Tandis que notre président se tenait aux côtés des victimes des attentats de Madrid, comment comprendre que, le lendemain, son représentant allait voter le projet de résolution condamnant l’assassinat du cheikh Yassine par Israël ? On aurait pu croire après Madrid que l’Europe allait saisir l’ampleur de la guerre terroriste déclarée le 11 septembre 2001.
Mais cet événement a malheureusement renforcé nos diplomates dans la conviction que l’acte terroriste mené contre un des piliers de la coalition américaine était la sanction inévitable d’une guerre injuste. Par ce raisonnement, l’Europe commet une double erreur : elle ne voit pas que les attentats visaient toutes les démocraties et, comme George W. Bush, elle associe Irak et terrorisme. À nouveau, l’Europe présente la victime comme responsable de ce qui lui arrive. C’est ce qu’elle reproduit avec Israël, condamnant la mort d’un homme qui, instrumentalisant une cause nationaliste légitime, appelait ses enfants au suicide pour en tuer d’autres.
Jack Straw a qualifié cet assassinat « d’inacceptable et injustifié » et Miguel Angel Moratinos a déclaré qu’à ce rythme là « il n’y aura plus d’interlocuteurs palestiniens ». Pourtant, le mouvement de Yassine, le Hamas, déclare dans sa charte qu’il souhaite « la destruction totale de l’entité sioniste », l’Europe veut-elle un État palestinien démocratique ou une république islamique du Jourdain à la Méditerranée ? Il est frappant et inquiétant de voir qu’en Europe la compassion victimaire associe victimes et assassins, mais exclu les victimes israéliennes, la soldatesque américaine et les « collaborateurs » irakiens.
L’Europe, convaincue d’être coupable, tend l’autre joue plutôt que de se défendre en ne voyant pas que c’est la démocratie qui est visée. Les populations doivent s’unir pour faire comprendre à leurs dirigeants qu’il faut éviter le pire : l’effondrement de notre modèle.

Source
Le Monde (France)

« Le cheikh Yassine, faux martyr, vrai coupable », par Pascal Bruckner, Iannis Iannanakis et Michèle Tribalat, Le Monde, 5 avril 2004.