Calomnies de guerre

Silvia Cattori : Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de propager l’idée d’un « complot en vue d’une domination juive mondiale ? »

Israël Shamir : Peu importe ce qui est dit ; les gens n’entendent que ce qu’ils veulent bien écouter ! Tous mes livres montrent qu’il n’y a pas de « conspiration », ni de « complot », mais qu’il y a des politiques qui sont à l’avantage des juifs et que certains intérêts sont plus puissants que bien des conspirateurs ; l’aristocratie ne complote pas, elle se contente d’avoir des intérêts communs. La réalité, c’est l’intérêt principal du groupe, ce n’est en aucun cas je ne sais quelle « conspiration ».

Il vous est également reproché d’avoir donné des interviews à des revues liées à l’extrême droite. Qu’avez-vous à répondre ? Que pensez-vous de l’extrême droite ?

Je m’adresse à tout le monde, pas seulement à mes amis les plus proches. Parce que je veux avoir une influence sur des gens d’horizons divers et les amener à mon point de vue. Je ne vois aucune raison de boycotter un journal ou un magazine. J’ai écrit pour Haaretz, un journal israélien à grand tirage, très « comme il faut », malgré le fait qu’il publie des articles d’extrémistes nazis israéliens. J’écrirais pour le New York Times, malgré le fait que ce journal soutien la guerre contre l’Irak. C’est pourquoi il n’y a pas de raison de refuser le moindre organe de presse, à mon avis.

Quand vous écrivez que la position gauche - droite est obsolète, qu’il est important de réunir toutes les forces disponibles pour combattre l’ennemi commun (c’est-à-dire les États-Unis et Israël), n’avez-vous pas peur des mésalliances ?

Je n’ai pas peur de communiquer : ni avec la gauche, ni avec la droite, parce que nous avons d’autres choses en commun. Gauche/Droite, est une opposition qui convient à un univers qui n’aurait qu’une dimension linéaire, mais notre univers a au moins trois dimensions. Ainsi, des éléments éloignés sur une ligne peuvent être proches dans une autre dimension. Le monde n’est pas unidimensionnel. Si vous avez étudié la géométrie, vous pouvez comprendre ce que je veux dire. Nous devons prendre en compte autre chose que le positionnement gauche/droite quand il s’agit de savoir qui sont nos amis et qui sont nos ennemis ; la relation au Ciel et à la Terre doit être prise en compte ; ou, sur un plan plus trivial, la relation aux États-Unis et à Israël, à la mondialisation et à nos racines. J’appartiens à la gauche, mais à une gauche anti-impérialiste. Un alter-mondialiste de droite est plus proche de mon cœur qu’un gauchiste mondialiste sectaire.

Vous avez publié des articles analysant les résultats des élections présidentielles de 2002 et du référendum de 2005, en France, comme étant motivés par les excès du sionisme ? Cette opinion est de nature à surprendre la plupart des Français. Qu’est-ce qui amène à croire que la situation en Palestine puisse influer sur des élections en France ?

Le sionisme est un problème qui ne touche pas seulement la Palestine ; ce problème se manifeste dans la soumission aux États Unis, et à l’influence prédominante des voix pro-sionistes dans les médias français, par exemple. La liste Euro-Palestine a échoué précisément parce qu’elle a voulu se borner au cadre très étroit du problème palestinien. Si cette liste avait exigé la dé-sionisation de la France, ce qui impliquait la rupture avec l’OTAN et les États-Unis ; si les représentants de cette liste avaient appelé au renversement complet du programme sioniste, ils auraient eu énormément de voix.

Contestez-vous l’existence des camps d’extermination nazis ? L’ampleur du génocide juif, comme le prétendent vos détracteurs ?

Je ne sais rien, au sujet de tout ce débat sur le négationnisme. Je n’arrive pas même à comprendre pourquoi les Français s’excitent tellement au sujet de la Seconde Guerre mondiale, qui est terminée depuis si longtemps. Mais puisque vous me posez la question, j’y réponds. Je conteste le discours centré sur l’holocauste, et non pas les faits. Les faits prennent une signification précise aussitôt qu’ils sont insérés dans un discours. Le discours centré sur l’holocauste est relié à l’idée que la vie et la mort d’un juif sont plus importantes que celles d’un goy. Pour moi, l’holocauste n’est pas pire que les autres crimes de guerre : Hiroshima, Dresde, Leningrad affamée. C’est une partie des choses horribles qui se sont produites en 1939-1945. Je rejette une signification religieuse et historique particulière de l’holocauste. Pour moi, c’est une construction idéologique qui entre en compétition avec d’autres discours plus égalitaires, à propos de la guerre.

Le paradoxe est que les accusations de négationnisme ne viennent pas seulement d’institutions juives d’extrême droite, mais aussi de militants de gauche ?

A l’évidence, notre ennemi infiltre la droite et la gauche partout, comme nous le constatons. L’infiltration est une sorte de jeu politique, c’est une tactique classique. Les maoïstes infiltrent les structures de la social-démocratie, avec le succès que l’on sait. Le « Leadership juif » [une formation extrémiste] a réussi à infiltrer le Likoud, si bien que Sharon a perdu sa majorité. L’infiltration, à gauche, est massive. Mais il en va de même, à droite. L’infiltration, c’est un procédé vieux comme le monde.

Alors le fait qu’Amnesty International, de 2000 à 2004, soit restée en retrait quand Israël a mené des opérations militaires sans précédent contre des civils, est-ce le signe que cette organisation serait sous influence ?

Amnesty international n’est qu’une arme idéologique de plus aux mains de nos ennemis. Si vous examinez ses listes de prisonniers politiques, vous n’y verrez aucun prisonnier politique enfermé dans une prison israélienne. Vous trouverez sur mon site ouèbe des articles intéressants à ce sujet, sous le titre : « A bas les droits de l’homme » : ils ont refusé de reconnaître en Vanunu un prisonnier politique, un objecteur de conscience ! Ils font ce que les États-Unis et Israël leur disent de faire. Ils sont si lourdement infiltrés qu’on ne peut pratiquement plus rien faire pour les libérer de cette infiltration. Francis Boyle, un homme remarquable, ami de la Palestine, qui est juriste international, a écrit à ce sujet. C’est avec lui qu’il faut débattre de ce problème qui concerne notamment Amnesty International.

Mettre fin à l’apartheid en Israël/Palestine

Venons-en à la résistance du peuple Palestiniens. Le Hamas est présenté en Occident, comme un mouvement terroriste, dont le projet, inscrit dans sa charte, est « de tuer tous les juifs ». Quel est votre avis ?

Le Hamas ne veut pas massacrer « tous les juifs » ; ça, c’est une invention de l’ennemi ! Je ne l’ai jamais lu nulle part, je n’ai jamais rencontré quiconque qui aurait écrit, voire même pensé, cela. Mais nous devons avoir conscience du fait que les propos peuvent parfois dépasser la pensée de tout un chacun. Voltaire a écrit que l’humanité ne sera heureuse qu’après que le dernier roi aura été pendu avec les boyaux du dernier curé ; devons-nous avoir peur de Voltaire, et refuser de l’adopter ? Tuer tous les prêtres, ce n’est pas mieux que tuer tous les juifs ! Voltaire ne voulait pas tuer tout le monde : les gens exagèrent, parfois, afin d’attirer l’attention. Ne prenez pas tous les propos au sérieux !

L’idée du boycott, académique surtout, contre Israël, fait son chemin en Europe. Pensez-vous que le boycott - efficace contre le régime d’apartheid d’Afrique du Sud - puisse être efficace contre l’apartheid qu’Israël impose aux Arabes ?

Je ne dis pas non. Mais il est essentiel, en France, de boycotter également les gens qui appuient Israël. Il est important de combattre des personnages qui ont une influence sur la politique et l’information, tels Alain Finkielkraut, Roger Cukierman ou Alexandre Adler. C’est la priorité des priorités, ici, en France. Car ils sont des soutiens importants d’Israël, ils influencent l’opinion, et donc les options politiques de vos gouvernements. Tant que vous n’aurez pas mis à l’écart ce genre de « messagers » qui, dans les médias ou au sein des gouvernements ont les moyens de rendre tout ce que vous faites inefficace, vous n’êtes pas dans la bonne ligne. En Afrique du Sud, le boycott a été efficace, parce que le pouvoir sud-africain n’avait pas de soutien à l’extérieur ! Dans chaque pays, il faut vous battre, chez vous, et pas ailleurs. Alain Finkielkraut, Alexandre Adler, Bernard Kouchner, Bernard-Henri Lévy et consorts, sont en train d’amener la France à se soumettre aux États-Unis, à devenir un pays colonisé.

Donc votre idée est que ni les mouvements de solidarité, ni les négociations n’apporteront jamais aucun résultat, tant que le monde politico-médiatique en Occident restera sous l’emprise de gens qui collaborent, d’une façon ou d’une autre, avec l’occupant israélien et son allié américain ?

Vous devez savoir qu’au sein des mouvements de solidarité, y a un réel problème. Il y a des gens qui contrôlent et freinent les militants bien intentionnés, pour les diriger vers de faux débats, pour affaiblir les mouvements qui veulent combattre Israël.

Si je vous ai bien compris, vous affirmez que les Palestiniens vont continuer de s’enfoncer, aussi longtemps que ceux qui défendent leur cause ne combattront pas les pro-Israéliens qui, dans leurs pays respectifs, s’activent, à différents échelons, pour bloquer toute initiative qui ne servirait pas les intérêts d’Israël ?

Aller en Palestine, c’est utile, pour des jeunes, car cela leur permet de voir des braves gens, courageux, de découvrir une réalité méconnue, d’en parler sans avoir peur à leur retour. Aussi cela peut aider de jeunes étrangers à briser des tabous. Mais cela n’amène pas au salut. En fait, le combat, pour tout un chacun, doit être mené là où il vit. Mais il faut avoir conscience, aussi, bien entendu, des interconnexions entre les phénomènes.

C’est par votre travail d’écrivain, que vous résistez contre la guerre coloniale de votre pays ?

Toute arme, dans la main du soldat, est dirigée contre l’ennemi ; et je suis une arme. Le sabre ne se soucie pas du soldat ; il est fait pour donner la meilleure efficacité au bras du soldat, afin qu’il puisse frapper l’ennemi. Les Palestiniens sont tout à fait capables de planter des oliviers. Ils n’ont pas besoin de mon aide. Bien sûr, ce serait bel et bon pour mon âme (et ma bonne conscience), de les aider. Mais ils ont bien plus besoin de l’arme qui leur permette de combattre. Entre leurs mains je suis cette arme !

Des militants comme Uri Avnery ou Michel Warshawsky, par exemple, ne sont pas eux attaqués par des militants de leur propre camp, comme vous l’êtes ?

Les « sionistes soft », ou les sionoïdes, ne sont pas mes ennemis. Mais, d’après moi, ces gens sont une perte de temps. Ils veulent avoir bonne conscience, en faisant de la philanthropie. Moi, je veux vaincre ; je veux démanteler l’apartheid, avoir un État d’égalité en Terre sainte et montrer une voie aux gens, qui leur permette d’aller dans la bonne direction.

Mais… ne dites-vous pas la même chose qu’eux, avec d’autres mots ?

Nous ne disons pas la même chose. Eux, ils critiquent la politique israélienne, mais ils justifient l’existence de l’État d’Israël tel qu’il s’est construit. Ils affirment que les juifs du monde entier ont le droit de venir en Israël, mais en même temps, ils soutiennent des accords qui de fait, refusent ce droit aux réfugiés palestiniens, chassés de chez eux, de rentrer chez eux en Israël/Palestine. C’est de la discrimination raciale pure et simple !

Quand vous préconisez un État où Israéliens et Palestiniens vivent ensemble - alors que le camp des « modérés » soutient « deux peuples, deux États » - n’est-ce pas totalement utopique ?

En France, les juifs ont obtenu l’égalité des droits, il y a deux cents ans ! À l’époque, cela semblait totalement utopique ! Dire que « vaincre Israël est totalement utopique », voilà qui est tout à fait raciste !

Quand on sait que la grande majorité des Israéliens, collaborent à la politique oppressive de leur gouvernement, quel changement peut-on espérer ?

Ce qui compte, c’est d’y voir clair, de savoir ce que vous voulez, d’être en bons termes, autant que faire se peut, avec les autres, unis, par delà les clivages, contre vos ennemis. Alors, vous avez de bonnes chances de gagner. En Angleterre, jusque dans les années 1920, le pays était dirigé par des gens qui avaient été formés dans une seule et unique école : Eton. Combien de personnes avaient pu étudier à Eton ? Pas des milliers. Mais ils ont néanmoins réussi à s’assurer du contrôle total de l’Angleterre.

Lors du diner annuel du CRIF (Conseil représentatif des instituions juives de France), son président a critiqué la politique étrangère de la France en présence de dix-huit ministres, sans susciter leur réaction. Comment expliquez-vous une pareille soumission ?

Mon explication, la voici : les élites de la France, comme toutes les élites des pays européens, croient dur comme fer en l’existence d’un énorme pouvoir juif. Et c’est justement cette croyance qui lui donne son existence. Aussi, à l’évidence, le mieux serait que ces gens appartenant à l’élite s’entendent dire, par vous, ou par n’importe qui d’autre : « Vous savez, les juifs ne sont pas au pouvoir, il n’est pas vrai qu’ils diligentent le monde ».

Étes-vous optimiste, quant aux chances de paix en Palestine ?

En ce qui concerne la Palestine, je suis entièrement pessimiste. Mais je suis optimiste, sur le long terme, car je suis persuadé que les Palestiniens finiront par vaincre. Mais on ne doit rien attendre de bon du régime d’Abu Mazen : tous ces petits pas sont, pour moi, totalement dénués de sens : ils ne mènent nulle part.

Que peut-on suggérer aux gens qui veulent agir en faveur des droits du peuple palestinien, sans plus se perdre dans des actions stériles ?

Dans chaque pays, partout où nous nous trouvons, nous devons débusquer les représentants de nos ennemis ; dans quelque position qu’ils se trouvent, il faut les empêcher de s’en tirer à si bon compte.

Concrètement, qui sont-ils ces « représentants de nos ennemis » ?

En Suisse, ou en France, leurs représentants sont tous ceux qui soutiennent les menées américano-israéliennes. Sharon, à l’évidence, aide à unifier les gens : parler de Sharon (en mal…), c’est bien. Mais Shimon Pérès n’est absolument pas meilleur qu’Ariel Sharon. Dans vos pays respectifs, vous devez soutenir tous ceux qui luttent sincèrement contre l’engagement aux côtés des États-Unis, d’Israël et du néolibéralisme. Faites en sorte que l’Amérique soit le plus isolée possible. Et, à mon humble avis, vous devez vous efforcer d’établir des relations avec les forces positives au Moyen-Orient, et aussi en Russie. Ce pays, qui fut naguère le grand ami de tous les peuples honnêtes, est aujourd’hui à la croisée des chemins. La Russie est très importante, il faut établir des liens avec elle.

Mais comment faire le lien avec toutes ces forces dispersées ?

C’est pour cela que je suis ici. Nous sommes comme des papillons ; nous allons de fleur en fleur, et apportons la bonne nouvelle. L’esprit n’est pas mort ; les gens sont toujours vivants ! En Russie, ils ont fabriqué de magnifiques armes pour vaincre l’ennemi : quelques bons livres à traduire et à diffuser. Pas seulement notre génération, mais la génération précédente, qui a été particulièrement inspirée par ce qui s’est produit en Russie. Et néanmoins la Russie peut toujours être motrice. Nous devons aider ce moteur, les moteurs de conscience et d’opinion ont besoin d’être aidés. Sait-on jamais : ils pourront peut-être nous tirer de là, et nous permettre d’aller de l’avant ?

Traduction
Marcel Charbonnier

Entretien réalisé en anglais, en juillet 2005, par Silvia Cattori pour le Réseau Voltaire. Version française de Marcel Charbonnier. Sous-titres de la rédaction.