait-il pas comparer ce qui est comparable ? Faut-il comparer la situation française avec celle d’un pays où l’acceptabilité sociale des hauts salaires est bien plus forte ? J’explique ce fait par l’opacité qui régnait en France en matière de rémunérations des dirigeants. Or, on ne peut accepter que si l’on comprend. Aujourd’hui, au moment où ces rémunérations sont divulguées dans la presse, dont certaines sont aberrantes, d’autant plus qu’elles sont à contre-cycle, se pose un véritable problème social. C’est aussi pour cette raison que le Parlement s’est emparé de cette question.

Sur le principe, que pensez-vous des pratiques de golden hellos et de golden parachutes ?

Lors de son audition, M. Jean-Marie Messier a mis en doute le bien-fondé des stock options dans leur principe même, dans la mesure où celui qui les reçoit est « gagnant » à tous les coups. Il est certain, comme le souligne un rapport de Proxinvest, que l’octroi d’options assorties de trop de garanties modifie la nature même des stock options qui deviennent des « bonus contractuels indexés sur le prix de l’action ». Quant aux golden parachutes, le ministre de l’industrie britannique les a qualifiés il y a quelques semaines de primes à l’échec.

Pour notre part, nous pensons que les stocks options gardent leur pertinence sous réserve d’être mieux encadrées. Que pensez-vous notamment de l’interdiction de souscrire des plans en période d’effondrement des cours, comme l’ont fait, en 2001, 50 % des dirigeants des sociétés cotées au CAC 40 ? Que pensez-vous des mécanismes de cessions d’actions gratuites, qui permettent de rémunérer la performance du dirigeant à moyen terme ? En un mot, quelles sont les améliorations de la gouvernance des entreprises que vous proposez en tant que président du MEDEF et chef d’entreprise ?

M. Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je suis en total désaccord avec la suggestion concernant la mise en place d’une nouvelle institution, celle d’un collège de censeurs élus par l’assemblée générale chargé de contrôler le conseil d’administration. Le fonctionnement du conseil d’administration est déjà suffisamment complexe, notamment en raison de la mise en place de comités d’audit et de ses relations avec l’assemblée générale et le dirigeant de l’entreprise. La nouvelle institution suggérée par M. Bébéar est malvenue car elle compliquerait la gouvernance et décentrerait les responsabilités. Il est essentiel de pouvoir identifier clairement les responsabilités au sein de l’entreprise.

Concernant maintenant la suggestion du supprimer le vote blanc à l’assemblée générale, il me semble que les personnes qui croient que le vote blanc est à la disposition du président commettent une erreur d’interprétation. En effet, le vote blanc oblige le président à voter en faveur des résolutions proposées à l’assemblée générale. Il a donc un pouvoir lié. Les réglementations qui ont été mises en place ces dernières années donnent à chaque actionnaire la possibilité de voter par correspondance ou par procuration et même de manière électronique. Si l’actionnaire souhaite donc intervenir lui-même, il le peut. Nous recommandons à l’actionnaire de s’engager à l’assemblée générale et tous les moyens sont mis à sa disposition pour cela. S’il est défaillant, nous le regrettons.

Faut-il obliger les investisseurs institutionnels à voter ? Nous sommes tout à fait défavorables à toute proposition visant à imposer une obligation de faire aux actionnaires, qui sont, dans l’ensemble, des gens responsables et qui prennent des risques en connaissance de cause. Si ces actionnaires ne votent pas, c’est leur faute et ils marquent ainsi leur désintérêt du fonctionnement de l’entreprise. D’ailleurs, les investisseurs institutionnels ne recherchent pas l’amélioration du fonctionnement de l’entreprise, mais souhaitent avant tout constater une plus-value. Je ne le critique pas, mais cela explique souvent leurs attitudes.

Nous considérons que le contrat de dirigeant à l’allemande n’a pas grand sens, car il revient à payer le dirigeant jusqu’à la fin de son mandat, même s’il interrompt sa mission avant le terme.. Ceci dit, chaque entreprise, par le biais de son conseil d’administration et de son assemblée générale, est libre d’organiser le système de rémunération de ses dirigeants. Le MEDEF n’a pas à recommander ce type de contrat. Nous nous tenons à recommander l’application de principes éthiques aux systèmes de rémunération des dirigeants. De tels principes permettent de mettre fin aux excès qui ont ému l’opinion et la représentation nationale.

Nous avons déjà dénoncé la consanguinité des conseils d’administration dans le rapport « Vienot I ». Elle résulte de la faiblesse du capitalisme français, qui fut envahi dans le passé par des administrateurs représentant l’État. Les grandes vagues de nationalisation ont laissé dans notre pays une structure actionnariale très particulière dont on a eu un certain mal à se défaire. La consanguinité est une mauvaise pratique qui doit disparaître, il en subsiste malheureusement encore quelques cas ici et là.

Nous connaissons vos réserves sur le sujet des administrateurs indépendants. Nous regrettons que la définition de l’administrateur indépendant en France soit différente de celle donnée par le droit américain, qui a créé cette institution. Aux États-Unis, l’administrateur indépendant était originellement celui qui n’appartenait pas à la société. Il s’agissait de mettre fin à la pratique confondant les opérationnels du groupe et les administrateurs. Puis, la définition est devenue de plus en plus subtile, au point de voir un excellent administrateur dans celui qui ne connaissait plus l’entreprise. Le MEDEF pense, même si les opinions sont partagées dans ses rangs, que l’on exagère l’importance de l’administrateur indépendant, mais nous recommandons aux entreprises d’engager des administrateurs qui ne peuvent être suspectés d’avoir des relations particulières avec la société et qui sont ainsi en mesure d’exprimer un point de vue indépendant.

Le président Pascal CLÉMENT : Que pensez-vous de l’idée que les associations de petits actionnaires agréées puissent élire un membre du conseil d’administration ?

M. Ernest-Antoine SEILLIÈRE : L’administrateur est censé représenter tous les actionnaires et c’est en tant que tel qu’il s’exprime au conseil. Par conséquent, l’idée d’identifier tel ou tel administrateur n’est pas bonne. Il y a certes des administrateurs salariés, qui doivent être nommés au conseil quand la part de l’actionnariat des salariés dans la société dépasse un certain niveau, la loi l’a prévu et c’est une bonne mesure. En revanche, nous sommes réservés sur le cas de l’administrateur représentant les salariés non actionnaires.

La jurisprudence de la Cour de cassation refuse le principe de la responsabilité de l’administrateur vis-à-vis des actionnaires lorsque la gestion de l’entreprise a eu pour résultat la réduction de la valeur du titre. Nous estimons que l’actionnaire, par définition, prend un risque en vue d’accroître son patrimoine et que, par conséquent, il doit accepter les risques d’une mauvaise gestion. L’idée qu’un actionnaire puisse être indemnisé de son risque est une négation du principe même de l’actionnariat. La Cour de cassation a donc raison de refuser cette indemnisation et nous invitons les parlementaires ne partageant pas son point de vue à réfléchir sur la notion même d’actionnaire. L’épargnant qui n’aime pas le risque pourra toujours acheter des obligations, qui lui garantissent une rémunération et lui assurent la récupération de son investissement initial. En achetant des obligations cotées, assorties parfois de remboursement au titre ou de warrants, l’épargnant participe au développement de l’entreprise.

Vous avez évoqué les approximations de la comparaison des rémunérations des dirigeants américains et des dirigeants français. Je partage votre point de vue. De plus, si l’on veut introduire dans le droit du capitalisme français certaines des règles les plus pointues du capitalisme américain, il ne faut pas oublier que la réalité du capitalisme français est fondamentalement différente de celle du capitalisme américain. Le terrain dans lequel le capitalisme français s’ancre est en effet beaucoup plus réticent qu’aux Etats-Unis.

Ce qui est primordial c’est d’assurer la transparence. C’est un principe auquel nous adhérons totalement. Nous avons fait tous les efforts possibles pour la promouvoir. Le MEDEF a d’ailleurs été en avance sur sa base, car certaines organisations représentatives de grandes sociétés notamment étaient plus réticentes. La transparence est nécessaire d’abord parce qu’elle est un principe éthique et ensuite parce qu’elle permet de révéler certaines situations qui nécessitent une correction. On a d’ailleurs pu le constater récemment, avec la révélation de certaines situations scandaleuses. Je pense que les comportements commencent à évoluer grâce à la transparence. Certains voudront, à tort, accélérer ce processus en légiférant. Je sais, M. le président, que ce n’est pas ce que vous souhaitez. Peut-être la mise en place du processus de transparence n’est-elle pas assez vigoureuse, peut-être des reproches peuvent-ils nous être adressés, mais nous avons la conviction que les actionnaires et l’opinion en général doivent connaître les détails de la rémunération des dirigeants.

Par ailleurs, nous pensons qu’il faut traiter la pratique des golden hellos et des golden parachutes au cas par cas. A-t-on ainsi réfléchi au cas d’une grande entreprise en difficulté à la recherche d’un dirigeant de qualité, susceptible de réussir à la redresser ? Comment attirer un tel dirigeant, satisfait de sa situation dans une entreprise en bonne santé sinon en lui offrant, entre autres, une prime à l’entrée et une prime à la sortie, concédée au cas où le dirigeant aurait échoué et pourvu qu’il n’ait pas commis de faute de gestion ? Cela ne me semble pas indigne, et, à l’évidence, souvent nécessaire. Le comité d’éthique du MEDEF recommande que ces avantages financiers soient définis lors de l’entrée du dirigeant et ne puissent plus évoluer par la suite, lors de négociations qui pourraient s’apparenter à du chantage de la part de certains dirigeants. Chaque cas doit toutefois être apprécié en fonction de l’entreprise et des circonstances.

S’agissant des plans de stock options mis en place lorsque les cours sont bas, il faut bien reconnaître que c’est une pratique tentante pour les dirigeants et pour leurs conseils. Si les cours sont bas, cela reflète souvent le fait que l’entreprise est en difficulté et le dirigeant, qui mettra en œuvre des mesures pour redresser l’entreprise dont il assume le risque, peut trouver normal de se voir rémunérer par la hausse du cours de l’action, qui profitera d’ailleurs à l’ensemble des actionnaires et des salariés. Cela dit, le MEDEF, par la voix de son comité d’éthique, s’est déclaré favorable à l’encadrement de la mise en place de plans de stock options dans des dates préétablies. C’est d’ailleurs déjà souvent le cas, puisqu’il existe des délais courants avant ou après l’assemblée générale pendant lesquels il n’est pas possible de délivrer des stock options. C’est une bonne pratique.

M. Alain MARSAUD : C’est après avoir lu le rapport du comité d’éthique du MEDEF que certains parlementaires se sont alarmés des pratiques contestables qui pouvaient exister dans le monde de l’entreprise. Nous avons eu du mal à identifier les malfaisants que vous dénonciez, mais vous laissiez entendre très clairement qu’un certain nombre de gens étaient en train de mettre en danger le fonctionnement des entreprises dans notre pays. Nos préoccupations ont été intégrées à celle de la mission d’information sur la réforme du droit des sociétés et nous avons eu l’occasion au cours des différentes auditions d’entendre des prophètes auto-proclamés du capitalisme, quelques parrains, des chefs d’entreprise qui ont échoué, certains de bonne foi, d’autres de mauvaise foi. Nous avons aussi entendu des techniciens, travaillant notamment dans des cabinets spécialisés dans la rémunération des dirigeants.

En vous écoutant, M. le Président du MEDEF, j’ai bien compris que, dans votre conception, l’homme, en l’occurrence le chef d’entreprise, est bon. Il est donc perfectible et il suffira de lui faire quelques remontrances, à travers votre comité d’éthique par exemple, lui tirer l’oreille, le menacer pour que tout rentre de l’ordre et que les excès cessent. Je ne vous cache pas que ce n’est pas tout à fait ma conception, même si j’ai plutôt confiance dans l’entreprise et dans un certain nombre de dirigeants. Toutefois, il faut prendre garde à ne pas désespérer les actionnaires, car ils risquent alors de se tourner vers le juge pénal. Les actionnaires pourront ainsi se demander si le fait de distribuer des plans de stock options bradés à un dirigeant lors de son arrivé à la tête de l’entreprise n’est pas contraire à l’intérêt de la société et n’est pas constitutif d’un abus de biens sociaux. On verra alors certains chefs d’entreprises se retrouver devant le tribunal correctionnel, parce qu’on n’aura pas réussi à changer ces mœurs. Je pense pour ma part que le mouvement de moralisation doit être impulsé par la loi.

M. Maxime GREMETZ : J’ai ici un tableau où figurent les rémunérations des patrons français qui sont les mieux payés en Europe. La rémunération prise en compte est la rémunération annuelle moyenne, incluant le salaire de base, les primes et les bonus pour l’année 2001. Cette somme s’établit à 1,9 million d’euros pour les patrons français, contre 0,9 million pour les patrons irlandais par exemple.

M. Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Il faut préciser qu’il s’agit des rémunérations des dirigeants des sociétés cotées du CAC 40. Soyez assuré que la moyenne de la rémunération de l’ensemble des dirigeants français n’est pas de 1,9 million d’euros.

M. Maxime GREMETZ : Les grands patrons français sont donc les mieux payés d’Europe. Les grandes sociétés sont celles qui font le plus de profit. En 1982, la part du profit dans la valeur ajoutée produite était de 25 %, mais en 2002 la part du capital monte à 31,6 % au détriment des salaires. Enfin, les grandes entreprises sont celles qui sont le plus aidées en France, notamment grâce aux exonérations de cotisations patronales. Ces aides s’établissent aujourd’hui à un montant de 20 milliards d’euros. C’est loin d’être négligeable.

J’ai moi aussi le souci de l’entreprise, car qui dit entreprise, dit emplois. Les salariés selon le patron sont là pour travailler, produire des richesses et se taire. Dans la gestion des entreprises, les salariés ont très peu de droits. C’est l’entrepreneur qui décide des investissements et de la gestion. Dans les conseils d’administration, la représentation des salariés est symbolique, quand elle existe. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait faire participer davantage les salariés à la gestion de l’entreprise, sans aller jusqu’à la cogestion, à laquelle je ne suis pas favorable ? Croyez-vous à l’entreprise citoyenne qui associerait les organisations syndicales et les comités d’entreprise à sa gestion ? Les salariés connaissent bien l’entreprise, mais on ne leur demande jamais leur avis, sauf bien sûr sur les plans de licenciement. Je ne parlerai pas des pauvres actionnaires d’Eurotunnel.

M. Christophe CARESCHE : Vous avez repris une analyse qu’on a souvent entendue ici et qui consiste à dire que le capitalisme français est plus vertueux que le capitalisme anglo-saxon et que, malgré les abus, les fondamentaux sont bons. Il suffirait donc de quelques améliorations. Je me demande si cette lecture est pertinente. On a effet constaté ces dernières années que la rémunération des responsables d’entreprises françaises avait considérablement augmenté et qu’aujourd’hui la part variable de la rémunération de ces responsables est la plus importante en Europe.

Il faut se demander si la structure du capitalisme français, notamment la consanguinité et l’opacité des conseils d’administration, n’a pas favorisé cette « flambée ». Le message essentiel des responsables de grandes entreprises que nous avons auditionnés était de nous enjoindre à ne pas légiférer. Mais ne serait-il alors nécessaire de légiférer ? Qu’est-ce qui assure que les recommandations que vous prônez seront suivies ? Pourquoi cette « flambée » ne se poursuivrait-elle pas ?

L’acceptabilité sociale des rémunérations a été évoquée. Aujourd’hui, le gouvernement demande aux Français de travailler un jour de plus par solidarité pour les personnes âgées et le patron des patrons leur dit que c’est une excellente chose. Comment vont-ils alors comprendre le fait qu’on ne légifère pas pour corriger des dérives qui les ont profondément choqués ? C’est ce qui explique que beaucoup de Français ont le sentiment qu’il y a aujourd’hui dans leur pays deux poids, deux mesures. Je me félicite de constater une prise de conscience, mais il faut qu’elle aille au-delà des bonnes intentions.

M. Xavier de ROUX : Vous avez souligné au début de notre réunion qu’il ne fallait pas confondre les excès du capitalisme américain avec les difficultés qui sont apparues dans certaines entreprises françaises. Le fait déclencheur de la prise de conscience dont parlait M. Caresche a été la rémunération et les primes de certains dirigeants qui n’avaient plus aucun rapport avec le résultat des entreprises, leur efficacité économique. Une entreprise ne se réduit pas à ses dirigeants, c’est un ensemble créateur de richesse auquel les salariés participent. Quand on s’aperçoit que la rémunération des dirigeants d’une entreprise représente une part importante de la masse salariale de celle-ci, la solidarité de l’entreprise doit être confortée. Faut-il légiférer ? La question reste ouverte. Vous avez eu raison de souligner, M. Seillière, que le problème des rémunérations touche une part infime des entreprises françaises, quarante sur les plus de deux millions que compte notre pays.

Ma question porte sur les moyens techniques de la transparence. Ne serait-il pas souhaitable que les commissaires aux comptes remettent à l’assemblée générale une note comptable précise sur la rémunération des dirigeants - je n’ai pas dit un rapport spécial - afin d’éclairer l’assemblée générale sur la rémunération des dirigeants ?

M. Michel PIRON : L’acceptabilité sociale - peut-être faudrait-il parler d’acceptabilité sociétale - varie selon les pays. Comment les groupes internationaux tiennent compte des différentes acceptabilités nationales ? Ma seconde question concerne la responsabilité des administrateurs. Vous avez fait, M. Seillière, une certaine apologie du risque. J’avoue avoir préféré votre éloge de la transparence. Je comprends qu’en tant que président du MEDEF vous affichiez un certain saint-simonisme, mais il semble revisité par Jean-Jacques Rousseau, ce qui ne me satisfait qu’à moitié. Le risque que courent les actionnaires suffit-il à exonérer les administrateurs de leur responsabilité pénale ?

M. Ernest-Antoine SEILLIÈRE : M. Marsaud m’a interrogé sur la confiance qu’on peut faire aux entrepreneurs. L’homme est-il bon ? Quelle confiance faire aux ministres, aux parlementaires, aux médecins ? Ce sont des questions auxquelles je n’ai pas de réponses, mais je crois que parmi les 700 000 entrepreneurs que rassemble le MEDEF, certains sont excellents, d’autres quelconques, mais il y a une masse qui se donne un mal fou pour essayer de réussir. Le MEDEF fait confiance aux entrepreneurs. La décentralisation de la décision et la motivation par l’identification d’une responsabilité, autour de laquelle on laisse la liberté de faire, sont des principes moteurs de la réussite des entreprises françaises. Le pouvoir hiérarchique, le contrôle et la réglementation excessive rendent l’entreprise moins bonne et moins compétitive. Le principe de la confiance est au cœur de la gouvernance des entreprises. Peut-être y aura-t-il ici ou là des excès conduisant à des condamnations, mais l’ensemble portera plus loin la réussite française.

M. Gremetz a porté un jugement sur les grandes entreprises françaises, qui seraient les plus exonérées de charges, les plus profitables et dont les dirigeants seraient les mieux payés. Je ne vais pas adopter une position obsidionale, mais nous sommes fiers quand des entreprises françaises se classent parmi les cent premières entreprises mondiales. Si la France n’était pas capable de produire de telles entreprises, nous, entrepreneurs, penserions que nous n’avons pas fait notre travail. Je ne vois pas d’inconvénients à ce que les dirigeants français soient les mieux payés d’Europe si leurs entreprises sont celles qui réussissent le mieux. Je ne veux pas citer d’entreprises, mais certaines d’entre elles sont la fierté de l’entrepreneur français dans le monde et le fait que leurs dirigeants soient payés 1,5 million d’euros ne me semble pas du niveau des préoccupations de la représentation nationale.

Il y a une différence fondamentale entre le capitalisme français et le capitalisme américain. Aux États-Unis, l’entrepreneur doit faire fructifier le patrimoine de l’actionnaire. La shareholder value est le principe fondamental de l’association d’hommes et des femmes en entreprise aux États-Unis. D’ailleurs, les entrepreneurs qui ne gèrent pas leur entreprise dans ce but sont pénalement responsables. L’insertion de l’entrepreneur français dans la société est très différente. Les entrepreneurs français ont conscience de représenter une trilogie constituée par les actionnaires, les salariés et les clients. La réussite d’une entreprise se mesure au niveau de vie et à la promotion personnelle qu’elle assure à ses salariés, aux opportunités d’enrichissement offertes à ses actionnaires et au niveau de qualité et de prix du produit vendu à ses clients. C’est la vision de l’entrepreneur français que le MEDEF défend très fortement.

M. Caresche se demandait si l’opacité et la consanguinité du capitalisme français avaient encouragé la flambée des rémunérations que certains ont identifiée et que d’ailleurs d’autres experts démentiront peut-être. Vous pourrez discuter avec le président de Proxinvest du fond de cette question. Nous pensons que c’est la transparence qui en est la cause. Quand de grands dirigeants français ont publié leur rémunération, plusieurs d’entre eux ont dit se trouver en position d’infériorité par rapport à d’autres dirigeants de groupes étrangers comparables. Les cabinets de conseil en recrutement et rémunération ont établi des comparaisons qui ont poussé les conseils d’administration à mettre leurs dirigeants dans les quartiles de la moyenne mondiale. Nous assistons aujourd’hui au retour du boomerang. L’acceptabilité de telles rémunérations en France a conduit à la mise en place d’un phénomène de correction.

M. Alain MARSAUD : En somme, vous êtes en train de nous dire que c’est le thermomètre qui a fait monter la fièvre.

Le président Pascal CLÉMENT : Incontestablement, la transparence a poussé à la hausse et les cabinets de conseil ne font rien d’autre que de comparer les entreprises de même poids. C’est exactement ce que certains experts nous ont expliqué.

M. Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Plusieurs d’entre vous se demandent s’il faut légiférer. Si vous voulez légiférer, allez-y ! C’est votre pouvoir. Toutefois, en matière de rémunération, il faut prendre en compte l’attractivité de notre territoire. Permettez-moi ce commentaire... si vous légiférez pour aligner la rémunération des dirigeants de grandes entreprises sur celle des parlementaires, vous n’aurez plus de grandes sociétés en France. Or, vous le savez, il y a énormément de sociétés étrangères qui ont renoncé à établir leur siège social en France, car elles jugeaient que notre législation ne leur permettait pas d’organiser leur société selon leurs critères.

Je dirais à M. Xavier de Roux que ce sont les rémunérations jugées scandaleuses par l’opinion qui ont jeté l’opprobre sur le métier d’entrepreneur. Nous ne les défendons donc pas. Il y a aussi eu des cas où la pression de l’opinion a conduit des dirigeants à corriger rapidement et fortement les excès dénoncés. La transparence et le débat sont donc les bienvenus.

En réponse enfin à M. Michel Piron, les entreprises mondialisées tiennent comptent de l’acceptabilité des pays dans lesquels elles sont implantées pour fixer une rémunération qui puisse être acceptée dans tous ces pays. Certains des dirigeants de ces entreprises ont d’ailleurs des salaires moins élevés que des directeurs de filiale de leur propre groupe.

Quant au risque, à entendre une certaine presse, j’ai commis l’erreur d’employer, dans une revue spécialisée dans le secteur de l’assurance, l’expression « risquophile », inspiré par certains des experts qui m’entourent. Il semble que je porte cette erreur à travers les années de mon mandat. Les entrepreneurs voient dans le risque un des fondements de la société de marché, mais je crois qu’il ne faut pas le vanter au point d’en faire une valeur centrale. Ceci dit, l’épargnant achète une action parce qu’il pense pouvoir en tirer un avantage patrimonial et si ce n’est pas le cas, ce ne sera qu’une conséquence du risque qu’il a accepté de prendre. Dans ces conditions, je ne pense pas que le dirigeant qui ne lui a pas permis de tirer l’avantage patrimonial qu’il escomptait doive aller en prison ou doive être lourdement condamné financièrement.

Le président Pascal CLÉMENT : Le débat sur la nécessité de légiférer dans le domaine de la gouvernance des entreprises reste ouvert. Toutefois, il est un point sur lequel il est impossible de légiférer, sous peine de voir les entreprises retirer leurs sièges sociaux de notre pays, c’est le plafonnement des rémunérations.


Source : Assemblée nationale française