Le Comité de rédaction de la constitution irakienne, mis en place par les forces d’occupation, n’est pas parvenu à adopter un texte par consensus, comme l’exigeait son mandat. À défaut, il a refusé de se dissoudre et a adopté un projet à une large majorité. Celui-ci suscite fort peu d’enthousiasme chez les commentateurs internationaux qui pointent le rejet de ce texte par ceux qu’ils continuent d’appeler les « sunnites », suivant une lecture communautariste du conflit. Peu importe que Moktada Sadr, le dirigeant chiite, ait lui aussi rejeté ce texte en affirmant qu’il ouvrait la voie au démembrement du pays, la plupart des « experts » continuent de propager une vision d’un Irak divisé entre communautés rivales et un pays en situation de « guerre civile ». Cette présentation est aussi un moyen de mieux préparer l’opinion à une partition du pays en trois.

L’éditorialiste du quotidien anglophone iranien Tehran Times, Hassan Hanizadeh, adopte ce point de vue communautariste dans sa dénonciation de l’insurrection irakienne. D’après lui, elle est composée de wahhabites et de salafistes, donc d’extrémistes sunnites, voulant détourner le processus de construction d’une « démocratie religieuse » en Irak, mené par les chiites. Cet éditorial adopte un point de vue remarquablement proche de celui de Washington quant à la présentation de la résistance irakienne. Il illustre surtout le positionnement de Téhéran en Irak. Alors qu’il aurait pu être pour Washington un marche pied vers une attaque de l’Iran, l’Irak freine aujourd’hui les volontés bellicistes de l’administration Bush. L’Iran est, en effet, parvenu à développer une grande influence au sein même du nouveau pouvoir irakien, grâce aux partis politiques chiites, et jusque dans la rédaction de la constitution. Aujourd’hui, Téhéran fustige les forces qui, en Irak, sapent ses efforts, et notamment certains éléments de la résistance irakienne. Le développement de l’actuel pouvoir irakien favorise l’influence régional iranienne et menace les États-Unis sur leurs arrières en cas d’attaque contre la République islamique.

Cette situation inquiète le lobbyiste pro-kurde, l’ambassadeur Peter W. Galbraith, qui avait jadis organisé le démantèlement de la Yougoslavie. Dans une longue tribune publiée par la New York Review of Books et reprise par le quotidien libanais anglophone, le Daily Star, juste avant la présentation du texte rédigé par la Commission constituante irakienne, l’auteur poursuit sa campagne en faveur de la création d’un Kurdistan indépendant. Jusqu’à présent, il affirmait que le comité chargé par les forces d’occupation de rédiger une constitution échouerait. Pour lui, les discussions ne pouvaient aboutir car les chiites voulaient un régime à l’iranienne et un rapprochement avec l’Iran que les Kurdes, qui veulent l’indépendance, n’accepteraient jamais. Cette fois, il affirme que c’est l’influence de l’Iran qui doit pousser à la création d’un État kurde. Car c’est cette domination chiite qui est à craindre pour Washington, bien plus que l’insurrection. Cette dernière n’est, pour l’auteur, que le fait des seuls sunnites, de toute façon minoritaires. Galbraith invite donc les États-Unis à soutenir le principe d’une fédération avec un État central minimal, prélude à une indépendance du Kurdistan.
Cette présentation d’une constitution irakienne qui sera la source d’une scission est particulièrement répandue dans la presse internationale. L’analyste israélien proche de la CIA, Shlomo Avineri, autre partisan de l’indépendance kurde, feint de se désoler du texte proposé dans le Jerusalem Post. Pour l’auteur, les contradictions internes du document et le renforcement des autorités régionales au détriment de l’État central accéléreront la désintégration de l’Irak amorcée selon lui avec l’insurrection. Il n’y a aucune chance que l’Irak retrouve l’unité qu’il a acquise en 1920. L’ancien conseiller juridique de l’administration Bush, John Yoo, ne simule pas pour sa part une grande affliction face à un éclatement de l’Irak qu’il juge inéluctable. Dans le Los Angeles Times, il affirme même que la division de l’Irak en trois entités entre dans un processus global qui n’est pas propre à l’Irak, mais aux évolutions du monde. Selon lui, la multiplication des petits États est un mouvement naturel accompagnant la démocratisation. Il prétend que quand le risque de guerre diminue, l’importance de disposer d’un grand territoire diminue également et qu’il est plus intéressant de créer des petits États. L’Irak doit éclater, et c’est ce que montrent les problèmes rencontrés pour rédiger la constitution. Il déplore que les États-Unis ne soutiennent pas suffisamment, selon lui, le démembrement de l’Irak ou de l’Afghanistan.

L’ancien conseiller juridique de la Coalition en Irak, Noah Feldman, est bien seul dans le New York Times à faire l’éloge du texte constitutionnel irakien. Pour lui, c’est un texte équilibré entre fédéralisme et centralisation, entre islam et démocratie. Toutefois, le constitutionaliste arrive à la même conclusion que les autres : l’Irak va éclater. En effet, si le texte est bon, la méthode employée par l’administration Bush ne l’était pas. En intégrant les sunnites au comité de rédaction sans laisser le temps aux différentes parties en présence de négocier et de parvenir à un accord avec eux, on les a isolés. Mais n’est-ce pas le but recherché ?

Le rédacteur en chef du journal palestinien Al Quds Al Arabi, Abdel Bari Atouan, prévoyait que l’administration Bush cherchait à diviser l’Irak en s’appuyant sur la constitution irakienne dans son édition du 8 août 2005. Pour lui, la division doit permettre le retrait d’Irak avant les élection de novembre 2006 au Congrès états-unien. Selon un schéma classique, les États-Unis espèrent vaincre la résistance en divisant le pays.
L’auteur, comme les autres analystes, élude un autre objectif potentiel de Washington avec la division de l’Irak. Rappelons qu’en 1996, Douglas Feith, aujourd’hui adjoint de Donald Rumsfeld, et Richard Perle, qui fut le conseiller du secrétaire à la Défense, avaient rédigé un rapport qui conseillait à Benjamin Netanyahu, alors Premier ministre israélien, de réoccuper les territoires palestiniens et de transférer la population s’y trouvant. Les deux auteurs voyaient une destination rêvée : l’Irak, une fois celui-ci divisé en entités ethniques et confessionnelles.