Il m’est très difficile d’écrire cette lettre s’adressant à vous, Italiens et Français, car je suis paralysé par un sentiment d’incrédulité et d’impuissance face à tous ces cris qui ont déferlé sur moi. Je suis accablé par la rumeur : « criminel odieux », « assassin », « tueur » ; cet homme qui porte mon nom dans les journaux, je ne le reconnais pas.
J’ai bien été membre d’un groupe armé en Italie, comme des milliers d’autres personnes, mais je n’étais le « chef » de personne. Ne faisant plus confiance à la justice de mon pays, j’ai fui à l’étranger et j’ai été condamné à la prison à vie par contumace, sans possibilité de me défendre, sans pouvoir rencontrer mon avocat et sur la seule foi de la parole de « repentis » contraints de négocier leur peine.
Mon engagement politique fait partie de mon passé et cela fait des années que j’écris pour comprendre et faire comprendre mon parcours chaotique et en éloigner les jeunes. Mes années d’errements, je les ai payées de plusieurs années de prison et de vingt années d’exil. Averti de la parole de la France ouvrant ses frontières aux Italiens, je m’y suis réfugié il y a quatorze ans et on m’a déclaré non-extradable. Aujourd’hui, sans que je comprenne, ni comment, ni pourquoi, l’extradition me menace et si tel devait être mon destin, justice ne serait pas faite.

Source
Le Monde (France)

« Inexplicable cauchemar », par Cesare Battisti, Le Monde, 2 avril 2004.