Editorial du Military Times, édition du 17 mai

Une faute du commandement au plus haut niveau

Dans les couloirs du Pentagone, un terme de dérision caustique est apparu pour qualifier les soldats engagés se trouvant au cœur de la tempête du scandale de la prison Abou Ghraib : les six imbéciles qui ont perdu la guerre.

En effet, les dommages causés à l’armée U.S. et à la nation dans son ensemble par les photographies horrifiantes de soldats U.S. maltraitant des détenus dans la fameuse prison sont inestimables.

Mais les gens du Pentagone se trompent d’imbéciles.

Aucune excuse ne tient pour le comportement affiché par les soldats sur les photos désormais tristement célèbres, ainsi que pour le rapport encore plus accablant du Major Général de l’armée Antonio Taguba. Tous les soldats impliqués devraient avoir honte.

Mais si la responsabilité commence au niveau des six soldats encourant des poursuites pour crime, elle s’étend tout au long de la chaîne de commandement jusqu’aux plus hauts échelons de la hiérarchie militaire et de son commandement civil.

Toute cette affaire est un échec du commandement, du début jusqu’à la fin. Dès leur capture, les prisonniers sont capuchonnés, enchaînés et isolés. Le message aux troupes : tout est toléré.

En plus des cohortes de prisonniers qui ont été humiliés et malmenés, au moins 14 d’entre eux sont morts en détention en Irak et en Afghanistan. L’armée a prononcé un verdict pour au moins deux de ces homicides. Ce n’est pas ainsi qu’un peuple libre détient ses prisonniers ou conquiert le cœur et l’esprit d’un monde méfiant.

Quelle tragique ironie que l’armée américaine, qui fut accueillie à Bagdad par un peuple irakien euphorique, il y a un an, comme une force de libération mettant fin à 30 années de tyrannie, se retrouve aujourd’hui coupable d’avoir eu recours à une torture déshumanisante dans cette même prison d’Abou Ghraib qui fut utilisée par les hommes de main de Saddam Hussein.

On ne peut que se demander pourquoi la prison n’a pas été rasée à l’aube de l’invasion dans un coup symbolique porté au cœur du régime baasiste.

Le commandement militaire en Irak porte la responsabilité d’avoir fait fonctionner une prison sans conseiller juridique pour son commandement ni responsabilité assumée pour le soin et le traitement des prisonniers.

Le général Richard Myers, chef d’état-major interarmes, mérite également sa part de honte. Il a demandé à « 60 minutes II » de s’abstenir de diffuser des informations sur le scandale car cela pouvait mettre les troupes U.S. en danger. Mais lorsque le rapport fut diffusé une semaine plus tard, Myers n’avait toujours pas lu le rapport de Taguba qui avait été terminé en mars. Le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld n’a pas non plus lu le rapport avant que le scandale éclate dans les médias.

A ce moment-là, il était bien entendu trop tard.

Myers, Rumsfeld et leur personnel ont échoué à estimer l’impact que ce scandale aurait non seulement aux États-Unis, mais aussi partout dans le monde.

Si le personnel de Myers et Rumsfeld a manqué à son devoir de les alerter, honte sur lui. Mais honte également sur le chef d’état-major et le secrétaire à la Défense, qui ont manqué à leur devoir d’informer ne serait-ce que le Président Bush.

Il en a été réduit à devoir s’informer sur le scandale par des rapports de presse plutôt que par ses propres chefs militaires.

Sur le champ de bataille, les erreurs de Myers et Rumsfeld seraient qualifiées de mauvaise évaluation de la situation, une faute assimilable à de la négligence professionnelle.

A ce jour, l’armée a envoyé devant la cour martiale les six soldats soupçonnés d’avoir maltraité les détenus irakiens et en a réprimandé six autres.

Le général de brigade Janis Karpinski, responsable de la brigade de police militaire aux commandes d’Abou Ghraib, a reçu une lettre de remontrances et encourt une possible procédure disciplinaire.

C’est bien, mais ce n’est pas assez.

Ce n’était pas qu’une faute des autorités au niveau du commandement local. C’était une faute imputable directement au sommet de la chaîne. La responsabilité est ici essentielle, même si cela signifie qu’il faut relever de leurs fonctions des dirigeants haut placés en temps de guerre.

Traduction : Réseau Voltaire