Le Conseil de sécurité des Nations unies a réitéré son engagement à soutenir le Front Polisario et le royaume du Maroc pour parvenir à une solution “politique juste, durable et mutuellement acceptable devant conduire à l’autodétermination du Sahara occidental”. Sa résolution constitue un véritable camouflet à Kofi Annan par le rejet de son rapport préconisant la voie autonomiste. Comment expliquez-vous ce désaveu ?

Ainsi que vous le savez, l’Algérie a accueilli avec satisfaction l’adoption, le 28 avril dernier, par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 1675 (2006) sur le Sahara occidental du fait de sa conformité avec la doctrine onusienne applicable aux cas de décolonisation.

La position prise par le Conseil de sécurité en avril 2006 était attendue du fait des dangereuses dérives contenues dans le rapport du secrétaire général.

En effet, comment peut-on, au nom d’une prétendue realpolitik, consacrer le primat du fait accompli, de la violation des règles du droit international, y compris des résolutions qui ont ennobli et crédibilisé la Déclaration universelle des droits de l’Homme ? Le territoire du Sahara occidental est un territoire non autonome. Satisfaire à l’exigence du droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination reste incontournable. Le plan Baker demeure un excellent compromis dans la mesure où même l’option de l’autonomie est l’une des questions retenues dans le cadre du référendum. Donc, seul le peuple sahraoui choisira librement et définitivement le statut qu’il voudra pour son territoire.

Vous avez rencontré Kofi Annan à New York. Comment avez-vous trouvé ce contact ? Qu’est-ce que vous lui avez dit ?

Cette rencontre a été opportune et utile. Elle a été l’occasion de réaffirmer la position de l’Algérie sur la question du Sahara occidental et de clarifier, à cet égard, un certain nombre de points, à la veille de l’examen par le Conseil de sécurité du rapport du secrétaire général des Nations unies sur cette question.

J’ai rappelé au secrétaire général, qui m’a semblé l’avoir fâcheusement perdu de vue, que le principe du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, consacré par les résolutions pertinentes des Nations unies, constitue le socle sur lequel se fonde la légalité internationale. Le rapport du secrétaire général avait épousé, en effet, le point de vue inacceptable de son envoyé spécial, M. Van Walsum, qui préconisait de tenir compte de la realpolitik, c’est-à-dire du fait accompli de l’occupation du Sahara occidental.

J’ai mis l’accent sur les insuffisances que contient son rapport, tout en indiquant clairement que ses propositions constituent une sérieuse dérive, en ce sens qu’elles risquent de perdre de vue la légalité internationale et d’entraîner de graves conséquences sur la stabilité de la région. Le Conseil de sécurité n’a pas suivi le secrétaire général dans cette dérive. Il a adopté à l’unanimité une résolution revenant à la légalité internationale et affirmant le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.

Après la résolution des Nations unies, pensez-vous que le Maroc comprendra le message et se conformera à la légalité internationale ?

Il faut l’espérer. Il est clair que les parties en conflit, royaume du Maroc et Front Polisario, devront mettre en œuvre la résolution 1675. Le plan de paix des Nations unies repose sur l’exercice par le peuple du Sahara occidental de son droit à l’autodétermination.

On évoque pour cette année une rencontre Bouteflika-Mohammed VI. Cette rencontre tient-elle la route ou est-elle prématurée, selon vous ?

Les rencontres entre chefs d’État sont, en règle générale, des moments forts de la vie diplomatique internationale et des dates de référence dans les relations entre les États. A fortiori, lorsqu’il s’agit de pays voisins et de surcroît frères.

En fait, la vertu de telles rencontres réside, à mon sens, moins dans leur effet d’annonce que par rapport à l’importance des décisions qui en résultent pour le bien des peuples concernés, et à leur portée au regard de l’amélioration du climat général des relations bilatérales.

Cette conception, que l’Algérie n’a de cesse de promouvoir, requiert, il est vrai, la manifestation d’une volonté politique partagée pour transcender les divergences et les obstacles qui entravent l’essor naturel des relations entre l’Algérie et le Maroc.

Mais cette question d’une rencontre entre les deux chefs d’État n’est pas d’actualité.

La réouverture des frontières entre l’Algérie et le Maroc est-elle d’actualité ?

Le caractère à la fois sensible et symbolique qui s’attache à cette question n’échappe à personne, mais elle n’est pas d’actualité.

L’Algérie subventionne beaucoup de produits, notamment de première nécessité comme la farine, la semoule, l’huile, le sucre, pour aider nos couches de population qui en ont besoin. Or une partie de ces produits, ainsi que de fortes quantités de carburant se retrouvent au Maroc oriental, ce qui nous fait perdre 2 milliards et demi d’euros par an. Une réouverture des frontières ne peut se concevoir que comme le résultat, et non comme le prélude, de négociations réussies quant à nos relations avec le Maroc. Nous n’en sommes pas là.

L’effacement de la dette algérienne avec la conclusion du contrat d’armement avec la Russie a provoqué des réactions internationales, notamment en France et aux États-Unis qui s’inquiètent de la répercussion de ce contrat. Estimez-vous que ce contrat peut-être considéré comme étant une révision de notre positionnement géostratégique ?

Je voudrais d’abord souligner que je n’ai pas eu connaissance d’une quelconque réaction officielle particulière à la suite de la signature de cet accord conclu, au demeurant, entre deux pays souverains liés par une longue tradition d’amitié et de coopération.

Il est vrai qu’il a bénéficié d’une importante couverture médiatique internationale, mais il m’a semblé que ce qui a joué à cet égard ce n’était pas tant les inquiétudes affichées dont vous faites état que l’intérêt accru que manifestent les grandes puissances au développement de la coopération avec l’Algérie, notamment en matière énergétique et de lutte contre le terrorisme.

Cet accord sur l’effacement de la dette algérienne en contrepartie d’achat de biens et services auprès de la Russie s’inscrit dans le cadre normal du développement des échanges et de la coopération bilatéraux auxquels les chefs d’État des deux pays ont conféré un caractère privilégié, consacré par la Déclaration sur le partenariat stratégique qu’ils ont signée en avril 2001. Par ailleurs, il est tout aussi normal, que ce partenariat que nous voulons global et que nous mettons en place progressivement, comprenne également le volet militaire.

On annonce une visite d’État de Dick Cheney et surtout de votre homologue Condoleezza Rice pour soutenir les réformes politiques qui se font en Algérie. Surtout si l’on considère que le Département d’État américain comme l’a fait savoir Rice en Égypte est très sensible à l’amélioration du contexte démocratique dans les pays arabes. Est-ce le cas ?

Durant mon séjour aux États-Unis, je n’ai pas rencontré M. Dick Cheney qui se trouvait hors de Washington.

J’ai par contre eu un entretien fructueux avec mon homologue Mme Condoleezza Rice que j’ai invitée à effectuer une visite en Algérie, en précisant qu’une telle visite pourrait être le prélude à un échange de visites entre les deux Chefs d’État. Elle nous donnera une occasion supplémentaire d’approfondir le dialogue politique, de renforcer les relations économiques et de nous concerter sur les questions régionales et internationales d’importance pour nos deux pays. Mme Rice a accueilli très favorablement cette invitation.

Peut-on avoir des précisions sur les contacts et les rencontres que vous avez eus aux USA lors de votre récente visite ?

Étant la première d’un ministre des Affaires étrangères algérien depuis plus d’une décennie, ma visite est intervenue à un moment où les relations algéro-américaines connaissent un essor remarquable caractérisé, notamment, comme vous avez pu le constater ces dernières années, par les nombreuses visites croisées de responsables des deux pays.

J’ai eu, quant à moi, des entretiens intéressants et utiles à plus d’un titre successivement avec la Secrétaire d’État Mme Condoleezza Rice, le Secrétaire d’État adjoint M. Robert Zoellick, le Directeur du Renseignement national M. John Negroponte et le Sous-Secrétaire d’État pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord M. David Welsh. J’ai, par ailleurs, donné une conférence sur le thème de l’expérience algérienne dans la lutte antiterroriste au Council on Foreign Relations, un des plus influents Think Tanks aux États-Unis.

Avec mes interlocuteurs, nous avons exploré les moyens de concrétiser le partenariat privilégié que les Présidents des deux pays appellent de leurs vœux.

Comment évoluera la relation entre l’Algérie et les États-Unis ? Allons-nous vers des relations stratégiques qui toucheront des secteurs autres que ceux de la sécurité et des hydrocarbures ?

Compte tenu des nombreuses potentialités qui existent dans les deux pays, la relation entre l’Algérie et les États-Unis d’Amérique devrait, à notre sens, évoluer vers l’établissement d’un réseau dense de liens et d’échanges se rapportant non seulement aux aspects politiques, militaires, sécuritaires et économiques, mais aussi scientifiques, techniques et culturels. Je voudrais, à cet égard, souligner que nous avons signé récemment un accord en matière de sciences et de technologie qui ouvre de larges perspectives de coopération entre les deux pays dans de nombreux domaines. Si les secteurs que vous avez évoqués sont certes prédominants, la relation bilatérale concerne également d’autres volets, puisque en termes d’investissements, le partenaire américain montre un intérêt de plus en plus évident pour des domaines aussi divers que les nouvelles technologies de l’information, l’habitat, les travaux publics, les ressources en eau, l’agriculture ou la pharmacie, entre autres.

Cette tendance est certainement appelée à s’amplifier à l’avenir comme en atteste, par exemple, la participation d’un nombre croissant d’entreprises américaines à la Foire internationale d’Alger.

L’adhésion de l’Algérie à l’OMC et le remboursement par anticipation de sa dette publique, questions pour lesquelles nous avons sollicité le concours actif de nos interlocuteurs américains, ne manqueront pas de renforcer cette tendance.

Lors de votre visite aux États-Unis, vous aviez fait une déclaration qui a surpris, notamment les Français, en indiquant que la France est en perte de vitesse par rapport aux USA. Pourquoi et dans quel objectif avez-vous fait cette déclaration ?

Il s’agit là d’une extrapolation que certains journalistes ont tirée de manière inappropriée de mes propos qui ne se voulaient en rien réducteurs de la place particulière qu’occupe la France dans les relations extérieures de l’Algérie.

J’avais, en effet, en réponse à une question sur nos relations avec les États-Unis d’Amérique et avec la France, affirmé que les relations algéro-françaises étaient très bonnes sur les plans politique, économique et culturel, mais qu’il subsistait encore quelque chose dans les esprits qui ne nous a pas permis de tourner définitivement la page.

Cela, ai-je ajouté, ne signifie en aucune façon que la France est en train de perdre du terrain en Algérie. J’avais tout simplement précisé que les relations avec les États-Unis étaient différentes et que les États-Unis d’Amérique étaient devenus notre premier client avec plus de 11 milliards de dollars d’exportation algériennes en 2005.

Dans ses relations avec les États-Unis d’Amérique, comme avec ses autres partenaires, l’Algérie cherche à établir et à consolider des relations d’amitié et de coopération multiforme, dans le respect mutuel et l’équilibre des intérêts. Il n’est nullement question pour l’Algérie de s’aligner sur un partenaire, plutôt que sur un autre. Nous cherchons tout simplement à développer des relations confiantes et fortes avec tous nos partenaires, particulièrement les plus importants d’entre eux.

Par ailleurs, c’est une lapalissade que de constater et de dire que les États-Unis d’Amérique sont devenus notre premier partenaire commercial et, de surcroît, notre premier client.

Maintenant, c’est tranché, I’Algérie considère qu’il n’y a pas de traité d’amitié possible sauf si les Français font leur mea-culpa et acceptent de faire des excuses. Mais, au regard des positions françaises qui ne veulent pas satisfaire cette exigence, ce traité verra-t-il le jour ou est-il définitivement plombé ?

Le projet de traité d’amitié avec la France figure dans la déclaration d’Alger de 2003, qui a été signée par les deux Chefs d’État comme objectif stratégique devant sceller solennellement l’avenir des relations entre les deux pays. Cet objectif est resté à l’ordre du jour, mais cela n’a jamais signifié qu’il fallait occulter notre passé commun et tout spécialement la tragédie de la période coloniale, dont la page ne peut être définitivement tournée sans satisfaction d’un devoir de mémoire qui demeure une exigence légitime.

Comment évaluez-vous les changements des gouvernements espagnol et italien ?

De par l’histoire et la géographie, I’Algérie entretient des relations privilégiées avec l’Espagne et l’ltalie, pays avec lesquels elle est liée par des traités d’amitié, de bon voisinage et de coopération, conclus respectivement en 2002 et 2003.

Il faut dire, également, que ces relations ont enregistré, ces dernières années, des avancées notables aussi bien en matière de consolidation du dialogue et de la concertation politique de haut niveau sur toutes les questions d’intérêt commun, que dans le domaine du développement de la coopération bilatérale dans les secteurs les plus divers.

Au plan sous-régional, nous œuvrons ensemble à la recherche de solutions pour avancer sereinement dans notre projet commun d’instauration d’une zone de paix, de stabilité et de prospérité partagée en Méditerranée occidentale et, par-delà, dans toute la Méditerranée.

S’agissant des changements de majorité opérés en Espagne et en Italie, à la suite des élections de mars 2004 et d’avril 2006, nous considérons qu’il s’agit là de questions relevant de la politique intérieure de ces pays, et je tiens à signaler que quelle que soit la couleur des partis vainqueurs à ces élections, mon pays respecte les choix souverains des peuples amis d’Espagne et d’ltalie et réitère sa volonté de poursuivre avec les nouvelles autorités, issues de ces élections, les processus d’établissement d’une coopération rénovée et stratégique avec ces deux pays.

Je ne vous apprendrai rien en vous déclarant que les relations diplomatiques s’établissent entre États et non entre majorités ou formations politiques au pouvoir.

Il y a un redéploiement de la diplomatie algérienne dans des pays du Sud-Est asiatique musulmans, tels que l’lndonésie et la Malaisie, et un redéploiement vers la grande Asie comme la Corée du Sud et la Chine. À quoi obéit ce redéploiement ? S’agit-il d’une stratégie délibérée ?

Il est de fait que l’Algérie a recouvré toute sa place sur la scène internationale sous l’impulsion de M. le président de la République et conformément aux engagements qu’il avait pris à cette fin.

Favorablement, notre pays a renoué avec la paix, la sécurité, la stabilité et, ce faisant, avec le développement national et la croissance économique dans le cadre d’une ouverture ordonnée et sereine sur notre environnement international caractérisé, comme vous le savez, par la mondialisation des politiques et des échanges.

La cohérence d’ensemble de ces actions, ainsi que la pertinence des choix opérés, ont suscité, depuis quelques années, un regain d’intérêt de nos partenaires étrangers à l’égard de l’Algérie qui est devenue un pays économiquement attractif et politiquement fiable.

Dans ce contexte, le redéploiement de la diplomatie algérienne, que vous évoquez, concerne toutes les régions du monde où nos intérêts nationaux méritent d’être promus, défendus et pérennisés.

Bien évidemment, cette démarche stratégique ne pouvait qu’inclure l’Asie, région qui s’affirme de plus en plus comme une zone d’importance à l’échelle mondiale.

Je rappellerai d’abord que des liens historiques, d’amitié et de solidarité nous unissent à nombre de pays d’Asie, depuis la période de la guerre de Libération nationale. L’lndonésie et la Malaisie sont par ailleurs, comme l’Algérie, membres de l’Organisation de la Conférence islamique et du Mouvement des pays non-alignés.

De ce point de vue, la diplomatie algérienne demeure fidèle aux valeurs fondamentales qui ont inspiré la politique extérieure de notre pays, dès le recouvrement de sa souveraineté nationale.

Notre diplomatie, dans son évolution somme toute naturelle, a intégré les nécessaires variantes d’ajustement lui permettant d’être en phase avec le monde moderne qui est en mutation. L’un des traits marquants de cette adaptation a été de prendre la mesure de l’importance de la diplomatie économique.

Le redéploiement diplomatique en direction des pays d’Asie se fonde donc sur l’ensemble de ces paramètres que nous nous employons à mettre en synergie dans le cadre d’une démarche stratégique globale, étant observé que notre intérêt pour cette région répond aussi à des attentes exprimées par les pays asiatiques vis-à-vis de l’Algérie.

Dans ce contexte, en effet, les relations de coopération de notre pays avec les pays d’Asie ont enregistré, ces dernières années, un développement remarquable caractérisé par des échanges de visites de haut niveau, la concertation politique, la croissance — parfois spectaculaire — des échanges économiques et commerciaux, la concrétisation de nombreux projets de partenariat et l’accueil d’investissements directs en Algérie.

L’aboutissement de ces efforts s’est traduit par la conclusion d’accords de partenariat stratégique qui nous lient, désormais, avec la République de Corée et la République Populaire de Chine.

À cet égard, si la Chine reste, pour l’heure, notre premier partenaire en Asie avec un volume d’échanges de 1,7 milliard de dollars en 2005, des pays comme la République de Corée, le Japon et d’autres encore occupent une part de plus en plus importante dans nos échanges avec cette région et nos relations de partenariat nous ouvrent des perspectives prometteuses à court terme.

On a remarqué une intense activité diplomatique en direction des pays sub-sahariens et du Sahel, notamment après les déclarations d’AI-Kadhafi qui prône un “Grand Sahara”. Cette déclaration constitue-t-elle une menace à l’intégrité et à la sécurité de nos frontières ? Comment comptez-vous y faire face sur le terrain ?

L’intérêt constant que l’Algérie porte au développement des relations de bon voisinage, de fraternité et de coopération avec tous les pays qui bordent ses frontières, sans exception, est au cœur des priorités de sa politique extérieure.

En l’occurrence, celle-ci se déploie à travers la politique de la main tendue et de la coopération loyale avec tous les États voisins de notre pays et les autres pays subsahariens, en vue de la promotion et de la défense de nos intérêts communs.

Seule une coopération totale, loyale et concertée, entre tous les États concernés est de nature à remplir les conditions de la paix, de la sécurité et du développement de la région sahélo-saharienne dont l’étendue géographique et la spécificité de peuplement sont des facteurs de vulnérabilité face aux menaces du terrorisme, de la criminalité organisée et de la subversion.

Dans ces conditions, I’intérêt bien compris de tous les États de la région est de travailler la main dans la main, dans un esprit de responsabilité qui doit nécessairement s’exercer dans le respect de la souveraineté de chaque État, de l’identité nationale, de l’intégrité territoriale et des particularismes culturels.

Le délicat problème de la migration interpelle la majorité des pays africains. Quels sont les enjeux pour l’Algérie ?

De par sa situation géographique, l’étendue de son territoire et le nombre important des pays voisins, l’Algérie est devenue à la fois un pays d’origine, d’accueil et de transit des migrants. En quelque sorte, nous sommes, malgré nous, partie prenante et pleinement concernée par cette question des migrations sous ses différents volets : humains, économiques, sécuritaires et sanitaires. Nous ressentons tout le poids et toute la responsabilité de cette situation que nous partageons avec d’autres pays d’ailleurs. Nous sommes conscients que c’est là un phénomène qui ira en se développant s’il n’est pas pris en charge correctement et rapidement. Notre conviction est que la solution aux mouvements migratoires en Afrique, comme ailleurs, réside dans la fixation des populations dans leur propre pays. Cela veut tout simplement dire que tout autre politique que celle fondée sur la promotion du développement économique des pays d’origine ne peut être valablement effective sur le long terme. À notre avis, il serait plus rentable de travailler au tarissement des foyers à fort potentiel de migrations qu’à la multiplication des patrouilles et autres instruments sophistiqués de surveillance des mouvements de population vers les frontières. C’est dans le développement que réside la solution aux mouvements migratoires que nous connaissons actuellement.

L’accroissement du nombre de candidats à la migration révèle, en fait, le peu de progrès fait en matière de développement et de création d’opportunités d’emploi dans les pays d’origine.

C’est partant de cette réalité que l’Algérie a pris l’initiative de proposer, lors du dernier sommet de l’Union africaine, une initiative de portée globale tendant à permettre à l’Afrique et à ses partenaires internationaux, principalement l’Europe, de travailler ensemble et de façon complémentaire et solidaire, à la prise en charge de ce phénomène des migrations dans ses différentes dimensions. C’est dans cet esprit que mon pays a abrité, au mois d’avril dernier, une réunion de haut niveau des pays membres de l’Union africaine.

Cette rencontre a permis à l’Afrique d’élaborer, pour la première fois, une position commune d’ensemble sur la question des migrations sur le continent même, et aussi de tracer les axes du dialogue à mener sur cette question avec les partenaires européens, pris eux aussi en tant qu’ensemble dans le cadre de l’Union européenne. Cette position commune se distingue par une nette volonté de parvenir à une prise en charge des mouvements migratoires par la promotion du développement économique et dans le strict respect des droits de l’Homme et de la dignité des migrants.

Le Maroc, l’Espagne et la France organisent au mois de juillet prochain une rencontre régionale sur cette question des migrations. Qu’attend-on de cette rencontre ?

Concernant cette rencontre plus précisément, l’Algérie, comme vous le savez, n’y sera pas présente. Comme je l’ai indiqué plus haut, notre pays a abrité la réunion de haut niveau de l’Union africaine qui a défini une démarche claire en ce qui concerne l’approche continentale de cette question. Nous nous en tenons à cette approche commune de l’Afrique. Il s’agit, en fait, d’une approche réaliste et conséquente consistant à promouvoir un cadre global pour une prise en charge cohérente, intégrée et équilibrée de la question migratoire dans son ensemble, laissant le soin aux espaces sous-régionaux de mettre en œuvre les principes retenus, selon la spécificité et les particularités des problèmes migratoires qu’ils rencontrent. C’est aussi la même démarche retenue pour le dialogue et la coopération projetés avec les partenaires au développement, et plus particulièrement avec l’Europe.

On parle d’une intégration de l’Algérie à l’OTAN avant 2010, est-ce une échéance raisonnable selon vous ?

L’Algérie a adhéré au “dialogue méditerranéen de l’OTAN”, en mars 2000, dans le but de jeter les bases d’un dialogue serein et constructif en vue de la consolidation de la paix et de la sécurité en Méditerranée, sur la base d’une approche globale de développement et de paix et en complémentarité avec les initiative euroméditerranéennes sur la sécurité régionale.

À cet effet, l’Algérie a eu à plaider pour un équilibre entre le volet opérationnel et le volet politique du dialogue.

Des opérations majeures ont été réalisées dans le cadre de ce dialogue, dont il convient de relever essentiellement la contribution de l’Algérie aux programmes annuels et aux diverses activités de l’OTAN et la participation aux mesures de lutte contre le terrorisme envisagées dans le cadre de l’opération maritime “Active Endeavour”.

Par ailleurs, quatre escales navales de l’OTAN ont été effectuées au port d’Alger en mai 2002, en octobre 2003, en décembre 2004 et en février 2006.

Lors de votre récent déplacement à Bruxelles, avez-vous eu l’impression que les Européens ont compris le message des Algériens ? Et à quand la levée des restrictions sur le visa ?

L’Algérie défend avec constance et fermeté sa position relative à la nécessité de voir les pays membres de l’Union européenne, assouplir les conditions et réduire les délais de délivrance des visas aux ressortissants algériens.

Cette position, que j’ai expliquée à nos partenaires, lors de ma récente visite à Bruxelles, trouve ses fondements dans les considérations suivantes :

 la densité de nos relations économiques, commerciales et culturelles avec les pays de l’Union européenne ;

 l’ancienneté de nos relations d’amitié et de coopération, la proximité géographique et le poids de notre histoire commune ;

 l’existence d’une forte communauté algérienne établie en Europe, entraînant un mouvement des personnes ;

 la nécessité de favoriser progressivement la libre circulation des personnes entre les deux rives de la Méditerranée, pour tendre à long terme à une circulation aussi libre que celle des biens et des capitaux, aujourd’hui réalité concrète de la mondialisation ;

 la lutte contre le phénomène de l’immigration clandestine, aussi compréhensible soit-elle, ne saurait expliquer les restrictions draconiennes imposées à l’Algérie par l’Europe en matière de circulation des personnes.

J’ai l’impression que ce message a été bien saisi par nos partenaires et j’espère qu’il sera suivi d’effet, prochainement.

Cela dit, et par-delà cette question sensible de la circulation des personnes, mon récent déplacement à Bruxelles, à l’occasion de la première session du Conseil d’association entre l’Algérie et l’Union européenne, a été très satisfaisant pour plusieurs raisons :

Le niveau de participation, d’abord, était à la hauteur de l’événement puisque le Conseil d’association était présidé, du côté européen, par la ministre autrichienne des Affaires étrangères, qui assume la présidence actuelle de l’UE, en présence de M. Javier Solana, chargé des relations extérieures de l’Europe, de Mme Waldner-Ferrero, commissaire européenne aux Relations extérieures et à la Politique de voisinage et de deux secrétaires d’État d’Espagne et de Finlande.

En raison, ensuite, de la réponse positive de l’Union européenne pour examiner la question de la liberté de circulation de manière globale. Il ne s’agit pas seulement de la discussion d’un accord sur la réadmission, mais aussi de l’examen de mesures permettant de faciliter l’octroi de visas aux ressortissants algériens.

En troisième lieu, I’Union européenne nous a réaffirmé avec force qu’elle considérait l’Algérie comme un partenaire fiable et stable pour la sécurité énergétique de l’Europe. Les deux parties ont retenu le principe de la conclusion d’un Mémorandum sur le partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie.

Enfin, I’Union européenne a réaffirmé sa disponibilité à répondre aux attentes de l’Algérie pour l’accompagner dans sa politique de réformes. C’est pourquoi, I’Algérie considère cette première session du Conseil d’association Algérie-UE comme un succès politique qui permettra le lancement et la concrétisation d’un partenariat privilégié avec l’UE, sur la base du respect mutuel et de l’équilibre des intérêts. Dans ce sens, on peut affirmer que l’UE a compris le message politique de l’Algérie.