Indépendamment de tous les développements diplomatiques, la campagne de diabolisation de l’Iran et les appels de personnalités américanistes en faveur de sanctions, rarement déterminées précisément, se poursuivent inlassablement dans la presse dominante occidentale.

Les campagnes de dénigrements insistent sur deux points : la dangerosité de l’Iran et son irrespect des Droits de l’homme. Parfois ces deux dimensions différentes se confondent alors qu’elle n’ont pas de liens entre elles. Mais le fait qu’un État puisse être dangereux pour d’autres pays tout en respectant les Droits de l’homme sur son sol ou qu’un État violant les Droits de l’homme n’est pas nécessairement une menace pour les autres semblent échapper aux experts dominants. Tout est conçu pour diaboliser Téhéran et les déclarations ou les propos imputés à Mahmoud Ahmadinejad offrent des occasions en or pour y parvenir.

Alors que la controverse autour du programme nucléaire iranien est au cœur des débats politiques elle n’est traitée que dans un nombre restreint de tribunes.
On notera cependant que les anciens conseillers juridiques de l’administration Bush père, David B. Rivkin et Lee Casey, que les lecteurs de Tribunes et décryptage commencent à bien connaître, poursuivent leur interminable tâche : justifier par des argumentaires pseudo-légaux les frappes préventives contre tous les ennemis désignés de Washington. C’est cette fois dans le Washington Post et contre l’Iran qu’ils exercent leur talent assurant qu’au vu des déclarations du président Ahmadinedjad, il y a bien assez d’éléments pour conclure que l’Iran va s’en prendre à Israël et aux intérêts états-uniens et qu’une attaque militaire est justifiée.

La critique de la situation des Droits de l’homme en Iran offre en revanche bien plus de possibilités aux analystes américanistes et les appels à des sanctions contre ce pays se sont multipliés sous des formes bien différentes.
Nous avions déjà noté dans nos colonnes la tentative des gouvernements anglo-saxons d’accréditer le mythe de l’obligation des juifs iraniens d’arborer des étoiles jaunes, mais les accusations contre la République islamique, accusée d’être un des régimes les plus violents contre sa population ne se sont pas cantonnées à cela.
Ainsi, dénonçant l’absence de liberté d’expression, la condition des femmes en Iran et les propos de Mahmoud Ahmadinejad, M. Perelman, professeur d’esthétique (Paris X-Nanterre) ; R. Redeker, membre de la rédaction des Temps modernes ; T. Schabert, professeur de sciences politiques aux universités d’Erlangen et de Rennes et P.-A. Taguieff, directeur de recherche au CNRS ont demandé dans La Libre Belgique que l’Iran ne puisse pas participer à la Coupe du monde de football. Les auteurs condamnent la présence de l’Arabie saoudite et de la Tunisie, mais n’exige que la disqualification iranienne.
Dans le New York Times et l’International Herald Tribune, Hadi Ghaemi, spécialiste de l’Iran à Human Right Watch se plaint de la nomination M. Motaravazi comme représentant de l’Iran au Conseil des Droits de l’homme de l’ONU. L’auteur assure qu’il s’agit d’un criminel qui doit être jugé et demande aux États occidentaux d’inclure la question des Droits de l’homme dans les négociations nucléaires.

L’Iran ne peut sûrement pas être considéré comme un modèle en ce qui concerne les Droits de l’homme, la liberté d’expression ou les Droits des femmes. Mais il n’est pas le seul pays dans ce cas, il est loin d’être le pire État dans ce domaine, et les États-Unis ne sont pas en position de donner des leçons. Dans ces conditions, la focalisation sur la République islamique ne peut être vue que comme l’expression d’une volonté politique, des éditorialistes ou des experts médiatiques, d’utiliser cette question dans le dossier nucléaire iranien. Cela permet de justifier un des principes de la politique états-unienne : ne pas accorder les mêmes droits à tous les États en fonction de la façon dont Washington juge leur politique intérieure.

Dans Le Figaro, la dirigeante du mouvement des Moudjahidines du peuple et présidente du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), Maryam Radjavi, se sert de cette image négative de l’Iran pour mettre en avant son mouvement et demander que les Européens l’aident à prendre le pouvoir. Elle assure qu’aujourd’hui, les responsables de la République islamique oppriment plus durement que jamais une population qui rêve de les renverser, contestant le suffrage universel qui accorda au contraire une large majorité à Mahmoud Ahmadinejad et les sondages d’opinion qui attestent du soutien de sa population dans le dossier nucléaire. L’auteur affirme qu’en Iran, des syndicalistes ont eu la langue coupée et que des manifestants ont été pendus en place publique. Pis, elle dénonce le bombardement de villages. Après vérification, on note que seuls des sites en liens avec l’organisation de Maryam Radjavi confirment ces imputations. Bien que les tortures et exécutions soient censés être publiques et que des bopmbardements ne passent pas inaperçus, ces événements auraient donc échappé, à en croire l’auteur, à l’intégralité des diplomates et des correspondants de la presse étrangère basée à Téhéran. Le Figaro n’hésite pas à les relayer cependant via cette tribune qui, il est vrai, fait suite à l’achat d’espace publicitaire dans le quotidien par les Moudjahidines du peuple.

Bien que le processus de diabolisation en cours puisse déboucher sur un conflit et pourrait être les prémices d’une préparation de l’opinion à la « nécessité » d’une attaque militaire, on note une faible mobilisation des pacifistes sur ce dossier, contrairement à ce qui s’était passé pour l’Irak
On peut trouver plusieurs raisons à cela. Premièrement, la possibilité d’une attaque de l’Iran n’est pas nette, il n’y a rien d’assuré et rien ne semble imminent. Deuxièmement, le fait que l’Iran soit une République islamique joue sans doute un grand rôle. Un certain nombre d’opposants à la Guerre d’Irak assuraient que l’attaque était une mauvaise idée car elle abattrait un régime laïque et ferait le jeu des islamistes. Cet argument était révélateur des conceptions d’un certain nombre d’opposants au conflit, moins intéressé par le respect du droit international ou la volonté d’empêcher une boucherie que d’empêcher la progression des partis politiques islamistes dans le monde arabe. Dans un contexte occidental où non seulement le fondamentalisme, musulman est présenté comme bien plus dangereux que les autres fondamentalisme religieux mais aussi dans un contexte médiatique ou toute tentative de nuance de la mise en scène du péril « islamiste » est présentée comme une complaisance vis-à-vis de l’islamisme, il semble difficile pour les mouvements pacifistes de mobiliser contre une guerre en Iran. Dans un tel climat politico-médiatique, il est délicat pour les leaders politiques de prendre le risque de s’afficher comme un « partisan de l’islamisme ». A contrario, il suffit à Madame Radjavi de se dire laïque pour obtenir des soutiens politiques peu regardants sur les crimes commis par son organisation et sur ses liens affichés avec le département états-unien de la Défense.

L’intellectuel états-unien Noam Chomsky est l’un des rares auteurs à oser dénoncer la course vers la guerre dans la presse dominante. Dans The Guardian et El Periodico, il demande pour résoudre la crise que les États-Unis et Israël en finissent avec leur menace et que le Traité de non-prolifération soit renforcé. Il accuse les États-Unis de tenir un double langage et de refuser aujourd’hui à la République islamique ce qu’ils accordaient hier à la dictature du Shah. Toutefois, on ne peut s’empêcher d’être troublé par l’introduction de cet appel au calme qui reprend les pires éléments apocalyptiques, assurant que si on ne met pas un frein à la prolifération nucléaire, on pourrait provoquer la fin de l’espèce humaine.

Souvent on note une dissonance forte entre la presse dominante occidentale et la presse arabe sur les questions proche-orientales. Mais ce n’est pas le cas dans le dossier iranien. L’Iran est perse. Il reste mal perçu et est vue comme une puissance impérialiste et menaçante au même titre qu’Israël ou que les États-Unis.
Aussi dans Asharqalawsat, l’ancien directeur de la chaîne de télévision Al Arabya, Saleh Alkallab, estime que l’Iran a une volonté hégémonique régionale. Il redoute une guerre entre les États-Unis et l’Iran au même titre qu’un Iran nucléaire et rejette ces deux options, renvoyant également dos-à-dos Téhéran et Washington.
Dans Alquds al-Arabi, le correspondant en Irak du journal, Talal Maarouf Najem considère également négativement l’attitude iranienne et décrit un pays faisant historiquement preuve de duplicité. Ainsi, il estime que si l’Iran na pas attaqué un pays depuis plus de deux siècles, c’est parce que sa politique consiste à pousser les autres à le faire. Selon lui, l’Iran a déjà un plan précis de ce qu’il fera en cas d’attaque militaire et se tient prêt. Toutefois, le journaliste est convaincu qu’il ne s’agira pas d’une guerre classique mais d’une guerre menée pour le compte des États-Unis par les Kurdes iraniens et les Moudjahidines du peuple contre les mollahs.

Toutefois si la presse est presque unanime pour fustiger l’Iran, les dirigeants politiques ne s’accordent pas sur l’attitude à suivre. On note même des dissensions fortes chez les élites washingtoniennes.

Le 16 mai, l’ancien conseiller de sécurité nationale de Richard Nixon, Henry A. Kissinger, demandait dans le Washington Post que les États-Unis cessent de passer par les Européens pour discuter avec l’Iran. Pour lui, la situation actuelle ne mène nulle part et laisserait à terme les États-Unis entre le choix d’un Iran nucléaire ou d’une frappe militaire, deux options à éviter. Pour éviter cela, l’auteur demande que Washington abandonne l’idée du changement de régime et que soit mis au point un forum international sur le modèle de ce qui a été fait pour la Corée du Nord.

Il est impossible de savoir si cette position a eu une influence mais, le 31 mai, les États-Unis se déclaraient prêts à négocier directement avec l’Iran si Téhéran abandonnait l’enrichissement d’uranium.
Cette décision a provoqué un tollé chez les néoconservateurs et une réponse exaspérée de l’ancien conseiller de Donald Rumsfeld et figure des faucons états-uniens, Richard Perle. Selon lui, il est essentiel de poursuivre l’objectif du changement de régime en Iran. Il accuse Mlle Rice d’être tombée sous la coupe de l’establishment du département d’État et d’avoir convaincu Bush de reculer face à l’Iran. Il s’agace également de ne pas voir l’Iran Freedom Support Act du sénateur Rick Santorum être adopté. Notons que cette tribune n’est pas publiée dans le Washington Times ou le Wall Street Journal mais dans le Washington Post ce qui lui donne une dimension bien plus solennelle et apparaît comme une réponse aux suggestion du Dr. Kissinger.

Difficile de savoir au travers de cette passe d’arme si la position états-unienne marque un affaiblissement net et irréversible des néo-conservateurs, mais elle est assurément un camouflet pour ce courant.
Il est à noté qu’un certain nombre d’experts de l’American Entreprise Institute se répandent désormais dans la presse états-unienne pour dénoncer la politique de Condoleezza Rice.

Toutefois, malgré l’ire des milieux les plus extrémistes des élites états-uniennes, la position de M. Kissinger et de Mlle Rice va dans le sens de ce qu’attendaient les milieux atlantistes européens.
L’ancien ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, développe une analyse assez similaire à celle d’Henry Kissinger dans une tribune diffusée par Project Syndicate et publiée par le Korea Herald, Libération, le Washington post, Der Standard, Los Tiempos et sans doute bien d’autres journaux. Reprenant, comme souvent, les arguments des néo-conservateurs et les accréditant avant de s’éloigner de leurs solutions, il assure que l’Iran veut développer une arme nucléaire pour assurer son hégémonie au niveau régional et même au delà, que cela serait une menace pour Israël, pays envers lequel l’Europe a un « devoir moral », et entraînerait une course aux armements régional. Toutefois, l’auteur estime que l’option militaire ne serait pas bonne. Il demande donc aux États-Unis de renoncer à leur idée de changement de régime et de participer aux négociations en proposant en échange de l’arrêt du programme d’enrichissement iranien l’accès à la technologie nucléaire civile sous contrôle international accompagné de garanties de sécurité et d’une normalisation des relations commerciales et politiques. Si l’Iran devait refuser, l’auteur ne présente pas explicitement les options à utiliser, mais il adopte un ton menaçant.

En dépit de l’activisme néo-conservateurs, d’anciens responsables états-uniens se répandent désormais dans la presse pour expliquer ce qu’il faudra faire pour négocier avec les Iraniens, comme si cette issue était acquise. Ainsi dans le New York Times et l’International Herald Tribune, l’ancien secrétaire d’État Warren Christopher se réjouit de la reprise prochaine des négociations et donne ses conseils d’ancien négociateur lors de la crise des otages : discuter avec les bonnes personnes, être infiniment patient et ne pas hésiter à prendre des sanctions si les Iraniens refusent les conditions de la troïka.

Dan les mêmes quotidiens, Flynt Leverett, qui fut le conseiller de Condolleezza Rice au Conseil de sécurité national sur les questions proche-orientales, livre une tribune singulière qui est peut-être essentielle dans la compréhension de la position états-unienne actuelle. L’auteur constate que la Chine et la Russie développent leur influence en Iran. L’alliance entre Pékin, Moscou et Téhéran peut être un contrepoids de taille à l’influence états-unienne sur le Proche-Orient et surtout dans le domaine énergétique.
Compte tenu de ce texte, il est permis de se demander si le revirement états-unien du 31 mai n’est pas la prise en compte par le département d’État du développement de l’organisation de coopération de Shanghai. Une évolution que nous décrivions dans ces colonnes en novembre 2004 et qu’il aura fallu vingt mois à Washington pour intégrer à son raisonnement.