La première fois que j’ai vu l’ennemi au Vietnam, c’était le 1er janvier 1967. Il s’agissait d’adolescents avec une parfaite connaissance du terrain qui nous tiraient dessus avant de se fondre dans la population. S’ils réussissaient si bien à nous attaquer c’est parce qu’ils connaissaient parfaitement le pays. C’était leur pays et nous n’y étions que des occupants étrangers, semblables aux soldats britanniques pendant la guerre d’indépendance des États-Unis. Cela me fit me demander si nous avions de bonnes raisons d’être là.
Face aux attaques dont nous étions victimes, la population ne nous aidait pas car elle nous considérait comme des occupants et non comme des libérateurs. Elle connaissait bien ceux qu nous attaquaient et même si elle avait eu envie de nous parler, elle ne l’aurait pas fait par crainte des représailles. C’est la même situation que l’on trouve aujourd’hui en Irak et tant que des troupes états-uniennes et britanniques y seront, nous subiront des pertes. Plus le nombre de familles ayant perdu un proche sera élevé, plus elles poseront de questions et ce qu’elles risquent de trouver ce sont des mensonges, comme pendant le Vietnam.
Durant la Guerre du Vietnam, j’ai servi trois présidents et ils ont tous menti au pays, comme George W. Bush et Tony Blair le font aujourd’hui. En 1971, pour en finir avec ces mensonges, j’avais révélé à la presse le contenu de 7000 pages de documents secrets, connus comme les « Papiers du Pentagone » et j’admire le courage aujourd’hui de la traductrice Katherine Gunn qui a révélé les écoutes à l’ONU. D’autres doivent aujourd’hui l’imiter pour pousser à notre départ d’Irak. Il existe sûrement des documents secrets prouvant les mensonges de l’administration Bush et du gouvernement Blair. Il faut les diffuser.
Joseph Wilson et, surtout, David Kelly ont fait ces révélations et l’ont payé cher. Il faut continuer, malgré les risques personnels. J’ai encouru une peine de 115 ans de prison, mais mon action a peut-être sauvé des vies.

Source
The Guardian (Royaume-Uni)

« Leak against this war », par Daniel Ellsberg, The Guardian, 27 janvier 2004.