Detlev Mehlis

Certains Libanais ont gonflé l’image de Detlev Mehlis, parlé des heures et des heures de sa transparence et de la crédibilité de la commission d’enquête qu’il présidait. Une commission qu’ils n’ont pas cessé de défendre contre les critiques aiguës dont elle a fait l’objet. Ils ont lié leur sort à celui du rapport Mehlis et de ses conclusions hâtives auxquelles ils ont attribué plus d’importance qu’elles n’en méritaient, tout en multipliant leurs attaques contre la Syrie et certaines forces politiques libanaises. Ces Libanais en question se trouvent désormais dans un embarras sans issue. Surtout après les récents développements relatifs aux enquêtes effectuées par ladite commission. Des développements qui ont d’ailleurs poussé M. Mehlis lui-même à démissionner de la commission, dont la crédibilité a été mise en question, et qui apparaît maintenant comme n’ayant d’autre objectif que de mettre en scène des scénarios permettant d’intervenir en Syrie.

Mehlis a quitté Beyrouth pour Paris, après avoir organisé deux longues réunions avec Fouad Siniora, le Premier ministre libanais, et Charles Rizk, le ministre de la Justice. C’étaient deux occasions de faire ses adieux à ceux qui l’ont aidé à accomplir son jeu. Dans le même cadre, et suite aux deux réunions, des articles de la presse allemande ont confirmé que M. Mehlis ne comptait pas continuer sa mission et qu’il ne se rendrait pas à Vienne où les interrogations des témoins syriens devaient avoir lieu. Selon le journal allemand Jung Welt, des officiels allemands ont obligé Mehlis à se retirer de la commission d’enquête pour éviter qu’il ne cause un préjudice aux intérêts allemands au Proche-Orient. Le journal a précisé que l’enquêteur en question a effectivement présenté sa démission au secrétaire général de l’ONU. Juste après la diffusion de ces nouvelles, l’ambassadeur des États-Unis à l’ONU, John Bolton, les a implicitement confirmées en demandant à M. Mehlis de rester ou, à défaut, qu’on lui trouve un remplaçant.

Ainsi, le départ de Mehlis est confirmé. Les parties libanaises qui commençaient à s’organiser en fonction des investigations et de leurs résultats supposés, et qui ont défié les autres forces politiques et la Syrie, se sont retrouvées dans un embarras effrayant. Une situation qui les a mené à essayer, par tous les moyens, d’organiser une attaque avancée contre la Syrie et certaines parties libanaises locales.

Si M. Mehlis avait annoncé sa décision de démissionner avant le scandale, les choses auraient pu se dérouler sans problème : il aurait été remplacé sans que rien ne soit changé à son plan. Cela aurait épargné à ses comparses, États et partis politiques, de se trouver dans une telle situation. Mais, le départ de Mehlis est survenu après une décision onusienne de prolongation de sa mission, et après qu’il ait conclu un accord avec la Syrie pour interroger ses responsables. Ce départ, sans préavis, n’en est que plus surprenant. Pis, la démission en question intervient dans une situation scandaleuse marquant le dernier acte de sa pièce.

Drame en quatre actes

Le premier coup dont Mehlis a été victime lui a été adressé lors de la remise de son rapport à l’ONU, en démasquant la véritable biographie du Syrien Zouhir Sedik, dont le témoignage lui avait servi de base pour accuser des responsables libanais et syriens. Sedik a reconnu, après son interpellation en France, être poursuivi pour escroquerie et avoir encaissé des sommes gigantesques en contre-partie de son faux témoignage. Cela a contraint M. Mehlis à modifier, voire à supprimer, certains passages dans son rapport qui avait déjà été distribué à la presse. Une erreur qu’il qualifia de « technique », imputable à la non-révision du rapport avant sa distribution.

Puis, la deuxième gifle est venue d’un prisonnier syrien en Turquie qui a dévoilé les chantages relatifs à sa libération, et les grosses sommes d’argent qui lui ont été proposées en contre-partie d’un faux témoignage accusant des responsables syriens. Ce qui a attesté l’implication de M. Mehlis dans un manipulation des services de renseignment.

Le troisième coup, ce fut la révélation que M. Mehlis travaillait dans des centres de recherche des services de renseignement états-uniens. Une accusation lancée par l’auteur de ces lignes lors de sa participation au magazine d’Al-Jazeera « L’Opinion contraire ». J’ai rappelé que c’est le même procureur Mehlis qui avait conclu à la responsabilité de la Libye dans l’affaire de l’attentat au dancing La Belle. À l’époque, il s’était précipité un quart d’heure après le discours de Ronald Reagan pour reprendre cette accusation au compte de la justice allemande. J’ai révélé que Mehlis a encaissé de deux centres de recherche subventionnés par les services états-uniens des honoraires disproprotionnées par rapport à son travail, par exemple 80 000 dollars, en 2003. Or, ces centres sont liés à l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), qui se définit lui-même comme « le lobby américain pro-Israël » (America’s pro-Israel lobby). Le juge allemand est aussi soupçonné d’avoir des relations avec plusieurs filières de l’OTAN.

Le quatrième coup quant à lui, c’est l’échec de Mehlis à contraindre les responsables syriens à se plier à ses conditions. De ce fait, il s’est trouvé obligé d’accepter des garanties turques, saoudiennes et russes pour interroger les responsables syriens dans un pays tiers, ce qui déplut à l’administration Bush dont les plans et les intérêts doivent être prioritaires.

En fin, Mehlis est tombé par K.O. quelques heures avant de quitter le Liban. Le protagoniste de ce dernière épisode s’appelle Houssam Taher Houssam. Connu aussi sous le surnom de « témoin masqué », il était la carte maîtresse du jeu de Mehlis. Houssam a déclaré avoir été obligé, par des responsables libanais dont le fils de Rafic Hariri, de délivrer un faux témoignage contre la Syrie dans l’enquête menée par les Nations Unies. Il a ajouté qu’il a travaillé au sein des services de renseignement libanais et syriens avant le retrait de l’armée syrienne du Liban, et qu’il a subit des tortures et des menaces justifiant son faux témoignage.

Houssam a qualifié toute l’affaire de « jeu » ayant pour objectif d’affaiblir la Syrie. Le fils de Rafic Hariri lui avait assuré qu’il est convaincu de l’implication de la Syrie dans l’explosion du camion ayant causé la mort de son père, mais qu’il avait besoin du témoignage de Houssam pour confirmer sa conviction. Houssam a aussi accusé le leader socialiste Walid Jumblatt et le ministre des Télécommunications Marwan Hamadé d’avoir mis en scène d’autres faux témoignages contre la Syrie.

Le « témoin masqué » a révélé qu’il devait charger Maher Al-Assad, l’un des frères du président Al-Assad, et son beau frère Assef Shawkat, le directeur des services des renseignement. Il a indiqué avoir subit des sévices et l’injection de drogues. Il a attesté que le ministre de l’Intérieur, Hassan Sabaa, lui a proposé 3,1 millions de dollars pour alléguer avoir vu dans une caserne syrienne le camion utilisé dans l’assassinat d’Hariri.

Mehlis sait que son jeu touche à sa fin et qu’il a perdu sa crédibilité. D’autant que ce témoin-clé a servi de référence principale dans la plus part des accusations contre la Syrie. Tout cela n’est pas sans nous rappeller les manœuvres autour de la commission d’enquête onusienne sur les armes de destruction massive en Irak, qui ont été démasquées de la même manière après qu’on eut appris la relation entre des enquêteurs et les services des renseignement israéliens et états-uniens.

Les significations de la démission de Mehlis

La présentation de la démission de Mehlis, même si elle devait être refusée, est significative.

Premièrement, la Syrie et ses alliés au Liban ont bien réagi et maîtrisé la situation, à la fois sur le plan politique et sur le plan médiatique, tout en s’adaptant aux méthodes de Mehlis. De même, ils ont bien exploité leur connaissance des protagonistes, ce que leur a permis de jouer avec Mehlis, avant de le tromper et de l’obliger à se retirer avant même la fin de sa mission.

La démission de Mehlis prouve aussi qu’il y a des types de guerre dont il faut connaître les dimensions et les statégies avant de les mener. À signaler que le Syrie a su doubler le jeu : tout en acceptant de laisser interroger ses responsables par M. Mehlis, elle a constitué en parallèle une autre commission d’enquête sur une base exclusivement jurique et non politique. En outre, la Syrie a su négocier des garanties sur les conditions d’interrogatoire de ses responsables dans un pays tiers en partenarait avec des acteurs arabes et internationaux, là encore sur une base exclusivement juridique et non politique. Ce faisant, elle a associé ces acteurs à sa resistance aux pressions états-uniennes.

Ce qui a eu lieu montre aussi que la pression des États-Unis s’affaiblit de plus en plus, d’une part à cause de son enlisement en Irak et d’autre part, vu la réaction des autres États, dont la dernière est relative à l’affaire des prisons de la CIA en Europe. Cela prouve qu’une attaque « universelle » est en gestation contre la politique états-unienne.

Comment réagissent les États-Unis ?

Les propos de Bolton concernant la démission de Mehlis ne font qu’exprimer un constat d’échec et une tentative de maintenir la même stratégie avec le remplaçant de Mehlis. Bolton a essayé de nous convaincre que le départ de Mehlis serait dû à des problèmes personnels et sécuritaires. Il a également fait l’éloge du juge allemand tout en le priant de se maintenir à son poste. Pourtant, il a appelé à designer quelqu’un d’autre pour le remplacer. Sans oublier de menacer la Syrie, sans la nommer, en lui rappelant qu’elle n’a pas encore gagné la guerre.

Il ne faut donc pas croire que le jeu états-unien touche à sa fin, ni pour l’administration Bush elle-même, ni pour ses alliés au Liban. L’Empire n’a pas attendu le départ de Mehlis pour contre-attaquer. Ainsi, Jumblatt a une nouvelle fois accusé la Syrie. Surtout, on a trouvé un vieux charnier à proximité d’un centre des services de renseignement syriens au Liban. Cette découverte pourrait justifier l’intervention des États-Unis, de la France et des Nations Unies pour remettre la pression sur la Syrie à travers une enquête internationale. Celle-ci pourrait alors isoler et rouvrir le dossier de la présence syrienne au Liban, de son début sous l’ancien régime à son retrait sous l’actuel gouvernement.