Nous devons tous, comme le Président Bush, partager un « profond dégoût » en regardant les photos de militaires américains infligeant des traitements humiliants à des détenus iraquiens. Le problème, toutefois, est que ce cas ne semble pas être un incident isolé.

À travers le monde, les Etats-Unis gardent des détenus dans des prisons extraterritoriales et étrangères dans lesquelles il n’est pas permis de contrôler des allégations de mauvais traitements. Les Etats-Unis ont aussi été accusés d’envoyer des personnes soupçonnées de terrorisme dans des pays étrangers reconnus comme utilisant la torture pour soutirer les informations désirées. 

Le cas classique, évidemment, a été celui de la base de Guantánamo à Cuba, que l’administration Bush a intentionnellement choisi afin que plus de 700 détenus de quelques 44 pays soient gardés hors de porté des juridictions américaines ou de quelque autre juridiction. Le gouvernement des Etats-Unis a énoncé que les tribunaux américains n’auraient pas eu compétence sur ces détenus même s’ils avaient été torturés ou exécutés sommairement. 

Toutefois, la base de Guantánamo pourrait ne pas représenter le problème le plus grave ; la base pourrait même servir de diversion pour des cas plus extrêmes. Peut-être de peur que la base de Guantánamo soit un jour sous la juridiction des tribunaux fédéraux américains, l’administration Bush n’y garde pas ses détenus les plus recherchés. Les suspects d’actes de terrorisme comme Ramzi bin al-Shibh et Khalid Sheikh Mohammed sont plutôt gardés dans des lieux de détention secrets à l’étranger, sans autorisation de visites par des membres de la Croix Rouge ou par tout autre observateur neutre pouvant évaluer leurs conditions de détention. 

En Iraq, nous avons maintenant des photos de soldats américains torturant des captifs. L’arrogance et le manque total de gêne avec lesquels ces soldats se sont comportés, prenant des photographies et affichant sur celles-ci des airs satisfaits alors qu’ils abusaient des prisonniers, suggère qu’ils n’avaient rien à cacher à leurs supérieurs. En effet, il existe maintenant des rapports montrant que leurs superviseurs dans les services de renseignements militaires les ont pressés d’adopter de tels comportements afin de créer des conditions favorables pour les interrogatoires. 

Ceci est d’autant plus dérangeant que les Etats-Unis n’ont pas fourni d’informations claires sur le traitement des quelques 10 000 civils détenus en Iraq et n’ont fourni aucune information au sujet d’au moins 200 « prisonniers gardés sous haute sécurité ». 

En Afghanistan, les Etats-Unis détiennent aussi des civils dans une zone d’ombre juridique dans des centres de détention dont l’accès est interdit, sans tribunaux, sans conseillers juridiques, sans visites des familles et sans protections légales de base. Human Rights Watch a présenté des preuves suggérant que le personnel américain a commis des actes de tortures ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants envers des détenus. Ceux qui ont été libérés ont révélé que les forces américaines les avaient sévèrement battus, passés sous un jet d’eau froide et soumis à des températures glaciales. Plusieurs ont témoigné avoir été forcés à rester éveillé, à se tenir debout ou à s’agenouiller dans des positions douloureuses pendant de longues périodes. Trois personnes sont mortes alors qu’elles étaient détenues par les Américains, et deux de ces prisonniers seraient décédés suite à des homicides, selon les médecins des forces américaines qui ont effectué les autopsies. Le Département de la Défense doit toujours expliquer les circonstances précises de ces décès. 

Il existe aussi ce que l’on appelle les « renditions » (les « remises » ou « livraisons ») de suspects à des pays tiers. Le cas le plus connu est peut être celui de Maher Arar, un Canadien né en Syrie arrêté puis détenu par les autorités américaines lorsqu’il était en transit à l’aéroport JFK de New York à son retour de vacances. M. Arar a été amené contre son gré en Syrie, un pays où la torture est systématique. Il a déclaré avoir été interrogé puis torturé à l’électricité à répétition dans un donjon souterrain durant ses dix mois de détention en Syrie avant de pouvoir rentrer au Canada. 

L’administration Bush n’a toujours pas répondu aux accusations publiées par le Washington Post faisant référence, mais sans les nommer, à plusieurs officiels américains et décrivant la « remise » de personnes soupçonnées d’appartenir à Al-Qaida et détenues aux Etats-Unis à des pays comme l’Ouzbékistan, le Pakistan, l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite et le Maroc, où elles ont été torturées ou maltraitées. Les Etats-Unis ont dénoncé la pratique de la torture dans ces pays tout comme ils l’ont fait pour la Syrie. 

Les photos sordides des prisonniers irakiens et les informations selon lesquelles le comportement de torture était encouragé confirment que des changements systématiques dans le traitement des prisonniers par les autorités américaines sont nécessaires immédiatement. Les Etats-Unis doivent mener une enquête et répondre publiquement des allégations d’abus par leurs forces militaires en Irak et en Afghanistan et des récits selon lesquels les personnes soupçonnées de terrorisme envoyées dans d’autres pays ont été torturées. 

De la base de Guantánamo à l’Irak et l’Afghanistan, les Etats-Unis doivent également assurer que les personnes en détention sont traitées de façon acceptable, conformément aux standards du droit international, comme les Conventions de Genève. En particulier, les Etats-Unis doivent cesser de garder des détenus dans des « trous noirs » juridiques où la façon dont ils sont traités ne peut pas être surveillée. 
 

 

Article paru dans l’International Herald Tribune du 4 mai 2004, sous le titre « What about the other secret U.S. prisons ? ». Traduction : Human Rights Watch.