La République doit être indifférente aux religions en tant que dogme. Elle ne peut légitimement intervenir que pour réglementer leurs manifestations dans l’espace public. Aussi l’analyse des relations entre l’Islam et la République ne peut-elle partir que de l’étude de la situation des musulmans en France, des origines jusqu’aux pratiques actuelles.

Dans cette perspective, il apparaît que les musulmans constituent une population mal définie, aux représentations multiples. Ces difficultés d’approche sont encore accrues par le fait que l’Islam doit être appréhendé comme un fait non seulement religieux mais aussi social et culturel.

Parce que les relations entre l’Islam et la République sont encore aujourd’hui largement marquées par l’histoire de la colonisation, comme par les conditions de l’immigration massive de populations de culture musulmane, il apparaît nécessaire de rappeler, sommairement, les grandes étapes de l’implantation musulmane sur le territoire français.

Les étapes de l’implantation musulmane en France

L’implantation de la religion musulmane en France a été le fruit de vagues d’immigration successives, encouragées en général par les autorités publiques.

Au début du XXème siècle, l’Islam est très peu présent en métropole. A la veille de la première Guerre mondiale, on y compte seulement 4.000 à 5.000 Algériens. L’Islam reste un fait colonial, marqueur d’une identité différente et intimement lié au statut personnel.

La première Guerre mondiale entraîne les premières arrivées massives de populations musulmanes sur le sol métropolitain. D’une part, des troupes sont recrutées dans les populations indigènes d’Afrique du Nord : 170.000 Algériens et 135.000 marocains seront ainsi mobilisés. On compte près de 100.000 morts et blessés musulmans du côté français lors de ce conflit. Cette contribution à l’effort national suscitera, après la guerre, des gestes symboliques de la part de la République : création de cimetières musulmans, construction de la Grande Mosquée de Paris, inaugurée en 1924, ouverture de l’hôpital Avicenne à Bobigny. D’autre part, 130.000 musulmans sont recrutés entre 1914 et 1918 pour remplacer les travailleurs partis au front.

Le mouvement d’immigration de main d’œuvre s’accroît après la guerre. Il est soutenu par les pouvoirs publics et le patronat et favorisé par la suppression à l’égard des Algériens, en 1919, du permis de voyage. Si cette politique est stoppée à partir de 1924, en raison de la montée du chômage, l’immigration musulmane se poursuit malgré tout. En 1939, on compte 200.000 Algériens en métropole.

Après la seconde Guerre mondiale, deux éléments renforcent cette présence. La reconstruction du pays impose de faire appel à de la main d’œuvre étrangère. Ceci se traduit par la modernisation des conditions d’entrée sur le territoire métropolitain (adoption de l’ordonnance du 2 novembre 1945) et par le retour à la liberté de circulation pour les Algériens. L’immigration algérienne est prépondérante jusqu’à l’indépendance de ce pays (on compte 330.000 Algériens en métropole en 1962) et reste significative après la décolonisation. ? partir de 1960 se développe également une immigration marocaine. En 1975, on compte 260.000 ressortissants marocains sur le sol français. Jusqu’aux années 1970, ces populations connaissent un fort taux de rotation. N’ayant pas vocation à s’enraciner, elles s’accommodent, pour leur pratique religieuse, de conditions provisoires. L’Islam est désormais présent sur le sol français, mais encore peu visible.

D’autre part, le rapatriement après la guerre d’Algérie de 80.000 harkis crée la première communauté de “Français musulmans” sur le sol métropolitain. L’Islam est alors, pour les autres Français, l’une des caractéristiques de cette communauté.

La suspension de l’immigration de travail en 1974 n’empêche pas la diversification de la communauté musulmane, par arrivée de familles originaires de Turquie et d’Afrique sub-saharienne. Surtout, la nouvelle situation favorise l’expression d’un Islam jusqu’alors discret. Le gouvernement soutient dans les années 1970 la création de lieux de culte musulmans dans les foyers d’accueil, les grandes entreprises de main d’œuvre et les immeubles HLM. Cette politique répond à un objectif de paix sociale, d’intégration des populations destinées à s’enraciner, mais elle vise aussi à maintenir un lien avec leur culture chez ceux qui souhaitent retourner dans leur pays d’origine. A cette attitude répond celle des familles qui choisissent de s’installer en France. Pour elles, la transmission des valeurs religieuses reste un des éléments essentiels du respect de leur patrimoine culturel dans un contexte étranger. Les enfants issus de ces familles étant en général de nationalité française, cette situation aboutit à l’émergence d’un Islam français, qui ne se dissimule plus et cherche sa place dans le paysage religieux national.

2-1 L’Islam : un fait religieux, social et culturel.

Comme toutes les religions, l’Islam ne peut être appréhendé dans sa seule dimension spirituelle. La réalité de l’Islam en France doit être également saisie aux plans social et culturel.

2-1-1 Un fait religieux8

Si la diversité des pratiques de l’Islam dans le monde musulman interdit de dresser un portrait exhaustif et fidèle de celles des musulmans de France, l’exercice du culte est, quelles que soient les interprétations, nombreuses, qui peuvent en être faites, structuré par le respect des cinq piliers de l’Islam.

Les cinq piliers9 de l’Islam, pratiques obligatoires et codifiées, sont la profession de foi, l’aumône légale, le jeûne du mois de ramadan, la prière et le grand pèlerinage à La Mecque.

La profession de foi consiste en l’énonciation, en arabe, de la formule : “ j’atteste qu’il n’y a de Dieu que Dieu et que Mohamed est l’envoyé de Dieu ”. Prononcée devant deux témoins musulmans, elle suffit à faire entrer dans la Communauté des Croyants. Elle a une double signification : la croyance au monothéisme et celle en la mission de Mohamed.

L’aumône légale, versée par tout musulman qui en a la possibilité à la Communauté des Croyants, frappe toutes les formes de revenu. Elle est fondée sur le principe, essentiel dans l’Islam, de la solidarité communautaire.

Le jeûne du mois de Ramadan, le neuvième de l’année musulmane, consiste à ne pas manger, ne pas boire, ne pas fumer, ne pas avoir de relation sexuelle du lever au coucher du soleil. A cette abstinence physiologique, le musulman doit associer une modération dans le comportement. La rupture quotidienne du jeûne est un moment de fête, de célébration familiale. L’Aïd-el-Fitr, première journée où l’on peut se nourrir normalement, est célébrée par une grande prière collective. Sa date correspond à la réapparition du premier filet de croissant de lune.

La prière canonique est une obligation quotidienne du musulman, elle ne peut se faire qu’en état de pureté rituelle. Les ablutions sont codifiées10. Le croyant se tourne vers La Mecque pour chacune des cinq prières quotidiennes. Suivant les moments, les prières sont plus ou moins longues (elles comportent un nombre variable de raka, unités de prière) et elles sont dites à voix haute ou silencieusement, en arabe, puisque c’est dans cette langue que Dieu s’est adressé aux hommes. L’appel à la prière est la voix humaine. Le lieu de la prière peut être la mosquée mais ce n’est pas une obligation sauf pour les hommes le vendredi midi.

Le grand pèlerinage à La Mecque est un rite exceptionnel que le musulman doit accomplir une fois dans sa vie, si sa santé et ses moyens le lui permettent. Il se déroule pendant le mois où a lieu l’Aïd-el-Kébir, la grande fête musulmane qui commémore le sacrifice d’Abraham. Le hadj (pèlerin) se voit reconnaître une piété particulière parce qu’il s’est rendu et a respiré au lieu de naissance de l’Islam, là-même où était descendue la Parole divine. Cette signification considérable du grand pèlerinage se traduit par l’accomplissement de nombreux rites symboliques.

Si ces piliers sont communs à l’ensemble du monde musulman, plusieurs écoles se sont développées à partir de l’enseignement de Mohamed. L’Islam est ainsi composé de différents courants : les sunnites, les chi’ites et les kharijites.


Les différents courants de l’Islam

L’existence de différents courants procède d’une querelle sur le choix du chef de la communauté, le Calife. Premier converti, cousin germain puis, par Fatima, gendre du Prophète, Ali est élu quatrième Calife, en 656, en concurrence avec un membre du clan des Omeyades, Mu’awiya. Afin d’éviter l’affrontement, Ali accepte un arbitrage sur l’attribution du califat au résultat duquel il ne se soumet pas.

Lors de l’arbitrage décidé à Siffîn (en 656), les sunnites se sont soumis à la victoire de Mu’awiya tandis que les partisans d’Ali, calife destitué, devinrent les chi’ites. Le sunnisme se définit comme la communauté du “juste milieu”. Elle est définie par le Coran, les hadiths, c’est-à-dire les dits, faits et gestes du prophète rapportés par ses compagnons immédiats, auxquels se rajoutent ceux des quatre premiers califes et les suivants immédiats.

Les chi’ites sont à l’origine des partisans d’Ali. Dans le chi’isme, l’imam est le successeur spirituel du prophète. Des divisions significatives à l’intérieur du chi’isme sont apparues au moment de la succession du sixième imam, avec l’émergence du chi’isme duodécimain (présent en Iran, en Irak et au sud du Liban) pour lequel la lignée d’Ali s’arrête au douzième imam et l’ismaélisme (présent sur la côte occidentale de l’Inde), pour lequel elle s’arrête au septième imam, Ismaël, considéré comme “ caché ” et qui doit revenir à la fin des temps. En matière de droit, le chi’isme n’est pas fondamentalement différent du sunnisme avec cependant quelques variantes. Le Coran, les hadiths du Prophète, auxquels se rajoutent ceux des imams, constituent les deux premières sources du droit, vient ensuite le consensus de la communauté (ijma) mais conditionnée par l’approbation de l’imam. Autre différence avec le sunnisme : les chi’ites ont maintenu ouvertes les portes de l’interprétation. Sur le plan cultuel, les pratiques sont semblables à l’exception du mariage qui peut être temporaire pour les chi’ites.

Les kharijites sont présents dans le sultanat d’Oman mais aussi au Maghreb (Tunisie, Algérie, Lybie), ils réuniraient un million de personnes. Ils sont les héritiers des musulmans qui firent scission au moment de la bataille de Siffîn, au sujet de la succession du prophète. A l’origine partisans d’Ali, ils s’en sont séparés lorsque celui-ci accepta l’arbitrage humain pour décider de la succession du Prophète. Dans ce courant de l’Islam, l’origine de l’imam est indifférente si ses vertus le qualifient pour une telle charge.


Le sunnisme comprend quatre écoles différentes.

 L’école hanafite tire son nom de son créateur l’imam Abu Hanifa (mort en l’an 150 de l’hégire -767), et fut créée à Bagdad. Elle s’appuie sur le Coran, la sunna et le raisonnement par analogie (qiyas). Cette école connut son apogée à l’époque abasside et dans l’empire ottoman. Aujourd’hui, son influence s’étend surtout en Turquie, en Inde et en Chine.

 L’école malékite tire son nom de l’imam Malik ibn Anas (mort en l’an 179 de l’hégire –795-). Elle privilégie le consensus (ijma) des docteurs ou savants de chaque époque (oulémas), puis le raisonnement par analogie (qiyas) et enfin le jugement personnel (ra’y). Elle fait également une large place à la coutume locale (‘urf). Son influence est presque totale sur le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.

 L’école shafi’ite, qui apparaît en l’an 204 de l’hégire (820), tire son nom de Mohammed Idrîs Al Shafi’i, qui étudia d’abord auprès de Malik à Médine puis auprès des disciples d’Abu Hanifa en Irak. Les partisans de cette école privilégient le consensus (ijma), se méfient du jugement personnel (ra’y) auquel ils préfèrent le raisonnement par analogie. Cette école est présente en Arabie du Sud mais aussi en Indonésie et en Malaisie.

 L’école hanbalite de Ahmad ibn Hanbal (mort en 241 de l’hégire –855-), créée à Bagdad, préconise la fidélité rigoureuse à la “ religion pure des Anciens ”, elle est hostile à la liberté du raisonnement. Cette école a été réactualisée au XVIIIème siècle par le mouvement wahabite, actuellement école officielle du royaume saoudien.

2-1-2 Un fait social et culturel

Une approche seulement religieuse ne suffit pas à saisir la réalité des musulmans en France aujourd’hui. Le débat sur l’Islam et la laïcité conduit parfois à reléguer l’analyse du rapport entre l’Islam et l’intégration des populations musulmanes au second plan. Pourtant, l’appartenance à la religion musulmane apparaît également comme un phénomène social et culturel qu’A. Lamchichi propose d’appréhender “comme une interaction entre croyances, pratiques, normes et conduites sociales ”11.

Il n’est pas question pour le HCI de prétendre ici réduire l’appartenance à une religion à sa seule dimension sociale. Mais, il apparaît indispensable, pour les pouvoirs publics comme pour la société française dans son ensemble, de ne pas se borner à concevoir l’Islam uniquement dans sa dimension spirituelle. La République n’a pas à intégrer les religions. En revanche, la politique d’intégration s’applique aux musulmans, comme aux autres membres de la population, dont les pratiques religieuses, qui renvoient autant à la culture d’origine qu’au dogme lui-même, contribuent à forger l’identité.

2-1-2-1 Islam, intégration et identité des populations musulmanes en France 

Il s’agit pour les musulmans des deuxième et troisième générations de trouver une place dans la société qui a accueilli leurs parents tout en préservant leur identité spécifique.

Or, la dynamique d’intégration des populations immigrées bouleverse en profondeur les manières de vivre l’Islam des différentes générations de musulmans en France. Alors que l’Islam des parents demeure attaché aux traditions des pays d’origine, celui des jeunes, sécularisé ou néocommunautaire, s’inscrit davantage dans l’histoire et la société françaises.

Dans cette démarche, la religion constitue un élément de socialisation et d’identification parmi d’autres. Elle peut revêtir différentes fonctions sociales dans le processus d’intégration. Les pratiques religieuses telles que le jeûne du ramadan ou la célébration de l’Aïd el Kébir ont ainsi une très forte signification sociale et identitaire au-delà de leur stricte signification religieuse. Pour beaucoup de musulmans, l’Islam est autant un patrimoine symbolique collectif, culturel et identitaire, une tradition qu’un ensemble de codes moraux et normatifs strictement et exclusivement religieux. L’Islam participe ainsi à la réinvention permanente de l’identité des individus engagés dans un processus d’intégration.

Cette dynamique agit en retour sur l’Islam de France, qui constitue un “lieu de tensions et de réajustements continus tant au plan symbolique qu’au niveau des pratiques sociales”12.

2-1-2-2 La diversité des manières de vivre l’Islam parmi les nouvelles générations

Pour la très grande majorité des musulmans, la référence à l’Islam constitue surtout une part de l’héritage familial et culturel : il s’agit alors d’un Islam sécularisé. Sans toujours se conformer strictement aux règles du culte, ils considèrent l’Islam à la fois comme source de valeurs et comme un élément fort de leur identité culturelle. L’Islam sécularisé concerne des personnes nées ou scolarisées en France fortement imprégnées par les valeurs individualistes et qui opèrent clairement la distinction entre leur foi et l’expression rituelle ou publique de celle-ci. Cette privatisation de la croyance et la liberté revendiquée face aux institutions religieuses les amènent à formuler une critique sévère des magistères religieux classiques et à leur préférer la construction d’une morale personnelle à partir des principes de l’Islam. Elles manifestent leur religiosité à l’occasion du jeûne du ramadan et de l’Aïd el Kébir.

D’autres musulmans, en revanche, découvrent, souvent hors du milieu familial, un Islam plus orthodoxe que celui de leurs parents et dont la pratique emprunte plus ou moins au pays d’origine. Ce “renouveau Islamiste” ou encore cette “réislamisation” ne peut pas être analysé comme un repli identitaire tant ses formes se distinguent de celles de l’Islam des générations précédentes. Minoritaire parmi les musulmans de France, il s’incarne d’abord dans des réseaux d’activistes radicaux, dont les engagements bénéficient d’une visibilité médiatique sans rapport avec leur importance réelle. De manière plus significative, cette réislamisation a favorisé l’émergence de mouvements néofondamentalistes, à l’origine d’un Islam associatif néo-communautaire, alimenté notamment par la fin des mouvements “beurs”1. On observe de manière générale, chez ces jeunes musulmans, une tendance à régler leur conduite sociale sur la morale religieuse plutôt que sur la morale civique (prohibition de la mixité, complémentarité des sexes plutôt qu’égalité). La pratique du ramadan réapparaît ainsi avec force alors qu’elle était plus rare parmi leurs aînés, et contribue à une forte valorisation sociale de leur image. La seule volonté d’être identifié comme musulman semble parfois motiver l’adhésion à l’Islam.

2-1-3 Des demandes variables

Alors que pendant les années 1960 et 1970, l’Islam des immigrés musulmans se caractérisait à la fois par une très grande discrétion et par de faibles revendications d’amélioration des conditions d’exercice du culte, conditions pourtant très précaires mais qui étaient supportées grâce à l’idée du retour dans le pays d’origine, l’Islam des deuxième et troisième générations, dont la visibilité témoigne de la sédentarisation des populations immigrées, ne se laisse pas facilement saisir.

La faiblesse de la pratique religieuse des jeunes issus de l’immigration est tout à fait comparable à celle du reste de la société, en particulier la fréquentation des lieux de culte14, notamment parmi les musulmans d’origine algérienne pour lesquels on observe un fort ajustement des comportements dès la première génération des enfants nés en France. Le fait que, parallèlement, certaines pratiques soient de plus en plus répandues comme l’Aïd-el-Kebir, le jeûne du ramadan et le respect des interdits alimentaires concernant la viande de porc, semble confirmer l’hypothèse que pour de nombreux musulmans en France, l’attachement culturel à l’Islam l’emporte sur le fait religieux.

Il reste que l’Islam suscite des demandes plus en plus précises sur les lieux de prière, les carrés musulmans dans les cimetières, la possibilité de respecter les interdits alimentaires dans la restauration collective, au moins en ce qui concerne la viande de porc. Les revendications relatives aux conditions matérielles décentes d’exercice du culte sont “davantage révélatrices d’un changement d’attitude par rapport à la société française que d’une intensification de la pratique ”15. Ce changement d’attitude découle à la fois, dans des proportions variables selon les individus, de l’installation durable en France des populations immigrées et de leur volonté d’identification en tant que musulman.

2-2 Les musulmans de France : une population mal définie

La définition de la population musulmane en France se heurte à des difficultés de méthodes qui expliquent, pour partie, l’existence d’évaluations statistiques variables.

2-2-1 Des difficultés méthodologiques

A la différence d’autres pays, la France n’autorise pas la production de statistiques sur les groupes religieux.

Le droit ne permet pas de distinguer ni de recenser les citoyens ou les résidents en fonction de leur foi, le dernier recensement posant la question de la confession d’appartenance datant de 1872 - et dans le cas des départements d’Alsace-Moselle de 1962. Est en effet interdit tout dénombrement indiquant l’appartenance confessionnelle, qu’elle repose sur une déclaration de l’intéressé ou sur une estimation des pouvoirs publics.

Les évaluations de démographes, sociologues et historiens, qui rencontrent de nombreuses difficultés méthodologiques et éthiques, permettent seules d’approcher une connaissance des phénomènes religieux.

Dans le cas de l’Islam de France, les mouvements de population et l’acquisition de la nationalité française rendent de surcroît les tentatives de chiffrage inévitablement circonstancielles. En outre, l’identité religieuse n’est pas une donnée fixe. Conversions, désengagement religieux ou retour vers la foi sont autant de phénomènes dont il est difficile de quantifier les effets. Il convient donc d’analyser avec précaution les réalités extrêmement diverses que recouvre le sentiment religieux, expérience individuelle se traduisant par une grande variété d’attitudes en matière de foi et de pratique, a fortiori au sein de communautés musulmanes qui doivent construire leur identité dans une société sécularisée où leur foi est minoritaire.

La comptabilité du nombre de musulmans vivant en France suppose donc une grande prudence. Comme le note Jocelyne Césari16, “ tout le monde pense savoir ou croit savoir qu’il y a un certain nombre de rites, de pratiques et de croyances qui font que si quelqu’un est musulman, il est obligatoirement musulman de cette manière. C’est une dérive totalisante, essentialiste, qui ne tient jamais compte de la personne que l’on a face à soi (...) Dès qu’un certain nombre de personnes ne se conforment pas à ces prescriptions ou à ces codes rituels, les observateurs, perturbés, commencent à déclarer qui est musulman ou qui ne l’est pas : c’est le faux débat par excellence ”.

2-2-2 Des évaluations statistiques variables

S’il est impossible de parvenir à un décompte précis, les estimations convergent vers un même ordre de grandeur : il y aurait en France plus de quatre millions de musulmans. F. Fregosi avance même le chiffre de 5 millions de musulmans dont un tiers à la moitié seraient de nationalité française. Il faut noter que ces différentes évaluations recensent comme musulmans toute personne de “culture musulmane”.

1- En se fondant sur les pays d’origine et en ignorant le degré de pratique ou la revendication par ces populations de leur identité religieuse, A. Boyer avance le chiffre de 4 155 000 musulmans en France :
 Musulmans d’origine maghrébine : 2 900 000
Dont d’origine algérienne : 1 550 000
Dont d’origine marocaine : 1 000 000
Dont d’origine tunisienne : 350 000
 Arabes du Moyen-Orient : 100 000
 Turcs : 315 000
 Afrique Noire : 250 000
 Convertis : 40 000
 Demandeurs d’asile et clandestins : 350 000
 Asiatiques : 100 000
 Autres  : 100 000
Total : 4 155 000

2- A. Boyer suggère une autre approche à partir des statistiques de la population étrangère par pays d’origine, supposée d’appartenance musulmane. Ces estimations reposent sur des extrapolations à partir des données du recensement relatives à la nationalité des individus. En retenant les principaux pays musulmans d’émigration, le recensement de 1990 comptabiliserait 1 671 914 musulmans étrangers en France dont près de 1 400 000 maghrébins. Il faut cependant leur ajouter les ressortissants d’autres pays non pris en compte dans cette première estimation (Pakistan, Iran...) ou provenant d’Etats pour lesquels la part des musulmans au sein de la population est plus difficile à déterminer : Liban, Yougoslavie, Inde...

Il faut enfin prendre en compte les musulmans de nationalité française dont le nombre ne peut être connu précisément :
 les harkis et leurs descendants soit 450 000 selon la Délégation aux rapatriés en 1997 ;
 les enfants et petits-enfants d’immigrés ayant acquis la nationalité française ;
 les Français convertis à l’Islam, pour lesquels les évaluations vont de 10 000 à 100 000 ;
 les musulmans originaires des DOM-TOM : Antillais convertis, populations musulmanes de la Réunion et de Mayotte.

Selon cette estimation, le total serait légèrement supérieur à quatre millions de personnes

Sur la base de ces estimations, l’Islam est présentée comme la deuxième religion de France. Dans le cadre de ses travaux, le HCI a, pour sa part, cherché à distinguer les personnes “de culture musulmane” des personnes qui, pratiquant de manière plus ou moins régulière leur culte, peuvent être recensés comme de “religion musulmane” au sens strict.

Les chiffres disponibles à partir des données du recensement de 1990 permettent une estimation sommaire de la population devant être regardée comme de “culture musulmane” à partir du lien de parenté avec le chef de famille, du pays de naissance et de la nationalité actuelle ou antérieure. En appliquant aux effectifs ainsi déterminés les taux de fréquentation religieuse les plus élevés trouvés dans l’enquête MGIS de 199217, on aboutirait à un total de personnes de “religion musulmanse” sans doute inférieur au million.

Cependant, cette approximation permet davantage de relativiser la fiabilité des estimations les plus répandues que de donner une photographie pertinente de l’Islam en France. Il faut d’abord reconnaître que le critère retenu, la fréquentation des lieux de culte, pour définir la pratique de l’Islam dans cette estimation peut être discuté. La fréquentation de la mosquée, qui n’a pas d’ailleurs le caractère sacré des églises catholiques, n’est pas en effet une obligation religieuse : de nombreux musulmans, croyants et pratiquants, ne s’y rendent qu’exceptionnellement. En outre, l’insuffisance des lieux de culte limite de fait cette pratique. Enfin, rappelons que cette pratique, essentiellement masculine, ne dit rien des femmes musulmanes. Le jeûne du Ramadan ou le respect des interdits alimentaires semblent plus près de la réalité des pratiques mais, plus difficiles à mesurer, ils échappent à la rationalité statistique.

Le HCI ne prétend pas trancher entre ces différentes évaluations. Il se borne à relever que l’on peut aboutir à des données et même à des ordres de grandeur très différents des quatre millions régulièrement cités dès lors que l’on essaie de distinguer culture musulmane et pratique de l’Islam.

2-3 Une communauté aux représentations multiples.

La, ou plutôt, les communautés musulmanes se caractérisent, à la base, par un tissu associatif dynamique et, au niveau national, par l’existence de fédérations multiples.

2-3-1 Un tissu associatif dynamique : des critères de constitution nationaux, théologiques, générationnels et régionaux.

La communauté des musulmans de France a été, pendant l’entre-deux guerres, structurée par des confréries, notamment l’Association des étudiants nord-africains et l’Association des oulémas algériens. Après la seconde guerre mondiale, le monde associatif musulman est marqué par la jeunesse étudiante, notamment avec l’Union générale des étudiants musulmans algériens et l’Association des étudiants islamiques de France. Vers la fin des années 1960, après la décolonisation, se développent, notamment à l’initiative des travailleurs immigrés, des associations à caractère religieux dont la première a été l’Association cultuelle islamique. Les années 1970-1980 sont marquées par une certaine effervescence du monde associatif18. Aujourd’hui, le tissu associatif se caractérise par une grande diversité.

2-3-1-1 Un tissu associatif d’une grande diversité

La diversité du monde associatif musulman s’explique d’abord par la variété des doctrines théologiques, des courants et des écoles propres à l’Islam (voir supra 2-1-1).

L’émiettement du tissu associatif résulte en outre des trois facteurs suivants.

En premier lieu, la diversité des origines nationales et le maintien des références aux pays d’origine contribuent à colorer l’Islam des musulmans de France d’une touche autant culturelle et ethnique que religieuse.

Une grande partie des musulmans de France sont encore de nationalité étrangère et la présence des Etats d’émigration dans le paysage de l’Islam français résulte tant de leur volonté de conserver un lien avec leurs ressortissants que des demandes émanant des communautés immigrées. L’envoi d’imams, les soutiens financiers ou l’implication dans les institutions regroupant les musulmans de France permettent aux Etats de préserver une influence parmi leurs expatriés. En sens inverse, ceux-ci, récemment détachés de leur pays de naissance et fréquemment empreints d’une culture où religion et Etat étaient intimement liés, y voient la garantie du maintien des liens avec le pays d’origine et de la cohésion interne de leur communauté.

Au plan local, cette identité à la fois nationale et religieuse s’exprime dans des lieux de culte le plus souvent marqués ethniquement ou nationalement où se recrée l’atmosphère de l’Islam du pays d’origine. Un président d’association comorien marseillais faisait ainsi la remarque qu’il lui fallait surveiller “les infiltrations qui risqueraient de donner une autre couleur à la manière de prier des comoriens”19. La part prépondérante que prennent les pères de famille primo-migrants dans la gestion des salles de prière explique la persistance de ces identités nationales, ainsi que les conflits qui ne manquent pas d’apparaître lorsqu’émergent des projets de “grandes mosquées” dans des villes où la population musulmane est divisée entre communautés de poids équivalents.

L’échec du projet d’une grande mosquée de Marseille ou les atermoiements autour de la mosquée de Strasbourg s’expliquent notamment par ce facteur.

L’Islam turc est plus encore que d’autres relié au pays d’origine, les luttes d’influence entre l’Etat et le mouvement Islamiste étant reproduites, toutes proportions gardées, en France : à l’influence dans nombre de mosquées de langue turque du DITIB (union turco-Islamique d’affaires théologiques), qui dépend de l’ambassade de Turquie, répond l’action de l’institut des musulmans de France, proche des partis Islamistes initiés par N. Erbakan (Refah, Fazilet), ou de la tendance Kaplan, tenante d’un Islam plus radical.


L’Islam turc

Forte d’environ 300 000 personnes, la communauté d’origine turque connaît un double clivage, comme la population turque elle-même : un clivage ethnique entre Turcs et Kurdes d’une part, et un clivage religieux entre sunnites et fidèles de la confession alévie-bektachi d’autre part.

La représentation des Turcs sunnites en Europe recoupe la distinction entre les fédérations liées au gouvernement et les unions fondamentalistes dans l’opposition : on trouve d’un côté le DITIB (union dépendant du secrétariat d’Etat aux affaires religieuses) et de l’autre le Milli G ?rüs, ou “Le Point de vue national”, qui est la branche européenne de l’ex-parti islamiste de la prospérité, interdit en 1998 et reconstitué sous le nom de “Parti de la vertu”. Ce mouvement a connu une scission importante avec la création du mouvement suleymaniste, implanté à l’étranger depuis 1974, et du mouvement Kaplan, regroupant des ultra-orthodoxes sunnites pro-iraniens, également implanté en Europe.

L’alévisme qui est lointainement apparenté au chiisme regroupe un quart de la population turque. Cette école n’est pas encore officiellement reconnue par le gouvernement turc mais est actuellement dans une phase de légitimation par les autorités.

De toutes les communautés musulmanes installées en France, la communauté turque est, selon A. Boyer, celle qui formule le moins de demandes de naturalisation, ce qui paraît s’expliquer par le dynamisme de la vie communautaire. La pratique religieuse y est systématique pour la première génération d’immigration, et s’atténue dans les générations suivantes. Selon un sondage cité par A. Gokalp, directeur de recherche au CNRS, 38% des jeunes d’origine turque déclarent faire la prière occasionnellement, 35% ne jamais la faire. Près de 60% pratiquent le ramadan. Ce sondage mêlait toutes les confessions, ce qui implique, compte tenu de la pratique à peu près nulle de la prière et du ramadan chez les alévis, que la pratique des jeunes sunnites est supérieure à ces chiffres. La pratique religieuse est, sauf pour ce qui concerne les jeunes liés aux réseaux fondamentalistes, davantage liée à la proximité familiale et sociale qu’à des revendications identitaires. Comme les autres communautés, les Turcs pratiquent l’Islam en autarcie, ne fréquentant pas les mosquées des maghrébins et des africains, et pratiquent dans des salles de prières aménagées par des associations régies par la loi de 1901, le plus souvent des amicales de travailleurs immigrés. Les locaux appartiennent à la Fondation des oeuvres pieuses, émanation du secrétariat d’Etat aux affaires religieuses turc.


La spécificité de l’Islam de l’Afrique sub-saharienne, doublement minoritaire au sein d’une société majoritairement chrétienne et au sein d’une communauté de foi majoritairement maghrébine, s’illustre dans des regroupements nationaux (La Tijanniya ou les Mourids du Sénégal) ou ethniques (Fédération des associations Islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles créée en 1989 et devenue en avril 2000 Fédération française).

La “dahira”, cercle en arabe, est une association religieuse qui prend en charge, à l’échelle des villages africains, l’organisation des différentes cérémonies (chants, lecture du Coran) dont le modèle est reproduit en France parmi les populations d’origine africaine.

En deuxième lieu, des critères générationnels contribuent au caractère pluriel de l’expression de l’Islam de France. Imprégnés de la sécularisation de la société où ils sont nés, ayant un rapport plus individualiste à la foi et à la pratique, les jeunes sont également moins inscrits dans le monde communautaire de leurs parents. Pour les jeunes qui s’investissent dans des associations se revendiquant musulmanes, l’engagement doit aussi fournir une réponse aux difficultés qui sont les leurs – et qui ne sont pas celles de la première génération. Le lieu fédérateur de cet Islam des jeunes est moins la mosquée que l’association de quartier, l’association sportive ou de soutien scolaire, où se développe une action plus collective et plus préoccupée des questions culturelles et identitaires. A Lyon, l’union des jeunes musulmans (fondée en 1987) témoigne de cette ambition. Cette césure générationnelle marque très profondément le passage d’une religion incarnée dans une culture dominante à une religion vécue comme un choix individuel.


Le mouvement des scouts musulmans de France

Créé en 1990, le mouvement des scouts musulmans de France compte aujourd’hui 1 500 membres de 8 à 21 ans. Ce mouvement a affiché sa volonté de s’inscrire pleinement dans la dynamique du scoutisme. Reconnu en 1992 comme association d’éducation populaire par le Ministère de la Jeunesse et des Sports, bénéficiant du soutien financier du fonds d’action sociale, le mouvement des scouts musulmans de France organise chaque année de nombreux rassemblements de jeunes, musulmans ou non, filles et garçons, autour d’activités sportives, culturelles et d’éducation religieuse ouverte, dans la lignée des autres mouvements scouts confessionnels.


En dernier lieu, le caractère régional de l’Islam de France doit être souligné. Les associations et les communautés qu’elles animent empruntent des traits à leur environnement social et religieux. Comme le souligne Farhad Khosrokhavar20, “ la banlieue lyonnaise est connue pour l’histoire de sa lutte pour l’égalité des droits, Strasbourg pour sa capacité d’ouverture à l’Islam à partir de sa tradition concordataire, Marseille pour son culturalisme, Lille pour l’activité de sa principale mosquée qui discute volontiers avec les autorités municipales ”. Dans ce contexte, les grandes mosquées de Paris, Lille ou Evry jouent fréquemment le rôle de fédérations régionales et imprègnent le tissu associatif local par l’action des personnels qu’elles ont formés ou qu’elles ont désignés, par la réponse qu’elles apportent aux problèmes que rencontrent les petites communautés au sein des hôpitaux, pour la construction des mosquées ou la désignation d’aumôniers.

2-3-1-2 Un mode d’engagement qui privilégie la forme de l’association loi 1901

Les associations se sont donc imposées comme le principal mode d’action collective des communautés musulmanes.

Le développement du mouvement associatif s’explique aussi par la suppression du régime d’autorisation préalable qui prévalait, pour les associations étrangères, jusqu’à la loi du 9 octobre 1981.

L’engagement associatif permet le développement d’actions de proximité et induit une reconnaissance nouvelle de la part des institutions, mais demeure ambigu au regard de l’intégration : à la fois affirmation d’une identité culturelle et signe d’adaptation à la société française, il traduit une volonté d’agir dans le champ public mais sur des bases particularistes. Dans tous les cas, il importe pour les acteurs publics de parfaire leur connaissance de ces acteurs et d’encourager celles de leurs actions qui correspondent à des objectifs d’intégration21, quand trop souvent leur appellation musulmane limite les appuis dont elles pourraient bénéficier et que leurs projets mériteraient.

2-3-2 Des fédérations nationales concurrentes

Peu d’associations disposent de la surface financière ou de la légitimité nécessaires pour apporter des réponses aux questions complexes qui se posent pour le culte musulman. Dans bien des cas, beaucoup n’ont pas la possibilité de rémunérer un imam. Très vite s’est donc imposée la nécessité de regroupement en fédérations régionales et d’organisation par des associations nationales.


Les principales fédérations musulmanes

 L’institut musulman de la mosquée de Paris.

La mosquée de Paris a été inaugurée en 1926 par le président Doumergue et le sultan Moulay Youssef. Bénéficiant de son antériorité et de ses liens traditionnels avec l’Etat algérien, l’IMMP entend être à la fois un lieu de rayonnement de la culture Islamique et un lieu de rassemblement de la communauté. L’institut revendique l’autorité sur 150 imams par le biais de cinq muftis régionaux et prétend contrôler près de 200 lieux de culte. Il a été particulièrement actif, mais sans succès, dans la recherche d’une organisation de la communauté : création en avril 1993 de la coordination nationale des musulmans de France puis en décembre 1994 du conseil consultatif des musulmans de France, avant de contribuer en janvier 1995 à la charte du culte musulman en France. Le retrait du monopole qui lui fut un temps accordé pour l’organisation de l’abattage rituel et les graves dissensions internes de 1995-1996 n’ont pas empêché la mosquée de Paris de demeurer un acteur essentiel de l’Islam en France.

 L’union des organisations Islamiques de France (UOIF)

Branche française de l’union des organisations Islamiques en Europe, fondée en 1983. Proche des Frères Musulmans, elle bénéficierait du soutien financier de fondations religieuses des Etats du Golfe. L’UOIF revendique rassembler plus de 200 associations et se trouve au coeur d’un maillage associatif très dense et catégorisé (Jeunes musulmans de France (JMF), Ligue française des femmes musulmanes, organisations d’étudiants....). Cette organisation rassemble autour d’une vision conservatrice de l’Islam. En avril 1999, son congrès annuel au Bourget a rassemblé environ 5000 personnes. Elle anime l’institut européen des sciences humaines de St-Léger de Fougeret (Nièvre).

 Fédération nationale des musulmans de France (FNMF)

Fondée en 1985 par des dissidents de la mosquée de Paris et des représentants de plusieurs communautés dont beaucoup se sont par la suite retirés, affaiblissant cette organisation et lui laissant une forte coloration marocaine. En 1997, la FNMF a initié une Coordination nationale des imams et guides religieux.

 Tabligh (branche française de Jama’at al Tabligh).

Mouvement fondamentaliste d’origine pakistanaise pratiquant un prosélytisme actif et se développant surtout dans les banlieues défavorisées, le Tabligh est aujourd’hui scindé en deux mouvements : Tablih wa dawa il Allah et l’Association Foi et pratique.

A ces différentes fédérations, il faut ajouter un certain nombre d’organisations turques parmi lesquelles l’Union turco-islamique d’affaires théologiques (DITIB), l’Union islamique de France, de tendance fondamentaliste et l’Union des associations et communautés islamiques dit “Mouvement Kaplan”, également fondamentaliste.


Il n’existe pas de contentieux théologique ou politique tel qu’il interdise absolument des modes de coopération et de dialogue entre ces différentes fédérations. Mais les rivalités personnelles et les luttes d’influence, notamment entre l’Algérie ou du Maroc jouent un rôle prédominant dans l’absence d’une fédération représentant l’Islam de France d’une manière consensuelle.

Cependant, la concurrence qui existe de fait entre ces organisations accuse les effets de l’absence de structure représentative de l’Islam au plan national.

En premier lieu, cette situation22 prive les pouvoirs publics d’un interlocuteur institutionnel reconnu comme légitime par tous les musulmans. Dès lors, chaque structure cherche à devenir l’interlocuteur obligé en matière d’Islam (présence sur les lieux en cas d’affaire de foulard ; compétition pour disposer de l’émission religieuse programmée par France-Télévision...).

En deuxième lieu, cette concurrence conduit à l’accaparement par une minorité engagée dans les questions religieuses de la parole de la majorité, les associations musulmanes tendant à s’exprimer, parfois faute d’autres interlocuteurs identifiés, au nom de la communauté maghrébine - laquelle n’a pas nécessairement les mêmes préoccupations. Cette prise de parole a aussi pour effet de surévaluer la demande religieuse dans un contexte où l’Islam de France se cherche et où les besoins qu’éprouveront en ce domaine les nouvelles générations nées en France ne peuvent être évalués.

En troisième lieu, le HCI a relevé, lors de ses visites ou de ses auditions, un certain sentiment de lassitude de la part des acteurs locaux qui observent parfois avec scepticisme les luttes de pouvoir pour le contrôle des grandes mosquées et ne se reconnaissent pas nécessairement dans les combats menés par les fédérations nationales.


Source : Haut Conseil à l’intégration (France).