Résumé

Le présent rapport rend compte de la première visite effectuée en Haïti par le nouvel expert indépendant, M. Louis Joinet, du 22 au 29 septembre 2002. Au terme de sa visite, l’expert indépendant estime, compte tenu de la dégradation de la situation constatée depuis la dernière visite de son prédécesseur, en 2001, que les principaux sujets de préoccupation en Haïti peuvent se résumer comme suit :

Premièrement, la sécurité des citoyens. L’expert indépendant a constaté une augmentation considérable de la violence quotidienne et cite pour exemple la situation de Cité Soleil, "cité de non-droit" selon l’un de ses habitants, et celle des Gonaïves. Il estime que la lutte contre l’insécurité, et par conséquent la lutte contre l’impunité, et la mise en œuvre effective du programme de désarmement devraient être considérées comme la priorité majeure.

Deuxièmement, la recrudescence d’exactions ciblées, qui limitent, voire annulent la liberté d’opinion et d’expression qui est au cœur de la vie démocratique. Trois secteurs sont plus particulièrement touchés :
1) la presse : si l’expert indépendant n’a pas constaté de censure stricto sensu en Haïti, il considère que de plus en plus souvent le journaliste "critique" n’a d’autre choix que l’autocensure, l’exil, ou la mort ;
2) les militants politiques et leurs organisations : que l’on puisse impunément saccager et brûler le siège d’organisations politiques, ainsi que l’a constaté l’expert indépendant in situ, est d’une extrême gravité pour le futur démocratique du pays ;
3) les défenseurs des droits de l’homme : leurs responsables reçoivent trop souvent insultes et menaces anonymes.

Troisièmement, les lacunes constatées dans le fonctionnement de la chaîne pénale et leurs conséquences, notamment sur la détention provisoire prolongée. Pour l’expert indépendant, cette situation est d’autant plus préoccupante que les conditions déplorables de la détention aggravent considérablement le caractère punitif de la détention.

Quatrièmement, le sort des "justes", qui sont les premiers acteurs du changement. Il s’agit de femmes et d’hommes qui ont une haute conscience de leur fonction, mettent un point d’honneur à être de bons professionnels, font preuve de courage et ne baissent pas l’échine à la première bourrasque. L’expert indépendant en a rencontré, dans le secteur de l’administration pénitentiaire notamment, mais aussi parmi les juges de paix et d’instruction et les commissaires du Gouvernement. Ils doivent être encouragés, soutenus, promus, et non neutralisés comme c’est le cas actuellement pour certains d’entre eux.

L’expert indépendant note cependant certains progrès, tels que le procès du massacre de Carrefour-Feuilles, qui a vu pour la première fois des agents de la police nationale jugés et condamnés, et l’affaire de Raboteau (massacre de nombreux habitants sous le régime putschiste du général Cédras), au terme de laquelle, dans un procès équitable, les auteurs ont été condamnés.

L’expert indépendant note d’autres signes de progrès - du moins dans un premier temps -, à savoir l’arrestation de Ronald Camille et l’incarcération, à la prison des Gonaïves, de deux autres "intouchables" : Guy Louis Jacques dit "Guy Poupoute" et Amiot Métayer dit "Cubain", leaders de groupes armés issus d’Organisations populaires (ce dernier, a-t-on appris, hélas, s’est évadé de prison). Autre signe positif, le récent lancement du projet de juridictions pilotes élaboré en coopération avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Quant à l’aide internationale, l’expert indépendant est d’avis qu’elle devrait être planifiée à long terme dans le cadre d’une coopération technique rénovée et ciblée en direction d’organismes étatiques ou de la société civile, ainsi que de professionnels qui jouent un rôle déterminant en tant qu’acteurs du changement.

La communauté internationale et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) devraient poursuivre ou reprendre dans ce contexte rénové les programmes d’assistance et de coopération techniques en priorité dans les domaines de l’administration de la justice, des droits de l’homme, de l’Office de la protection du citoyen, de l’École de la magistrature, de l’Académie de police et de la protection des défenseurs des droits de l’homme. Il propose à cet effet d’envisager la création, en concertation avec le Gouvernement, d’un bureau - à effectif allégé dans un premier temps - du HCDH, ou, à défaut, d’une antenne spécialisée du PNUD.

L’expert indépendant fait d’autres recommandations, la mise en œuvre de certaines d’entre elles nécessitant les efforts conjugués des autorités haïtiennes et de la communauté internationale.

Introduction

1. Le présent rapport rend compte à la Commission des droits de l’homme de la première visite effectuée en Haïti par le nouvel expert indépendant du 22 au 29 septembre 2002.

2. Suite à la démission, le 15 mars 2001, de M. Adama Dieng, expert indépendant, le Secrétaire général a désigné, le 25 mars 2002, M. Louis Joinet pour lui succéder.

3. Au cours de la cinquante-huitième session de la Commission, le Président a notamment déclaré, au nom de la Commission et au titre du point 19 de l’ordre du jour, intitulé "Coopération technique et situation des droits de l’homme en Haïti", que la "Commission se félicite de la nomination récente d’un nouvel expert indépendant chargé d’examiner la situation des droits de l’homme en Haïti [...] et demande au nouvel expert indépendant de lui faire rapport à sa cinquante-neuvième session sur l’évolution de la situation des droits de l’homme et sur les activités de coopération technique en matière de droits de l’homme en Haïti, et décide de continuer à examiner la situation des droits de l’homme en Haïti à sa cinquante-neuvième session, au titre du point intitulé "Services consultatifs et coopération technique dans le domaine des droits de l’homme"".

4. À l’issue de ses premiers contacts, l’expert indépendant a présenté devant la Commission, dès le 23 avril 2002, une communication précisant l’esprit et les modalités selon lesquels il se proposait de remplir son mandat, à la lumière de l’expérience acquise ces dernières années en Haïti par les Nations Unies.

5. Il importe de rappeler à cet égard que, suite au non-renouvellement du mandat de la Mission civile internationale en Haïti (MICIVIH), mission conjointe de l’Organisation des Nations Unies et de l’Organisation des États américains [1993-2000], puis de la Mission internationale civile d’appui en Haïti (MICAH) [2000-2001] qui lui avait succédé, et conformément aux recommandations du Secrétaire général, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a poursuivi certaines des activités de ces missions sous forme d’un programme de transition dit "post-MICAH". C’est dans ce contexte et dans le cadre d’une collaboration entre Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et le PNUD qu’a été élaboré en 2001 le projet Assistance à Haïti dans le domaine des droits de l’homme (HAI/01/AH/18). Son exécution a été confiée au consultant Thierry Fagart, ancien chef du Service juridique de la MICIVIH, avec notamment pour mission de tenir régulièrement informés le HCDH et l’expert indépendant et d’assister ce dernier dans la préparation et l’exécution de ses missions de terrain. L’expert indépendant a tenu deux réunions de travail avec l’expert consultant.

6. Le présent rapport, qui fait suite à celui présenté par Adama Dieng à la cinquante-septième session de la Commission (E/CN.4/2001/106), a par conséquent été élaboré sur la base des informations recueillies et des constatations faites in situ tant par l’expert indépendant lors de sa visite en Haïti que par l’expert consultant au cours de sa mission d’évaluation (1er novembre 2001-30 avril 2002), ce qui a permis de couvrir une grande partie de la période pendant laquelle Adama Dieng n’avait pas encore été remplacé.

7. Au cours de sa visite, l’expert indépendant a rencontré le Premier Ministre, M. Yvon Neptune, le Ministre des affaires étrangères, le Ministre de la justice et de la sécurité publique, en sa qualité de Ministre de tutelle de la justice, de la police et de l’administration pénitentiaire, ainsi que le Protecteur du citoyen et son Office. Des entretiens ont eu lieu avec des professionnels de la justice, magistrats, juges de paix et d’instruction, commissaires du Gouvernement, avocats, ainsi qu’avec le Président de la Cour de cassation et le Procureur général. Les secteurs le plus large possible de la société civile ont été consultés, partis politiques, toutes tendances réunies, milieux de la presse et de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG). L’expert s’est rendu à Port-au-Prince, à Saint-Marc, aux Gonaïves et à Cap-Haïtien.

8. Par ailleurs, l’expert indépendant a eu des entretiens avec les auteurs de l’étude de terrain très documentée, conduite avec rigueur par le Vera Institute of Justice en juillet 2002 pour le PNUD et l’Open Society Institute, intitulée "La détention préventive prolongée en Haïti".

9. En outre, l’expert indépendant a eu des entretiens fructueux avec M. Adama Guindo, représentant résident du PNUD (qu’il en soit ici remercié) ainsi qu’avec les chefs des institutions des Nations Unies, avec l’Ambassadeur David Lee, Représentant spécial en Haïti du secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA) ainsi qu’avec les diplomates du groupe des Amis d’Haïti.

10. Conformément à la déclaration précitée du Président de la Commission, le présent rapport rend compte de l’évolution de la situation des droits de l’homme en Haïti (chap. I) et des activités de coopération technique en matière de droits de l’homme en Haïti (chap. II).

I. ÉVOLUTION DE LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME EN HAÏTI

11. Malgré la dégradation progressive de la situation des droits de l’homme constatée à mesure de ses visites en Haïti, Adama Dieng avait donné à la Commission des raisons d’espérer, compte tenu de la série de réformes tendant à conforter l’État de droit en rompant avec le passé dictatorial et des premiers procès témoignant de la volonté de lutter enfin contre l’impunité.

A. De bonnes réformes mais peu ou pas appliquées

12. On peut récapituler comme suit les principales initiatives positives :
  Création, en 1995, de la Commission nationale de vérité et de justice, recommandant notamment la mise en place d’une commission nationale de réparation des préjudices subis par les très nombreuses victimes - plusieurs milliers - du coup d’État du 30 septembre 1991.
  Dissolution de l’armée et, par voie de conséquence, de l’administration de la justice par les tribunaux militaires.
  Création d’une police civile, la Police nationale haïtienne et, en son sein, d’un corps d’enquêteurs de police judiciaire.
  Création de l’Inspection générale de la police qui, grâce au remarquable travail accompli par l’Inspecteur général Luc Joseph Euscher, avait commencé un profond travail d’assainissement (635 policiers révoqués à la fin de 1999, dont 407 suite à des enquêtes diligentées par l’Inspection générale).
  Création de l’Office de la protection du citoyen.
  Élaboration d’une série de projets de loi tendant, d’une part, à renforcer l’indépendance de la magistrature (projets de loi sur l’École de la magistrature, le Conseil supérieur de la magistrature et le statut de la magistrature), d’autre part, à lutter contre la criminalité organisée (trafic de drogue et blanchiment d’argent).
  Mise en place de la Commission préparatoire à la réforme du droit et de la justice, qui, après avoir siégé de 1997 à 1999, a publié un rapport appelant à de grandes réformes de l’appareil judiciaire et proposant de créer à cet effet une commission pour la réforme de la justice.

13. Néanmoins, lorsque l’on dresse le bilan de ces mesures encourageantes, force est de constater qu’il y a loin de la parole aux actes. La Commission appréciera ce qui suit :

Si la Commission nationale de vérité et de justice a bien été créée, la Commission nationale de réparation en faveur des victimes du coup d’État de 1991 n’a jamais vu le jour

Le remarquable effort d’assainissement de la police a été stoppé par la démission, en avril 2000, de son principal acteur, l’Inspecteur général, dont le successeur n’a été nommé qu’en février 2001.

La situation est identique en ce qui concerne l’Office de la protection du citoyen, dont la crédibilité a été atteinte en raison de sa grande passivité à l’égard des graves violations des droits de l’homme commises contre des militants d’ONG, des journalistes et des opposants, et de la vacance du poste de protecteur du citoyen, demeuré sans titulaire entre le 8 juin 2001 et le 31 juillet 2002.

Les projets de loi, prévus par la Constitution, destinés à donner enfin à l’École de la magistrature, au Conseil supérieur de la magistrature et à la carrière des magistrats un statut juridique renforçant leur autorité et leur indépendance, demeurent toujours à l’état de projets, tout comme le projet de commission préparatoire à la réforme du droit et de la justice.

B. La lutte contre l’impunité freinée ou stoppée

1. Des raisons d’espérer...

14. Au plan judiciaire, des initiatives majeures ont été considérées par la communauté internationale comme l’amorce d’une véritable volonté de lutter contre l’impunité. On fait référence aux affaires ci-après dans lesquelles la justice s’est efforcée d’agir :
  Le procès du quartier Carrefour-Feuilles, qui a vu pour la première fois des agents de la police nationale jugés et condamnés pour le meurtre de 11 jeunes Haïtiens, même si on a pu regretter le peu de sévérité des sanctions.
  L’affaire de Raboteau (massacre de nombreux habitants sous le régime putschiste du général Cédras) au terme de laquelle, dans le cadre d’un procès équitable, les auteurs ont été condamnés à des peines allant de quatre ans d’emprisonnement aux travaux forcés à perpétuité.
  L’arrestation, le 23 mars 2002, de Ronald Camille en exécution d’un mandat émis suite à l’assassinat de Jean Fitzner devant le Parlement le 20 septembre 2001, acte qu’il avait publiquement revendiqué sans être inquiété. Il s’agit d’un signe d’autant plus fort que l’arrestation a eu lieu alors que l’intéressé était venu à l’aéroport de Port-au-Prince, à la tête d’un groupe de membres d’Organisations populaires pour accueillir le Président Aristide de retour de Monterrey (Mexique) où il avait assisté à la Conférence internationale sur le financement du développement.

15. Le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince a présenté l’arrestation de Ronald Camille comme étant un premier pas vers la mise à exécution d’une série de mandats anciens dans le cadre de la lutte contre l’impunité.

16. On citera également l’incarcération, à la prison des Gonaïves, de deux autres "intouchables" : Guy Louis Jacques dit "Guy Poupoute" et Amiot Métayer dit "Cubain", leaders de groupes armés semblant issus d’Organisations populaires.

2. ... mais des espoirs en grande partie déçus par une impunité de plus en plus flagrante

17. Mises à part les suites judiciaires données aux affaires Carrefour-Feuilles et Ronald Camille précitées, la Commission appréciera "l’évolution de la situation des droits de l’homme" - termes de la déclaration de son Président - à la lumière de la série d’événements survenus depuis la dernière visite du précédent expert indépendant, M. Adama Dieng.

18. Ces événements montrent comment un "État d’impunité" - pour reprendre l’expression d’un magistrat quelque peu désabusé - gangrène progressivement l’"État de droit" difficilement mis en place, après des décennies de dictature, grâce aux efforts du peuple haïtien et à la coopération internationale.

Événements survenus en province du 21 mars au 29 novembre 2001

19. Des actions d’intimidation, parfois meurtrières, ont été menées contre des militants et des locaux d’organisations politiques d’opposition. On citera en particulier les faits survenus dans les villes suivantes :
  Hinche (21 mars 2001) : des groupes armés conduits par le maire, selon certains témoins, interviennent pour s’opposer à une marche organisée par le Mouvement paysan papaye.
  Cayes (31 mars 2001) : attaque par jets de pierres d’un local où se tenait une réunion organisée par la Convergence démocratique. Les participants ont dû lever la séance sous la menace.
  Cayes (21 mai 2001) : une réunion de la Convergence démocratique doit à nouveau être différée suite à des menaces proférées sur place.
  Marigot (18 novembre 2001) : deux civils armés sont introduits par le maire de la ville dans une réunion tenue par M. Edgar Leblanc, ancien Président de l’Assemblée nationale. Ce dernier ayant refusé de lever la séance, sa voiture a été criblée de balles.
  Plaisance (25 novembre 2001) : arrestation de manifestants de la Convergence démocratique. L’un d’eux, M. Sénèque, décédera dans les locaux de la police le 28 novembre 2001.
  Saint-Marc (29 novembre 2001) : coups de fusil contre une marche organisée par la Convergence démocratique, faisant deux tués.

Événements du 28 juillet 2001 : prise d’assaut de l’Académie de la police nationale et de quatre commissariats

20. Suite au "gel" politique survenu dans les relations "bipolarisées" entre majorité et opposition au lendemain des élections contestées du 21 mai 2000, un accord de sortie de crise, facilité par les bons offices de l’OEA, est intervenu le 15 juillet 2001. Or, dès le 28 juillet, quasi simultanément - sabotage ou provocation ? - les commissariats de police de Pétion-Ville, Mirebalais, Belladère et Hinche ont été pris d’assaut par des groupes armés. Le point culminant a été l’attaque de l’Académie de la police nationale, qui resta occupée pendant cinq heures sans qu’il y ait de réactions. La commission d’enquête de l’OEA souligne dans son rapport (OEA/Ser. G-CP/INF.4702/02, du 1er juillet 2002) qu’il est "incompréhensible qu’un complexe abritant, entre autres, la Swat Team (Forces spéciales) ainsi que la brigade d’intervention et d’enquête ait pu si facilement être occupé" et que "les assaillants purent repartir sans qu’un seul des officiers envoyés à l’Académie ne les arrête".

21. Selon le Ministère de la justice, le juge de Port-au-Prince, Pierre Josué Agnant, aurait terminé son instruction et transmis le dossier au commissaire du Gouvernement pour suite à donner. L’expert indépendant ne manquera pas d’informer la Commission de la suite donnée à ces poursuites justifiées.

Événements du 17 décembre 2001 : prise d’assaut et occupation du Palais national, siège de la présidence de la République

22. Conformément à la résolution 806 du Conseil permanent de l’OEA en date du 16 janvier 2002 (CP/RES/806-1303/02/Corr.2), une commission d’enquête indépendante a remis un rapport le 1er juillet 2002, après avoir enquêté in situ sur ces événements entre le 8 avril et le 17 juin 2002.

23. D’après cette enquête et les informations et témoignages recueillis par l’expert indépendant, on constate que l’attaque du 17 décembre 2001 a été lancée vers 2 heures du matin par deux groupes revêtus de tenues de camouflage, lourdement armés et venus à bord de trois véhicules sans immatriculation dont l’un était doté d’une mitrailleuse M50. Dans un premier temps, la sécurité du Palais n’a pas opposé de résistance. C’est seulement vers 5 h 30 que les assaillants ont dû s’enfuir. Malgré des recherches guidées par un hélicoptère, ils réussirent à s’évanouir dans la nature, à l’exception de l’un d’eux, décédé, et d’un autre fait prisonnier. Selon les conclusions de la commission d’enquête de l’OEA, "l’opposition politique n’a pas participé à la planification ou à l’exécution de l’attaque contre le Palais national", qui "n’aurait pu avoir lieu sans la complicité de quelques officiers de police de différentes unités" (rapport précité, chap. III, sect. A, par. 3.3 et 5.5).

24. Dès le 17 décembre au matin, à Port-au-Prince et dans plusieurs villes, des groupes armés, certains revendiquant explicitement la qualité d’Organisations populaires, prennent prétexte de cette tentative apparente de destitution du Président de la République pour se lancer dans une véritable chasse aux opposants ou supposés tels. Ont été particulièrement visés les sièges des organisations politiques, syndicales et les domiciles de leurs dirigeants. Outre la destruction par saccage ou incendie, à Port-au-Prince, des sièges nationaux des principales formations politiques d’opposition - Organisation du peuple en lutte (qui héberge également la Convergence démocratique, dont les locaux visités par l’expert indépendant sont dévastés), Konfederasyon Inite Demokratik, Congrès national des mouvements démocratiques, Mobilisation pour le développement national, Alliance pour la libération et l’avancement d’Haïti et Parti démocratique et chrétien d’Haïti -, le domicile de 34 responsables politiques a subi le même sort, ainsi que le siège d’un syndicat de paysans (la Centrale des travailleurs haïtiens) à Jérémie, deux écoles et deux centres culturels ou de recherche et une entreprise, soit au minimum 46 cas recensés par la commission d’enquête de l’OEA (rapport précité, annexe VI).

25. Aux Gonaïves, le siège du Mouvement chrétien pour une nouvelle Haïti et le domicile de son Président, le pasteur Luc Mésadieu, ont été pillés et incendiés, tandis que son assistant, R. Darand était assassiné. L’expert indépendant a également longuement visité les ruines du complexe éducatif Manassé dirigé par le pasteur Sylvio Dieudonné, par ailleurs Vice-Président du Mouvement chrétien. Il a constaté la destruction, principalement par incendie, de la plus grande partie de ces bâtiments scolaires (section préscolaire et collège mixte), celle d’un lieu de culte ainsi que celle de la résidence du pasteur, de son frère et de cinq familles.

26. La plupart de ces exactions ont été commises dans la journée du 17 décembre 2001 à Port-au-Prince, Pétion-Ville, Croix-des-Bouquets, Cap-Haïtien, Les Cayes, Les Gonaïves, Grande-Rivière-du-Nord, Jacmel, Jérémie et Petit-Goâve.

Événements du 2 août 2002 : prise d’assaut de la prison des Gonaïves

27. Après avoir défoncé l’un des murs de la prison avec un bulldozer, une foule de manifestants - nombre d’entre eux armés - a investi la prison et permis l’évasion de 153 détenus et condamnés dont trois "intouchables" notoires : l’ex-capitaine Castera Cenafils et Jean Tatoune, tous deux condamnés à perpétuité dans le procès du massacre de Raboteau, et Amiot Métayer impliqué dans plusieurs affaires. Son cas illustre particulièrement l’impunité régnante.

28. Le palais de justice des Gonaïves étant entièrement dévasté et les locaux inutilisables en totalité, les juges d’instruction demeurent à domicile. Le commissaire du Gouvernement, quant à lui, a reçu l’expert indépendant - comme tous les justiciables - dans la cour du tribunal meublée de quelques sièges sous un arbre, tandis qu’à quelques mètres à peine le "fugitif" Amiot Métayer mène une vie publique dans ce que des témoins ont désigné comme étant son "quartier général" après que l’expert indépendant se fut rendu sur place. Le fugitif soutiendrait qu’il ne s’est pas évadé mais qu’il a été kidnappé. Or, l’expert indépendant constate qu’il n’a pas porté plainte.

29. Lors de la consultation des registres du greffe de la prison - remarquablement tenus -, l’expert indépendant a en revanche constaté :
1) la mention de sa mise sous écrou,
2) l’absence de toute mention à la rubrique relative aux décisions de mise en liberté,
3) l’absence du nom de Métayer sur la liste des prisonniers présents.
Il suffirait donc qu’un juge d’instruction saisisse ces documents pour établir le délit d’évasion et délivrer - comme le font dans ce cas tous les pays - un mandat d’arrêt sans qu’il soit nécessaire d’attendre les résultats hypothétiques de l’enquête relative à l’attaque de la prison, dont il est prétexté qu’elle est complexe, ce qui est en partie vrai compte tenu du nombre de personnes impliquées.

Événements de Cité Soleil

30. Dans un communiqué du 29 août 2002, la Commission interaméricaine des droits de l’homme, constatant l’augmentation considérable de la violence quotidienne, citait à titre d’exemple la dégradation de la situation à Cité Soleil, dans la banlieue de Port-au-Prince. Selon les informations recueillies par l’expert indépendant, une lutte d’influence entre deux Organisations populaires serait à l’origine de nombreux meurtres ainsi que de viols punitifs. Au moins 200 maisons ont été détruites. Les responsables de ces groupes armés ayant été paradoxalement reçus fin février 2002 à la présidence de la République, les victimes et les familles des victimes ont manifesté devant le Palais national pour réclamer réparation. Bien que l’identité des auteurs ou commanditaires apparents de ces exactions soit de notoriété publique, aucune poursuite judiciaire n’a été engagée à ce jour.

C. Intensification des atteintes à la liberté de presse

31. Selon l’article 28.1 de la Constitution haïtienne, "le journaliste exerce librement sa profession dans le cadre de la loi. Cet exercice ne peut être soumis à aucune autorisation ni censure" ; il conviendrait d’ajouter "de droit ou de fait". S’il n’existe en effet pas de département de la censure institutionnalisé, il existe de facto une redoutable pression sur les journalistes, spécialement de radio, car, compte tenu de l’illettrisme et de la pauvreté, la presse écrite et la télévision atteignent peu l’immense majorité du peuple. De graves exactions étant tolérées, voire provoquées, tout journaliste critique qui veut échapper aux persécutions, le plus souvent commises par ces groupes armés "arrogants d’impunité", n’a plus le choix qu’entre l’autocensure, l’exil ou la mort ainsi qu’en attestent l’assassinat de Jean Dominique, de Radio Haïti Inter, le 2 avril 2000, et le lynchage de Brignol Lindor, de Radio Écho 2000, le 3 décembre 2001.

32. Dans l’affaire Jean Dominique, le mandat du juge d’instruction Gassant n’ayant pas été renouvelé à son terme par le Président de la République, il a été remplacé de manière insolite par une équipe de trois magistrats pour être finalement renouvelé dans ses fonctions par le Président trois mois après. Cette procédure exorbitante portant atteinte à son indépendance, il a finalement renoncé et s’est exilé aux États-Unis. L’expert indépendant a rencontré son successeur, le juge Saint-Vil, qui semble déterminé à mettre un terme à l’impunité qui, à ce jour, entoure ce crime en raison de l’implication d’un sénateur qui se veut "intouchable" bien que compromis - selon de nombreuses sources - dans plusieurs exactions.

33. Dans l’affaire Brignol Lindor, le juge d’instruction Fritzner Duclair a procédé - selon un rapport préliminaire du Ministère de la justice remis à l’expert indépendant - à l’audition de 33 témoins et a délivré 5 mandats d’arrêt dont 4 ont été suivis d’incarcération. Si ce rapport indique que le Commissaire du Gouvernement a terminé son réquisitoire définitif et l’a transmis au juge d’instruction en vue de son ordonnance de clôture, paradoxalement, il précise que "la Police nationale haïtienne continue de rechercher activement les personnes contre lesquelles le juge d’instruction a décerné des mandats" (rapport, par. 4.3.1).

34. Ces deux affaires, compte tenu de leur gravité et de leur portée de principe, seront suivies avec une vigilance particulière par l’expert indépendant avec l’espoir que les juges seront activement soutenus par les autorités concernées dans leur recherche de la vérité.

35. Dans un rapport rendu public le 17 janvier 2002, la Fédération de la presse haïtienne a dressé une liste qui, outre les deux assassinats précités, mentionne le nom d’une quarantaine de journalistes contraints à l’exil (17), victimes d’agressions physiques ou par balle (2) ou de menaces, notamment de mort (20). Sont concernées les radios Écho 2000, Caraïbes, Ibo, Métropole, Signal FM, Vision 2000, Belle-Anse, Express, Eben Ezer, Metropoli Sud, Haïti Focus, Iphata, Thiotte, Gonaïves, Tête-à-Tête, Têt-Ansanm, Univ. Plus et Galaxie. Une quinzaine d’autres cas ont été recensés par l’Association des journalistes haïtiens depuis le 1er janvier 2002, dont le secrétaire général a fait l’objet de menaces de mort selon le rapport des enquêteurs indépendantsdel’OEA(rapport,sect.D,par.3).Pendant la visite de l’expert indépendant, les radios Quisqueya et Ibo ont été l’objet de pressions menaçantes et ont dû suspendre leurs émissions.

36. Telles sont les graves atteintes à la liberté de la presse soumises à l’appréciation de la Commission. Elles illustrent à quel point l’impunité régnante, malgré les engagements des autorités, gangrène la société haïtienne.

D. Lacunes constatées dans le fonctionnement de la chaîne pénale et leurs conséquences, notamment sur la détention provisoire prolongée

37. Selon l’étude précitée (par. 8) du Vera Institute of Justice, il y a aujourd’hui dans les prisons haïtiennes "deux fois plus de détenus qu’en 1995. Près de 80 % de ces détenus attendent une décision judiciaire. Pour la plupart d’entre eux, des semaines, voire des mois, s’écoulent avant qu’ils ne soient libérés ou jugés et, pour une part non négligeable, ce sont même des années.".

38. Dans ce contexte, l’expert indépendant a plus spécialement consacré sa visite à Cap-Haïtien à sonder le fonctionnement local de la chaîne pénale en relation avec la question récurrente de la détention préventive prolongée. Ont été successivement visités : le commissariat de police, deux tribunaux de paix, le tribunal de première instance, le parquet en la personne du substitut représentant le Commissaire du Gouvernement, la prison, où l’expert indépendant a pu constater la présence de personnes détenues depuis plus de quatre ans sans avoir comparu devant un juge d’instruction, notamment parce que le doyen ne l’avait pas encore désigné, ainsi que l’expert indépendant a pu le constater en examinant les registres fort bien tenus - il tient à le souligner - du greffe. Dans deux autres cas, l’expert indépendant a constaté que l’un des détenus incarcérés depuis plus de cinq ans (1er août 1997) n’avait presque jamais été entendu par le juge, la dernière fois remontant au 15 février 2002, tandis que l’autre détenu, également incarcéré depuis 1997 (19 août), n’avait été entendu qu’une seule fois par le juge.

39. Le directeur de la prison a effectivement confirmé qu’à son grand regret la suroccupation structurelle se trouvait considérablement accrue (82 % de détenus préventifs) par la négligence ou l’absentéisme de certains des juges d’instruction.

40. La Commission estimera sans doute qu’il s’agit là de fautes lourdes qui justifieraient à tout le moins une visite du service de l’inspection judiciaire.

41. Une autre cause de surdensité carcérale - ainsi que l’a constaté l’expert indépendant - tient à l’extrême sévérité de certaines peines, disproportionnées par rapport aux faits (par exemple, 15 ans d’emprisonnement pour le vol de trois brouettes ou condamnation à perpétuité pour le vol d’un sac de riz).

42. Cette situation de détention prolongée est d’autant plus préoccupante que les conditions de détention sont déplorables et aggravent considérablement le caractère punitif de la détention (vétusté des bâtiments, absence de cellules individuelles, cellules collectives surpeuplées, mal ventilées et mal éclairées ; faute de place pour un nombre adéquat de lits, de nombreux détenus dorment à même le sol ou par rotation). Il faut noter, en revanche, que les mineurs sont séparés des majeurs et les prévenus des condamnés.

43. Comme dans beaucoup d’établissements, l’insuffisance des infrastructures de sécurité (manque d’agents et d’enceintes sécurisées) empêche l’usage des cours intérieures, ce qui prive les détenus de promenade et d’activités à l’extérieur des cellules. D’où un état latent d’avitaminose (le soleil est essentiel à la synthèse de la vitamine D) qui a conduit l’administration pénitentiaire à adopter et financer un menu nutritionnel national hebdomadaire compensatoire devant entrer dans le budget de chaque prison à compter d’octobre 2002. L’expert indépendant s’assurera avec une particulière vigilance de la mise en œuvre de cette mesure qui a trop tardé.

44. Si, selon des informations précises et concordantes recueillies au cours de sa visite, il semble que trop souvent la police outrepasse le délai de 48 heures autorisé par la Constitution pour la durée de la garde à vue, l’expert indépendant n’a pas constaté de telles irrégularités au commissariat visité à Cap-Haïtien, notamment parce que la garde à vue fait l’objet d’un contrôle fréquent in situ par le substitut du Commissaire du Gouvernement, qui fait preuve d’un grand professionnalisme.

45. Lors de ses prochaines visites, l’expert indépendant se propose en conséquence d’examiner avec une haute priorité l’ensemble de la chaîne pénale et ses dysfonctionnements.

E. Les acteurs du futur : un rôle déterminant à soutenir en priorité

46. Prenant la parole devant la presse au terme de sa visite, l’expert indépendant a déclaré à propos de ceux qu’il a appelé les "justes" : "Ces "justes" sont à mes yeux essentiels. Ce sont eux les premiers acteurs du changement. Il s’agit - et j’en ai rencontré - d’hommes et de femmes qui ont une haute conscience de leur fonction, qui mettent un point d’honneur à être de bons professionnels, qui font preuve de courage et ne plient pas l’échine à la première bourrasque. Bref, qui font honneur à leur profession.".

47. Lors de sa visite, l’expert indépendant a rencontré ces "justes" aussi bien chez les magistrats (juges de paix, d’instruction, commissaires du Gouvernement) que dans les services de police ou l’administration pénitentiaire. Ils sont encore peu nombreux, mais, en raison de leur rôle pilote, ils doivent être encouragés et soutenus, voire promus, et non - comme c’est trop souvent le cas - neutralisés. Dans un tel contexte d’impunité, le destin du peuple haïtien ne repose-t-il pas pour une part importante sur ses juges ainsi que sur la société civile ? Citons deux exemples concernant l’un les juges, l’autre les ONG.

48. Du côté de la justice, on citera la transformation de trois juridictions en juridictions pilotes. Ce projet, élaboré en coopération avec le PNUD, a été présenté par le Premier Ministre, en présence de l’expert indépendant, comme "un défi lancé à l’injustice, à l’impunité et à la corruption". L’expert indépendant estime que l’initiative ne peut réussir, au-delà des mots et des moyens mis à disposition, que si l’on nomme dans ces juridictions des magistrats ayant assumé les risques de leur indépendance et des responsables de la police reconnus pour leur légalisme et leur intégrité.

49. Du côté de la société civile, on retiendra l’expérience du Bureau d’aide juridique de Cap-Haïtien (créé avec l’aide de l’ONG belge Réseaux citoyens). L’État n’ayant pas encore eu les moyens de se doter d’un programme d’assistance juridique, cette carence a été comblée par des initiatives de la société civile, telles que celle Bureau d’aide juridique visité par l’expert indépendant. Il allie assistance juridique et formation à l’assistance juridique, et recrute, après tests et entretiens, des étudiants ou de jeunes diplômés de la faculté de droit. Une formation hebdomadaire leur est dispensée par des avocats expérimentés qui, par ailleurs, peuvent apporter une aide à la préparation de la thèse nécessaire à l’exercice de la profession d’avocat. Ces "assistants juridiques", qui travaillent pour un faible salaire et parfois bénévolement, représentent les justiciables démunis dont la liste est dressée après un examen rigoureux de leurs revenus. Le Bureau, qui a ouvert progressivement des antennes dans des localités proches, s’efforce même d’assurer une présence en milieu rural. Désormais entièrement pris en main par des juristes haïtiens, le Bureau remplit remarquablement son rôle. Le Vera Institute of Justice s’est dit "impressionné par leur travail" (rapport, p. 14), point de vue que partage l’expert indépendant, qui a tenu deux réunions de travail avec eux.

50. Cette initiative des acteurs du futur mériterait une aide accrue dans le cadre d’une coopération technique rénovée.

II. ACTIVITÉS DE COOPÉRATION TECHNIQUE : POUR UNE APPROCHE RÉNOVÉE

51. À la lumière de ce qui précède, on serait tenté d’estimer dérisoire, notamment au regard de leur coût, les résultats de ces 10 années de coopération technique bilatérale ou multilatérale. Pour fondée que puisse être cette appréciation, elle appelle deux observations :

Le coût de la coopération technique est certes élevé, mais il doit être apprécié à l’aune des sommes considérables consacrées dans le passé par certains États à une coopération qui n’avait d’autre but que de maintenir au pouvoir pendant trois décennies le duvaliérisme destructeur de l’État de droit et du tissu social ;

S’agissant du présent, l’action en profondeur des programmes précités - au-delà de telle ou telle erreur de conception - a produit une sorte d’"humus" d’où émergent progressivement ces acteurs du futur "repérés" par l’expert indépendant au cours de ses entretiens. Ce sont le plus souvent des professionnels imprégnés de l’esprit MICIVIH, fiers de la formation reçue, notamment à l’École de la magistrature, mais qui laissent poindre leur déception, celle d’avoir été quelque peu abandonnés alors qu’ils ont pris des risques.

52. Avant de définir le mandat d’une coopération technique rénovée, on doit s’interroger sur les raisons pour lesquelles, malgré l’importance des engagements et des efforts financiers de la communauté internationale, le bilan de la coopération, s’il a été positif dans les premiers temps, est actuellement ressenti sur de nombreux points comme un échec.

53. Selon l’expert indépendant, qui s’appuie sur ses propres constatations ainsi que sur les analyses figurant dans le rapport final de mission de l’expert consultant du HCDH, le rapport précité (par. 20) de la commission d’enquête de l’OEA et l’étude précitée (par. 8) du Vera Institue of Justice, ces raisons sont d’abord d’ordre historique et politique : depuis l’indépendance d’Haïti en 1804, de régimes autoritaires en régimes dictatoriaux, la démocratie et les droits humains en tant que culture ont été trop rarement à même d’imprégner durablement les pratiques politiques et sociales. D’où l’insuffisance, voire l’absence, d’une véritable "culture d’État" chez nombre de dirigeants politiques et cadres de la haute administration.

54. À long terme, cette lacune récurrente est susceptible de mettre en cause, dans son principe même, la continuité de l’État.

55. D’où l’espoir d’un changement irréversible vers la démocratisation après l’avènement en 1990, pour la première fois dans l’histoire d’Haïti, d’un président élu démocratiquement. De fait, les premiers gouvernements postdictatoriaux ont pris des initiatives de rupture avec le passé qui ont été reçues à juste titre par la communauté internationale comme les gages d’un processus immarcescible (dissolution de l’armée, création d’une police civile, de corps d’inspection, de l’Office de la protection du citoyen).

56. S’inscrivant dans la dynamique de cette période, la communauté internationale a assuré un partenariat efficace en renforçant incontestablement le processus amorcé grâce, notamment, à ce que les ONG appellent la "culture MICIVIH".

57. Cependant, trop rapidement les insuffisances historiques de la culture d’État ont sécrété une stagnation puis une régression. La première alerte est venue du maintien d’un gouvernement de facto après la démission d’un premier ministre ; puis ce fut la décision présidentielle de dissoudre, de facto là encore, le Parlement en janvier 1999, décisions peu compatibles avec la volonté déclarée d’instaurer un État de droit.

58. Autre signe inquiétant : la montée en puissance desdites "Organisations populaires". En soi, l’initiative aurait pu contribuer à la consolidation du processus de démocratisation amorcé en permettant aux mentalités d’évoluer par la pratique d’une démocratie de proximité.

59. Toutefois, les Organisations populaires ont été progressivement utilisées à des fins politiques partisanes, notamment dans des manifestations de rue violentes destinées à neutraliser l’opposition, voire à écarter des hommes de leur propre camp tombés en disgrâce, de telle sorte que, détournées de leur finalité, elles sont devenues des groupes paraétatiques, souvent armés, source de violence plus que de démocratie, échappant progressivement au pouvoir central.

60. Fallait-il dans ces conditions que pendant 2000 et 2001 la communauté internationale se retire massivement d’Haïti ayant considéré, non sans fondement, qu’au-delà des déclarations officielles l’État ne donnait plus de gages suffisants - en termes de volonté politique - d’approfondissement du processus de démocratisation ? Ou bien fallait-il réfléchir à une stratégie de substitution adaptée à la nouvelle situation politique ?

61. Certes, il est toujours facile, a posteriori, de définir un modus operandi, d’autant plus que la persistance de certains effets de la coopération - limités mais positifs - a pu occulter aux yeux de la communauté internationale la dégradation de la situation.

62. Quoi qu’il en soit, un constat aujourd’hui s’impose : dans la mesure où la coopération internationale contribuait indirectement à assurer la continuité de l’État, son retrait massif (seuls subsistent un volet "justice" et un volet "prisons" dans le programme post-MICAH lancé depuis deux ans par le PNUD), associé à la trop fréquente rotation du personnel politique, a eu pour effet l’abandon, par les autorités, de nombreux programmes de réformes. Or, leur poursuite, sous réserve d’importantes adaptations à la situation nouvelle, aurait sans doute permis de faire émerger durablement cette génération d’acteurs du futur - minoritaire mais agissante - qui est le ferment de cette culture de l’État de droit indispensable à tout processus de démocratisation en profondeur.

63. C’est dans cet esprit que l’expert indépendant suggère de prendre en considération les propositions suivantes :

a) Mise au point, en concertation entre le HCDH, le PNUD et l’OEA, d’une stratégie de coopération plus qualitative que quantitative, donnant la priorité à un rééquilibrage en faveur des professionnels dont on a des raisons tangibles de penser - compte tenu notamment de leur professionnalisme, légalisme et indépendance d’esprit - qu’ils sont ou seront les acteurs du futur ; des membres actifs de la société civile (ONG, presse, etc.) qui, en période de transition - surtout lorsqu’elle traverse une crise -, jouent un indispensable rôle de contre-pouvoir ;

b) En ce qui concerne l’État, l’expert indépendant propose le maintien d’une coopération technique nécessairement limitée tant que n’apparaîtront pas des signes tangibles de reprise du processus de démocratisation. Cette coopération devrait être ciblée sur les institutions qui, là encore, jouent ou devraient jouer un rôle déterminant en tant qu’acteurs du changement. On pense à l’École de la magistrature, à l’Académie de police, aux corps d’inspection et de contrôle, au bureau spécial créé en 2001 pour résoudre la crise des détentions prolongées, aux trois juridictions pilotes récemment installées ou au laboratoire de médecine légale en cours de réalisation et, bien entendu, à l’Office de la protection du citoyen, qui doit reconquérir sa crédibilité ;

c) Assurer une meilleure prise en compte des droits économiques, sociaux et culturels. En période de dictature, la défense des droits civils et politiques était prioritaire. Ce passé marque durablement les esprits, la notion de droits de l’homme étant trop souvent limitée en Haïti aux droits civils et politiques. Or, ainsi que le souligne l’expert consultant du HCDH, le pays est le plus pauvre de l’hémisphère occidental et la violation quotidienne des droits essentiels de son peuple (droit à l’alimentation, à l’éducation, à la santé, à un logement décent) est un facteur d’instabilité politique et de violence potentielle aussi important, sinon plus, que le non-respect des droits civils et politiques. D’où la nécessité d’une coopération technique également ciblée en direction des ONG qui militent en faveur, par exemple, de l’amélioration de la condition des femmes, de la santé, de l’environnement, de l’alphabétisation ;

d) Relance de la lutte contre l’impunité par la création (auprès du HCDH ou, à défaut, de l’Office de la protection du citoyen) d’un observatoire composé à égalité de représentants de l’État et de la société civile, chargé de tenir un tableau de bord des actions, y compris judiciaires, menées contre l’impunité et de faire un rapport sur les lacunes constatées, assorti de questions au Gouvernement sur des cas précis ;

e) Programme de désarmement. Il s’agit manifestement d’un aspect hautement prioritaire de la lutte contre l’insécurité. Toutefois, n’ayant pas été à même d’examiner avec les autorités de manière approfondie le programme de désarmement annoncé par le Président de la République, l’expert indépendant accordera à cette importante question une attention prioritaire lors de sa prochaine visite.

III. CONCLUSIONS

64. L’interdépendance des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels est une question existentielle en Haïti.

65. La première des violations des droits humains de la grande majorité du peuple haïtien - nous l’avons souligné - est la pauvreté. En outre, les graves violations, répétées et impunies, des droits civils et politiques, source d’insécurité, y compris juridique, non seulement oppriment les personnes mais encore dissuadent les entreprises tant haïtiennes qu’étrangères d’investir, les poussant même à déserter Haïti.

66. Une conséquence indirecte est que l’aide internationale reste gelée du fait de la situation politique, tout spécialement celle des droits de l’homme, et de la régression de la démocratie.

67. L’expert indépendant suggère par conséquent à la Commission d’inciter le Gouvernement haïtien à montrer par des initiatives fortes sa volonté affichée de lutter résolument contre l’impunité en aidant la justice à remplir sa mission.

68. Sans la manifestation d’une telle volonté, toute coopération - fût-elle "rénovée" - perdrait toute crédibilité.

69. Citons à titre d’exemple trois situations d’impunité qui pourraient donner lieu à de telles initiatives fortes contre l’impunité :

Courant octobre 2002, le Ministre de la justice a admis qu’il n’avait été procédé à aucune arrestation à la suite de violences commises par des Organisations populaires lors des événements susmentionnés du 17 décembre 2001.

Le refus persistant du Sénat de lever l’immunité parlementaire de Dany Toussaint, dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du journaliste Jean Dominique et de son collaborateur Jean-Claude Louissaint, donne le sentiment qu’il existe des complicités actives ou passives dans les plus hautes sphères de l’État.

Aucune suite judiciaire effective n’est donnée, en l’état, aux plaintes déposées par le secrétaire général de l’Association des journalistes haïtiens contre deux puissants chefs d’Organisations populaires, René Civil et Paul Raymond.

70. En d’autres termes, tout programme de coopération dans le domaine des droits de l’homme devrait être rééquilibré et ne pas privilégier la promotion des droits au détriment de la protection et de la vérification de ces droits, qui constituent, dans le contexte actuel, la priorité absolue en raison de l’insuffisante efficacité de l’Office de la protection du citoyen, au regard notamment des persécutions dont sont victimes les journalistes, les militants politiques et les défenseurs des droits de l’homme.

71. À la lumière de ce qui précède, l’expert indépendant fait les recommandations suivantes, dont la mise au point et la mise en œuvre devraient être effectuées en concertation préalable entre le HCDH, le PNUD et l’OEA, puis avec le Gouvernement.

IV. RECOMMANDATIONS

72. L’efficacité des recommandations suppose la mise en place d’un bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme. Pour d’évidentes raisons budgétaires et éventuellement politiques, il n’est pas question de constituer une MICIVIH bis mais de créer une structure allégée, composée d’experts internationaux appuyés par des experts nationaux. Cette initiative est souhaitée par la quasi-totalité des ONG, qui s’estiment "orphelines" depuis que la MICIVIH puis la MICAH se sont retirées.

73. Le bureau aurait pour rôle, en relation avec le système des Nations Unies, d’être la clef de voûte de la coopération technique rénovée exposée ci-dessus en distinguant sa double mission, de promotion des droits de l’homme, d’une part, et de protection-vérification d’autre part, et en spécialisant des experts dans chacun de ces deux domaines.

74. En ce qui concerne les acteurs de la promotion des droits de l’homme, il est proposé d’intervenir dans les domaines suivants :

a) Formation

Donner priorité à l’École de la magistrature ainsi qu’à l’Académie de police et, en tant que de besoin, en liaison avec le PNUD, aux trois juridictions pilotes récemment créées qui devraient jouer un rôle moteur en démontrant, in situ, qu’Haïti est capable de se doter d’une justice ayant la confiance du peuple et de la communauté internationale.

Plus généralement, et conformément à la proposition de l’expert consultant du HCDH - dont l’expert indépendant partage l’analyse sur ce point -, il conviendrait de renoncer aux séminaires de longue durée et uniques au profit de séances relativement courtes mais successives. L’expérience montre en effet que les capacités d’assimilation des participants se révèlent meilleures sur une courte durée et que, surtout, la tenue de plusieurs sessions successives favorise une réflexion critique entre deux sessions, permettant d’approfondir les questions initialement traitées.

Organiser des cycles courts ouverts aux responsables politiques pour les sensibiliser aux droits économiques, sociaux et culturels dans leur interdépendance avec les droits civils et politiques.

Réfléchir à un système de bourses permettant à des acteurs du futur - magistrats, policiers ou cadres de l’administration pénitentiaire qui se sont particulièrement signalés par leur professionnalisme - d’effectuer des séjours de perfectionnement à l’étranger comprenant pour une large part des contacts entre collègues permettant de confronter les expériences professionnelles. La sélection devrait être faite par un jury comprenant pour partie des experts internationaux.

b) Lutte contre l’impunité

Création d’un observatoire rattaché au bureau du HCDH ou, à défaut, à l’Office de la protection du citoyen ;

Installation de la Commission nationale de réparation en faveur des victimes du coup d’État de 1991. (Le projet est prêt de longue date, mais il faut passer à l’acte.)

c) Encourager le Gouvernement à donner priorité, en matière de réformes législatives, aux trois projets prévus par la Constitution et qui sont techniquement prêts, à savoir les projets de loi sur l’École de la magistrature, le Conseil supérieur de la magistrature et le statut de la magistrature.

d) Dans le domaine de l’accès à la justice, notamment auprès des trois tribunaux pilotes précités, des microprogrammes de coopération devraient permettre, sous réserve d’un audit préalable assorti d’un projet de développement, d’intensifier le rôle d’ONG telles que le Bureau d’aide juridique.

75. Pour des raisons pragmatiques (contraintes budgétaires, politiques ou autres), ces recommandations sont volontairement limitées dans leurs ambitions au regard des besoins, qui sont immenses, ainsi que l’a constaté l’expert consultant du HCDH. Leur mise en œuvre pourrait être progressive. S’il ne pouvait être donné suite à la création d’un bureau du HCDH, peut-être conviendrait-il d’envisager de confier à une cellule "droits de l’homme" à créer au PNUD - qui fait déjà un excellent travail dans le domaine de la justice - tout ou partie des missions dudit bureau.

76. À sa prochaine visite, l’expert indépendant examinera en priorité la question des droits économiques, sociaux et culturels, des droits des enfants et des droits des femmes, tout en continuant à suivre avec vigilance les questions liées à l’administration de la justice, notamment en ce qui concerne la lutte contre l’insécurité, la corruption et l’impunité.

Additif : Présentation du rapport sur la situation des droits de l’homme en Haïti devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU, le 17 avril 2003

M. LOUIS JOINET, Expert indépendant sur la coopération technique et la situation des droits de l’homme en Haïti, a informé la Commission de l’évolution de la situation en Haïti et des activités de coopération technique en matière de droits de l’homme. De retour de Haïti depuis 36 heures, il a indiqué que les informations qu’il avait obtenues auprès des autorités confirmaient celles qu’il avait recueillies auprès de la société civile, à savoir que la situation est toujours sur la pente de la dégradation, telle qu’elle paraissait déjà l’être lors de sa dernière visite en septembre 2002. Il a noté que parmi les victimes de persécutions on trouvait principalement des défenseurs des droits de l’homme, des opposants politiques et des journalistes, et plus récemment des magistrats. Il a ajouté que les ambassades déclaraient recevoir de plus en plus de demandes d’exil et qu’il avait attiré l’attention du Haut Commissariat pour les réfugiés sur ce point. Ces violations sont aggravées par le climat d’insécurité qui tend à se généraliser dans le pays, notamment en province. L’expert indépendant a illustré son propos en expliquant que lors de sa première visite en septembre 2002, il avait pu circuler sans protection alors que six mois après, ses déplacements étaient doublement « sécurisés » par un véhicule de sécurité du Programme des Nations Unies pour le développement et un détachement de cinq policiers armés, appartenant aux forces spéciales haïtiennes. Il a souligné que ces constatations pessimistes sont confirmées par le rapport du 30 mars 2003 de la mission spéciale de l’organisation des États américains chargée du renforcement de la démocratie en Haïti. Il a précisé qu’il avait attiré l’attention du Haut Commissaire aux droits de l’homme sur le risque de voir la violence se généraliser en cas d’échec des programmes de désarmement timidement amorcés.

En ce qui concerne les activités de coopération technique en Haïti, M. Louis Joinet a attiré l’attention de la Commission sur les paragraphes de son rapport traitant d’une « coopération technique rénovée », expliquant qu’il ne s’agissait pas de remettre en cause les activités déjà engagées qu’elles soient multilatérales ou bilatérales, mais de les dynamiser dans les faits en y ajoutant des « acteurs futurs ». Il a expliqué qu’il en avait rencontré chez les magistrats, les policiers, dans l’administration pénitentiaire. Ce sont tout simplement des hommes et des femmes qui ont fait fructifier la coopération et qui, en s’appuyant sur cette formation, ont une haute conscience de leur fonction et mettent un point d’honneur de bons professionnels, a-t-il précisé. Ces fonctionnaires ne plient pas l’échine et font l’honneur de leur pays, s’est-il exclamé. Il a donc recommandé que l’on persévère dans ces programmes de formation qui s’adressent aux secteurs de la justice et de la police. En outre, il faut aider, soutenir, valoriser ceux qui se prennent en main sur le terrain et passent à l’acte, car ce sont les véritables acteurs du changement, a-t-il dit. Il a rappelé les exemples cités dans son rapport et qui sont les tribunaux pilotes, les bureaux d’aide juridique développés par la société civile et l’école de la magistrature. En conclusion, M. Joinet a fait part de son admiration aux États qui acceptent d’être critiqués et de participer à la coopération technique, et les a opposés aux États qui, critiquables en bien des points, refusent toute évaluation.

Le rapport sur la situation des droits de l’homme en Haïti (E/CN.4/2003/116) rend compte de la première visite effectuée dans ce pays par le nouvel expert indépendant, du 22 au 29 septembre 2002. Au terme de sa visite, M. Joinet estime, compte tenu de la dégradation de la situation constatée depuis la dernière visite de son prédécesseur en 2001, que les principaux sujets de préoccupation en Haïti peuvent se résumer comme suit. Premièrement, la sécurité des citoyens. L’expert indépendant a constaté une augmentation considérable de la violence quotidienne et cite pour exemple la situation de Cité Soleil, « cité de non-droit » selon l’un de ses habitants, et celle des Gonaïves. Il estime que la lutte contre l’insécurité et par conséquent la lutte contre l’impunité et la mise en œuvre effective du programme de désarmement devraient être considérées comme la priorité majeure. Deuxièmement, la recrudescence d’exactions ciblées qui limitent, voire annulent, la liberté d’opinion et d’expression qui est au cœur de la vie démocratique. Trois secteurs sont à cet égard plus particulièrement touchés : la presse, les militants politiques et leurs organisations, et les défenseurs des droits de l’homme. Troisièmement, les lacunes constatées dans le fonctionnement de la chaîne pénale et leurs conséquences, notamment sur la détention provisoire prolongée. Quatrièmement, le sort des « justes » (femmes et hommes qui ont une haute conscience de leur fonction), qui sont les premiers acteurs du changement et qui doivent être encouragés. L’Expert indépendant note cependant certains progrès, tels que le procès du massacre de Carrefour-Feuilles, qui a vu pour la première fois des agents de la police nationale jugés et condamnés et l’affaire de Raboteau (massacre sous le régime putschiste du général Cédras) au terme de laquelle, dans un procès équitable, les auteurs ont été condamnés. Quant à l’aide internationale, l’Expert est d’avis qu’elle devrait être planifiée à long terme dans le cadre d’une coopération technique rénovée et ciblée en direction d’organismes étatiques ou de la société civile, ainsi que de professionnels qui jouent un rôle détermination en tant qu’acteurs du changement.

Débat

M. ETZER CARLES (Haïti), intervenant en tant que partie concernée, a estimé que l’Expert indépendant a fait de son mieux pour essayer de cerner et d’interpréter une réalité fort complexe. Toutefois, la délégation haïtienne a relevé certaines absences ou non-dits et un manque de précision de certains faits susceptibles de conduire à une perception imparfaite de cette réalité. À cet égard, il a évoqué le processus de démocratisation en cours depuis 1991 et les difficultés qu’il rencontre soulignant que tout processus démocratique s’inscrit nécessairement sur une longue période au cours de laquelle s’imposent de profondes réformes structurelles. Certaines de ces réformes sont déjà initiées, comme le reconnaît le rapport. Toutefois, quand celui-ci parle « d’espoirs déçus », il importe de remarquer que les événements dont il est question résultent, d’une part, d’un manque de moyens ou d’une certaine faiblesse des appareils policier et judiciaire, et, d’autre part, d’une insuffisance de culture démocratique chez de nombreux acteurs politiques. En outre, depuis plus de deux ans, l’aide internationale au développement est bloquée, a indiqué le représentant, ce qui rend difficile la tâche du Gouvernement. Cela étant, depuis la rédaction du rapport, des initiatives ont été prises par le Gouvernement en vue d’apporter des solutions à certains dossiers.

Le représentant a cité notamment le dossier des réparations consécutives aux événements du 17 décembre 2001 et la tentative de coup d’état ; la mise en application des résolutions de l’Organisation des États américains (OEA) en vue des futures élections législatives ; des instructions pour rechercher le fugitif Amiot Métayer, responsable de divers actes de violence ; la professionnalisation de la police et la nomination d’un nouveau Directeur administratif. Par ailleurs, le Gouvernement a réaffirmé son engagement à garantir le respect des droits humains, notamment la liberté d’expression, d’association et de manifestation. À cet égard, l’assistance technique du Haut Commissariat est attendue à travers, entre autres, la création d’un bureau à Port-au.Prince. La définition, l’exécution et l’évaluation de cette assistance doivent se faire dans la transparence, en vue d’une parfaite efficacité. Le programme de coopération ne doit pas être un mécanisme de sanctions mais plutôt un instrument permettant au pays de corriger les dysfonctionnements et contribuant au renforcement des capacités locales en matière de droits de l’homme. Le représentant a en outre exprimé certaines réserves sur le renforcement des organisations non gouvernementales dont il importe, pour le représentant, d’intégrer le travail dans un plan d’ensemble avec, notamment, la participation du secteur public.

La représentante de la Grèce, au nom de l’Union européenne, a demandé à l’Expert indépendant quelles actions le Gouvernement avait prises pour lutter contre l’impunité, et quelles mesures devraient être prises à son avis.

M. Louis Joinet a donné acte à l’ambassadeur de Haïti d’une promesse tenue par son Gouvernement de réparation donnée aux victimes des événements décembre 2001, il s’agit là d’un acte particulièrement positif. M. Joinet prend acte aussi que des instructions ont été données par le Ministère de la justice pour procéder à l’arrestation d’une personne en particulier incarnant l’impunité. Le propos de M. Joinet n’est pas de dénoncer, il cherche plutôt à encourager la participation des organisations non gouvernementales à la découverte des cas de violations des droits de l’homme pour en avertir le Gouvernement. Il existe une relation évidente entre efficacité de la justice et lutte contre l’impunité. La création d’une école de magistrats, pour former des juges compétents et légalistes prêts à lutter contre la corruption qui a gangrené ce corps un certain temps, est donc une excellente initiative. La formation reçue est appliquée sur le terrain, cette nouvelle indépendance est appuyée par un véritable esprit de corps au sein de la profession. Il faudrait cependant que cette école serve de véritable centre de formation aux professions de la magistrature, y compris donc des greffiers, des officiers d’état civil, dont les rôles sont aussi très importants.