Un citoyen français engagé volontaire dans une armée étrangère en opération de guerre contre un peuple ami, sans mandat explicite du gouvernement français, peut-il se prévaloir de la nationalité française ?

Le mutisme est complet sur ce point, refoulé au tréfonds du subconscient national telle une consigne implicite tant de la classe politique que dans les médias. Certes le sujet fâche, car il fait tâche. Mais la solidarité avec Israël, pour légitime qu’elle puisse être pour de larges secteurs de l’opinon occidentale, ne saurait occulter le débat de fond que cette question pose tant au niveau du droit que de la morale.

La situation de Gilad Shalit présente en la circonstance un parfait cas d’école. À ce titre, il peut paraitre opportun qu’il soit soumis, pour avis, aux autorités juridictionnelles (Conseil d’État, ministère de la Justice) compétentes tant il est vrai qu’ une réponse circonstanciée en la matière ferait œuvre de jurisprudence à l’effet de lever les ambiguités futures.

Caporal de l’armée israélienne capturé le 25 juin 2006 par des Palestiniens, Gilad Shalit peut-il se prévaloir de la nationalité française et réclamer es-qualité l’intervention diplomatique du gouvernement français ? Son engagement dans l’armée israélienne, sans mandat gouvernemental français, entraîne-t-il, sinon la déchéance de sa nationalité, à tout le moins la caducité de son droit à invoquer la protection de la nationalité française ?

Le Quai d’Orsay a donné à savoir à diverses reprises qu’il s’impliquait dans la libération du caporal Shalit, —non pas tant pour des raisons humanitaires ce qui peut paraître concevable, mais du fait de sa « nationalité française »—, omettant de préciser que ce citoyen se trouvait en opération de guerre dans une armée étrangère contre un peuple supposé ami de la France, le peuple palestinien.

Mutatis mutandis, un Français de confession musulmane qui choisit d’effectuer son service militaire au Soudan en guerre contre le Tchad, ou un arabe chrétien de nationalité française qui sert dans les rangs de l’armée ivoirienne, continueraient-ils de bénéficier, eux, de la protection de la nationalite française dans l’hypothèse de leur capture où péseraient sur eux immanquablement la suspicion.

Le cas de Gilad Shalit ne constitue pas un cas isolé. Ainsi un bi-national franco-allemand qui choisit de servir le drapeau d’un pays tiers par affinité religieuse, en exerçant non une option de nationalité mais une requête en naturalisation, a-t-il vocation à assumer des fonctions de conseiller ministériel dans son pays d’origine ?

Son statut de réserviste d’une armée en guerre contre un pays ami de la France, à tout moment réquisitionnable, lui confère-t-il la quiétude suffisante dans la gestion d’un sujet aussi épineux que celui des « sans papiers » ? Cette situation juridiquement sinon exorbitante du moins insolite, ne le place-t-elle pas en porte-à-faux dans sa fonction, en cas de mobilisation de son armée d’affectation ?

La nomination de Arno Klarsfeld, avocat français et réserviste de l’armée israélienne, au poste de conseiller du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy sanctionne-t-elle la carence française dans le domaine des compétences ou relève-telle d’une manœuvre électoraliste?

Au-delà du cas Shalit, se pose le problème plus général de la dualité d’allégeance des bi-nationaux franco-israéliens, (ou franco-arabes ou franco-africains de confession chrétienne ou musulmane) dans l’exercice de responsabilités politiques ou militaires en France ou en Israël, particulièrement en temps de guerre.

La double allégance justifie-t-elle la confusion juridique ? Exonère-telle de toute obligation de réserve au point de se vivre comme un passe-droit ? Le service militaire dans l’armée israélienne constitue-t-il désormais un passage obligé à des promotions politico-administratives en France ? Préfigure-t-il la collaboration future entre les diverses composantes de l’ « Axe du Bien », telle qu’elle est préconisée par les néo-conservateurs états-uniens et leurs relais français ? Un axe constitué, selon ses promoteurs, par les États-Unis, Israël, et au-delà par la droite française et le judaïsme institutionnel français (face à un « Axe du Mal » regroupant grosso modo le tiers-monde arabo-musulman bariolé) ; un axe auquel le ralliement de Philippe de Villers, représentant de la droite traditionnelle, découvreur des mosquées souterraines de l’aéroport de Roissy, est la manifestation la plus pathétiquement symptomatique.

La question peut paraitre dérisoire au regard des enjeux de puissance que sous-tend cette nouvelle guerre du Liban, des morts et destructions de l’été 2006 qui s’en sont suivis tant au Liban qu’en Palestine et en Israël même.

Alors que la France s’emploie activement à retrouver un rôle diplomatique au Proche-Orient, il importe que le droit soit dit et redit tant il est vrai que les grandes civilisations se meurent des entorses répétitives qu’elles commettent à l’encontre de leurs propres principes.

Toute explication sur une question qui demeure dans le flou près de quatre semaines après la capture du soldat israélien de nationalité française serait la bienvenue pour l’édification des générartions futures.